Esprit des lois (1777)/L30/C3

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CHAPITRE III.

Origine du vasselage.


César dit[1] que « les Germains ne s’attachoient point à l’agriculture ; que la plupart vivoient de lait, de fromage & de chair ; que personne n’avoit de terres ni de limites qui lui fussent propres ; que les princes & les magistrats de chaque nation donnoient aux particuliers la portion de terre qu’ils vouloient, dans le lieu qu’ils vouloient, & les obligeoient l’année suivante de passer ailleurs. » Tacite dit[2], que « chaque prince avoit une troupe de gens qui s’attachoient à lui & le suivoient ». Cet auteur qui, dans sa langue, leur donne un nom qui a du rapport avec leur état, les nomme compagnons[3]. Il y avoit entr’eux une émulation singuliere[4] pour obtenir quelque distinction auprès du prince & une même émulation entre les princes sur le nombre & la bravoure de leurs compagnons. « C’est, ajoute Tacite, la dignité, c’est la puissance d’être toujours entouré d’une foule de jeunes gens que l’on a choisis ; c’est un ornement dans la paix, c’est un rempart dans la guerre. On se rend célebre dans sa nation & chez les peuples voisins, si l’on surpasse les autres par le nombre & le courage de ses compagnons : on reçoit des présens ; les ambassades viennent de toutes parts. Souvent la réputation décide de la guerre. Dans le combat il est honteux au prince d’être inférieur en courage ; il est honteux à la troupe de ne point égaler la valeur du prince ; c’est une infamie éternelle de lui avoir survécu. L’engagement le plus sacré, c’est de le défendre. Si une cité est en paix, les princes vont chez celles qui font la guerre ; c’est par-là qu’ils conservent un grand nombre d’amis. Ceux-ci reçoivent d’eux le cheval du combat & le javelot terrible. Les repas peu délicats, mais grands, sont une espece de solde pour eux. Le prince ne soutient ses libéralités que par les guerres & les rapines. Vous leur persuaderiez bien moins de labourer la terre & d’attendre l’année, que d’appeller l’ennemi & de recevoir des blessures ; ils n’acquerront pas par la sueur ce qu’ils peuvent obtenir par le sang ».

Ainsi, chez les Germains, il y avoit des vassaux & non pas des fiefs : il n’y avoit point de fiefs, parce que les princes n’avoient point de terres à donner ; ou plutôt les fiefs étoient des chevaux de bataille, des armes, des repas. Il y avoit des vassaux, parce qu’il y avoit des hommes fideles, qui étoient liés par leur parole, qui étoient engagés pour la guerre, & qui faisoient à peu près le même service que l’on fit depuis pour les fiefs.


  1. Liv. VI, de la guerre des Gaules. Tacite ajoute : Nulli domus, aut ager, aut aliqua cura ; prout ad querie venêre aluntur. De morib. Germ.
  2. De moribus German.
  3. Comites.
  4. Ibid.