Esprit des lois (1777)/L31/C22

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CHAPITRE XXII.

Continuation du même sujet.


Mais ce qui affoiblit sur-tout la monarchie, c’est que ce prince en dissipa les domaines[1]. C’est ici que Nitard, un des plus judicieux historiens que nous ayons ; Nitard, petit-fils de Charlemagne, qui étoit attaché au parti de Louis le débonnaire, & qui écrivoit l’histoire par ordre de Charles le chauve, doit être écouté.

Il dit « qu’un certain Adelhard avoit eu pendant un temps un tel empire sur l’esprit de l’empereur, que ce prince suivoit sa volonté en toutes choses ; qu’à l’instigation de ce favori, il avoit donné les biens fiscaux[2] à tous ceux qui en avoient voulu ; & par-là avoit anéanti la république[3]. » Ainsi, il fit dans tout l’empire ce que j’ai dit qu’il avoit fait en Aquitaine[4] ; chose que Charlemagne répara, & que personne ne répara plus.

L’état fut mis dans cet épuisement où Charles Martel le trouva lorsqu’il parvint à la mairerie ; & l’on étoit dans ces circonstances, qu’il n’étoit plus question d’un coup d’autorité pour le rétablir.

Le fisc se trouva si pauvre, que, sous Charles le chauve, on ne maintenoit personne dans les honneurs[5] ; on n’accordoit la sureté à personne que pour de l’argent : quand on pouvoit détruire les Normands[6], on les laissoit échapper pour de l’argent : & le premier conseil que Hincmar donne à Louis le begue, c’est de demander, dans une assemblée, de quoi soutenir les dépenses de sa maison.


  1. Villas regias, quæ erant sui & avi & tritavi, fidelibus suis tradidit eas in possessiones sempiternas : fecit enim hoc diù tempore. Tégan. de gestis Ludovici pii.
  2. Hinc libertates, hinc publica in propriis usibus distribuere suasit. Nitard, liv. IV, à la fin.
  3. Rempublicam penitùs annulavit. Ibid.
  4. Voyez livre XXX, chap. xiii.
  5. Hincmar, lettre premiere à Louis le begue.
  6. Voyez le fragment de la chronique du monastere de S. Serge d’Angers, dans Duchesne, tome II, page 401.