Esprit des lois (1777)/L5/C2

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CHAPITRE II.

Ce que c’est que la vertu dans l’état politique.


La vertu dans une république est une chose très-simple ; c’est l’amour de la république ; c’est un sentiment, & non une suite de connoissances : le dernier homme de l’état peut avoir ce sentiment comme le premier. Quand le peuple a une fois de bonnes maximes, il s’y tient plus long-temps, que ce que l’on appelle les honnêtes gens. Il est rare que la corruption commence par lui ; souvent il a tiré de la médiocrité de ses lumieres un attachement plus fort pour ce qui est établi.

L’amour de la patrie conduit à la bonté des mœurs, & la bonté des mœurs mene à l’amour de la patrie. Moins nous pouvons satisfaire nos passions particulieres, plus nous nous livrons aux générales. Pourquoi les moines aiment-ils tant leur ordre ? C’est justement par l’endroit qui fait qu’il leur est insupportable. Leur regle les prive de toutes les choses sur lesquelles les passions ordinaires s’appuient : reste donc cette passion pour la regle même qui les afflige. Plus elle est austere, c’est-à-dire, plus elle retranche de leurs penchans, plus elle donne de force à ceux qu’elle leur laisse.