Esprit des lois (1777)/L7/C10

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CHAPITRE X.

Du tribunal domestique chez les Romains.


Les Romains n’avoient pas, comme les Grecs, des magistrats particuliers qui eussent inspection sur la conduite des femmes. Les censeurs n’avoient l’œil sur elles que comme sur le reste de la république. L’institution du tribunal domestique[1] suppléa à la magistrature établie chez les Grecs[2].

Le mari assembloit les parens de la femme ; & la jugeoit devant eux[3]. Ce tribunal maintenoit les mœurs dans la république. Mais ces mêmes mœurs maintenoient ce tribunal. Il devoit juger non-seulement de la violation des mœurs. Or pour juger de la violation des mœurs, il faut en avoir.

Les peines de ce tribunal devoient être arbitraires, & l’étoient en effet ; car tout ce qui regarde les mœurs, tout ce qui regarde les regles de la modestie, ne peut guere être compris sous un code de lois. Il est aisé de régler par des lois ce qu’on doit aux autres ; il est difficile d’y comprendre tout ce qu’on se doit à soi-même.

Le tribunal domestique regardoit la conduite générale des femmes : mais il y avoit un crime, qui, outre l’animadversion de ce tribunal, étoit encore soumis à une accusation publique : c’étoit l’adultere ; soit que dans une république une si grande violation de mœurs intéressât le gouvernement, soit que le déréglement de la femme pût faire soupçonner celui du mari, soit enfin que l’on craignît que les honnêtes-gens même n’aimassent mieux cacher ce crime que le punir, l’ignorer que le venger.


  1. Romulus institua ce tribunal, comme il paroît par Denys d’Halicarnasse, liv. II, p. 96.
  2. Voyez dans Tite-Live, liv. XXXIX, l’usage que l’on fit de ce tribunal, lors de la conjuration des bacchanales : on appela conjuration contre la république, des assemblées où l’on corrompoit les mœurs des femmes & des jeunes gens.
  3. Il paroît par Denys d’Halicarnasse, liv. II, que par l’institution de Romulus, le mari, dans les cas ordinaires, jugeoit seul devant les parens de la femme ; & que dans les grands crimes, il la jugeoit avec cinq d’entr’eux. Aussi Ulpien, au titre 6. §. 9, 12 & 13, distingue-t-il dans les jugemens des mœurs, celles qu’il appelle grave d’avec celles qui l’étoient moins, mores graviores, mores leviores.