Esprit des lois (1777)/L8/C17

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CHAPITRE XVII.

Propriétés distinctives de la monarchie.


Un état monarchique doit être d’une grandeur médiocre. S’il étoit petit, il se formeroit en république. S’il étoit fort étendu, les principaux de l’état, grands par eux-mêmes, n’étant point sous les yeux du prince, ayant leur cour hors de sa cour, assurés d’ailleurs contre les exécutions promptes par les lois & par les mœurs, pourroient cesser d’obéir ; ils ne craindroient pas une punition trop lente & trop éloignée.

Aussi Charlemagne eut-il à peine fondé son empire, qu’il fallut le diviser, soit que les gouverneurs des provinces n’obéissent pas ; soit que, pour les faire mieux obéir, il fût nécessaire de partager l’empire en plusieurs royaumes.

Après la mort d’Alexandre, son empire fut partagé. Comment ces grands de Grece & de Macédoine, libres, ou du moins chefs des conquérans répandus dans cette vaste conquête, auroient-ils pu obéir ?

Après la mort d’Attila, son empire fut dissous : tant de rois qui n’étoient plus contenus, ne pouvoient point reprendre des chaînes.

Le prompt établissement du pouvoir sans bornes, est le remede qui dans ces cas peut prévenir la dissolution ; nouveau malheur après celui de l’agrandissement !

Les fleuves courent se mêler dans la mer ; les monarchies vont se perdre dans le despotisme.