Esprit des lois (1777)/L8/C6

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CHAPITRE VI.

De la corruption du principe de la monarchie.


Comme les démocraties se perdent lorsque le peuple dépouille le sénat, les magistrats & les juges de leurs fonctions ; les monarchies se corrompent lorsqu’on ôte peu à peu les prérogatives des corps, ou les privileges des villes. Dans le premier cas, on va au despotisme de tous ; dans l’autre, au despotisme d’un seul.

« Ce qui perdit les dynasties de Tsin & de Soüi, dit un auteur Chinois, c’est qu’au lieu de se borner comme les anciens, à une inspection générale, seule digne du souverain, les princes voulurent gouverner immédiatement pas eux-mêmes[1] ». L’auteur Chinois nous donne ici la cause de la corruption de presque toutes les monarchies.

La monarchie se perd lorsqu’un prince croit qu’il montre plus sa puissance, en changeant l’ordre des choses qu’en le suivant, lorsqu’il ôte les fonctions naturelles des uns, pour les donner arbitrairement à d’autres, & lorsqu’il est plus amoureux de ses fantaisies que de ses volontés.

La monarchie se perd, lorsque le prince rapportant tout uniquement à lui, appelle l’état à sa capitale, la capitale à sa cour, & la cour à sa seule personne.

Enfin elle se perd, lorsqu’un prince méconnoît son autorité, sa situation, l’amour de ses peuples, & lorsqu’il ne sent pas bien qu’un monarque doit se juger en sureté comme un despote doit se croire en péril.


  1. Compilation d’ouvrages fait sous les Ming rapportés par le Pere du Halde.