Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction/III/02

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Félix Alcan (p. 198-217).
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LIVRE TROISIÈME




CHAPITRE II

Principe de la justice pénale ou défensive dans la société.



Notre société actuelle ne peut assurément réaliser le lointain idéal de l’indulgence universelle ; mais elle peut encore moins prendre pour type de conduite l’idéal opposé de la morale orthodoxe, à savoir la distribution du bonheur et du malheur suivant le mérite et le démérite. Nous l’avons vu, il n’y a pas de raison purement morale pour supposer aucune distribution de peines au vice et de primes à la vertu. À plus forte raison faut-il reconnaître qu’il n’y a pas en droit pur, de sanction sociale, et que les faits désignés sous ce nom sont de simples phénomènes de défense sociale[1].

Maintenant, du point de vue théorique pur où nous nous sommes placé jusqu’ici, il nous faut descendre dans la sphère plus trouble des sentiments et des associations d’idées, où nos adversaires pourraient reprendre l’avantage. La majorité de l’espèce humaine ne partage nullement les idées des Hindous et de tout vrai philosophe sur la justice absolue identique à la charité universelle : elle a de fortes préventions contre la tigresse affamée pour laquelle se dévoua Bouddha, elle a des préférences naturelles à l’endroit des brebis. Il ne lui paraît pas satisfaisant que la faute reste impunie et la vertu toute gratuite. L’homme est comme ces enfants qui n’aiment pas les histoires où les bons petits garçons sont mangés par les loups, et qui voudraient au contraire voir les loups mangés. Même au théâtre, on exige généralement que la vertu soit récompensée, le vice puni, et, s’ils ne le sont pas, le spectateur s’en va mécontent, avec le sentiment d’une attente trompée. Pourquoi ce sentiment tenace, ce besoin persistant d’une sanction chez l’être sociable, cette impossibilité psychologique de rester sur l’idée du mal impuni ?

C’est, en premier lieu, que l’homme est un être essentiellement pratique et actif, qui tend à tirer de tout ce qu’il voit une règle d’action, et pour qui la vie d’autrui est une perpétuelle morale en exemples ; avec le merveilleux instinct social que possède l’homme, il seul aussitôt qu’un crime impuni est un élément de destruction sociale, il a le pressentiment d’un danger pour lui-même et pour tous les autres ensemble : tel un citadin enfermé dans une ville assiégée et qui découvre une brèche ouverte.

En second lieu, ce mauvais exemple est comme une sorte d’exhortation personnelle au mal, murmurée à son oreille et contre laquelle ses plus hauts instincts se révoltent. Cela tient à ce que le bon sens populaire fait toujours entrer la sanction dans la formule même de la loi et regarde la récompense ou le châtiment comme des mobiles. La loi humaine a le double caractère d’être utilitaire et nécessitaire : ce qui est exactement l’opposé d’une loi morale commandant sans mobile à une volonté libre.

Il existe une troisième raison plus profonde encore de l’indignation contre l’impunité : l’intelligence humaine a peine à rester sur l’idée de mal moral ; elle en est révoltée à un bien plus haut degré qu’elle ne peut l’être par un manque de symétrie matérielle ou d’exactitude mathématique. L’homme, étant essentiellement un animal sociable, ζὼον πολιϰτιὸν, ne peut pas se résigner au succès définitif d’actes antisociaux ; là où il semble que de tels actes ont humainement réussi, la nature même de son esprit le porte à se tourner vers le surhumain pour demander réparation et compensation. Si les abeilles, enchaînées tout à coup, voyaient l’ordre de leurs cellules détruit sous leurs yeux, sans avoir l’espérance d’y porter jamais remède, leur être tout entier serait bouleversé, et elles s’attendraient instinctivement à une intervention quelconque, rétablissant un ordre aussi immuable et sacré pour elles que peut l’être celui des astres pour une intelligence plus large. L’esprit même de l’homme se trouve pénétré par l’idée de sociabilité ; nous pensons pour ainsi dire sous la catégorie de la société comme sous celle du temps et de l’espace.

L’homme, par sa nature morale (telle que la lui a fournie l’hérédité), est ainsi porté à croire que le dernier mot ne doit pas rester au méchant dans l’univers ; il s’indigne toujours contre le triomphe du mal et de l’injustice. Cette indignation se constate chez les enfants avant même qu’ils sachent bien parler, et on en retrouverait des traces nombreuses chez les animaux mêmes. Le résultat logique de cette protestation contre le mal c’est le refus de croire au caractère définitif de son triomphe. Dominée tout entière par l’idée de progrès, elle ne peut supporter qu’un être reste pour longtemps arrêté dans sa marche en avant.

Enfin, il y a aussi à faire valoir des considérations esthétiques inséparables des raisons sociales et morales. Un être immoral renferme une laideur bien plus repoussante que la laideur physique, et sur laquelle la vue n’aime pas à se reposer. On voudrait donc le corriger ou l’écarter, l’améliorer ou le supprimer. Rappelons-nous la position précaire des lépreux et des impurs dans la société antique : ils étaient traités comme nous traitons aujourd’hui les coupables. Si les romanciers ou les auteurs dramatiques ne laissent pas en général le crime trop ouvertement impuni, remarquons aussi qu’ils n’ont pas coutume de représenter leurs principaux personnages, leurs héroïnes surtout, comme franchement laids (goitreux, bossus, borgnes, etc.) ; s’ils le font parfois, comme Yictor Hugo pour son Quasimodo, leur but est alors de nous faire oublier cette difformité pendant tout le reste de l’ouvrage ou de s’en servir comme antithèse ; le plus souvent, le roman se termine par une transformation du héros ou de l’héroïne (comme dans la Petite Fadette ou Jane Eyre). La laideur produit donc bien, à un moindre degré, le même effet que l’immoralité, et nous éprouvons le besoin de corriger l’une comme l’autre ; mais comment corriger du dehors l’immoralité ? L’idée de la peine infligée comme réactif se présente aussitôt à l’esprit ; le châtiment est un de ces vieux remèdes populaires comme l’huile bouillante dans laquelle on plongeait avant Ambroise Paré les membres des blessés. Au fond le désir de voir le coupable châtié « part d’un bon naturel. » Il s’explique surtout par l’impossibilité où est l’homme de rester inactif, indifférent devant un mal quelconque ; il veut tenter quelque chose, toucher à la plaie, soit pour la fermer, soit pour appliquer un révulsif, et son intelligence est séduite par cette symétrie apparente que nous offre la proportionnalité du mal moral et du mal physique. Il ne sait pas qu’il est des choses auxquelles il vaut mieux ne pas toucher. Les premiers qui firent des fouilles en Italie, et qui trouvèrent des Vénus avec un bras ou une jambe de moins, éprouvèrent cette indignation que nous ressentons encore aujourd’hui devant une volonté mal équilibrée : ils voulurent réparer le mal, remettre un bras emprunté ailleurs, rajuster une jambe ; aujourd’hui, plus résignés et plus timides, nous laissons les chefs-d’œuvre tels quels, superbement mutilés ; aussi notre admiration même des plus belles œuvres ne va-t-elle pas alors sans quelque souffrance : mais nous aimons mieux souffrir que profaner. Cette souffrance en face d’un mal, ce sentiment de l’irréparable, c’est plutôt encore devant le mal moral que nous devons l’éprouver. Seule la volonté intérieure peut efficacement se corriger elle-même, comme les lointains créateurs des Vénus de marbre pourraient seuls leur redonner ces membres polis et blancs qui ont été brisés ; nous, nous sommes réduits à la chose la plus dure pour l’homme, à l’attente de l’avenir. Le progrès définitif ne peut guère venir que du dedans des êtres. Les seuls moyens que nous puissions employer sont tout indirects (l’éducation par exemple). Quant à la volonté même, elle devrait précisément être sacrée pour ceux qui la regardent comme libre, tout au moins comme spontanée : ils ne peuvent sans contradiction et sans injustice essayer de porter la main sur elle.

Ainsi le sentiment qui nous pousse à désirer une sanction est en partie immoral. Comme beaucoup d’autres sentiments, il a un principe très légitime et des applications mauvaises. Entre l’instinct humain et la théorie scientifique de la morale existe donc une certaine opposition. Nous allons montrer que cette opposition est provisoire et que l’instinct finira par être conforme à la vérité scientifique. Pour cela nous essayerons d’analyser plus à fond que nous ne l’avons fait encore le besoin psychologique d’une sanction chez l’être en société, nous en esquisserons la genèse, et nous verrons comment, produit d’abord par un instinct naturel et légitime, il tend à se restreindre, à se limiter de plus en plus avec la marche de l’évolution humaine.

S’il est une loi générale de la vie, c’est la suivante : Tout animal (nous pourrions étendre la loi même aux végétaux), répond à une attaque par une défense qui est elle-même le plus souvent une attaque en réponse, une sorte de choc en retour : c’est là un instinct primitif, qui a sa source dans le mouvement réflexe, dans l’irritabilité des tissus vivants, et sans lequel la vie serait impossible : les animaux privés de leur cerveau ne cherchent-ils pas encore à mordre qui les pince ? Les êtres chez lesquels cet instinct était plus développé et plus sûr ont survécu plus aisément, comme les rosiers munis d’épines. Chez les animaux supérieurs tels que l’homme, cet instinct se diversifie, mais il existe toujours ; en nous se trouve un ressort prêt à se détendre contre qui le touche, semblable à ces plantes qui lancent des traits. C’est à l’origine un phénomène mécanique inconscient ; mais cet instinct, en devenant conscient, ne s’affaiblit pas, comme tant d’autres[2] ; il est en effet nécessaire à la vie de l’individu. Il faut, pour vivre, dans toute société primitive, pouvoir mordre qui vous a mordu, frapper qui vous a frappé. De nos jours encore, quand un enfant même en jouant, a reçu un coup qu’il n’a pu rendre, il est mécontent ; il a le sentiment d’une infériorité : au contraire, lorsqu’il a rendu le coup, en l’accentuant même avec plus d’énergie, il est satisfait, il ne se sent plus inférieur, inégal dans la lutte pour la vie.

Même sentiment chez les animaux : quand on joue avec un chien, il faut se laisser prendre la main de temps en temps par lui si on ne veut pas le mettre en colère. Dans les jeux de l’homme adulte, on retrouve le même besoin d’un certain équilibre entre les chances : les joueurs désirent toujours, suivant l’expression populaire, se trouver au moins « manche à manche. » Sans doute, avec l’homme, de nouveaux sentiments interviennent et s’ajoutent à l’instinct primitif : c’est l’amour-propre, la vanité, le souci de l’opinion d’autrui ; n’importe, on peut distinguer par dessous tout cela quelque chose de plus profond : le sentiment des nécessités de la vie.

Dans les sociétés sauvages un être qui n’est pas capable de rendre, et même au delà, le mal qu’on lui a fait, est un être mal doué pour l’existence, destiné à disparaître tôt ou tard. La vie même, en son essence, est une revanche, une revanche permanente contre les obstacles qui l’entravent. Aussi la revanche est-elle physiologiquement nécessaire pour tous les êtres vivants, tellement enracinée chez eux que l’instinct brutal en subsiste jusqu’au moment de la mort. On connaît l’histoire de ce Suisse mortellement blessé qui, voyant passer près de lui un chef autrichien, trouva la force de saisir un bloc de rocher et de lui briser la tête, s’anéantissant lui-même par ce dernier effort. On citerait encore bien d’autres faits de ce genre, où la revanche n’est plus justifiée par la défense personnelle et se prolonge pour ainsi dire jusqu’au delà de la vie, par une de ces contradictions nombreuses et parfois fécondes qui produisent chez l’être social tantôt des sentiments mauvais, comme l’avarice, tantôt d’utiles sentiments, comme l’amour de la gloire.

À tout ce mécanisme, remarquons-le, la notion morale de justice ou de mérite est encore étrangère. Si un animal sans cerveau mord qui le blesse, l’idée de sanction n’a rien à y voir ; si vous demandez à un enfant ou à un homme du peuple pourquoi il donne des coups à quelqu’un, il pensera se justifier pleinement en vous disant qu’il a été d’abord frappé lui-même. Ne lui en demandez pas plus long : au fond, pour qui ne regarde que les lois générales de la vie, c’est une raison très suffisante.

Nous sommes ici à l’origine même et comme au point d’émergence physique de ce prétendu besoin moral de sanction, qui jusqu’à présent ne nous offre rien de moral, mais qui va bientôt se modifier. Supposons qu’un homme, au lieu d’être lui-même l’objet d’une attaque, en soit le simple spectateur, et qu’il voie l’agresseur vigoureusement repoussé ; il ne pourra pas manquer d’applaudir, car il se mettra par la pensée à la place de celui qui se défend et, comme l’a montré l’école anglaise, il sympathisera avec lui. Chaque coup donné à l’agresseur lui apparaîtra ainsi comme une juste compensation, une revanche légitime, une sanction[3]. Stuart Mill a donc raison de penser que le besoin de voir châtiée toute attaque contre l’individu se ramène au simple instinct de défense personnelle ; seulement, il a trop confondu la défense avec la vengeance, et il n’a pas montré que cet instinct même se réduit à une action réflexe excitée directement ou sympathiquement. Lorsque cette action réflexe est excitée par sympathie, elle semble revêtir un caractère moral en prenant un caractère désintéressé : ce que nous appelons la sanction pénale n’est donc au fond qu’une défense exercée par des individus à la place desquels nous pouvons nous transporter en esprit, contre d’autresà la place desquels lions ne voulons pas nous mettre.

Le besoin physique et social de sanction a un double aspect, puisque la sanction est tantôt châtiment, tantôt récompense. Si la récompense nous paraît aussi naturelle que la peine, c’est qu’elle a, elle aussi, son origine dans une action réflexe, dans un primitif instinct de la vie. Toute caresse appelle et attend une autre caresse en réponse ; tout témoignage de bienveillance provuque chez autrui un témoignage semblable : cela est vrai du haut en bas de l’échelle animale ; un chien qui s’avance doucement en remuant la queue pour lécher un sien camarade, est indigné s’il se voit accueilli à coups de crocs, comme peut s’indigner un homme de bien recevant le mal en échange de ses bienfaits. Étendez par la sympathie et généralisez cette impression d’abord toute personnelle, vous en viendrez à formuler ce jugement : il est naturel que tout être qui travaille au bonheur de ses semblables reçoive lui-même, en échange, les moyens d’être heureux. Nous considérant comme solidaires les uns des autres, nous nous sentons engagés par une sorte de dette à l’égard de tout bienfaiteur de la société. Au déterminisme naturel qui lie le bienfait au bienfait s’ajoute ainsi un sentiment de sympathie et même de reconnaissance à l’égard du bienfaiteur : or, en vertu d’une illusion inévitable, le bonheur nous paraît toujours plus mérité par ceux envers qui nous éprouvons de la sympathie[4].

Après cette genèse rapide des sentiments qu’excite chez l’homme la punition des méchants ou la récompense des bons, on comprendra comment s’est formée la notion d’une justice distributive inflexible, proportionnant le bien au bien, le mal au mal : ce n’est que le symbole métaphysique d’un instinct physique vivace, qui rentre au fond dans celui de la conservation de la vie[5]. Il nous reste à voir comment, dans le milieu en partie artificiel de la société humaine, cet instinct se modifie peu à peu, de telle sorte qu’un jour la notion de justice distributive y perdra même l’appui pratique que lui prête encore aujourd’hui le sentiment populaire.

Suivons en effet la marche de la sanction pénale avec l’évolution des sociétés. À l’origine, le châtiment était beaucoup plus fort que la faute, la défense dépassait l’attaque. Irritez une bête féroce, elle vous déchirera ; attaquez un homme du monde, il vous répondra par un trait d’esprit ; injuriez un philosophe, il ne vous répondra rien. C’est la loi d’économie de la force qui produit cet adoucissement croissant de la sanction pénale. L’animal est un ressort grossièrement réglé dont la détente n’est pas toujours proportionnée à la force qui la provoque ; de même l’homme primitif, et aussi la pénalité des premiers peuples. Pour se défendre contre un agresseur, on l’écrasait. Plus tard, on s’aperçoit qu’il n’y a pas besoin d’avoir la main si lourde : on tâche de proportionner exactement la réaction réflexe à l’attaque ; c’est la période résumée dans le précepte : œil pour œil, dent pour dent, — précepte qui exprime un idéal encore infiniment trop élevé pour les premiers hommes, un idéal auquel nous-mêmes, de nos jours, nous sommes loin d’être arrivés complètement, quoique nous le dépassions à d’autres points de vue. Œil pour œil, c’est la loi physique de l’égalité entre l’action et la réaction qui doit régir un organisme parfaitement équilibré et fonctionnant d’une façon très régulière. Avec le temps seul l’homme s’aperçoit qu’il n’est même pas utile, pour sa conservation personnelle, de proportionner absolument la peine infligée à la souffrance reçue. Il tend donc et tendra de plus en plus dans l’avenir à diminuer la peine ; il économisera les châtiments, les prisons, les sanctions de toute sorte ; ce sont là des dépenses de force sociale parfaitement inutiles, dès qu’elles dépassent le seul but qui les justifie scientifiquement : défense de l’individu et du corps social attaqué. On reconnaît de plus en plus aujourd’hui qu’il y a deux manières de frapper l’innocent : 1° frapper celui qui est innocent de tout point ; 2° frapper trop le coupable. La rancune même, la haine, l’esprit de vengeance, cet emploi si vain des facultés humaines, tendent à disparaître pour laisser place à la constatation du fait et à la recherche des moyens les plus rationnels pour empêcher qu’il ne se renouvelle. Qu’est-ce que la haine ? Une simple forme de l’instinct de conservation physique, le sentiment d’un danger toujours présent dans la personne d’un autre individu. Si un chien pense à quelque enfant qui lui a jeté une pierre, un mécanisme d’images naturel associe présentement pour lui à l’idée de l’enfant l’action de jeter la pierre : d’où colère et grincement de dents. La haine a donc eu son utilité et se justifie rationnellement dans un état social peu avancé : c’était un excitant précieux du système nerveux et, par lui, « du système musculaire. Dans l’état social supérieur, où l’individu n’a plus besoin de se défendre lui-même, la haine n’a plus de sens. Si l’on est volé, on se plaint à la police ; si l’on est frappé, on demande des dommages et intérêts. Déjà, à notre époque, il n’y a plus à pouvoir éprouver de la haine que les ambitieux, les ignorants ouïes sots. Le duel, cette chose absurde, s’en ira ; il est du reste à présent réglé dans ses détails comme une visite officielle, et bien souvent on s’y bat pour la forme. La peine de mort ou disparaîtra ou ne sera conservée que comme moyen préventif, dans le but d’épouvanter mécaniquement les criminels de race, les criminels mécaniques. Les prisons et les bagnes seront probablement démolis pour être remplacés par la déportation, qui est l’élimination sous sa forme la plus simple ; déjà la prison même s’est adoucie[6] ; on y laisse davantage pénétrer l’air et la lumière : les barreaux de fer qui retiennent le coupable sans trop écarter les rayons du soleil figurent symboliquement l’idéal de la justice pénale, qu’on peut exprimer par cette formule scientifique : le maximum de défense sociale avec le minimum de souffrance individuelle.

Ainsi, plus nous allons, plus la vérité théorique s’impose même aux masses et modifie le besoin populaire de châtiment. Lorsque aujourd’hui la société châtie, ce n’est jamais pour l’acte qui a été commis dans le passé, c’est pour ceux que le coupable ou d’autres à son exemple pourraient commettre dans l’avenir. La sanction ne vaut que comme promesse ou menace précédant l’acte et tendant mécaniquement à le produire ; celui-ci accompli, elle perd toute sa valeur : elle est un simple bouclier ou un simple ressort déterministe, et rien de plus. C’est bien pour cela qu’on ne punit plus les fous par exemple : on y a renoncé, après avoir reconnu que la crainte du châtiment n’avait pas d’action efficace sur eux. Il y a un siècle à peine, avant Pinel, l’instinct populaire voulait qu’on les punît comme tous les autres coupables, ce qui prouve combien les idées de responsabilité ou d’irresponsabilité sont vagues dans le concept vulgaire et utilitaire de la sanction sociale. Le peuple ne parlait pas au nom de ces idées métaphysiques, mais bien plutôt au nom de l’intérêt social, lorsqu’il réclamait autrefois des châtiments cruels, en harmonie avec ses mœurs ; les légistes ne doivent pas davantage mettre ces idées en avant, lorsqu’ils travaillent de nos jours à réduire la peine au strict nécessaire. Le « libre arbitre » et la « responsabilité absolue, » à eux seuls, ne légitiment pas plus un châtiment social que l’irresponsabilité métaphysique et le déterminisme métaphysique ; ce qui seul justifie la peine, c’est son efficacité au point de vue de la défense sociale[7].

De même que les châtiments sociaux se réduisent de notre temps au strict nécessaire, les récompenses sociales (titres de noblesse, charges honorifiques, etc.), deviennent aussi beaucoup plus rares et plus exceptionnelles. Jadis, lorsqu’un général était vaincu, on le mettait à mort et quelquefois en croix ; lorsqu’il était vainqueur, on le nommait imperator et on le portait en triomphe : de nos jours, un général n’a pas besoin pour vaincre de s’attendre ni à de tels honneurs ni à une fin si lamentable. La société reposant sur un ensemble d’échanges, celui qui rend un service compte, en vertu des lois économiques, recevoir non une sanction, mais simplement un autre service : des honoraires ou un salaire remplacent la récompense proprement dite ; le bien appelle le bien par une sorte d’équilibre naturel. Au fond, la récompense, telle qu’elle existait et existe encore aujourd’hui dans les sociétés non démocratiques, constituait toujours un privilège. Par exemple, l’auteur que le roi choisissait autrefois pour lui donner une pension était assurément un écrivain privilégié, tandis qu’aujourd’hui l’auteur dont les livres se vendent est simplement, un écrivain lu. La récompense était si bien considérée jadis comme un privilège, qu’elle devenait fort souvent héréditaire, comme les fiefs ou les titres ; c’est ainsi que la prétendue justice distributive produisait en fait les plus choquantes injustices. De plus, celui même qu’on récompensait y perdait en dignité morale ; car ce qu’il recevait ne lui apparaissait à lui-même que comme un don, au lieu d’être une possession légitime. Chose remarquable, le régime économique qui tend à prédominer parmi nous a, par certains côtés, un aspect beaucoup plus moral que le régime de la prétendue justice distributive, car au lieu de faire de nous des hommes-liges, il nous fait légitimes et absolus possesseurs de tout ce que nous gagnons par notre travail et nos œuvres. Tout ce qui s’obtenait autrefois par récompense ou par faveur s’obtiendra de plus en plus par concours. Les concours, où M. Renan voit une cause d’abaissement pour la société moderne, permettent aujourd’hui à l’homme de talent de créer lui-même sa position et de se devoir à lui-même la place où il parvient. Or les concours sont un moyen de remplacer la récompense, et le don gracieux, par un payement exigible. Plus nous allons, plus chacun sent ce qu’on lui doit et le réclame ; mais ce qu’on doit à chacun perd de plus en plus le caractère d’une sanction pour prendre celui d’un engagement liant à la fois la société et l’individu.

Comme les récompenses sociales déterminées que nous venons de rappeler, les autres récompenses plus vagues de l’estime publique et de la popularité tendent aussi à perdre de leur importance avec la marche même de la civilisation. Chez les sauvages, un homme populaire est un dieu ou à peu près ; chez les peuples déjà civilisés, c’est encore un homme d’une taille surhumaine, un « instrument providentiel » ; il viendra un moment où, aux yeux de tous, ce sera un homme et rien de plus. L’engouement des peuples pour les Césars ou les Napoléons passera par degrés ; la renommée des hommes de science nous apparaît déjà aujourd’hui comme la seule vraiment grande et durable ; or, ceux-ci étant surtout admirés des gens qui les comprennent et ne pouvant être compris que par un petit nombre, leur gloire sera toujours restreinte à un cercle peu large. Perdus dans la marée montante des têtes humaines, les hommes de talent ou de génie s’habitueront donc à n’avoir besoin, pour se soutenir en leurs travaux, que de l’estime d’un petit nombre et de la leur propre. Ils se frayeront ici-bas un chemin et l’ouvriront à l’humanité, poussés plutôt par une force intérieure que par l’attrait des récompenses. Plus nous allons, plus nous sentons que le nom d’un homme devient peu de chose; nous n’y tenons encore que par une sorte d’enfantillage conscient ; mais l’œuvre, pour nous-mêmes comme pour tous, est la chose essentielle. Les hautes intelligences, pendant que dans les hautes sphères elles travaillent presque silencieusement, doivent voir avec joie les petits, les infimes, ceux qui sont sans nom et sans mérite, avoir une part croissante dans les préoccupations de l’humanilé. On s’efforce bien plus aujourd’hui d’adoucir le sort de ceux qui sont malheureux ou même déjà coupables, que de combler de bienfaits ceux qui ont le bonheur d’être au premier rang de l’échelle humaine : par exemple, une loi nouvelle, concernant le peuple ou les pauvres, pourra nous intéresser plus que tel événement arrivé à un haut personnage ; c’était tout le contraire autrefois. Les questions de personnes s’effaceront pour laisser place aux idées abstraites de la science ou au sentiment concret de la pitié et de la philanthropie. La misère d’un groupe social attirera plus invinciblement l’attention et les bienfaits, que le mérite de tel ou tel individu : on voudra plus encore soulager ceux qui souffrent que récompenser d’une manière brillante et superficielle ceux qui ont bien agi. À la justice distributive, — qui est une justice tout individuelle, toute personnelle, une justice de privilège (si les mots ne juraient pas ensemble), — doit donc se substituer une équité d’un caractère plus absolu et qui n’est au fond que la charité. Charité pour tous les hommes, quelle que soit leur valeur morale, intellectuelle ou physique, tel doit être le but dernier poursuivi même par l’opinion publique.

  1. On nous fera sans doute l’antique objection : « Si les punitions n’étaient de la part de la société que des moyens de défense, ce seraient des coups, ce ne seraient pas des punitions. » (M. Janet, Cours de philosophie, p. 30.) — Au contraire, quand les punitions ne se trouvent pas justifiées par la défense, c’est précisément elles qui sont de vrais coups, sous quelque euphémisme qu’on les désigne ; en dehors des raisons de défense sociale, on ne transformera jamais en un acte moral l’acte d’administrer, par exemple, cent coups de bâton sur la plante des pieds d’un voleur pour le punir.
  2. Voir sur ce point la Morale anglaise contemporaine, partie II, 1. III.
  3. Pourquoi se mettra-t-il à la place de celui qui se défend, et non de l’autre ? Pour plusieurs raisons, qui n’impliquent pas encore le sentiment dejustice qu’il s’agit d’expliquer : 1° parce que l’homme attaqué et surpris est toujours dans une situation inférieure, plus propre à exciter l’intérêt et la pitié ; quand nous sommes témoins d’une lutte, ne prenons-nous pas toujours parti pour le plus faible, même sans savoir si c’est lui qui a raison ? 2° la situation de l’agresseur est antisociale, contraire à la sécurité mutuelle que comporte toute association ; et, comme nous faisons toujours partie d’une société quelconque, nous sympathisons davantage avec celui des deux adversaires qui est dans la situation la plus semblable à la nôtre, la plus sociale. Mais supposons que la société dont un homme fait partie ne soit pas la grande association humaine et se trouve être par exemple une association de voleurs ; alors il se produira dans sa conscience des faits assez étranges : il approuvera un voleur se défendant contre un autre voleur et le châtiant, mais il n’approuvera pas un gendarme se défendant contre un voleur au nom de la grande société : il éprouvera une répugnance invincible à se mettre à la place du gendarme et à sympathiser avec lui, ce qui faussera ses jugements moraux. C’est ainsi que les gens du peuple prennent parti dans toute bagarre contre la police, sans même s’informer de quoi il s’agit ; qua l’étranger nous serions portés à prendre parti pour les Français, etc. La conscience est remplie de phénomènes de ce genre, complexes au point de sembler se contredire, et qui cependant rentrent sous une loi unique. La sanction est essentiellement la conclusion d’une lutte à laquelle nous assistons comme spectateurs el où nous prenons parti pour l’un ou l’autre des adversaires : est-on gendarme ou citoyen régulier, on approuvera les menottes, la prison, au besoin la potence ; est-on voleur ou lazzarone ou simplement parfois homme du peuple, on approuvera le coup de fusil tiré d’un buisson, le poignard enfoncé mystérieusement dans le dos des carabinieri. Sous tous ces jugements moraux ou immoraux il ne restera d’identique que la constatation de ce fait d’expérience : celui qui frappe doit s’attendre naturellement et socialement à être frappé à son tour.
  4. Quelque pessimiste niera-t-il cet instinct naturel de gratitude et nous objectera-t-il qu’au contraire l’homme est naturellement ingrat ? Rien de plus inexact : il est oublieux, voilà tout. Les enfants, les animaux le sont encore plus. Il y a une grande différence entre ces deux choses. L’instinct de la gratitude existe chez tous les êtres et subsiste tant que dure vif et intact le souvenir du bienfait ; mais ce souvenir s’altère très rapidement. Des instincts bien plus forts, comme l’intérêt personnel, l’orgueil, etc., le combattent. C’est pour cela que, quand nous nous mettons à la place d’autrui, nous sommes si choqués de ne pas voir une bonne action récompensée, tandis que nous éprouvons souvent si peu de remords en oubliant nous-mêmesde répondre à un bienfait. Le sentiment de la gratitude est un de ces sentiments altruistes naturels qui, se trouvant en contradiction avec l’égoïsme également naturel, sont plus forts quand il s’agit d’apprécier la conduite d’autrui que de régler la nôtre propre.
  5. Cet instinct, après avoir créé le système complexe des peines et des récompenses sociales, s’est trouvé fortifié par l’existence même de ce système protecteur. Nous n’avons pas tardé à reconnaître que, lorsque nous lésions autrui de telle façon ou de telle autre, nous devions nous attendre à une répression plus ou moins vive : ainsi s’est établie une association naturelle et rationnelle (signalée déjà par l’école anglaise) entre telle conduite et un certain châtiment. Nous trouvons dans la Revue philosophique un exemple curieux d’une association naissante de ce genre chez un animal : « Jusqu’à présent, dit M. Delbœuf, je n’ai vu la relation d’aucun fait d’une portée aussi significative. Le héros est un petit chien croisé de chien-loup et d’épagneul. Il était à cet âge où commence pour son espèce le sérieux des devoirs de la vie sociale. Autorisé à élire domicile dans mon cabinet de travail, il s’y oubliait assez souvent. En tuteur inflexible, je lui remontrais chaque fois l’horreur de sa conduite, le transportais vivement dans la cour et le mettais debout dans un coin. Après une attente qui variait suivant l’importance du délit, je le faisais revenir. Cette éducation lui fit comprendre assez rapidement certains articles du code de la civilité… canine, au point que je pus croire qu’il s’était enfin corrigé de son penchant à l’oubli des convenances. Ô déception ! un jour, entrant dans une chambre, je me trouve en face d’un nouveau méfait. Je cherche mon chien pour lui faire sentir toute l’indignité de sa rechute ; il n’est pas là. Je l’appelle, il ne vient pas. Je descends à la cour… il y était, debout, dans le coin, les pattes de devant tombant piteusement sur sa poitrine, l’air contrit, bon teux et repentant. Je fus désarmé. » J. Delbœuf, Revue philosophique, avril 1881. Voir aussi dans Romanes des faits plus ou moins analogues.
  6. Pour tous les délits qui ne peuvent entraîner la déportation, M. Le Bon a proposé avec raison l’amende, ou un travail obligatoire (industriel ou agricole), ou enfin un service militaire forcé sous une discipline sévère (Revue philos., mai 1881). On le sait, nos prisons sont des lieux de perversion plutôt que de conversion. Ce sont des endroits de réunion et d’association pour les malfaiteurs, des « clubs antisociaux. » Chaque année, écrivait un président de la cour de cassation, M. Béranger, cent mille individus « vont s’y plonger plus avant dans le crime, » soit un million en dix ans. De là l’augmentation considérable des récidives (cette augmentation est en moyenne de plus de deux mille par an).
  7. Il faut donc approuver la nouvelle école de juristes, particulièrement nombreuse et brillante en Italie, qui s’efforce de placer le droit pénal en dehors de toute considération morale et métaphysique. Remarquons pourtant que cette école a tort lorsque, après avoir mis à part toute idée de responsabilité métaphysique, elle pense être forcée par ses propres principes de mettre également à part « l’élément intentionnel et volontaire. » Suivant MM. Lombroso, E. Ferri, Garofalo, le jugement légal ne doit porter que sur l’action et sur les mobiles sociaux ou antisociaux qui l’ont produite, sans jamais prétendre apprécier la puissance plus ou moins grande et la qualité intrinsèque de la volonté. MM. Garofalo et Ferri s’appuient sur un exemple qui se retourne contre eux : ils citent cet article des codes italien et français qui punit de prison et d’amende « l’homicide, les coups et blessures involontaires » (Garofalo, Di un criterio positivo della penalità, Napoli, 1880 ; E. Ferri, Il diritto di punire, Torino, 1882). Suivant eux. cet article de loi, ne tenant aucun compte de la volonté du coupable, ne considère que l’acte brut, tout à fait détaché de l’intention qui l’a dicté : cette loi, suivant eux, serait l’un des types dont les lois de l’avenir doivent se rapprocher. — Mais il n’est pas du tout exact que l’article en question ne tienne aucun compte de la volonté du coupable ; si les coups et blessures dits involontaires (ou plutôt par imprudence) étaient absolument tels, on ne les punirait pas, parce que la punition serait inefficace ; la vérité est qu’ils se produisent faute d’attention : or l’attention étant une œuvre de volonté, elle peut mécaniquement être excitée ou soutenue par la crainte de la peine, et c’est pourquoi la peine intervient. La vie en société exige précisément chez l’homme, entre toutes les autres qualités, une certaine dose d’attention, une puissance et une stabilité de la volonté dont le sauvage par exemple est incapable. Le droit pénal a pour but, entre autres objets, de développer la volonté en ce sens : aussi est-ce encore à tort que MM Carrara et E. Ferri ne trouvent « aucune responsabilité sociale » chez celui qui a commis un crime sans le l’aire de sa propre initiative et selon un mobile anti-social, mais parce qu’un autre l’a forcé à donner le coup de poignard ou à verser le poison. Un tel homme, quoi qu’en pensent les modernes juristes italiens, constitue un certain danger pour la société, non sans doute à cause de ses passions ou même de ses actions personnelles, mais simplement à cause de sa faiblesse de volonté : c’est un instrument au lieu d’être nne personne; or il est toujours périlleux d’avoir dans un État des instruments au lieu de citoyens. Il peut exister quelque chose d’antisocial non seulement dans les mobiles extérieurs qui agissent sur la volonté, mais même dans la nature de cette volonté ; or, partout où se trouve quelque chose d’antisocial, il y a prise pour une sanction légale. Il ne faut donc pas considérer la pénalité humaine comme étant absolument de même ordre que la sanction prétendue naturelle, qui tire les conséquences d’un acte donné, par exemple celui de tomber à l’eau, sans se préoccuper jamais de la volonté et de l’intention qui a précédé cet acte (E. Ferri, Il diritto di punire, p. 25). Non, le déterminisme intérieur de l’individu ne saurait échapper entièrement à l’appréciation légale, et de ce qu’un juge n’a jamais à se demander si un acte est moralement ou métaphysiquement libre, il ne s’ensuit pas qu’il doive en aucun cas négliger d’examiner avec quelle dose d’attention et d’intention, enfin avec quel degré de volonté consciente cet acte a été accompli. Par degrés, le châtiment n’est devenu aujourd’hui qu’une mesure de précaution sociale ; mais cette précaution doit viser, outre l’acte et ses mobiles, la volonté qui se cache derrière : cette volonté, quelle que soit sa nature ultime et métaphysique, est mécaniquement une force dont l’intensité plus ou moins grande doit entrer dans les calculs sociaux. Il serait absurde à un ingénieur qui veut endiguer un fleuve de se préoccuper uniquement du volume de ses eaux, sans faire entrer en ligne de compte la force du courant qui les entraîne. Notons-Ie bien d’ailleurs que nous ne faisons point de la « volonté » une faculté mystérieuse placée derrière les motifs. La volonté dont j’ai voulu parler est simplement pour nous le caractère, — le système des tendances de toute sorte auxquelles a coutume d’obéir l’individu et qui constituent son moi moral, — enfin la résistance plus ou moins grande, que ce fonds d’énergie intérieure est susceptible de présenter aux mobiles antisociaux. Nous croyons que l’appréciation des tribunaux portera toujours, non seulement sur la constatation des mobiles déterminants d’un acte donné, mais sur la personne même et sur le caractère de l’accusé ; il faudra toujours juger plus ou moins, non seulement les motifs ou mobiles, mais les personnes (qui ne sont elles-mêmes que des systèmes compliqués de motifs et de mobiles se contrebalançant et formant un mouvant équilibre). En d’autres termes, il n’existe qu’une responsabilité sociale, nullement morale ; mais j’ajoute que l’individu n’a pas seulement à répondre de tel ou tel acte antisocial et des mobiles passagers qui ont pu le poussera cet acte: il doit répondre de son caractère même, et c’est surtout ce caractère que la pénalité doit chercher à réformer. Les jurés veulent toujours juger la personne, se laissent toucher par les antécédents bons ou mauvais ; — ils poussent souvent la chose à l’excès ; — mais en principe, je ne crois pas qu’ils aient tort, parce qu’un acte n’est jamais isolé, qu’il est simplement un symptôme et que la sanction sociale doit porter sur tout l’individu.