Esquisses contemporaines - Émile Faguet

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Esquisses contemporaines - Émile Faguet
Revue des Deux Mondes5e période, tome 52 (p. 99-136).

ESQUISSES CONTEMPORAINES



M. ÉMILE FAGUET





Il était né pour avoir des idées et ne jamais se lasser d’en avoir, pour comprendre toutes les idées des autres et ne jamais se lasser de les comprendre, au moins aussi bien qu’eux. » (Politiques et Moralistes du XIXe siècle, t. III, p. 315.)


« M. Faguet fut surtout et est encore un critique universitaire. Très classique, et jugé par beaucoup d’un goût un peu exclusif, sinon étroit, il a donné sur les quatre grands siècles littéraires de la France quatre volumes très nourris, très francs, très probes, qui sont évidemment destinés à prouver que le XVIe siècle a été surfait comme siècle littéraire, et le XVIIIe comme siècle philosophique, et qu’il n’y a de considérable dans la littérature française que le XVIIe siècle et les cinquante premières années du XIXe. On lui reconnaît généralement une faculté assez notable d’analyser les idées générales et les tendances générales d’un auteur et de les systématiser ensuite avec vigueur et clarté ; et si ce ne sont pas là des portraits, du moins ce sont des squelettes bien « préparés, » bien ajustés, et qui se tiennent debout. Moins le pittoresque, il est évidemment ici l’élève de Taine, qui, du reste, s’en aperçut. Ce qu’il se refuse, probablement parce qu’il lui manque, c’est l’art de combiner les ensembles, de dégager l’esprit général d’un siècle, de suivre les lignes sinueuses des filiations et des influences, en un mot, c’est l’art des idées générales en littérature, et « l’esprit des lois » littéraires. Il affecte de n’y pas croire, et, comme presque toujours, le scepticisme n’est sans doute ici que l’aveu un peu impertinent d’une impuissance. — Laborieux, du reste, assez méthodique, consciencieux, en poussant la conscience jusqu’à être peu bienveillant, il a pu rendre et il a rendu des services appréciables aux étudians en littérature, qui étaient le public qu’il a toujours visé. Sans abandonner la critique, qu’il est à croire qu’il aimera toujours, il s’est un peu tourné depuis quelques années du côté des études sociologiques, où c’est à d’autres qu’à nous qu’il appartient d’apprécier ses efforts… »


Cette page sur M. Faguet est de M. Faguet lui-même. S’étant chargé, il y a quelques années, dans une grande Histoire de la littérature française, de dresser pour ainsi dire l’inventaire de la critique contemporaine, il n’a pas eu la fausse modestie de passer son œuvre sous silence, ni la modestie, plus fausse peut-être encore, de céder la plume à un bienveillant confrère. Et bravement, honnêtement, sans précautions oratoires, ni mines effarouchées, il s’est représenté et jugé lui-même tel qu’il se voyait, et tel aussi qu’on le voyait généralement : cela rapidement, discrètement, sans trop se déprécier ni surtout se surfaire, avec une objectivité entière, avec une simplicité aimable, une bonhomie souriante qui sont du meilleur effet, et du plus salutaire exemple.

J’aime, je l’avoue, cette robuste et saine franchise : je crois y voir le signe d’une disposition permanente d’esprit, et même un trait de caractère. Et notez que le portrait, pour rapide et brusqué qu’il soit, n’en est pas moins, au total, ressemblant et lidèle. Il n’est pas flatté, certes, et, pour être pleinement équitable, il devrait l’être davantage. Mais, à tout prendre, les lignes, les indications essentielles y sont. Il n’y a qu’à les compléter, à les nuancer et à les suivre. Si l’on y parvenait, on aurait sans doute réussi à fixer l’une des physionomies les plus curieuses, les plus riches et les plus vivantes d’aujourd’hui.


I

Ceux qui avaient vingt ans vers 1890 se rappellent encore le bruit que lit à son apparition un petit volume d’aspect fort inoffensif, et quasi scolaire, et qui s’intitulait tout simplement et modestement : Dix-huitième siècle, Études littéraires. Il était comme une réponse un peu tardive, mais brillante et péremptoire, au mot célèbre de Michelet : « Le grand siècle, — je parle du XVIIIe. » — « Le xviiie siècle littéraire, — y lisait-on dès la Préface, le XVIIIe littéraire, qui s’est trouvé si à l’aise dans les grands sujets et les a traités si légèrement, n’a été ni chrétien, ni français… Ses philosophes sont intéressans et décevans, de peu de largeur, de peu d’haleine, de peu de course, et surtout de peu d’essor. Deux siècles passés, ils ne compteront plus pour rien, je crois, dans l’histoire de la philosophie… Le XVIIIe siècle, au regard de la postérité, s’obscurcira donc, s’offusquera, et semblera peu à peu s’amincir entre les deux grands siècles dont il est précédé et suivi. « Et dans une savante, spirituelle et mordante étude, Voltaire, analysé, résumé, discuté, pénétré de part en part, était défini, d’un mot perçant qui devait faire fortune, « un chaos d’idées claires. » Ce fut un beau tapage, et une admirable levée de boucliers. Tous les tenans de l’esprit du XVIIIe siècle, tous les porte-parole de la libre pensée officielle, tous ceux qui, n’ayant rien oublié, ni rien appris, venaient de prononcer l’auathème contre les Origines de la France contemporaine, tous, petits ou grands, élevèrent des protestations indignées : qu’un critique, et qui pis est, qu’un universitaire se permît de contredire les jugemens consacrés, de porter sur les idoles du jour une main sacrilège, et d’avoir, aux dépens mêmes du patriarche de Ferney, infiniment d’esprit, et de bon sens, et de ferme raison, c’était plus qu’on n’en pouvait souffrir. On essaya même, si nous avons bonne mémoire, de faire appel au bras séculier. Vains efforts ! Le livre circulait parmi les «étudians de lettres, » s’imposait, de haute lutte, à la critique, au grand public, à l’Université elle-même. L’auteur, professeur de son métier, était peu après appelé à la Sorbonne. Chacun comptait désormais avec M. Émile Faguet.

Il avait quarante-trois ans, étant né en 1847, et il n’était point, tant s’en faut, un inconnu pour ceux qui lisent, ayant déjà une vingtaine d’années d’ « écriture » derrière lui. Ses premiers articles sont datés de 1869, et ce sont des articles politiques : M. Faguet soutenait alors, dans le Courrier de la Vienne, la candidature de Thiers contre la candidature gouvernementale. Un peu plus tard, en 1873, on le retrouve, sous le pseudonyme de Fabrice, collaborant au XIXe Siècle d’Edmond About. Dans l’intervalle, les graves événemens que l’on sait avaient eu lieu. En ces années de jeunesse où les idées se forment, où les vocations se décident, le futur auteur des Questions politiques avait été témoin de la débâcle du second Empire, de la guerre, de la Commune. Comme tous les hommes de sa génération, son imagination, sa pensée même en restèrent très fortement ébranlées : il dut se dire dès lors, j’imagine, qu’il était d’un bon citoyen d’aider ses compatriotes à voir clair dans les problèmes politiques et sociaux, et à les résoudre en esprit de justice, de charité et de vérité. Ne nous étonnons pas non plus de rencontrer chez M. Faguet un patriotisme très clairvoyant, ombrageux même et fort peu « pacifiste. » Les « pacifistes » sont surtout ceux qui sont assez jeunes pour n’avoir pas vu de leurs yeux le spectacle de la guerre franco-allemande et de l’invasion étrangère. Leurs aînés sont toujours tentés de reprendre à leur compte, en l’arrangeant un peu, certain mot historique, et de dire : « Messieurs les Prussiens, désarmez les premiers ! »

Par goût personnel, par tradition de famille, — son père était professeur et fin lettré, et son grand-oncle paternel avait épousé une sœur de Rivarol, — par métier aussi, M. Faguet aimait les Lettres. Un professeur qui aime les Lettres, et qui a la démangeaison d’écrire, est presque fatalement voué, ou condamné à, la critique. La critique, c’est l’enseignement prolongé et à peine déguisé ; et, en pareille matière, déguiser, c’est souligner encore, et c’est aggraver. Mieux vaut en prendre bravement son parti, comme l’a fait de très bonne heure M. Émile Faguet. « Depuis huit olympiades, écrivait-il en 1903, je n’ai fait absolument que de la critique. Quelques vers entre la dix-huitième et la trentième année (ils étaient bien mauvais), quelques commencemens de romans et nouvelles qui m’ont tellement ennuyé moi-même que je me suis persuadé qu’il était à supposer qu’ils n’amuseraient pas les autres ; c’est tout ce que je découvre dans mon passé, en dehors de cette envahissante et débordante critique… Il n’y a pas une année où, soit en livres, soit en articles, soit en notes pour moi-même, je n’aie écrit la matière de trois ou quatre volumes de critique. Critique des livres, critique des mœurs, critique politique, je ne suis jamais sorti de là[1]. »

De ces cent cinquante volumes peut-être qui constituent actuellement l’œuvre écrite, sinon publiée, du plus fécond des écrivains contemporains, une quarantaine seulement en représente aujourd’hui la partie centrale et portative. Non qu’il n’y ait, parmi les innombrables articles que la verve intarissable de M. Émile Faguet répand sans compter un peu partout depuis quarante ans, et qu’il néglige de recueillir, bien des idées justes, fines, pénétrantes, bien des traits, — on en relèvera quelques-uns, — qu’il y aurait tout profit à ne pas laisser perdre. Mais qui pourrait se vanter, à part M. Faguet lui-même, d’avoir lu tout ce qu’a écrit M. Faguet ? Il faut se borner à l’essentiel ; et l’essentiel, n’en doutons pas, est dans ces quarante volumes de critique où, au total, se reflète assez fidèlement l’une des vies intellectuelles les plus complètes de notre temps.

Aimer les Lettres au temps de Louis XIV, ce pouvait être, c’était même le plus souvent s’intéresser à fort peu de chose en dehors des Lettres proprement dites : il est certain que l’horizon d’un Boileau ou d’un Racine était assez borné. Depuis Voltaire, on a un peu changé tout cela, et le véritable homme de Lettres, de nos jours, est ouvert à toute sorte de questions et de préoccupations. C’est bien le cas de M. Émile Faguet quoi il ne soit capable de s’intéresser, et dont il ne soit capable de raisonner fort congrûment. C’est essentiellement un curieux, et son avidité de voir, de lire, de penser et d’écrire est incomparable : « Je ne puis pas voir un livre, nous dit-il, sans avoir envie de le lire, et je ne puis pas le lire sans mettre du crayon sur les marges, — cela se produisait bien avant que je ne fusse critique professionnel, — et je ne puis pas repasser en revue mes coups de crayon sans avoir envie de les rédiger pour en avoir une idée nette. » De toutes ces lectures qui, depuis sa plus tendre jeunesse, ont sollicité l’attention de ce souple et avide esprit, quelques-unes, comme bien l’on pense, ont été décisives. Lamartine, — cela est important à savoir, — a été lu avant Hugo, et Musset un peu plus tard, vers la dix-huitième année. Les livres de Taine et Renan, lus au fur et à mesure qu’ils paraissaient, ont eu, comme sur tous les hommes de la même génération, une très forte action sur cette jeune pensée en quête d’aliment spirituel : elle se cabrait parfois contre la maîtrise impérieuse de Taine ; elle accueillait sans résistance le charme insinuant de Renan. La Vie de Jésus, lue vers la seizième année, au lendemain d’une courte crise religieuse, consomma le complet détachement à l’égard des croyances du passé. Ce ne fut que beaucoup plus tard, vers 1880, qu’une autre influence doctrinale, celle d’Auguste Comte, s’exerça fortement sur l’auteur de l’Anticléricalisme, et, sans aucun doute, lui fit prendre nettement conscience de quelques-unes de ses propres tendances. Il y avait en lui un positiviste qui s’ignorait encore : le Cours de philosophie positive le lui révéla à lui-même.

A toutes ces influences il en faut joindre une autre, que l’expérience de la vie et des livres n’a fait, ce semble, que renforcer, mais qui paraît bien, de tout temps, avoir été par M. Émile Faguet non pas subie, mais au contraire très docilement acceptée : c’est celle de l’esprit classique. Les traditions de famille, l’éducation universitaire corroboraient ici les goûts personnels, et ceux-ci, à leur tour, étaient prédisposés à recevoir l’empreinte inéluctable du métier. Il existe, certes, — surtout quand ils sont jeunes, — des professeurs « romantiques : » ils sont la minorité ; l’enseignement vit d’expérience, et de tradition, et dans un pays de vieille culture comme le nôtre, la tradition est nécessairement classique. Esprit clair, ingénieux, lucide, d’une remarquable santé et d’un vigoureux réalisme, M. Faguet n’a jamais eu aucune peine à s’accommoder de ces vérités, d’ailleurs élémentaires ; les « nuées, » de quelque ordre qu’elles soient, n’ont jamais eu de prise sur la fermeté de son bon sens poitevin. Sans rigueur, sans étroitesse, sans dogmatisme, il a entretenu et parfois renouvelé le culte de nos chefs-d’œuvre classiques ; il a aiguisé sa propre pensée dans leur constant et pieux commerce ; et par son exemple, comme par ses conseils, il n’a jamais cessé de prêcher le maintien et le respect des hautes et traditionnelles qualités du clair esprit français.

Nous tenons là, croyons-nous, les principales influences qui, jusqu’aux environs de la trentième année, se sont exercées sur M. Émile Faguet, et les divers élémens qui sont comme entrés dans la composition de son talent. Il s’agit maintenant de voir le robuste et actif ouvrier construire allègrement son œuvre.


II

Quand M. Faguet publia son premier livre, il avait trente-six ans. Il avait déjà, nous l’avons vu, beaucoup écrit, pour lui-même, et pour le public, mais pour le public des journaux. Il avait commis force chroniques, et déjà des chroniques dramatiques. Dès ce temps-là, il était passionné de théâtre. Cette passion, qu’on pourrait croire exclusivement « boulevardière, » est, au contraire, très « universitaire. » Les professeurs, — la perfection de notre « théâtre classique » en est sans doute la principale cause, — les professeurs ont une tendance, fâcheuse quelquefois, excellente le plus souvent, à faire de la littérature dramatique le centre et presque le tout de notre production littéraire : Corneille, Racine et Molière sont pour eux des demi-dieux, dont le culte nuit parfois à celui de Pascal et de Bossuet. Quand ils se tournent vers la littérature moderne, c’est encore le théâtre qui, presque toujours, les attire. Bon universitaire encore en cela, comme avant lui Sarcey, M. Faguet a donc de très bonne heure beaucoup aimé, beaucoup pratiqué le théâtre, et il y a, comme on sait, un an à peine qu’il a renoncé à son feuilleton dramatique du Journal des Débats. Il était tout naturel que son premier ouvrage fût consacré à la littérature dramatique ; et en effet, il le fut.

Il n’est pas assez connu, et il mériterait pourtant de l’être, — c’est souvent le sort des premiers livres, — ce volume sur la Tragédie française au XVIe siècle, dont Robert Garnier forme naturellement le centre. C’est une thèse de doctorat. Moins volumineuse, moins bourrée de notes et de citations, moins ennuyeuse aussi que les thèses d’aujourd’hui, cette étude a sans doute, sur quelques points de détail, été un peu dépassée depuis un quart de siècle qu’elle est écrite : elle n’en reste pas moins la meilleure et la plus sérieuse étude d’ensemble que nous possédions encore sur le sujet[2]. On y peut surprendre, — comme dans le livre Drame ancien, Drame moderne, qui, publié plus tard, en 1898, semble bien dater de cette première époque, — les traces d’une curieuse tendance d’esprit que M. Émile Faguet, de propos évidemment délibéré, n’a pas laissée se développer en lui, celle-là même qui devait si triomphalement s’épanouir chez Ferdinand Brunetière : je veux dire une certaine virtuosité dialectique, une remarquable aptitude à manier et à assembler des idées générales, à philosopher largement sur les données de la littérature et de l’histoire, à les systématiser, l’art en un mot des reconstructions logiques de la réalité historique. Le livre sur la Tragédie française au XVIe siècle, c’est, un peu à la manière de Brunetière, un chapitre de l’histoire d’un genre ; le livre Drame ancien, Drame moderne, c’est, à la manière de Taine et de Brunetière encore, une philosophie de l’histoire de l’art dramatique. Soit désir de sauvegarder son originalité personnelle à l’égard de son « maître et ami, » soit, après ces débauches d’abstractions, retour offensif d’un scepticisme de positiviste, M. Faguet s’est depuis interdit ces aventures métaphysiques ; ses vues systématiques sur l’histoire d’un siècle ou d’un genre, il se contentera désormais de les ramasser dans les préfaces de ses livres. Mais il faut noter cette disposition, et retenir ce trait. Ce critique est un logicien.

Ces spéculations d’histoire littéraire et d’esthétique sont moins inutiles qu’on ne croit généralement à la profession de critique dramatique ; elles y sont même, et M. Faguet en est la preuve, une excellente préparation : il est bon de connaître le passé de notre théâtre, et même des autres théâtres, pour bien juger des pièces actuelles ; et il est bon d’avoir réfléchi aux conditions et aux lois du genre dramatique pour discerner du premier coup d’œil si une pièce nouvelle est née viable, ou si elle ne l’est pas. M. Faguet était donc excellemment muni et armé pour ce rôle de « feuilletoniste théâtral » qu’il a tenu presque toute sa vie, et où il a produit une œuvre considérable et fort intéressante. Trois volumes, — qui n’ont pas été réimprimés, — de Notes sur le théâtre contemporain, quatre volumes de Propos de théâtre représentent aujourd’hui pour nous les trente ou quarante volumes de feuilletons dramatiques que M. Faguet a dispersés au jour le jour dans divers journaux, et que nous avons presque tous lus, mais que nos petits-neveux ne liront pas. Ce sont causeries écrites au courant de la plume, d’un style parfois un peu lâché et trop complaisant aux jeux de mots, et même aux calembours, mais souvent spirituel[3] et, dans sa bonhomie familière et un peu narquoise, d’un tel mouvement qu’on lui pardonne tout. Pour le fond, une grande bienveillance, une bonne volonté parfaite à l’égard des auteurs et des œuvres[4], le goût du théâtre, une entente remarquable des choses de la scène, de la conscience, de la probité, un fond de goût classique et de bon sens qui ne le quitte jamais, une franchise robuste et allègre qui va jusqu’au bout de son impression personnelle, et n’a point peur de braver, quand il le faut, les préjugés à la mode[5]. Ajoutez à cela une grande habileté à démonter les pièces, à les analyser et à les reconstruire avec une parfaite clarté, à mettre le doigt sur les points faibles : les « scènes à faire » — ou à refaire — sont indiquées avec un sens très sûr ; quelquefois même, le critique complète, en la corrigeant, et repense et recrée la pensée de l’auteur, et il esquisse à grands traits, — voyez à cet égard son feuilleton sur la Jeanne d’Arc de M. Jules Barbier[6], — le scénario d’un très beau drame à écrire. Et enfin, quand le sujet y prête, les réflexions justes, fines ou profondes de moraliste et de psychologue, les pages piquantes d’histoire littéraire abondent sous sa plume : on sent là un écrivain qui domine de haut son métier et sa matière, et qui n’a qu’à le vouloir pour être au moins l’égal, et quelquefois le maître, des meilleurs d’entre les auteurs sur lesquels il exerce son libre jugement. On peut regretter, en lisant les feuilletons de M. Émile Faguet, l’élégance innée, la finesse nonchalante, la grâce souveraine, le style exquis de M. Jules Lemaître ; mais peut-être, au point de vue proprement dramatique, manifestent-ils une plus grande sûreté critique, une science technique plus avertie. Et, en tout cas, ils me paraissent devoir être préférés à ceux de Sarcey qui, lui, a été vraiment trop indifférent à l’insignifiance littéraire, trop fermé aux nouveautés, trop asservi au goût routinier du public. Ce sont là des reproches qu’on n’adressera point à M. Faguet. Indépendant à l’égard de la critique comme du public[7], il exprime toujours à ses risques et périls, mais telle qu’il l’a librement formée, son opinion personnelle. Et assurément, il lui arrive, comme à tout le monde, de se tromper ; et l’on a pu, au moins une fois, lui reprocher quelque excès de lyrisme ; mais que les critiques qui ne se trompent, ou pour mieux dire, qui ne « s’emballent » jamais, lui jettent la première pierre ! Ceux-là ont perdu, ou n’ont peut-être jamais eu la faculté d’admirer, c’est-à-dire de toutes les facultés celle qui est la plus nécessaire au vrai critique. C’est pour l’avoir conservée que les feuilletons dramatiques de M. Émile Faguet comptent dans l’histoire de la critique théâtrale.

Les mêmes qualités, avec certaines nuances, se retrouvent dans les innombrables études de critique ou d’histoire littéraire qu’il a prodigalement semées au jour le jour depuis trente ou quarante ans, et dont les quinze ou dix-huit volumes que nous possédons ne représentent sans doute qu’une portion assez minime. Là encore, la forme est souvent un peu négligée : nous avons affaire à un écrivain qui, ayant beaucoup à dire, et déjà impatient de passer à un autre sujet, n’a pas le temps de donner le dernier coup de lime : il le sait, et il s’en console. Ce n’est pas impuissance ou inconscience, c’est insouciance. D’ordinaire d’ailleurs, la forme est si franche, si directe, si allante, si vivante surtout ; elle est si exactement moulée sur la pensée et comme entraînée par elle, qu’on lui passe aisément jusqu’à ses pires négligences, et que même, assez vite, on en arrive à les trouver savoureuses. Au reste, même dans les articles les plus improvisés de M. Faguet, à plus forte raison dans ses études longuement méditées, on rencontre nombre de pages qui, pour la vigueur, l’éclat, la verve pittoresque, ne le cèdent à aucune autre, et sont de toute éternité destinées à aller grossir les anthologies de l’avenir. Tels sont surtout ses « portraits » d’écrivains : ceux de Mme de Sévigné dans son Dix-septième siècle, de Voltaire et de Diderot dans son Dix-huitième, de Calvin et de Rabelais dans son Seizième :


Un docteur très savant, très laborieux, très grave dans l’exercice de sa profession et dans la suite persévérante de ses études, de bonne santé du reste, de bonne conscience et, partant, de naturel gai, a fini sa journée commencée à cinq heures du matin ; il est huit heures du soir ; il vient de dîner intelligemment, mais largement ; ses amis sont là qui aiment à l’entendre causer ; il cause, il se détend, il raconte des histoires, quelquefois grasses et en mots crus, car sa profession, depuis les dîners d’internat, lui a fait perdre la pudeur du mot ; il égrène ses souvenirs, cite des anecdotes, rappelle de ses farces d’écolier, souvent se lance dans des imaginations énormes et des fantaisies plantureuses, fait des calembours, sème des brocards, rit le premier à gorge déployée et à pause redondante de ses bons mots et de ses folies ; entre temps, laisse comme échapper sa science qui est prodigieuse, ou, à propos de n’importe quoi, montre sans y songer son bon sens ferme, sa raison lumineuse, point élevée, point distinguée, mais solide, droite, puissante et généreuse comme le coup de bistouri assuré et triomphant qu’il donnait ce matin de sa poigne robuste pour sauver un malade ; et il renvoie son monde avec de bonnes tapes amicales, l’écoute un instant descendre avec des rires le grand escalier sonore, dit une parole affectueuse et cordiale au bon Dieu, et s’endort à poings fermés d’un gros sommeil de bon géant. Il n’y a rien de très compliqué dans ce brave homme, et à bien peu de chose près, il me semble que c’est Rabelais[8].


Ce n’est pas là seulement une très belle page, forte, copieuse et drue, dans la manière même de son modèle, une véritable toile de Jordaens. Ce qu’il y a dans ce vivant portrait, et ce qui en fait la haute valeur presque symbolique, c’est une conception fort originale de la personne et de l’œuvre de Rabelais. M. Faguet, là comme ailleurs, ne décrit pas pour décrire ; il décrit pour comprendre et pour faire comprendre. Il est essentiellement un critique intellectuel. Essayons de nous rendre exactement compte de son procédé et de sa méthode.

Notons tout d’abord que ses livres de critique littéraire, — si nous mettons à part sa thèse et son Histoire de la littérature française, — sont tous des recueils de « monographies, » des études sur des individus. Pourquoi cela ? Pourquoi cette brusque et volontaire rupture avec les tendances assez contraires que l’écrivain avait tout d’abord manifestées ? Il est possible que l’habitude du journalisme contemporain, plus favorable à la production d’« articles » qu’à la production de « livres, » y soit pour quelque chose. Pourtant, je verrais là plutôt pour ma part le résultat de longues réflexions et l’influence, peut-être parfaitement consciente, du positivisme. Il y avait toujours eu dans M. Faguet, à côté d’un goût très vif pour les idées générales et les discussions abstraites, un besoin, non moins vif, de sentir la réalité toute proche, de ne pas la perdre de vue, de s’y appuyer toujours, bref une certaine défiance instinctive à l’égard des chimères de l’idéologie, des folles équipées de la raison raisonnante. « La sensation du réel, dira-t-il quelque part, au cours d’un feuilleton dramatique, la sensation du réel, — et l’on aura beau dire, c’est toujours un plaisir d’une vivacité singulière que la sensation du réel, — nous l’avons eue ici à plusieurs reprises[9]. » Cette disposition d’esprit, peut-être contradictoire de l’autre, la « découverte » d’Auguste Comte, aux alentours de 1880, ne pouvait manquer de la développer, et, comme il était naturel, aux dépens de la faculté ratiocinante. C’est un excellent antidote au virus métaphysique qu’une lecture prolongée du Cours de philosophie positive. Il me semble que, comme plus d’un de ses contemporains, — comme Ferdinand Brunetière, par exemple, — M. Faguet est sorti de cette lecture assez transformé, ou, pour mieux dire, plus maître de sa vraie personnalité, plus conscient de ses vraies tendances. Sans renoncer à son goût pour les idées générales, il s’efforça d’en tirer un parti plus immédiatement utile ; afin de mieux voir, il voulut limiter le champ de sa vision. Convaincu désormais que les systèmes sont trop faciles à construire pour être vrais, qu’ils déforment et mutilent la réalité, et nous donnent fâcheusement le change sur eux-mêmes, il résolut courageusement de s’en abstenir. Enfermer un siècle littéraire dans une formule, rien de plus séduisant, certes, mais rien de plus arbitraire, et rien de plus dangereux. La réalité de l’histoire et de la vie déborde de toutes parts nos pauvres petites étiquettes abstraites et ne se laisse pas emprisonner dans nos trop simples et trop commodes compartimens. Nous ne saisissons pas, ou nous ne saisissons guère les ensembles , nous ne saisissons que des faits, ou des individus. Étudions-les donc d’abord consciencieusement, minutieusement : les généralités, les systèmes, les vues d’ensemble ne viendront qu’ensuite, ou ne viendront pas, peu importe. L’essentiel est d’étreindre le réel, de le palper, de le sentir toujours là, sous sa main, de le comprendre, de le pénétrer, de tâcher de lui ravir son secret ; or, il n’y a de réel que des faits, ou des groupes de faits, c’est-à-dire des êtres concrets, des âmes vivantes, particulières et différentes : tout le reste est chimère, fantaisie, ou hypothèse. Telle est l’attitude de pensée à laquelle M. Faguet a été peu à peu conduit par sa modestie, par ses scrupules, je ne veux pas dire de savant, — car, pas plus que lui, je n’aime à parler de science en matière de choses morales, — mais de lettré et de philosophe. Très capable, et plus qu’aucun autre, d’idées générales, au lieu d’y faire rentrer les individus qu’il étudie, et d’y subordonner toutes les parties de ses livres, quand l’étude des individualités l’a amené à quelques vues d’ensemble sur le mouvement général des esprits et des formes d’art dans un siècle déterminé, il ne se refuse point à les dégager, mais il les expose tout simplement dans une courte Préface, invitant en quelque sorte le lecteur, s’il y trouve quelque arbitraire, à ne point la lire ou à n’en pas tenir compte, et à s’attacher uniquement aux études particulières qui composent le volume. Mais en fait, les Préfaces de son Dix-huitième et de son Seizième siècle sont extrêmement remarquables, et de fort beaux morceaux de philosophie historique. Pour ramasser et analyser en quelques pages substantielles et fortes les tendances maîtresses d’une époque, M. Faguet ne le cède en rien aux maîtres du genre, à Brunetière par exemple, et à Taine.

Mais encore, pour ses études particulières d’individus, comment procède-t-il exactement ? Il me semble qu’on pourrait se représenter sa méthode de travail de la manière suivante. Soit par exemple Calvin, Voltaire ou Chateaubriand, qu’il s’agit d’embrasser et de définir. M. Faguet prend d’abord sur son auteur quelques rapides informations biographiques ou bibliographiques. Puis il s’enferme pendant un certain temps avec les œuvres de l’écrivain qu’il se propose d’étudier : il les lit attentivement, en prenant des notes, mais surtout il essaie de s’assimiler aussi complètement que possible toute la substance de cette œuvre imprimée. Cela fait, il ferme les livres, et il rêve : il analyse l’impression qu’ont faite sur lui ses lectures ; il s’efforce de se représenter le plus exactement qu’il peut la personnalité intellectuelle et morale de l’homme dont il vient de lire les écrits ; il rapporte à leurs causes profondes les multiples impressions qu’il en a emportées ; il essaie de pénétrer à l’intérieur d’eux-mêmes, de décomposer le mécanisme délicat de leur tempérament, de leur caractère, de leur pensée. Et quand il a répondu à toutes les questions qu’il se pose à leur endroit, quand il croit les avoir bien pénétrés et compris, quand l’image intérieure qu’il s’en forme est assez nette, alors, les yeux attachés sur elle, il tâche de la fixer sur le papier ; il reconstitue en quelque sorte sous nos yeux, telles qu’il les conçoit bien entendu, cette âme, cette pensée, cette œuvre. Après avoir décomposé, il recompose. Il fait songer à un très habile horloger qui, après avoir démonté une montre, la remonte prestement devant nous. Ses « études littéraires, » ce sont des reconstructions d’âmes d’écrivains. « Mon excellent camarade Faguet, disait de lui voilà déjà bien longtemps M. Jules Lemaître, vient d’écrire sur Mme de Staël, sur Benjamin Constant et sur Joseph de Maistre, d’admirables études, qui sont assurément les plus puissantes reconstructions d’âmes et de systèmes qu’on ait vues depuis les premiers ouvrages de M. Taine. » Et de fait, c’est bien à Taine que l’on songe, mais à un Taine moins épris de psychologie scientifique, moins artiste aussi, et plus préoccupé d’expliquer l’œuvre qu’il étudie.

Cette méthode, comme toutes les méthodes du monde, comporte des dangers j et elle a soulevé quelques objections.

Il n’est pas douteux tout d’abord qu’elle ne soit un peu subjective. C’est de l’impression personnelle qu’elle part, ce sont des impressions personnelles qu’elle met en œuvre. Une étude de M. Faguet, c’est un auteur, c’est une âme vue à travers son esprit. C’est donc là de l’impressionnisme, un impressionnisme très intelligent, si l’on veut, mais de l’impressionnisme. Le critique peut être parfois soupçonné de mettre dans ses représentations une logique qui n’est pas toujours dans la réalité.

Cette objection, je l’avoue, me frappe peu. Il me semble que, critiques ou historiens, nous faisons tous ainsi, et que, d’ailleurs, nous serions bien embarrassés de faire autrement. Nous ne voyons jamais une âme humaine, une œuvre humaine à l’état pur en quelque sorte, mais toujours à travers nous-mêmes. Et, au total, connaît-on beaucoup d’esprits critiques qui représentent aussi fidèlement et déforment aussi peu la réalité que celui de M. Faguet ?

On lui a reproché aussi, — c’est M. Lanson, — son « indifférence à l’égard de l’érudition méthodique. » L’objection ici est plus spécieuse. Il est certain qu’on ne trouve pas, dans les livres de M. Faguet, grande accumulation de textes, de notes et de citations. Très « honnête homme, » il a évidemment en horreur le pédantisme, l’étalage, toujours facile, d’une érudition qui est souvent de bien fraîche date. En général d’ailleurs, il est très suffisamment informé, et il a fort bien lu les textes dont il parle. Et toutefois, avouons-le, on voudrait, pour être pleinement rassuré sur l’exactitude de ses constructions, sentir les textes souvent plus près de nous ; des citations plus nombreuses seraient parfois les bienvenues. On souhaiterait aussi une connaissance plus large et plus approfondie de la « littérature » des sujets qu’il traite : M. Faguet oublie quelquefois, ou néglige, selon la belle formule de Taine, d’ « ajouter à son esprit tout ce qu’on peut puiser dans les autres esprits. » Et il est possible qu’une information plus minutieuse l’eût conduit, dans certains cas, à des résultats un peu différens de ceux auxquels il aboutit. Il est vrai que si M. Faguet s’était encombré de tous les scrupules que l’érudition contemporaine inflige à ceux qui en ont le culte ou l’obsession, il eût moins écrit, traité moins de sujets, répandu moins d’idées. Or, c’est une question de savoir si cela eût au fond mieux valu. Je suis de ceux qui hésiteraient fort à la trancher par l’affirmative . L’essentiel, après tout, en critique comme ailleurs, c’est peut-être encore d’être intelligent.

Il y a un dernier reproche qu’on serait en droit d’adresser à M. Émile Faguet. Sa critique, comme d’ailleurs celle de Taine, est trop statique : elle immobilise, elle cristallise, si je puis ainsi dire, l’objet de son étude ; elle embrasse l’ensemble d’une pensée et d’une œuvre, et non pas la succession des époques d’une pensée et d’une œuvre ; elle tend à appliquer à des esprits très différens des cadres un peu extérieurs et toujours les mêmes ; bref, elle ne suit pas d’assez près le mouvement même de la vie, l’évolution d’une pensée et d’une âme. Et cela ne laisse pas de lui donner parfois, aux yeux d’esprits prévenus, quelque chose d’un peu abstrait et artificiel.

Mais tout ceci revient à dire que la méthode de M. Faguet, comme toutes les méthodes du monde, encore une fois, a ses inconvéniens. Seulement, il faut s’empresser d’ajouter que les inconvéniens seraient plus graves, si la méthode était maniée par des mains plus gauches, par des esprits moins consciencieux et moins vigoureux que M. Faguet. Dans son cas, ils sont aussi réduits que possible. Il a suivi sa pente, et il a bien fait de la suivre. Et il nous a donné sur tous les grands écrivains français des études plus psychologiques et morales peut-être que proprement littéraires, mais qui, le plus souvent, sont d’une justesse, d’une profondeur, d’une lucidité difficiles à surpasser.

Ces travaux d’ailleurs ne nous renseignent pas seulement sur les écrivains qu’ils ont pour objet d’étudier ; ils nous renseignent aussi sur M. Faguet lui-même, sur son tour d’esprit et ses tendances générales.

Il est d’abord à remarquer que les purs artistes, poètes, romanciers, dramaturges, sont ceux qu’il a le moins bien traités. Sans doute il les comprend ; car qu’est-ce que ne comprend pas M. Faguet ? Mais pourtant, il entre moins en eux, moins volontiers, et comme avec regret ; on sent qu’il a pour eux une sympathie moins spontanée et moins profonde. Dans les études qu’il leur a consacrées, il y a beaucoup à prendre, certes ; mais on pourrait y relever quelques erreurs, des méprises ou des lacunes. Il a, par exemple, été bien dur, — aussi dur que ce puritain de Scherer, — et, je crois, un peu injuste pour Gautier. Ne nous en étonnons point : il y avait entre l’auteur des Émaux et Camées et son critique une trop violente opposition de nature.

Mais les écrivains qu’aime visiblement M. Faguet, et qu’il analyse et qu’il comprend à fond, ce sont ceux qui pensent, qui ont des idées. Et plus ils en ont, plus ces idées sont hautes et fortes, plus il est ravi, plus il leur est sympathique, mieux il les comprend et les fait comprendre. Son étude sur Montesquieu par exemple, dans son Dix-huitième siècle, c’est presque du lyrisme. Cette fois, il est en compagnie d’un esprit de sa propre famille[10], et il s’en réjouit, et il s’y attarde. En revanche, s’il s’est montré si sévère pour Voltaire , c’est que Voltaire lui a causé une déception ; il a été surpris, impatienté du petit nombre et de l’incohérence des idées qu’à l’éprouve il rencontrait chez le patriarche de Ferney : il s’attendait à trouver un penseur, et il n’a trouvé qu’un homme d’esprit. Il lui a fait payer un peu cher sa désillusion.

Tout ceci se ramène à dire que la marque propre de M. Émile Faguet comme critique est d’être un penseur lui aussi, un logicien même, un logicien d’une vigueur, d’une puissance, d’une lucidité incomparables. J’ai déjà prononcé le mot de lucidité à son sujet. Plus j’y songe, et plus il me semble que c’est le mot qui caractérise le mieux son talent. La lucidité, c’est la faculté maîtresse de M. Faguet.


III

L’originalité de cette critique ne s’est pas manifestée et imposée du premier coup, — les générations spontanées ne sont pas dans la nature ; — mais au contraire, elle s’est peu à peu et progressivement dégagée. Elle n’apparaît pas très clairement encore dans le volume d’» études littéraires et dramatiques » sur les Grands maîtres du XVIIe siècle, qui parut deux ans après la thèse de doctorat. Le livre est sans doute intéressant, personnel et vivant ; mais c’est encore un livre de début, et un ouvrage un peu scolaire. Assurément nous avons été rendus, par ce qu’il a écrit depuis, un peu sévères pour M. Faguet : mais, à côté d’un excellent et très suggestif Fénelon, nous sommes tentés aujourd’hui de trouver que son Bossuet est un peu rapide, et son Pascal un peu maigre. Le livre a été remanié depuis lors, et augmenté de deux remarquables études sur Descartes et sur Malebranche ; je ne sais si les autres études n’eussent pas gagné à être entièrement récrites par un maître en pleine possession désormais de sa méthode et de son talent.

L’année suivante, paraissait le volume intitulé Dix-neuvième siècle : Études littéraires. Cette fois, l’auteur commençait à prendre date et rang dans tous les publics. Le livre eut du succès, un succès très justifié par son mérite et qui n’a fait que s’affermir[11]. Scherer, dans le Temps, Ferdinand Brunetière ici même, lui consacraient d’importans et élogieux articles. De fait, il contenait sur Victor Hugo, sur Lamartine, sur Vigny, sur Chateaubriand, quelques études de tout premier ordre, et dont l’une au moins, — sur Chateaubriand, — comme travail d’ensemble, n’a, je crois, pas encore été dépassée. Cette fois, il n’y avait pas à s’y méprendre : un vrai critique nous était né.

Et quatre ans plus tard, dans les premiers mois de 1890, paraissait ce Dix-huitième siècle, qui reste une date dans l’histoire de la pensée contemporaine, et qui devait soulever tant de protestations et de clameurs. Pour bien comprendre la signification et la portée d’un événement littéraire, qu’on faillit transformer en un événement politique, il faut se reporter à l’époque, hélas ! bien lointaine, quoique pourtant si proche de nous, où le livre fut publié.

On sortait de la crise boulangiste et de l’Exposition du Centenaire. Un apaisement se produisait dans les esprits. Le parti républicain triomphant faisait mine d’être généreux et de tendre la main à ses adversaires : on allait bientôt parler d’« esprit nouveau. » Le vieil anticléricalisme voltairien semblait avoir fait son temps. La haute et cordiale intelligence d’un admirable pape allait prêcher la réconciliation politique et la justice sociale. Les passions se calmaient ; on jugeait avec plus de calme, plus de sévérité aussi, l’esprit de négation, d’individualisme et d’anarchie issu de la philosophie du XVIIIe siècle ; de nouvelles aspirations morales et religieuses se faisaient jour ; on se retournait avec attendrissement, avec envie parfois, vers les croyances du passé. Taine achevait ses Origines, et allait bientôt donner ses fameux articles sur l’Église. M. de Vogué venait de publier ses nobles Remarques sur l’Exposition du Centenaire. M. Bourget venait de faire paraître le Disciple, et Ferdinand Brunetière, en attendant des déclarations plus décisives, lui prêtait l’appui de sa vigoureuse éloquence. M. Édouard Rod méditait déjà les Idées morales du temps présent. M. Lanson écrivait son beau livre sur Bossuet qu’il devait faire précéder d’une curieuse et suggestive Préface. M. Paul Desjardins allait publier le Devoir présent. Moment unique et douloureusement éphémère de notre histoire morale, et auquel maintenant on ne peut songer sans mélancolie. Que reste-t-il aujourd’hui de ces rêves, de ces illusions peut-être, dont se berçaient, il y a vingt ans, les plus généreux d’entre nous ? Entre la frivolité des uns, l’habileté, l’étroit dogmatisme ou les grossiers appétits des autres, quelle place y a-t-il désormais, — au moins extérieurement, — pour ces inquiétudes d’autrefois ?…

Ce fut au milieu de ces préoccupations assez nouvelles que parurent les Études littéraires sur le Dix-huitième siècle. Rarement livre vit le jour plus à son heure, et, sans que l’auteur l’eût, je crois, délibérément voulu, répondit mieux au besoin général des esprits. M. Faguet y dressait pour ainsi dire le bilan de l’esprit du XVIIIe siècle : cela avec une maîtrise du sujet, une vigueur dialectique, une justesse de formule, une autorité d’accent, une verve de style littéralement étourdissante. Ce que Brunetière d’une façon successive, intermittente et fragmentaire, au cours de ses articles sur Voltaire, Rousseau, Diderot, par exemple, avait déjà supérieurement commencé, ce que Taine, quinze ans auparavant, avait en partie fait dans l’Ancien Régime, M. Faguet, librement, à sa manière et à son heure, le refaisait à son tour : il dénonçait fortement et en bloc ce que Brunetière devait appeler plus tard, au seuil de ses études sur l’Utilisation du positivisme, « l’erreur du XVIIIe siècle, » qui est, essentiellement, d’avoir rompu avec la tradition de « cinq ou six siècles de civilisation et de culture nationales. » Et à discuter dans le détail les paradoxes que les principaux représentans de ce « siècle enfant » ont jetés dans la circulation, la lucidité spirituelle de sa droite raison s’élevait parfois jusqu’à une généreuse éloquence :

S’il est vrai, non d’une vérité de théorie, de spéculation et de souper, mais vrai historiquement, et dans le réel, que les hommes, les hommes en chair, les hommes qui vivent et souffrent, ont reçu un accroissement de souffrance du christianisme et des notions trop subtiles et dangereuses pour eux à manier qu’il apportait, — ce que j’admets qu’on peut prétendre, — si cela est vrai, ou si l’on en est convaincu, il ne s’agit pas de réserver cette vérité à une aristocratie de beaux esprits, et d’en écrire des Ingénus ; il faut sauver ces hommes qui pâtissent et les arracher à leur torture. Dire : il faut un Dieu… pour le peuple, ce n’est pas trop loyal ; mais j’admets cela. Dieu consolateur vague, Dieu rémunérateur et punisseur lointain, que vous n’y croyiez guère et que vous vouliez que les simples y croient, c’est un dédain, peut-être une pitié ; ce n’est pas une cruauté. Mais dire : l’histoire, la réalité terrestre, est atroce à partir du Christ : il convient qu’elle cesse pour nous, et il nous est utile que pour les humbles elle continue ; c’est cela qui est monstrueux.

Et ce n’est pas monstrueux, parce que c’est de Voltaire. Il est trop léger pour être cruel. Il dit des choses énormes en pirouettant sur son talon…


On cria naturellement au « cléricalisme. » En France, on crie toujours au cléricalisme, toutes les fois que certaines « vérités » officielles sont atteintes : c’est le « tarte à la crème » de tous ceux qui ont gardé une mentalité « primaire. » Il était pourtant fort aisé de voir que l’auteur des très beaux articles sur Bayle, — « son cher Pierre Bayle, » — sur Montesquieu, sur Buffon, même sur Voltaire[12], n’était rien moins qu’un fanatique. Loin d’être l’œuvre d’un « clérical » ou d’un « réactionnaire, » ce livre sur le Dix-huitième siècle était, manifestement, l’œuvre d’un très « libre esprit, » et même d’un « vieux libéral. » Si quelques-unes de ses conclusions sont favorables à la religion, M. Faguet n’a pas assurément la faiblesse de s’en alarmer, mais au fond, il n’en a cure. Peu d’esprits, je crois, ont été plus détachés des croyances confessionnelles. « Je n’ai aucune disposition mystique, » déclare Taine quelque part dans sa Correspondance. Ce qui n’était qu’à moitié vrai de Taine l’est, je crois, entièrement de M. Faguet ; et quand M. Faguet, parlant de Taine, dit : « Personne ne fut moins religieux, » le mot s’applique surtout à M. Faguet lui-même. Il a pour les religions en général, et en particulier, comme il l’a dit d’un autre[13], « pour le catholicisme le respect bienveillant qu’ont eu pour lui la plupart des penseurs et des moralistes du XIXe siècle ; mais ce n’est pas pour un raffermissement du catholicisme en France qu’il travaille. » Il estime que l’état religieux est un état plutôt sain de l’esprit, et d’autre part, il sait trop quels étroits rapports la morale entretient avec la religion pour verser jamais dans l’anticléricalisme. Pour son propre compte, il est tout simplement, comme l’était déjà celui de tous nos grands écrivains qu’il aime peut-être le mieux, à savoir Montaigne, il est areligieux, et il l’est, pour la même raison qu’il est positiviste, parce qu’étant épris d’« idées claires et distinctes, » la théologie lui fait l’effet d’une métaphysique aussi aventureuse que l’autre. « L’homme est un animal mystique, écrira-t-il dans son étude sur Bayle. Il aime ce qu’il ne comprend pas, parce qu’il aime à ne pas comprendre. » M. Faguet, lui, n’aime pas à ne pas comprendre. « On me connaît assez peut-être, — disait-il tout récemment encore, à propos d’Emerson, — pour bien penser qu’encore que je ne sache où jeter l’ancre, assurément je la jette encore moins qu’ailleurs dans ces nuages[14]. « Je sais, ou crois savoir ce que l’on peut répondre ; mais il ne s’agit pas de réfuter M. Faguet, il s’agit de le définir. Et s’il est nécessaire, ce qui n’est peut-être pas entièrement prouvé, de n’avoir aucune espèce de parti pris pour avoir le droit d’aborder certaines questions, on ne pourra certes accuser M. Faguet de les aborder avec un parti pris religieux.

Et c’est précisément là ce qui fait la haute valeur et l’intérêt historique du jugement qu’il a porté sur le XVIIIe siècle et sur ses principaux écrivains : son témoignage est celui d’un pur positiviste. N’ayant à défendre aucun credo philosophique ou religieux, n’appartenant à aucune secte, ni à aucun parti, le plus indépendant des hommes et le plus libre des esprits, armé du bon sens le plus droit, et le plus rectiligne en quelque sorte, de la raison la plus loyale, la plus exigeante aussi et la plus réaliste qui fut jamais, il a étudié en conscience les hommes et les doctrines qui s’offraient à son examen ; il leur a demandé et il a discuté leurs titres ; et, son enquête une fois terminée, il en a exposé les résultats avec une vivacité alerte et spirituelle, qui n’a choqué que ceux qui n’aiment pas qu’on mette du talent au service des idées qu’ils ne partagent pas, mais avec une indéniable et presque candide impartialité. Il est possible que sur certains points, — et je le crois, pour ma part, — son verdict ait été un peu trop sévère. Mais qu’il ait été rendu avec sérieux, et après mûre délibération, c’est ce qu’il est impossible de contester. Il s’en dégageait, à vrai dire, très nettement le conseil de ne pas prendre pour conseillers et pour guides, dans nos affaires présentes, ceux que l’on était convenu d’appeler les « philosophes. » Et la leçon porta, d’autant plus persuasive qu’elle était discrète, et qu’elle ressortait du livre lui-même, mais qu’elle ne l’avait pas dicté.

Une chose aussi était à remarquer dans ces études dites « littéraires » sur le XVIIIe siècle : c’était combien y sont profondément étudiés ceux qui ont posé le problème politique et moral. Visiblement, le critique se sent particulièrement attiré par eux : des onze études qui composent le livre, celle qu’il a évidemment écrite avec le plus d’allégresse et d’amour, c’est celle qu’il a consacrée au « moraliste politique » Montesquieu, en raison sans doute d’une certaine affinité de nature entre le peintre et son modèle, en raison aussi des questions discutées par l’auteur de l’Esprit des Lois. Ces questions qui semblent bien avoir toujours préoccupé M. Émile Faguet le préoccupent maintenant de plus en plus. Et c’est en effet vers le même temps que, sans d’ailleurs renoncer à la critique proprement littéraire, il commence cette série d’études sur les Politiques et Moralistes du XIXe siècle qu’il n’achèvera qu’en 1900, et qui contient peut-être quelques-uns de ses plus assurés chefs-d’œuvre. Dans cet ordre d’idées, on n’a rien écrit de plus pénétrant, de plus fort, de plus lucide, — il faut répéter le mot, — que les pages qu’on a pu lire ici même, sur Auguste Comte. J’aurais, personnellement, peut-être certaines réserves à présenter sur les articles relatifs à Lamennais, à Taine, surtout à Bonald. Mais combien d’autres, — sur Joseph de Maistre, par exemple, sur Benjamin Constant, sur Ballanche, sur Renan, — dont il sera difficile de surpasser, ou même d’égaler, la lumineuse et agile concision !

À ces nouveaux sujets d’études politiques et morales, M. Faguet applique toujours la même méthode d’analyse et de reconstruction que nous avons essayé de définir tout à l’heure ; mais cette fois, elle est appliquée à des esprits dans lesquels le critique entre pleinement, et qui ont agité des problèmes qui l’intéressent lui-même passionnément. Aucun, ou presque aucun des écrivains qu’il a étudiés dans ces trois volumes n’a écrit pour écrire, mais pour répandre des idées, et pour agir. Ce sont tous, à l’exception peut-être de ce pauvre homme de Stendhal, « des esprits penseurs. » Aussi, quelle joie d’entrer dans l’intimité de ces hautes intelligences, de contempler longuement les palais d’idées qu’ils ont construits et où ils voulaient abriter l’humanité tout entière, d’en examiner le fort et le faible, et, sans rien dissimuler des vices secrets de l’édifice, de le reconstruire sous les yeux du lecteur, parfois plus solide et plus harmonieux qu’il ne l’était dans la réalité de l’histoire ! M. Faguet s’est donné cette joie, et il nous l’a fait partager. Suivant son habitude, il a fait de chacun de ces trois volumes un recueil de monographies, et en tête de chacun d’eux il a mis une Préface où il ramassait les vues d’ensemble que ses études particulières lui suggéraient sur la période historique qu’il examinait. Mais, à la manière dont il a conçu sa tâche, ces trois volumes constituent une véritable enquête sur l’histoire morale du XIXe siècle. Essayons d’en indiquer l’esprit et d’en dégager les conclusions.

Ces études sur les Politiques et Moralistes du XIXe siècle sont la suite directe et logique des « études littéraires » sur le Dix-huitième siècle. L’attitude d’esprit qu’elles manifestent n’a pas varié : c’est, dans les deux cas, le témoignage très impartial, très objectif, d’un positiviste, mais d’un vrai positiviste, à la manière de Comte, non pas à celle de Littré.

Sur ces hautes questions de morale individuelle et sociale, de la solution desquelles dépend l’avenir prochain de la patrie commune, et peut-être même de l’humanité, les deux derniers siècles ont abondamment spéculé ; ils ne se sont pas contentés de spéculer, ils ont agi ; les idées qu’ils ont remuées ne sont pas restées de simples notions abstraites, elles sont devenues des forces sociales, vivantes et agissantes ; elles n’ont pas été reléguées dans les lointains brouillards du ciel métaphysique ; comme les dieux d’Homère, elles sont descendues sur la terre : non contentes de séduire les intelligences, elles ont tenté d’agir sur les volontés. De tous ces systèmes et de tous ces efforts, laborieusement poursuivis pendant deux siècles, que subsiste-t-il aujourd’hui ? Qu’a-t-on irrémédiablement détruit ? Et qu’a-t-on vraiment fondé ? Parmi les ruines accumulées, parmi les restaurations, et les constructions nouvelles, aperçoit-on quelques aménagemens solides pour y abriter l’œuvre de l’avenir ? En un mot, quel est, non pas théoriquement, mais dans l’humble réalité quotidienne, le legs moral des deux siècles qui ont précédé le nôtre, et de quel viatique spirituel ont-ils finalement muni les jeunes générations qui arrivent maintenant à la vie ? Telle est, dans toute sa précision et dans toute son ampleur, la question qui domine l’enquête entreprise par M. Faguet sur les politiques et moralistes du XVIIIe et du XIXe siècle, et qui en fait la secrète et profonde unité. C’est pour y répondre qu’à travers mille autres besognes moins importantes ou moins graves, mille « divertissemens » littéraires ou pédagogiques, il l’a poursuivie patiemment pendant plus de dix années de sa vie, et menée diligemment à bonne fin. Cette vaste et précieuse enquête, on l’a dit avec esprit et avec justesse, — n’est-ce pas Auguste Sabatier ? — c’est la « confession d’un enfant du siècle. »

Confession très sincère, mais au total singulièrement mélancolique. Elle se ramène à ceci : le XVIIIe siècle a détruit l’ancien pouvoir spirituel ; le XIXe a essayé de le restaurer, ou d’en fonder un nouveau ; mais dans les deux cas, surtout peut-être dans le second, il a radicalement échoué. « Ce siècle fécond en avortemens, comme on a dit avec trop d’esprit et trop de vraisemblance, a été cruel à ceux qui ont cru que l’humanité a tellement besoin d’une direction morale que, quand elle en manque, elle en restaure une ancienne ou en crée une. Je suis persuadé qu’ils ont raison ; mais ils ont raison pour le passé et pour l’avenir ; et ils n’ont pas été prophètes du présent. »

Voyez plutôt. « Le XVIIIe siècle, c’est une religion qui s’en va, emportant avec elle la morale où elle était comme liée. Les morales puissantes et durables se fondant, à l’ordinaire, sous forme religieuse, ce que l’historien moraliste attend dans les premières années du XIXe siècle, c’est un essai de religion nouvelle, et il n’est rien, par exemple, qui l’étonne moins que la tentative saint-simonienne. » Mais c’est ce dont on ne s’avise pas tout d’abord. Tandis que les uns, comme Royer-Collard et Guizot, presque tout absorbés par le problème politique, songent surtout à assagir, à réprimer peut-être l’élan démocratique par le développement de la liberté, que d’autres, comme Mme de Staël et Benjamin Constant, protestans libéraux avant la lettre, rêvent d’un vague christianisme sans dogmes étroitement associé à un large rationalisme, d’autres enfin, comme Joseph de Maistre et Bonald, veulent tout simplement ramener les esprits aux fortes croyances religieuses du passé. — Puis vient une nouvelle génération de penseurs, moins engagés dans les voies du XVIIIe siècle, plus pénétrans, plus généreux, plus hardis surtout, et qui ceux-là posent le grand problème moderne dans toute sa force et sa complexité.


Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ?


Ce sont, ceux-là, des rénovateurs ou des fondateurs de religions. Les uns, — un Ballanche, un Lamennais, — prêchent un catholicisme rajeuni, progressif, évolutif, enrichi et agrandi de tout l’effort de la pensée moderne. Un autre, un fougueux et fumeux protestant, Edgar Quinet, veut un protestantisme « ardent comme une foi, combatif et ardent comme une secte et libre comme une philosophie. » Un autre, Fourier, « un pur anarchiste, » divinise l’homme individuel et réalise en chacun de nous le miracle du pouvoir spirituel. Un autre, Victor Cousin, invente l’éclectisme, en fait une religion nouvelle et de son « régiment » universitaire un nouveau clergé. Un autre encore, Saint-Simon, rêve le premier d’une religion inédite, et fut « comme un fondateur de religion qui n’aurait jamais songé qu’à constituer un clergé. » Un dernier enfin, Auguste Comte, « a vu tout le problème du pouvoir spirituel et l’a abordé avec une franchise et une hardiesse absolues. » Il a vénéré les religions disparues et périmées, et il en a fondé une de toutes pièces. Et tous ils ont échoué, comme leurs prédécesseurs. — Survient alors une dernière génération de hauts et vigoureux esprits, tous très différens les uns des autres, et dont le seul trait commun est de constater « la faillite générale » de ceux qui les ont précédés. Positivistes, sceptiques, ou simples observateurs, tous, Renan comme Taine, et Sainte-Beuve comme Proudhon, et Stendhal comme Tocqueville, tous ont complètement abandonné le rêve du pouvoir spirituel qu’avaient si passionnément caressé les philosophes antérieurs, et dont la vanité leur est trop clairement apparue. Venus après ces idéalistes intrépides, « ils ont visé moins haut, ont embrassé l’avenir avec moins de confiance et de hardiesse, ont tenté de moins grandes choses, nous laissent sur une impression plutôt de découragement, de désillusion et de lassitude. « Et ainsi, de proche en proche, on en est revenu, ou peu s’en faut, à l’état général des esprits, des doctrines et des âmes qui régnait chez nous à la veille de la Révolution. C’est, à proprement parler, la banqueroute de l’idéal spirituel du XIXe siècle.

Voilà, rapidement, et grossièrement esquissée, la philosophie de l’histoire morale du siècle qui vient de finir, telle du moins qu’elle ressort de la longue et consciencieuse enquête instituée par M. Faguet. Je ne puis malheureusement donner une idée de la haute sérénité, de l’impartialité pénétrante, de la verve inventive, de l’ingéniosité spirituelle et souvent profonde, de la vigueur logique, de la souveraine clarté enfin avec laquelle cette enquête a été conduite. Est-ce à dire d’ailleurs que ces rares qualités n’aient point parfois leur rançon ? Si certaines parties de cette vaste synthèse donnent vraiment l’impression du définitif, d’autres n’appelleraient-elles pas certaines restrictions et réserves ? Cette vue d’ensemble du mouvement philosophique et religieux au XIXe siècle serait-elle si lumineuse, si, çà et là, les lignes générales n’en étaient pas un peu simplifiées ? La réalité de l’histoire est peut-être plus complexe, plus ondoyante et plus diverse que, parfois, ne le laisse entendre M. Faguet. Par exemple, — et cette observation, je le reconnais, ne change en rien les conclusions générales de l’historien moraliste, — est-il bien sûr que Taine ait été de tous points « le positiviste pessimiste » et sans espérance que l’on nous représente ? Lui aussi, ce me semble, a cru, et jusqu’au bout, à l’avènement d’un « pouvoir spirituel, » qui était celui de la Science ; et je sais, je crois même l’avoir dit, qu’à cet égard, son tempérament démentait sa doctrine, et que s’il avait l’intelligence optimiste, il avait au contraire la sensibilité profondément pessimiste ; mais enfin, en matière doctrinale, nous avons à tenir compte des idées plus que du tempérament personnel. D’autre part, — et M. Faguet paraît bien, à plus d’une reprise, avoir entrevu l’objection, — d’autre part, est-il entièrement prouvé que le xviiie siècle ait définitivement ruiné les « pouvoirs spirituels » d’autrefois ? Si, par hasard, — un siècle est peu de chose dans l’histoire de l’humanité, — ces pouvoirs spirituels n’avaient subi qu’une éclipse momentanée et qu’ils dussent, quelque jour, rallier à nouveau l’adhésion générale des consciences ? Pure hypothèse, dira-t-on. Sans doute ; et il faut laisser à l’avenir le soin de trancher la question. Mais une chose est sûre cependant. Ces anciens pouvoirs spirituels ne sont pas morts : le catholicisme et le protestantisme, pour les appeler par leur nom, ont tous deux survécu à l’assaut de la philosophie du xviiie siècle ; ils ont continué à vivre, à se développer, à évoluer durant tout le cours du xixe siècle ; ils ont continué, pour un nombre considérable d’àmes, à remplir leur ancien office, et, dans l’histoire morale du siècle qui vient de s’achever, leur histoire respective n’est point chose négligeable Or, c’est cette histoire qui manque dans le livre de M. Faguet. L’histoire réelle et vivante du catholicisme en France au XIXe siècle n’est pas tout entière contenue dans l’œuvre de Joseph de Maistre et de Donald, de Ballanche et de Lamennais ; et pareillement, Mme de Staël et Constant, Guizot et Quinet ne sont pas tout le protestantisme français au siècle dernier. Il manque donc un élément essentiel à la puissante synthèse tentée par M. Faguet : il ne nous a guère présenté, si je puis ainsi dire, que la face livresque de la pensée religieuse et morale du XIXe siècle. Si quelque jour il entreprend d’écrire cette Histoire philosophique du christianisme qui l’a quelquefois tenté, il comblera, j’en suis sûr, cette importante lacune, et, sans peut-être modifier grand’chose à ses conclusions, il sera amené à retoucher un peu, sur certains points, le tableau d’ensemble qu’il nous a magistralement tracé.

Ce sont là, je le sais, chicanes un peu pédantesques. C’est la part de l’envie, comme disait Pascal. M. Faguet, d’ailleurs, je l’ai dit, a si bien pressenti l’objection qu’il écrit lui-même ceci, dans l’Avant-propos de son dernier volume :


Et pendant ce temps-là, les vieilles forces intellectuelles et morales qui se trouvaient en présence dans toute l’Europe au xviiie siècle, catholicisme contre protestantisme, se sont retrouvées face à face et se partagent les esprits que la philosophie indépendante a comme laissé échapper ; et ce phénomène qui étonne quelques-uns, n’a rien qui puisse beaucoup surprendre, après l’avortement du nouveau « Pouvoir spirituel » rêvé par les chimériques tant raillés de 1840… Je ne serais pas étonné du tout qu’il y eût au xxe siècle une France catholique très vigoureuse ; et que Dieu nous en préserve, car elle ne serait pas tendre pour la minorité protestante et libre penseuse. Et je ne serais pas étonné, — car ce n’est pas toujours la majorité numérique qui gouverne, — qu’il y eût au xxe siècle une France protestante très énergique ; et que Dieu nous en garde pour la même raison que tout à l’heure en sens inverse.


Pour son propre compte, ses vœux vont ailleurs, et ils sont intéressans à enregistrer. Ce que souhaite avant tout M. Faguet, c’est « qu’il vienne un homme qui, par l’autorité du génie, » développe en « ce pays si éprouvé » le culte énergique et passionné du patriotisme. Il voudrait encore que ce héros de demain déshabituât les Français de la dangereuse et décevante « chimère de l’égalité, » et enfin qu’il « se donnât surtout pour mission d’instruire de ses devoirs et de ses intérêts l’aristocratie qui s’élève. » Quelle sera cette aristocratie qui se forme ? Ploutocratie, Église catholique, Église protestante, armée ? On ne sait encore. On ne sait qu’une chose, c’est que « le secret social est parfaitement dans la devise : Liberté, Égalité, Fraternité. La Liberté et l’Égalité sont contradictoires, mais l’antinomie qu’elles constituent, la Fraternité la résout. » Et l’historien conclut par cette noble page :


Tout nous ramène à cette vérité qu’il n’y a d’élément actif dans l’humanité que l’amour, et particulièrement dans une nation que le patriotisme, et que « Aimez-vous les uns les autres » est le dernier mot et tout le secret ; et que si l’on a dit avec raison qu’au fond la question sociale est une question morale, cela tient à ce que toutes les questions politiques sont au fond une question morale.

C’est pour cela que j’avais choisi pour titre de cette série d’études les mots : Politiques et Moralistes. C’est pour cela que je ne m’y suis occupé que de ceux qui, en même temps que des politiques, ont été des moralistes, ou ont prétendu l’être. C’est pour cela que j’appelle de mes vœux un grand penseur, ou plusieurs, qui, comme la plupart de ceux que je viens d’étudier, se posent toujours en même temps le problème moral et le problème politique et s’efforcent sans cesse d’éclaircir l’un aux lumières de l’autre. Je souhaite que les moralistes politiques qui nous viendront au prochain siècle aient tout le talent de ceux du siècle qui finit et plus de bonheur à fonder quelque chose.


IV

M. Faguet a essayé d’être l’un de ces « moralistes politiques. » Il était comme prédestiné à l’être. L’homme qui, dès 1869, écrivait des articles politiques dans un journal de province, ne pouvait manquer d’en écrire plus tard, de plus amples et de plus mûris, dans des Revues parisiennes. C’était là d’ailleurs le prolongement naturel, l’aboutissement presque nécessaire, sinon de toute son œuvre antérieure, tout au moins de la partie la plus forte, la plus grave et la plus méditée de son œuvre antérieure. Déjà, nous l’avons indiqué, dans son Dix-huitième siècle, dans son Seizième siècle aussi, dans ses Politiques et Moralistes du XIXe siècle, il ne se contente pas d’analyser et de résumer les systèmes de politique ou de morale qui s’offrent à son examen ; il les critique, il les discute ; incidemment, et particulièrement dans ses Préfaces, nous venons de le voir, il donne librement son avis, soit sur des points de détail, soit même sur d’assez importantes questions actuelles. Il n’était pas besoin d’être fort perspicace pour deviner que sa pensée était comme hantée par le problème politique et social, et que ce problème, un jour ou l’autre, il l’aborderait directement. Ce jour ne tarda pas à arriver. En 1899, paraissait un premier volume de Questions politiques, simple recueil d’articles dont les plus anciens étaient datés de 1897. Ce volume fut suivi de plusieurs autres : Problèmes politiques du temps présent, la Politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire, le Libéralisme, l’Anticléricalisme, le Socialisme en 1907, le Pacifisme, Discussions politiques. À l’aide de ces sept ou huit volumes, on peut caractériser, dans leurs lignes générales, les conceptions politiques de M. Faguet.

Comme les études littéraires sur le Dix-huitième siècle, ces études politiques et sociales paraissaient bien à leur heure. Depuis une dizaine d’années, — il est devenu banal de le constater, — la vie intérieure du pays traverse une crise qui n’est peut-être pas près d’être terminée, et dont il est bien difiicile, tant est confuse la mêlée des intérêts et des doctrines, de prévoir ce qui pourra sortir. Quel sera le sort des multiples expériences que les partis au pouvoir tentent tumultueusement tous les jours ? Quelle en sera la répercussion sur notre politique extérieure, et la place que nous occupons dans le monde en sera-t-elle accrue "ou diminuée ? Vers quelles destinées, glorieuses, médiocres ou obscures, la France d’aujourd’hui s’acheminet-elle fiévreusement ? La question est de celles que ne se pose pas sans angoisse tout esprit réfléchi et sincère ; et l’on conçoit sans peine que tous ceux qui ont qualité pour parler et se faire entendre croient devoir exprimer leurs inquiétudes et donner sur les questions en cours de discussion leur avis librement motivé, « Par l’effet tout naturel, — écrivait M. Faguet, il y a huilans, — par l’effet tout naturel de causes qu’il serait bien inutile d’énumérer, tant elles sont évidentes, la plupart des hommes de lettres considérables qui ne s’étaient depuis vingt ans occupés que de littérature, se sont, depuis quelques années, préoccupés avec inquiétude, avec ardeur et même avec passion, de questions politiques. C’est M. Jules Lemaître, c’est M. Anatole France, c’est M. Coppée, c’est M. Brunetière. Je ne nomme que les plus grands. » À tous ces noms on peut joindre celui de M. Faguet. Et il y a des chances pour que la consultation politique qu’il nous donne vaille bien, en désintéressement, en générosité et en sagesse, celle de tel politicien en renom.

Elle est en tout cas singulièrement séduisante de forme et de ton. « Le style d’un bon auteur, a-t-il dit quelque part, est avant tout le style d’une conversation entre « honnêtes gens » convenablement instruits[15]. » Jamais peut-être M. Faguet n’a réalisé plus complètement son idéal que dans ses livres sur les « problèmes politiques du temps présent. » On y retrouve toutes ses qualités habituelles : parfaite possession et domination des sujets traités, remarquable lucidité de l’exposition, vigueur entraînante de la dialectique, mais rehaussées peut-être par l’aimable familiarité du tour, par la vivante allure de la causerie. Rien de pédant, rien de gourmé dans ces livres de sociologie : une aisance merveilleuse dans la discussion des questions les plus abstruses ; une clarté, une agilité, un besoin d’être toujours compris qui sont comme une déférence perpétuelle à l’égard de la pensée du lecteur ; une bonne grâce infatigable et volontiers souriante, même quand elle s’attriste ; de l’esprit, beaucoup d’esprit, ce qui ne gâte rien ; un ton de bonne compagnie qui charme et qui surprend, tant il nous dépayse. En effet, M. Faguet nous reporte à deux siècles en arrière, il a lu et bien lu Montesquieu : il est ce qu’on eût appelé jadis « l’honnête homme » de la science politique.

Un autre trait de cette série d’études, c’en est, si je puis dire, le réalisme supérieur. « Le bon sens, écrivait Descartes, est la chose du monde la mieux partagée. » Si le mot bon sens avait, dans la langue du xviie siècle, exactement la même valeur que dans la nôtre, on dirait volontiers que voilà bien le propos d’un tout jeune homme, qui n’a rien vu, rien observé, et qui, pour le trancher net, a appris à vivre uniquement dans les livres. En fait, rien n’est plus rare que le vrai bon sens, j’entends cette qualité qui consiste à ne pas être dupe des mots, ni des théories toutes faites, à se défier de son sens propre comme des préjugés régnans, à s’affranchir de tout parti pris, à voir les faits tels qu’ils sont, dans leur complexité et dans leur relativité, à y accommoder ses vues, à y conformer ses jugemens, à y revenir toujours pour contrôler toutes ses déductions, pour éprouver toutes ses démarches. Le bon sens ainsi compris, s’il n’est pas plus rare que le génie, est assurément plus rare que le talent, — et il est plus précieux. C’est mieux qu’une qualité, c’est, par le temps qui court, une véritable vertu. Et c’est, en matière politique, la qualité, la vertu éminente de M. Faguet. On songe involontairement, en le lisant, à cette belle parole de Bossuet, dont Pasteur avait fait sa devise, et qui devrait être celle de tous les philosophes politiques : « Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet. » M. Faguet, lui, regarde la réalité face à face ; il s’efforce de la comprendre ; il essaie de l’expliquer ; il tâche de modeler sur elle sa pensée. S’il ne trouve pas toujours la réalité conforme à ses désirs, — qui, de parti pris, sont modestes, — il cherche dans la réalité elle-même le moyen de la corriger ; il demande aux faits des remèdes contre les faits. Il observe le réel, il en induit le possible, il indique le souhaitable. Et ses conseils, fondés sur l’expérience, dictés par une raison très ferme et sans illusions, mais non pas sans idéal, sont assurément parmi les plus justes et les plus utiles qu’on nous ait donnés depuis vingt ans.

Un de ceux sur lesquels il est revenu le plus souvent, c’est, la nécessité urgente et croissante, dans nos démocraties contem poraines, d’un patriotisme ardent et, en quelque sorte, inconditionnel. À entendre certains théoriciens du pacifisme, la patrie ne mériterait d’être aimée et défendue que dans la mesure où elle aurait étendu généreusement sa protection matérielle et morale sur chacun de ses enfans. Admirable sophisme, et qui relèverait les enfans des pauvres de toute obligation de respect et de tendresse à l’égard de leurs parens ! Ubi bene, ibi patria. Ce sophisme et d’autres analogues, M. Faguet les a entendus, il les a discutés et réfutés avec une courtoisie qui lui a valu l’indulgence relative de nos pacifistes ; mais il les a fortement écartés. L’idée de patrie a eu en lui l’un de ses plus courageux et plus éloquens défenseurs. « Le serment des jeunes Athéniens, dit-il, était : « Je jure de laisser la patrie plus grande que je l’ai trouvée. » Le serment de tous les Français devrait être au temps actuel : « Je jure de laisser l’idée de patrie plus grande et plus forte que je l’ai trouvée. » — C’est qu’à vrai dire, pour nous Français particulièrement, au milieu d’une Europe divisée et jalouse, le patriotisme est le fondement même de notre existence nationale ; il est inutile de songer à organiser notre vie civile, si nous ne sommes pas prêts à tous les sacrifices pour nous défendre contre les envahisseurs toujours possibles, et pour faire respecter la dignité du nom français. La religion de la patrie est la dernière religion qui doit disparaître du sol de France.

Sur cette patrie solidement assise, jalousement aimée et vaillamment défendue, comment, sur quelles bases, suivant quelles règles communes, la vie politique devra-t-elle se constituer ? M. Faguet accepte sans discussion métaphysique préalable le régime historiquement issu de la Révolution française et actuellement en vigueur ; mais il ne se refuse nullement à l’améliorer. Il a écrit toute une étude Sur notre Régime parlementaire, dont il est peu probable qu’on réalise jamais les idées, précisément parce qu’elles sont trop sages et trop simples, et qu’elles procèdent trop d’un prudent esprit de réformes. Si jamais l’on revise notre Constitution, ce n’est pas M. Faguet que l’on ira consulter : mais on pourrait plus mal choisir.

Ces réformes, ces améliorations qu’il propose, de quels principes généraux s’inspire-t-il pour les recommander à notre attention ? Car, si épris des faits qu’il soit, M. Faguet est trop, de sa nature, un « esprit penseur » pour ne pas avoir une doctrine liée, une philosophie politique. Ses vues théoriques sur cette matière, il les a exposées en un volume dont le titre seul est un symbole et un programme : le Libéralisme. M. Faguet se définit lui-même un « vieux libéral, » et son livre débute, en guise d’introduction ou de préface, par les deux Déclarations des droits de l’homme, celle de 1789 et celle de 1793. C’est là « sa charte, » comme il le dit en propres termes : une « charte » d’ailleurs qui, toute respectable qu’elle lui paraisse, ne laisse pas d’être très librement critiquée et rectifiée par lui. « Quand les auteurs, écrit-il, quand les auteurs, parfaitement vénérables, de nos deux Déclarations des droits de l’homme ont rédigé ces très belles chartes de liberté, d’abord ils ont tout brouillé et confondu, ensuite ils ont ici multiplié les droits, et là ils les ont limités et en ont oublié. Leur œuvre est un peu confuse en même temps quelle est incomplète. » Et c’est à débrouiller cette confusion et à combler ces lacunes que M. Faguet a employé ses rares facultés dans ce livre qui a, je crois, ses secrètes préférences, et qui est bien, je n’ose dire son chef-dœuvre, mais, en tout cas, l’un de ses chefsd’œuvre. Qu’il ferait bon vivre en France, si l’on y était gouverné par ces « modérés très énergiques » dont il souhaite quelque part l’avènement, et suivant les principes du libéralisme de M. Faguet ! Car, tout libéral qu’il soit, son libéralisme n’est pas, comme chez tant d’autres libéraux, synonyme d’anarchisme. Il n’est pas d’idée dont il soit plus pénétré que l’homme à l’état d’être isolé, n’existe pas, et qu’il n’existe, à proprement parler, que dans, par et pour la société. « Pour moi, — écrit-il, et ce sont presque les premières lignes de son livre, — l’homme est né en société, puisqu’on ne l’a jamais vu autrement qu’en société, pareillement aux fourmis et aux abeilles, et, comme né en société, il est né esclave, ou tout au moins, très obéissant. » Nous voilg, bien loin des purs individualistes, ou même des individualistes mitigés, comme l’était par exemple Taine. Pour Tuine, on le sait, l’État est en quelque sorte un simple chien de garde : à l’égard des individus qui composent le corps social, il n’a aucun droit ; il n’a que des devoirs : et son rôle est purement négatif. Pour M. Faguet, l’État est autre chose : son rôle est vraiment positif ; il a non seulement des devoirs, mais des droits. « Il n’y a pas de droits de l’homme, déclare-t-il expressément. Il y a une société. Cette société dont nous vivons et sans laquelle nous ne pourrions pas vivre, a tous les droits… La société a tous les droits, d’abord parce qu’elle les a, puisque personne n’en est pourvu ; ensuite, parce que, ne les eût-elle pas, ce sera, dans la pratique, absolument comme si elle les avait. » « Seulement, — s’empresse-t-il aussitôt d’ajouter, — j’estime qu’elle ne doit user que de ceux qui lui sont utiles et s’abstenir soigneusement de ceux dont l’exercice lui serait nuisible et n’irait qu’à satisfaire ou’ flatter ses passions. » Telle est la formule même du libéralisme de M. Faguet. Les « étatistes » ne lui reprocheront pas, — ou plutôt ne devraient pas lui reprocher, — de faire à leur « nouvelle idole » une trop maigre part. En fait, peu d’esprits ont été plus armés, plus en défiance contre l’individualisme que M. Faguet. Seulement, s’il rend très volontiers à l’État ce qui appartient à l’État, il ne consent pas à tout lui sacrifier. Il reprend à son compte, et il développe, et il commente le mot célèbre de Benjamin Constant : « Le gouvernement en dehors de sa sphère ne doit avoir aucun pouvoir ; dans sa sphère, il ne saurait en avoir trop. » Mais, quand il s’applique, dans le détail, à « tracer les contours de cette sphère, » il le fait avec cet esprit de prudence, de mesure, d’entière soumission aux faits et aux réalités, qui est la marque propre de son tempérament.

C’est ce même esprit de sage libéralisme qu’il a porté dans l’étude des questions sociales. Dans son premier volume de Questions politiques, on pouvait lire un long, un capital article sur le Socialisme en 1899. Il y avait là, en une centaine de pages, un historique, un exposé, une discussion critique des principes du socialisme, qui me paraît être un modèle accompli de bon sens, de loyauté, de lucidité, et, en même temps, un curieux essai d’« utilisation » du socialisme, dans ce qu’il peut avoir de bon, de juste, — et de pratique. Je ne sais jusqu’à quel point les théoriciens du socialisme contemporain ont su gré à M. Faguet de ce généreux effort ; mais en tout cas, cet effort même ne dénote point, on en conviendra peut-être, un esprit étroit, fermé aux nouveautés, figé dans un conservatisme rigide et inhospitalier. Peu d’esprits de nos jours, à vrai dire, ont été, — peut-être même quelquefois y met-il une certaine affectation de coquetterie, — plus naturellement accueillans que M. Faguet. Il nous disait tout à l’heure de lui-même qu’« il poussait la conscience jusqu’à être peu bienveillant. » Il se calomniait. « Bienveillance de pessimiste pour les personnes, » c’est une des qualités que lui reconnaît à juste titre M. Jules Lemaître. Cette bienveillance s’étend aussi aux idées. Ce « libéral » n’a pas peur du socialisme, et ni le mot, ni la chose ne l’effarouchent. Elles l’effarouchent si peu qu’il a, plus récemment, et dans le même esprit, repris et remis au point et développé son article de 1899 en un juste volume sur le Socialisme en 1907. Quelque « radical » que soit, de son trop modeste aveu, le « scepticisme » de M. Faguet touchant « sa force de persuasion, » le succès même de ce livre doit lui prouver qu’on le lit[16] ; et, si on le lit, qui sait si on ne l’écoutera pas quelque jour ?

De toutes ces études politiques et sociales, une conclusion générale se dégage sur l’état actuel et sur le probable état futur du monde moderne. Ces vues d’ensemble, M. Faguet les a exposées dans un très bel et très suggestif article qu’il a intitulé : Qu’est-ce que sera le XXe siècle ? et que je me reprocherais de résumer. J’en détacherai seulement cette page, qui est non pas seulement d’un « moraliste politique, » mais d’un poète :


De tout cela résulte un monde triste, énergique, dur, sombre, qui se sent mal à l’aise, et qui, vaguement, se sent coupable ; un monde surtout qui va trop vite, qui passe trop rapidement d’inventions en inventions nouvelles, d’état social en nouvel état social, d’état international en état international nouveau, et qui s’use comme une machine puissante lancée imprudemment à fond de train. De là ce phénomène curieux que l’on peut appeler l’instabilité morale. Le monde actuel n’est pas immoral ; il cherche une morale, en trouve dix, et n’en choisit aucune. Il hésite et vacille sur le sable mouvant d’une conscience incertaine. Il n’a plus de base solide. Les progrès du désespoir viennent de là et semblent en raison directe du progrès matériel…

Le monde moderne est à la fois laborieux, ardent, et intimement désenchanté, comme s’il était un fakir oisif, épris du Nirvana. Il se bat éperdument, et tout en combattant, non pas en mourant, comme le héros antique, mais les jambes tendues et le bras levé, il rêve du repos perdu et du calme du cœur, dulces reminiscitur Argos. Somme toute, il est inquiet. Comme le train sans mécanicien d’un roman de Zola, il roule follement, avec un bruit de ferrailles froissées, des rumeurs de vapeur haletante, des chansons de guerre, des chansons d’amour, des cris de dispute, des discussions railleuses, des projets de conquêtes, des remarques sur les paysages, quelques mots de prière dans un coin écarté, en se demandant un peu où décidément il peut bien aller et s’il a été bien aiguillé.


Je donnerais bien des articles, et même des livres, pour avoir écrit cette page.

Et cependant, à cette philosophie politique et sociale, pour être complète et « remplir tous nos besoins, » comme disait Pascal, il manque encore quelque chose. Rappelons-nous : « J’appelle de mes vœux un grand penseur, ou plusieurs quise posent toujours en même temps le problème moral et le problème politique et s’efforcent sans cesse d’éclaircir l’un aux lumières de l’autre. » C’est M. Faguet qui parlait ainsi lui-même. Or, s’il est vrai, comme il le disait encore, que « toutes les questions politiques sont au fond une question morale, » il n’est pas moins vrai que la question morale est au fond une question religieuse. C’est ce qu’Auguste Comte, M. Faguet l’a très bien montre, avait vu admirablement. Ce double problème, le problème moral et le problème religieux, M. Faguet ne l’a point encore abordé en face et directement. Même dans son livre sur l’Anticléricalisme, je crois bien l’avoir fait jadis observer ici même, il ne l’envisage que sous son aspect en quelque sorte négatif. Est-ce discrétion, réserve, crainte peut-être de blesser des convictions respectables et d’étaler un scepticisme inopportun ? Je ne sais ; mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a là, au moins actuellement, dans l’œuvre doctrinale de M. Faguet, une importante et grave lacune. Assurément, en rapprochant certains mots, certains aveux, certaines pages dispersées, il ne serait pas impossible d’entrevoir, sur ce point, les lignes essentielles, les directions générales de la pensée de M. Faguet. On pressent, par exemple, qu’il a peu de sympathie pour le protestantisme, et qu’il en a au contraire une assez vive, quoique très libre et un peu extérieure, pour le catholicisme. « Ce qui fait que je n’aime pas les protestans, écrira-t-il, c’est en général qu’ils sont ultra-catholiques[17]. « Et tout récemment, dans un article sur le livre, singulièrement surfait, de William James sur l’Expérience religieuse : « C’est singulier comme je me découvre catholique, quand j’y réfléchis[18]. » Mais des vues éparses, des boutades peut-être, ne forment pas une doctrine cohérente et liée. Et d’une doctrine de ce genre, personne ne serait plus capable que M. Faguet, je n’en veux pour preuve que cette curieuse et éloquente page qu’il écrivait, il y a plus de dix ans, à propos de Manning :


Drames terribles des grandes âmes ! Combien en avons-nous vu en ce siècle, qui parfois nous paraît plat, et qui est aussi tragique que le xvie ou que celui que vous voudrez ! C’est Scherer, qui rompt avec le protestantisme, pour venir à la pensée libre et pour aboutir au scepticisme, ou plutôt à l’agnosticisme le plus complet, le plus intégral, que peut-être on ait jamais vu. C’est Renan, qui rompt avec le catholicisme, pour aboutir à une autre forme de scepticisme, au scepticisme qui consiste à croire à tout, et à accueillir tous les contraires comme des aspects divers de la vérité. C’est Manning, qui abandonne le protestantisme pour se jeter dans le catholicisme le plus tranché et le plus intransigeant.

Qu’est-ce à dire ? Que les âmes ont des besoins divers et contraires, et que chaque doctrine établie répond à un de ces grands besoins en lui sacrifiant les autres, sans qu’aucune jusqu’à présent soit assez vaste pour les satisfaire tous. Oui, le besoin d’autonomie spirituelle, d’indépendance .spirituelle, d’individualisme spirituel, est légitime ; et le protestantisme y répond et le satisfait. Oui, le besoin de libre recherche et d’éternelle discussion et de doute renaissant pour aiguillonner et stimuler à des recherches nouvelles est une forme encore, et essentielle, et légitime, de la vie de l’âme. Oui, le besoin d’union, d’unanimité, de communion universelle dans une même pensée est légitime aussi, et le catholicisme se présente pour y satisfaire. Et où se trouvera la doctrine qui pourra concilier tant d’exigences diverses et contradictoires et contenir en son sein une humanité qui a besoin et d’indépendance et de cohésion, et qui a le désir du port et aussi de la tempête ? Il n’est guère à espérer que cette doctrine se rencontre jamais. Respect, en attendant, à tous les hommes de foi et de bonne volonté, et Manning fut assurément un de ces hommes-là…


Et si cette doctrine de conciliation existait peut-être ? Si ce » pouvoir spirituel » dont a rêvé Auguste Comte n’était point une chimère ? La question, en tout cas, vaudrait la peine qu’un « moraliste politique » comme M. Faguet se la posât nettement, fermement, directement. Et s’il y vient de lui-même quelque jour, j’ose lui prédire qu’il n’aura pas écrit de livre qui réponde mieux à l’attente de ceux qui , il y a vingt ans, dévoraient passionnément son Dix-huitième siècle


J’ai conscience, au terme de cette longue étude, d’avoir bien imparfaitement embrassé et cerné ce souple, fécond et puissant esprit. Je n’ai pu que dégager et mettre en relief les « masses » essentielles de son œuvre, et marquer les principales étapes successives de sa pensée. J’aurais voulu, et j’aurais dû peut-être donner une idée plus exacte et plus complète de. sa prodigieuse activité. J’aurais dû le représenter menant allègrement de front, sans parler de son enseignement, les travaux les plus divers : feuilletons dramatiques, chroniques, articles littéraires ou politiques, préfaces souvent importantes aux ouvrages d’autrui, livres même, toujours prêt sur tous les sujets, fondant une Revue, la Revue latine, pour l’alimenter, lui presque tout seul, du trop-plein de sa pensée, se reposant de ses études sociologiques par un savoureux volume sur Flaubert, ou un élégant et solide André Chénier, ou une intéressante, vivante et instructive et amusante Histoire de la littérature française, ou encore ces charmans volumes de moraliste ou de philosophe qui s’intitulent Pour qu’on lise Platon, En lisant Nietzsche, Amours d’hommes de lettres… Je n’ai rien dit de tous ces livres, dont le plus vieux remonte à dix ans, et je renonce à en parler, à suivre dans tous ses méandres cette pensée toujours en éveil et qui jamais ne s’exerce à vide, que tout sollicite et qui ne sait se refuser à rien, et qui épanche prodigalement, sans compter, les traits d’esprit elles jeux de mots, les saillies imprévues, mais, plus que tout le reste, les observations sages, lumineuses et pénétrantes, les vues ingénieuses, suggestives, les conseils de bon sens et de souriante raison. Le mot de Michelet sur Dumas père s’appliquerait assez bien à cette verve toujours jaillissante : c’est une force de la nature qu’un pareil écrivain. Que de fois, — et non pas à tous égards, heureusement, — il m’a fait songer à ce Diderot qu’il connaît si bien, et dont il n’a pu s’empêcher de parler avec une sévérité tempérée de quelque sympathie : « Et il est laborieux comme un paysan, fournit sans interruption pendant trente ans un travail à rendre idiot, a comme une fureur de labeur, ne trouve jamais que sa tâche est assez lourde, écrit pour lui, pour ses amis, pour ses adversaires, pour les indifférens, pour n’importe qui, bûcheron lier de sa force qui, l’arbre pliant, donne par jactance trois coups de cognée de trop. » Rappelons-nous aussi son mot significatif sur Voltaire : « C’était simplement un homme très instruit, se tenant au courant, bien renseigné, qui réfléchissait très vite, qui a vécu longtemps, et qui écrivait deux pages par jour, ce qui est très considérable, non pas stupéfiant. » Il faut, pour avoir le droit de parler ainsi, écrire soi-même cinq ou six pages par jour ; et c’est cela qui est stupéfiant.

Que toute cette besogne, souvent excellente d’ailleurs, de journaliste, ne nous donne pas le change sur les côtés, je ne veux pas dire vraiment sérieux, mais tout de même plus graves, de cette pensée, sur les hautes et durables portions de celle œuvre. Une quarantaine de volumes sont là pour témoigner, aux yeux de ceux qui savent lire, de ces quarante années de vie intellectuelle. « Dédaigneux de la musique, dédaigneux de la couleur, » spirituel, trop spirituel quelquefois, mais admirablement translucide, et vivant de la seule vie des idées qu’il exprime, le style de M. Faguet ne vise ni à évoquer, ni à peindre, mais uniquement à faire comprendre, et c’est à quoi il réussit à merveille : c’est essentiellement le style d’un « esprit penseur » appliqué à la critique. La critique sous toutes ses formes, tel est, en effet, le domaine propre de M. Faguet. Un peu sévère quelquefois, nous l’avons dit, pour les purs artistes, pour les écrivains de pure imagination ou de sensibilité dominatrice, il est aujourd’hui sans rival dans la critique des écrivains à idées. Il y a des critiques dont les études, d’ailleurs ingénieuses et agréables, sont dépassées par les livres mêmes dont ils parlent ; tel n’est jamais le cas de M. Faguet : il remplit toujours toute la tâche du vrai critique : il rend un compte exact, fidèle des ouvrages qu’il étudie ; il les juge ; — et il les dépasse. C’est dire que, plus philosophe que beaucoup de ceux qui portent ce titre et « tiennent boutique » de philosophie, ce critique pense. Seulement, il pense presque toujours à propos des travaux d’autrui ; il semble qu’il ait besoin d’un stimulant extérieur, et que la pensée des écrivains qu’il étudie lui serve surtout à mettre en branle la sienne propre. Je serais bien étonné qu’il n’eût pas songé à lui-même quand il disait : « Certains écrivains aiment les livres des autres sur les sujets qu’ils traitent eux-mêmes, parce qu’ils discutent avec ces livres, et que la discussion leur donne des idées. » Mais qu’importe la manière ? L’essentiel est de penser par soi-même, et c’est là un mérite que nul ne refusera à l’auteur des Politiques et Moralistes du XIXe siècle. Quand on l’a beaucoup lu et longuement pratiqué, on reste émerveillé du grand nombre de questions qu’il a successivement abordées et sur lesquelles il a promené son ferme, tranquille et clair regard. Certaines visions du monde sont peut-être plus hautes, plus subtiles, ou plus profondes ; la sienne, plus limitée peut-être, a du moins une vigueur de relief incomparable. « Je vois en lui, — a dit justement M. Jules Lemaître dans une « figurine » qui pourrait dispenser de lire ces pages, — je vois en lui une des pensées par qui les choses sont le plus profondément comprises et le moins déformées ; une pensée calme, incroyablement lucide, d’une pénétration sereine ; bref, un des cerveaux supérieurs de ce temps. Et tant pis pour ceux qui ne s’en doutent pas ! »


Victor Giraud.
  1. Menus propos sur la critique (Renaissance latine du 15 janvier 1903).
  2. Publié en 1883, le livre a été, il y a quelques années, réédité dans une Collection de reproductions en fac-similé et de réimpressions d’ouvrages rares du XIXe siècle, Paris, H. Welter, 1897, in-8o.
  3. « M. Henri Lavedan a de l’esprit… de ce genre d’esprit qui fait merveille en choses imprimées, de l’esprit de livre ou de journal, à la Chamfort ou à la Rivarol, de l’esprit comme je voudrais bien en avoir quand j’écris un feuilleton. » (Notes sur le théâtre contemporain t. III, p. 202.)
  4. « Nous étions tous là (aux Filles de marbre), avec religion, moi éperdu de bonne volonté comme toujours, et, particulièrement, ce soir-là. » (Notes sur le théâtre contemporain, t. II, p. 81).
  5. « J’ai naguère déclaré que la Puissance des ténèbres était inepte. Quand on a une pareille intrépidité, on peut être traité d’imbécile, et je l’ai été copieusement ; mais on ne peut être soupçonné de complaisance à l’égard de la littérature des pays froids, ni d’affectation exotique. » (Ibid., t. III, p. 204.)
  6. Notes sur le théâtre contemporain, t. III, p. 5.
  7. « La pièce, du reste (Une famille, de M. Lavedan), a réussi, a été chaudement applaudie, et c’est surtout, — comme toujours d’ailleurs, — mon impression personnelle qu’il faut voir dans ce qui précède, plutôt qu’une traduction des sentimens du public, lequel s’est montré beaucoup plus favorable à la pièce que je ne le suis.(Ibid., t. III, p. 203.)
  8. Seizième siècle, p. 77-78. Voyez encore, entre autre belles pages, dans son Dix-septième siècle (25e édition, p. 184-185), celles où M. Faguet nous montre Racine rêvant Athalie.
  9. Notes sur le théâtre contemporain, t. III, p. 57.
  10. « On sent qu’il n’y a pas eu de vie intellectuelle plus forte, plus intense, et, avec cela, plus libre ni plus sereine. » Cette phrase de M. Faguet s’applique très bien à Montesquieu ; mais elle s’appliquerait tout aussi bien à M. Faguet lui-même.
  11. L’ouvrage est aujourd’hui parvenu à la 34e édition.
  12. L’article sur Voltaire allait être suivi, à quelques années d’intervalle, d’un livre sur Voltaire du même auteur, où il est permis de trouver, cette fois, un peu trop d’optimisme.
  13. M. Paul Desjardins, à propos du Devoir présent. Tout l’article qui marque d’expresses, et d’ailleurs très justes réserves, auxquelles l’avenir devait donner raison, est à relire pour préciser, sur cette question religieuse, qu’il n’aborde pas très volontiers en face, la pensée de M. Faguet (Propos littéraires, 4e série, p. 11).
  14. Revue latine du 25 juin 190S, p. 361.
  15. Dix-neuvième siècle, p. 323.
  16. Publié en 1907, le livre avait, en 1908, atteint le huitième mille.
  17. Le Libéralisme, p. 332.
  18. Revue latine du 25 août 1908, p. 457. On entrevoit aussi qu’il n’a aucune espèce de foi dans la religion de la science : « M. Haeckel, écrira-t-il, a cherché une fois de plus à fonder une religion sur la science. Tout en croyant jusqu’à présent que c’est impossible, je ne demande très sincèrement pas mieux… il faut bien reconnaître que contempler la vie inspire difficilement une pensée vraiment religieuse. Non, la vie n’engendre pas précisément une religion. Hélas ! la vie n’engendre que la mélancolie. Je doute que la religion de la nature devienne jamais la religion de l’humanité. » (La Religion de la Science, Revue Bleue du 30 décembre 1897.)