Essai de cosmologie/Avant-propos

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s. l. (p. 1-42).

AVANTPROPOS.

Où l’on examine les preuves de l’exiſtence de Dieu, tirées des Merveilles de la Nature.


S
oit que nous demeurions renfermés en nous mêmes, ſoit que nous en ſortions pour parcourir les merveilles de l’Univers, nous trouvons tant de preuves de l’exiſtence d’un Être tout puiſſant & tout ſage, qu’il eſt en quelque ſorte plus néceſſaire d’en diminuer le nombre que de chercher à l’augmenter : qu’il faut du moins faire un choix entre ces preuves, examiner leur force ou leur foibleſſe, & ne donner à chacune que le poids qu’elle doit avoir : car on ne peut faire plus de tort à la vérité, qu’en voulant l’appuyer ſur de faux raiſonnemens.

Je n’examine point ici l’argument qu’on trouve dans l’idée d’un Être infini ; dans cette idée trop grande pour que nous la puiſſions tirer de nôtre propre fond, ou d’aucun autre fond fini, & qui paroît prouver qu’un Être infiniment parfait exiſte.

Je ne citerai point ce conſentement de tous les hommes ſur l’exiſtence d’un Dieu, qui a parû une preuve ſi forte au Philoſophe de l’ancienne Rome[1]. Je ne diſcute point, s’il eſt vrai qu’il y ait quelque peuple qui s’écarte des autres ſur cela ; ſi une poignée d’hommes qui penſeroient autrement que tous les autres habitans de la terre, pourroient faire une exception ; ni ſi la diverſité qui peut ſe trouver dans les idées, qu’ont de Dieu tous ceux qui admettent ſon exiſtence, empêcheroit de tirer grand avantage de ce conſentement.

Enfin je n’inſiſterai pas ſur ce qu’on peut conclure de l’intelligence que nous trouvons en nous mêmes, de ces étincelles de ſageſſe & de puiſſance que nous voyons répandues dans les Êtres finis ; & qui ſuppoſent une ſource immenſe & éternelle d’où elles tirent leur origine.

Tous ces argumens ſont très forts : mais ce ne ſont pas ceux de cette eſpèce que j’examine.

De tout tems ceux qui ſe ſont appliqués à la contemplation de l’Univers, y ont trouvé des marques de la ſageſſe & de la puiſſance de celui qui le gouverne. Plus l’étude de la Phyſique a fait de progrès, plus ces preuves ſe ſont multipliées. Les uns frappés confuſément des caractères de Divinité qu’on trouve à tous momens dans la Nature ; les autres par un zèle mal à propos religieux, ont donné à quelques preuves plus de force qu’elles n’en devoient avoir ; & quelquefois ont pris pour des preuves, ce qui n’en étoit pas.

Peut-être ſeroit il permis de ſe relâcher ſur la rigueur des argumens, ſi l’on manquoit de raiſons pour établir un principe utile : mais ici les argumens ſont aſſés forts ; & le nombre en eſt aſſés grand pour qu’on puiſſe en faire l’examen le plus rigide & le choix le plus ſcrupuleux.

Je ne m’arrêterai point aux preuves de l’exiſtence de l’Être ſuprème, que les Anciens ont tirées de la beauté, de l’ordre & de l’arrangement de l’Univers. On peut voir celles que Ciceron rapporte[2], & celles qu’il cite d’après Ariſtote[3]. Je m’attache à un Philoſophe, qui par ſes grandes découvertes étoit bien plus qu’eux à portée de juger de ces merveilles, & dont les raiſonnemens ſont bien plus précis que tous les leurs.

Newton paroît avoir été plus touché des preuves qu’on trouve dans la contemplation de l’Univers, que de toutes les autres qu’il auroit pû tirer de la profondeur de ſon eſprit.

Ce grand homme a crû[4], que les mouvemens des corps céleſtes demontroient aſſés l’exiſtence de celui qui les gouverne. Six Planetes, Mercure, Venus, la Terre, Mars, Jupiter, & Saturne, tournent autour du Soleil. Toutes ſe meuvent dans le même ſens, & décrivent des orbes à peu près concentriques : pendant qu’une autre eſpèce d’Aſtres, les Cométes, décrivent des orbes fort différens, ſe meuvent dans toutes ſortes de directions, & parcourent toutes les régions du Ciel. Newton a crû qu’une telle uniformité ne pouvoit être que l’effet de la volonté d’un Être ſuprème. Des objets moins élevés ne lui ont pas parû fournir des argumens moins forts. L’Uniformité obſervée dans la conſtruction des Animaux, leur organiſation merveilleuſe & remplie d’utilités, étoient pour lui des preuves convainquantes de l’exiſtence d’un Créateur tout puiſſant & tout ſage.

Une foule de Phyſiciens, après Newton, ont trouvé Dieu dans les Aſtres, dans les Inſectes, dans les Plantes, dans l’Eau[5].

Ne diſſimulons point la foibleſſe de quelques uns de leurs raiſonnemens : & pour mieux faire connoître l’abus qu’on a fait des preuves de l’exiſtence de Dieu, examinons celles même qui ont parû ſi fortes à Newton.

L’Uniformité, dit-il, du mouvement des Planetes prouve néceſſairement un choix. Il n’étoit pas poſſible qu’un deſtin aveugle les fit toutes mouvoir dans le même ſens, & dans des orbes à peu près concentriques.

Newton pouvoit ajouter à cette uniformité du mouvement des Planetes ; qu’elles ſe meuvent toutes preſque dans le même plan. La Zone dans laquelle tous leurs orbes ſont renfermés, ne fait qu’à peu-près la 17me partie de la ſurface de la Sphère. Si l’on prend donc l’orbe de la Terre pour le plan auquel on rapporte les autres, & qu’on regarde leur poſition comme l’effet du hazard, la probabilité, que les cinq autres orbes ne doivent pas être renfermés dans cette Zone, eſt de 17⁵ − 1 à 1 ; c’eſt à dire, de 1419856 à 1.

Si l’on conçoit comme Newton, que tous les corps céleſtes attirés vers le Soleil, ſe meuvent dans le vuide ; il eſt vrai qu’il n’étoit guères probable que le hazard les eût fait mouvoir comme ils ſe meuvent : Il y reſtoit cependant quelque probabilité, & dès lors on ne peut pas dire que cette uniformité ſoit l’effet néceſſaire d’un choix.

Mais il y a plus : l’alternative d’un choix ou d’un hazard extrème, n’eſt fondée que ſur l’impuiſſance, où étoit Newton, de donner une cauſe phyſique de cette uniformité. Pour d’autres Philoſophes qui font mouvoir les Planetes dans un Fluide qui les emporte, ou qui ſeulement modère leur mouvement, l’uniformité de leur corps ne paroît point inexplicable : elle ne ſuppoſe plus ce ſingulier coup de hazard, ou ce choix, & ne prouve pas plus l’exiſtence de Dieu, que ne feroit tout autre mouvement imprimé à la Matière[6].

Je ne ſai ſi l’argument, que Newton tire de la conſtruction des Animaux, eſt beaucoup plus fort. Si l’uniformité qu’on obſerve dans pluſieurs, étoit une preuve ; cette preuve ne ſeroit-elle pas démentie par la varieté infinie qu’on obſerve dans pluſieurs autres ? Sans ſortir des mêmes Élémens, que l’on compare un Aigle avec une Mouche, un Cerf avec un Limaçon, une Baleine avec une Huître ; & qu’on juge de cette uniformité. En effet d’autres Philoſophes veulent trouver une preuve de l’exiſtence de Dieu dans la varieté des formes, & je ne ſai lesquels ſont les mieux fondés.

L’Argument tiré de la convenance des différentes parties des Animaux avec leurs beſoins paroît plus ſolide. Leur pieds ne ſont-ils pas faits pour marcher, leurs ailes pour voler, leurs yeux pour voir, leur bouche pour manger, d’autres parties pour reproduire leurs ſemblables ? Tout cela ne marque-t-il pas une intelligence & un deſſein qui ont préſidé à leur conſtruction ? Cet argument avoit frappé les Anciens comme il a frappé Newton : & c’eſt en vain que le plus grand ennemi de la Providence y répond, que l’uſage n’a point été le but, qu’il a été la ſuite de la conſtruction des parties des Animaux : que le hazard ayant formé les yeux, les oreilles, la langue, on s’en eſt ſervi pour voir, pour entendre, pour parler[7].

Mais ne pourroit-on pas dire, que dans la combinaiſon fortuite des productions de la Nature, comme il n’y avoit que celles où ſe trouvoient certains rapports de convenance, qui puſſent ſubſiſter, il n’eſt pas merveilleux que cette convenance ſe trouve dans toutes les eſpèces qui actuellement exiſtent ? Le hazard, diroit-on, avoit produit une multitude innombrable d’Invidus ; un petit nombre ſe trouvoit conſtruit de manière que les parties de l’Animal pouvoient ſatisfaire à ſes beſoins ; dans un autre infiniment plus grand, il n’y avoit ni convenance, ni ordre : tous ces derniers ont péri : des Animaux ſans bouche ne pouvoient pas vivre, d’autres qui manquoient d’organes pour la génération ne pouvoient pas ſe perpétuer ; les ſeuls qui ſoient reſtés, ſont ceux où ſe trouvoient l’ordre & la convenance : & ces eſpèces que nous voyons aujourdhui, ne ſont que la plus petite partie de ce qu’un deſtin aveugle avoit produit.

Preſque tous les Auteurs modernes qui ont traité de la Phyſique ou de l’Hiſtoire naturelle, n’ont fait qu’étendre les preuves qu’on tire de l’organiſation des Animaux & des Plantes ; & les pouſſer juſques dans les plus petits détails de la Nature. Pour ne pas citer des exemples trop indécens, qui ne ſeroient que trop communs, je ne parlerai que de celui[8] qui trouve Dieu dans les plis de la peau d’un Rhinoceros ; parceque cet Animal étant couvert d’une peau très dure, n’auroit pas pû ſe remuer ſans ces plis. N’eſt-ce pas faire tort à la plus grande des vérités, que de la vouloir prouver par de tels argumens ? Que diroit-on de celui qui nieroit la Providence, parceque l’écaille de la Tortue n’a ni plis ni jointures ? Le raiſonnement de celui qui la prouve par la peau du Rhinoceros, eſt de la même force : laiſſons ces bagatelles à ceux qui n’en ſentent pas la frivolité.

Une autre eſpèce de Philoſophes tombe dans l’extrémité oppoſée. Trop peu touchés des marques d’Intelligence & de Deſſein qu’on trouve dans la Nature, ils en voudroient bannir toutes les cauſes finales. Les uns voient la ſuprème Intelligence par tout ; les autres ne la voient nullepart : ils croient qu’une Méchanique aveugle a pû former les corps les plus organiſés des Plantes & des Animaux, & opérer toutes les merveilles que nous voyons dans l’Univers[9].

On voit par tout ce que nous venons de dire, que le grand argument de Deſcartes, tiré de l’idée que nous avons d’un Être parfait, ni peut-être aucun des argumens métaphyſiques dont nous avons parlé, n’avoient pas fait grande impreſſion ſur Newton : & que toutes les preuves que Newton tire de l’uniformité & de la convenance des différentes parties de l’Univers, n’auroient pas parû des preuves à Deſcartes.

Il faut avouer qu’on abuſe de ces preuves : les uns en leur donnant plus de force qu’elles n’en ont ; les autres en les multipliant trop. Les corps des Animaux & des Plantes ſont des Machines trop compliquées, dont les dernières parties échappent trop à nos ſens, & dont nous ignorons trop l’uſage & la fin, pour que nous puiſſions juger de la ſageſſe & de la puiſſance qu’il a fallu pour les conſtruire : Si quelques unes de ces Machines paroiſſent pouſſées à un haut dégré de perfection, d’autres ne ſemblent qu’ébauchées. Pluſieurs pourroient paroître inutiles ou nuiſibles, ſi nous en jugions par nos ſeules connoiſſances ; & ſi nous ne ſuppoſions pas déja que c’eſt un Être tout ſage & tout puiſſant qui les a miſes dans l’Univers.

Que ſert-il, dans la conſtruction de quelqu’Animal, de trouver des apparences d’ordre & de convenance, lorſqu’après nous ſommes arrêtés tout-à-coup par quelque concluſion fâcheuſe ? Le Serpent, qui ne marche ni ne vole, n’auroit pû ſe dérober à la pourſuite des autres Animaux, ſi un nombre prodigieux de vertebres ne donnoit à ſon corps tant de flexibilité, qu’il rampe plus vîte que pluſieurs Animaux ne marchent : il ſeroit mort de froid pendant l’hyver, ſi ſa forme longue & pointue ne le rendoit propre à s’enfoncer dans la terre : il ſe ſeroit bleſſé en rampant continuellement, ou dechiré en paſſant par les trous où il ſe cache, ſi ſon corps n’eût été couvert d’une peau lubrique & écailleuſe : tout cela n’eſt-il pas admirable ? Mais à quoi tout cela ſert-il ? à la conſervation d’un Animal dont la dent tue l’homme. Oh ! replique-t-on, vous ne connoiſſés pas l’utilité des Serpens : ils étoient apparemment neceſſaires dans l’Univers : ils contiendront des remèdes excellens qui vous ſont inconnus. Taiſons-nous donc : ou du moins n’admirons pas un ſi grand appareil dans un Animal que nous ne connoiſſons que comme nuiſible.

Tout eſt rempli de ſemblables raiſonnemens dans les Écrits des Naturaliſtes. Suivés la production d’une Mouche, ou d’une Fourmi : ils vous font admirer les ſoins de la Providence pour les œufs de l’inſecte ; pour la nourriture des petits ; pour l’Animal renfermé dans les langes de la Chryſalide ; pour le développement de ſes parties dans ſa métamorphoſe : tout cela aboutit, à produire un inſecte ; incommode aux hommes, que le premier oiſeau dévore, ou qui tombe dans les filets d’une Araignée.

Pendant que l’un trouve ici des preuves de la ſageſſe & de la puiſſance du Créateur, ne ſeroit-il pas à craindre que l’autre n’y trouvât de quoi s’affermir dans ſon incrédulité ?

De très grands Eſprits, auſſi reſpectables par leur pieté que par leurs lumières[10], n’ont pû s’empêcher d’avouer, que la convenance & l’ordre ne paroiſſent pas ſi exactement obſervés dans l’Univers, qu’on ne fût embarraſſé pour comprendre comment ce pouvoit être l’Ouvrage d’un Être tout ſage & tout puiſſant. Le mal de toutes les eſpèces, le déſordre, le crime, la douleur, leur ont paru difficiles à concilier avec l’Empire d’un tel Maître.

Regardés, ont-ils dit, cette Terre ; les mers en couvrent la moitié : dans le reſte, vous verrés des rochers eſcarpés, des régions glacées, des ſables brûlans. Examinés les mœurs de ceux qui l’habitent ; vous trouverés le menſonge, le vol, le meurtre, & par tout les vices plus communs que la vertu. Parmi ces Êtres infortunés, vous en trouverés pluſieurs deſeſperés dans les tourmens de la goutte & de la pierre ; pluſieurs languiſſans dans d’autres infirmités que leur durée rend inſupportables ; preſque tous accablés de ſoucis & de chagrins.

Quelques Philoſophes paroiſſent avoir été tellement frappés de cette vuë, qu’oubliant toutes les beautés de l’Univers, ils n’ont cherché qu’à juſtifier Dieu d’avoir créé des choſes ſi imparfaites. Les uns, pour conſerver ſa Sageſſe, ſemblent avoir diminué ſa puiſſance ; diſant qu’il a fait tout ce qu’il pouvoit faire de mieux[11] : qu’entre tous les Mondes poſſibles, celui-ci, malgré ſes défauts, étoit encore le meilleur. Les autres, pour conſerver la puiſſance, ſemblent faire tort à la ſageſſe. Dieu, ſelon eux, pouvoit bien faire un Monde plus parfait que celui que nous habitons : mais il auroit fallu qu’il y employât des moiens trop compliqués ; & il a eu plus en vuë la manière dont il opéroit, que la perfection de l’Ouvrage[12]. Ceux-ci ſe ſervent de l’Exemple du Peintre, qui crut qu’un Cercle tracé ſans compas prouveroit mieux ſon habileté, que n’auroient fait les figures les plus compoſées & les plus régulières, décrites avec des inſtrumens.

Je ne ſai ſi aucune de ces réponſes eſt ſatisfaiſante : mais je ne crois pas l’objection invincible. Le vrai Philoſophe ne doit, ni ſe laiſſer éblouïr par les parties de l’Univers où brillent l’ordre & la convenance, ni ſe laiſſer ébranler par celles où il ne les découvre pas. Malgré tous les déſordres qu’il remarque dans la nature, il y trouvera aſſés de caractères de la ſageſſe & de la puiſſance de ſon Auteur, pour qu’il ne puiſſe le méconnoître.

Je ne parle point d’une autre eſpèce de Philoſophie, qui ſoûtient qu’il n’y a point de mal dans la Nature : Que tout ce qui eſt, eſt bien[13].

Si l’on examine cette propoſition, ſans ſuppoſer auparavant l’exiſtence d’un Être tout puiſſant & tout ſage, elle n’eſt pas ſoûtenable : ſi on la tire de la ſuppoſition d’un Être tout ſage & tout puiſſant, elle n’eſt plus qu’un acte de foi. Elle paroît dabord faire honneur à la ſuprème Intelligence ; mais elle ne tend au fond qu’à ſoûmettre tout à la néceſſité. C’eſt plûtôt une conſolation dans nos miſères, qu’une louange de nôtre bonheur.

Je reviens aux preuves qu’on tire de la contemplation de la Nature : & j’ajoute encore une réflexion : c’eſt que ceux qui ont le plus raſſemblé de ces preuves, n’ont point aſſés examiné leur force ni leur étendue. Que cet Univers dans mille occaſions nous préſente des ſuites d’effets concourans à quelque but ; cela ne prouve que de l’Intelligence & des deſſeins : c’eſt dans le but de ces deſſeins qu’il faut chercher la ſageſſe. L’habileté dans l’exécution ne ſuffit pas ; il faut que le motif ſoit raiſonnable. On n’admireroit point, on blâmeroit l’Ouvrier ; & il ſeroit d’autant plus blâmable, qu’il auroit employé plus d’adreſſe à conſtruire une machine qui ne ſeroit d’aucune utilité, ou dont les effets ſeroient dangereux.

Que ſert-il d’admirer cette régularité des Planetes, à ſe mouvoir toutes dans le même ſens, preſque dans le même plan, & dans des orbites à peu près ſemblables ? ſi nous ne voyons point qu’il fût mieux de les faire mouvoir ainſi qu’autrement. Tant de Plantes venimeuſes & d’Animaux nuiſibles, produits & conſervés ſoigneuſement dans la Nature ſont-ils propres à nous faire connoître la ſageſſe & la bonté de celui qui les créa ? ſi l’on ne découvroit dans l’Univers que de pareilles choſes, il pourroit n’être que l’Ouvrage des Démons.

Il eſt vrai que nôtre vuë étant auſſi bornée qu’elle l’eſt, on ne peut pas exiger, qu’elle pourſuive aſſés loin l’ordre & l’enchaînement des choſes. Si elle le pouvoit, ſans doute qu’elle ſeroit autant frappée de la ſageſſe des motifs, que de l’Intelligence de l’exécution : mais dans cette impuiſſance où nous ſommes, ne confondons pas ces différens attributs. Car quoiqu’une Intelligence infinie ſuppoſe néceſſairement la ſageſſe ; une Intelligence bornée pourroit en manquer : & il vaudroit autant que l’Univers dût ſon origine à un deſtin aveugle, que s’il étoit l’Ouvrage d’une telle intelligence.

Ce n’eſt donc point dans les petits détails, dans ces parties de l’Univers dont nous connoiſſons trop peu les rapports, qu’il faut chercher l’Être ſuprème : c’eſt dans les Phénomènes dont l’univerſalité ne ſouffre aucune exception, & que leur ſimplicité expoſe entièrement à nôtre vuë.

Il eſt vrai que cette recherche ſera plus difficile que celle qui ne conſiſte que dans l’examen d’un inſecte, d’une fleur, ou de quelqu’autre choſe de cette eſpèce, que la Nature offre à tous momens à nos yeux. Mais nous pouvons emprunter le ſecours d’un guide aſſuré dans ſa marche, quoi qu’il n’ait pas encore porté ſes pas où nous voulons aller.

Juſqu’ici la Mathematique n’a guères eu pour but, que des beſoins groſſiers du corps, ou des Spéculations inutiles de l’Eſprit. On n’a guères penſé à en faire uſage pour démontrer ou découvrir d’autres vérités que celles qui regardent l’Étendue & les Nombres. Car il ne faut pas s’y tromper dans quelques Ouvrages, qui n’ont de Mathematique que l’air & la forme, & qui au fond ne ſont que de la Métaphyſique la plus incertaine & la plus ténébreuſe. L’Exemple de quelques Philoſophes doit avoir appris que les mots de Lemme, de Théorème & de Corollaire, ne portent pas partout la certitude mathématique ; que cette certitude ne dépend, ni de ces grands mots, ni même de la méthode que ſuivent les Géometres, mais de la ſimplicité des objets qu’ils conſidèrent.

Voyons ſi nous pourrons faire un uſage plus heureux de cette ſcience : les preuves de l’Exiſtence de Dieu qu’elle fournira, auront ſur toutes les autres l’avantage de l’évidence qui caractériſe les vérités mathematiques. Ceux qui n’ont pas aſſés de confiance dans les raiſonnemens métaphyſiques, trouveront plus de ſûreté dans ce genre de preuves : & ceux qui ne font pas aſſés de cas des preuves populaires, trouveront dans celles-ci plus d’élevation & d’exactitude.

Ne nous arrêtons donc pas à la ſimple ſpéculation des objêts les plus merveilleux. L’organiſation des Animaux, la multitude & la petiteſſe des parties des Inſectes, l’immenſité des corps céleſtes, leurs diſtances, & leurs revolutions, ſont plus propres à étonner nôtre eſprit qu’à l’éclairer. L’Être ſuprème eſt partout ; mais il n’eſt pas partout également viſible. Nous le verrons mieux dans les objêts les plus ſimples : cherchons-le dans les prémières loix qu’il a impoſées à la Nature ; dans ces règles univerſelles, ſelon lesquelles le mouvement ſe conſerve, ſe diſtribue, ou ſe détruit ; & non pas dans des Phénomènes qui ne ſont que des ſuites trop compliquées de ces loix.

J’aurois pu partir de ces loix, telles que les Mathematiciens les donnent, & telles que l’expérience les confirme ; & y chercher les caractères de la ſageſſe & de la puiſſance de l’Être ſuprème. Cependant, comme ceux qui les ont découvertes, ſe ſont appuyés ſur des hypothèſes qui n’étoient pas purement géometriques ; & que par là leur certitude ne paroît pas fondée ſur des démonſtrations rigoureuſes ; j’ai crû plus ſûr & plus utile de déduire ces loix des attributs d’un Être tout puiſſant & tout ſage. Si celles que je trouve par cette voie, ſont les mêmes qui ſont en effet obſervées dans l’Univers, n’eſt-ce pas la preuve la plus forte que cet Être exiſte, & qu’il eſt l’auteur de ces loix ?

Mais, pourroit-on dire, quoique les règles du mouvement & du repos n’ayent été juſqu’ici démontrées que par des hypothèſes & des expériences, elles ſont peut-être des ſuites néceſſaires de la nature des corps : & n’y ayant rien eu d’arbitraire dans leur établiſſement, vous attribués à une Providence ce qui n’eſt l’effet que de la Néceſſité.

S’il eſt vrai que les loix du mouvement & du repos ſoient des ſuites indiſpenſables de la nature des corps, cela même prouve encore la perfection de l’Être ſuprème : c’eſt que toutes choſes ſoient tellement ordonnées, qu’une Mathematique aveugle & néceſſaire execute ce que l’Intelligence la plus éclairée & la plus libre preſcrivoit.


  1. Cicer. Tuſcul. L. 3.
  2. Tuscul. I. 28 & 29.
  3. De Nat. Deor. II. 37. 38.
  4. Newt. Opticks III. Book. Query 31.
  5. Theol. Aſtron. de Derham. Theol. Physiq. du même. Theol. des Inſectes de Leſſer.

    Theol. de l’Eau de Fabricius.

  6. Voyez la Piece de M. Dan. Bernoulli ſur l’inclin. des plans des orbites des Planetes qui remporta le prix de l’Acad. des Sc. de France 1734.
  7. Lucret. Lib. IV
  8. Philoſ. Tranſact. No 470.
  9. Deſcartes Princip. L’Homme de Deſcartes.
  10. Medit. Chret. & Metaph. du P. Malebranche, Medit. VII.
  11. Leibnitz. Theod. II. part. No 224. 225.
  12. Malebranche Medit. Chret. & Metaph. VII.
  13. Pope. Essai sur l’homme.