Essai de psychologie/Chapitre 55

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(p. 188-191).

Chapitre 55

Réflexions sur l’existence de Dieu.


Si l’univers étoit le produit de la matiere & du mouvement, pourquoi cette liaison de l’ordre avec le bonheur ? Pourquoi cet ordre ? Pourquoi le sentiment des rapports ? Pourquoi des êtres intelligens ? Admettez un dieu cause premiere de tout ; quel océan de lumiere se répand sur la nature ! Mais, cet océan a ses écueils ; sachez les éviter : il a ses abîmes ; n’entreprenez jamais de les sonder.

L’athéisme de spéculation prend sa source dans cette métaphysique présomptueuse qui ne s’arrêtant pas à la certitude des choses, veut en pénétrer le comment. Cette métaphysique insensée ne distinguant point en Dieu sa nature, de ses attributs connus par les faits, entreprend de pénétrer jusques dans cette nature & de chercher la raison de la raison même. Esprits téméraires ! La rencontre d’un vermisseau vous confond, et vous voulez pénétrer la nature intime de l’être des êtres.

Le vrai philosophe sait s’arrêter où la raison refuse de le suivre. Les preuves qui établissent la nécessité d’une premiere cause ne lui paroissent point affoiblies par l’obscurité impénétrable qui environne l’essence de cette cause. Il se contente de voir clairement que le monde est successif et qu’une progression infinie de causes est absurde ; parce que chaque cause individuelle ayant sa cause hors de soi, la somme de toutes ces causes, quelqu’infinie qu’on la suppose, a nécessairement sa cause hors de soi. Il écoute dans les sentimens de l’admiration la plus vive & du respect le plus profond, cette voix majestueuse qui répond à toutes les intelligences, je suis celui qui suis. Il se borne à apprendre de la contemplation des faits, que l’être existant par soi est nécessairement puissant, sage, bon ; c’est-à-dire, qu’il a toute la puissance, toute la sagesse, toute la bonté possibles. Il voit jaillir de ces attributs divins les sources intarissables de son bonheur, et pénétré d’amour, de joie & de reconnoissance il adore la bonté ineffable qui l’a créé.

Mais la curiosité du demi-philosophe s’irrite facilement : elle est accoutumée à oser. Que faisoit l’être nécessaire avant qu’il créât ? Comment a-t-il créé ? Quelle est la nature de sa durée ? Comment apperçoit-il la succession ? Questions aussi impertinentes que dangereuses et qui n’occuperont jamais un sage.

L’athée qui nous reproche que pour expliquer le monde, nous recourons à un être beaucoup plus merveilleux ou plus incompréhensible que le monde, a-t-il oublié que le cerveau de l’horloger est beaucoup plus incompréhensible que la montre ? Mais une montre qui se formeroit par le mouvement fortuit de quelques morceaux d’acier ou de cuivre, seroit-elle plus facile à concevoir que le cerveau de l’horloger ? Nous avons dans l’horloger la cause naturelle de l’existence de la montre. Il est vrai que cette cause a ses obscurités : en est-elle moins certaine ? Et où est la cause dont nous concevions nettement l’action, la nature ? Niera-t-on pour cela qu’il y ait des causes ? Ce seroit nier sa propre action. Nous n’accumulons point les merveilles : il n’est proprement ici qu’une merveille, mais qui absorbe toute conception. La réalité de l’univers n’a rien ajouté à l’idée de l’univers : s’il nous étoit permis de voir dans l’entendement de l’ouvrier, nous ne regarderions pas l’ouvrage.