Essai sur J. L. David
Cet Essai a été composé pour la Revue encyclopédique où il a paru, sous le titre de Notice nécrologique, dans le cahier d’avril 1827.
En le faisant réimprimer, à part, j’y ai ajouté quelques développemens qui sortaient des limites du recueil littéraire auquel il avait été d’abord destiné, et qui m’ont paru propres, soit à en augmenter l’intérêt, soit à compléter l’opinion que j’ai exprimée.
SUR J. L. DAVID
[7] David, dont les cendres reposent à Bruxelles, était né à Paris, en 1748. Son origine, comme celle de tant d'hommes célèbres, fut obscure. Le père de ce grand peintre était un simple marchand de fer qui perdit la vie dans un duel. Devenu orphelin en bas-âge, le jeune David fut, en quelque sorte, adopté et élevé par un oncle, M. Buron, entrepreneur des bâtimens du roi. Il fit des études médiocres au collège des Quatre-Nations. Lorsqu'elles furent terminées, son oncle et sa mère le pressèrent d'adopter la profession d'architecte, David, comme tous les hommes doués d'un génie particulier et transcendant, avait manifesté, dès ses premières années, un penchant irrésistible pour la carrière qu'il devait illustrer: il ne se livra donc à l'étude de l'architecture qu' avec regret. Une circonstance, indifférente en elle-même, lui fournit bientôt l'occasion de s'abandonner entièrement à l'art pour lequel il [8] était né. Sa mère le chargea un jour de porter une lettre à Boucher, son parent, dont le nom seul réveille le souvenir d’ une époque où le mauvais goût avait perverti l’école. Le peintre était dans son atelier, terminant, je crois, une Vénus: il quitte ses pinceaux pour lire la lettre ; lorsqu’il a fini, il se retourne et voit le jeune David absorbé dans une sorte de contemplation que son âge rendait encore plus remarquable. Après l’avoir considéré quelque temps, il lui adresse la parole, et lui demande s’il aime la peinture. Le jeune homme répondit avec un accent et une émotion qui décelaient une vocation que rien ne saurait détourner. Sa mère, cédant enfin à un penchant si décidé, ainsi qu’aux sollicitations de Boucher, pria celui-ci, alors premier peintre du roi, de recevoir son fils dans son école; mais Boucher, supérieur par son esprit aux mauvais peintres de son temps, sentait, tout en sacrifiant à la mode un talent réel, ce qu’il y avait de faux et de dangereux dans sa manière ; il fit une chose tout à-la-fois judicieuse et honorable : il confia le jeune David aux soins d’un autre maître. Vien, chez lequel il le conduisit, avait un sentiment du beau et du vrai qui contrastait avec son époque : il prit son élève en affection, et les arts doivent se féliciter de cette heureuse circonstance; car c’est à Vien que l’on doit David, comme c’est à David que l’on doit l’éclat dont l’école a brillé depuis près d’un demi-siècle. [9] Sedaine, secrétaire perpétuel de l’académie d’architecture et parrain de David, lui témoignait une vive affection; il lui donna un logement au Louvre; c’est là que notre jeune peintre exécuta ses premiers travaux. Après avoir suivi ses études, pendant plusieurs années, sous la direction de Vien, il voulut essayer d’obtenir le grand prix; il concourut cinq ans de suite; la seconde fois il eut le second prix; mais ce ne fut qu’au cinquième concours, en 1775, qu’il fut enfin couronné. David avait alors vingt-sept ans. L’année précédente, il crut avoir éprouvé une injustice. Désespéré de n’avoir point obtenu la récompense à laquelle il croyait avoir droit, et qui , à ce qu’il paraît, lui était réellement due, il s’abandonna au chagrin le plus violent, et prit une résolution funeste. Il s’était enfermé dans sa chambre, et refusait d’ouvrir. Averti par Sedaine, Doyen accourut; cédant à ses sollicitations, David se traîna vers sa porte et l’ouvrit: il y avait plusieurs jours qu’il n’avait pris aucune nourriture.
Les tentatives que david avait faites pour obtenir le grand prix, quoique plusieurs fois infructueuses, attirèrent cependant l’attention sur lui. Ledoux avait bâti pour mademoiselle Guimard une fort belle maison, dont le salon devait être décoré de peintures. Fragonard en avait ébauché quelques-unes; David fut chargé de les terminer. Ces production, auxquelles il consacra deux ans, se ressentent [10] du temps qui les a vues naître; ce n’est que plusieurs années après, et sous le beau ciel de l’Italie, qu’il abjura sa première manière.
On raconte, à l’occasion de ces peintures, un trait qui fait honneur à mademoiselle Guimard. David, étant venu chez elle pour y travailler comme à l’ordinaire, lui parut triste :
— Qu’as-tu, David ? lui dit la célèbre danseuse.
— Ah ! mademoiselle, c’est demain que s’ouvre le concours.
— Eh ! bien, il faut concourir.
— Mais, mademoiselle, je suis obligé de travailler pour avoir de l’argent !
— Tu manque d’argent ! en voilà.
Il semble que mademoiselle Guimard ait deviné David: c’est ainsi que Ninon avait légué deux mille francs à Voltaire pour acheter des livres.
En 1775, Vien fut nommé directeur de l’école de Rome: à cette époque, les jeunes gens qui gagnaient le grand prix, passaient un ou deux ans chez un maître à Paris, où le roi payait les frais de leur pension ; ils allaient ensuite terminer leurs études à Rome, également aux frais du roi ; mais Vien ayant proposé à David de partir immédiatement avec lui, celui-ci n’hésita pas, et quitta sa famille pour le suivre.
David avait encore les yeux fascinés par la manière de cette époque. On lui avait entendu répondre [11] à ceux qui blâmaient les ouvrages de Boucher: « Eh ! messieurs, n’est pas Boucher qui veut » ; et à ceux qui vantaient l’école italienne: « Soyons français » ; mais arrivé à Parme, il alla voir avec son maître les admirables peintures dont le Corrège a décoré la coupole de la cathédrale. A cette vue, il éprouva une admiration dont Vien s’aperçut facilement: « Réservez votre enthousiasme pour Rome, lui dit son maître ; là vous comparerez, puis vous pourrez prononcer et choisir. »
Parvenus enfin dans cette ville célèbre,
- « Veuve d’un peuple roi, mais reine encor du monde »,
Vien exigea de son élève que, pendant la première année, il s’occupât exclusivement à dessiner d’après l’antique et les grands maîtres. Quoique David ne fût pas convaincu de l’utilité de ce travail, il obéit : les nombreuses études que l’on a vues à l’exposition qui a lieu après sa mort, sont le résultat de conseil salutaire de son maître. On a pu remarquer qu’elles conservaient quelques chose de sa première manière : son crayon n’était pas encore épuré par l’étude de l’antique.
Ce fut pendant ce premier voyage que David fit une copie de la Cène du Valentin et la Peste de Saint-Roch. Dans le premier de ces deux ouvrages, toute la puissance du pinceau de David se révèle ; mais on n’y trouve que son pinceau ; le [12] reste appartient au maître qu’il copie. Dans le second, au contraire, le peintre montre un talent et un caractère qui lui sont propres.
Cette copie de la Cène du Valentin offre cela de remarquable qu’elle fut l’occasion et le point de départ du changement qui se fit dans les idées de David. Il était venu en Italie, ainsi que je viens de le dire, avec des préventions favorables au système de peinture alors suivi en France ; cependant la vue continuelle de la couleur forte des Italiens et de leur modelé énergique avaient ébranlé peu-à-peu son opinion. Ce fut dans un de ces momens de doute, que faisant sa palette devant le tableau qu’il copiait, il s’aperçut que les demi-teintes du peintre italien égalaient en intensité le couleurs qu’il préparait pour faire ses ombres. Dès-lors, il comprit qu’il réduisait volontairement, de moitié, son échelle de dégradation et, conséquemment, ses moyens d’effet. Frappé de cette vérité, il résolut de changer sa manière, et s’enferma pour exécuter la Peste de Saint-Roch. Ce tableau, exposé à Rome, en 1779[1], obtint d’unanimes applaudissemens. La composition est grande et pathétique ; le St.-Roch est d’un beau caractère ; l’ensemble de la scène produit une vive impression. On remarque, entre autres figures, celle d’un pestiféré qui, la tête [13] enveloppée d’un linge, attend la mort avec une fermeté stoïque. Battoni, qui tenait alors à Rome le sceptre de la peinture, vint voir cet ouvrage, et adressa à David des louanges dont celui-ci dut être d’autant plus flatté qu’en général les Italiens, fiers du souvenir de leur gloire passée, sont peu disposés à rendre justice aux talens qui honorent les autres écoles.
La Peste de Saint-Roch valut à David un autre genre de succès auquel il ne dut pas être moins sensible. Il avait exécuté ce tableau avec une sorte de mystère ; lorsqu’il fut terminé, il engagea ses condisciples à venir le voir dans son atelier. Frappés d’étonnement à la vue de cet ouvrage, mais combattus par les idées qu’ils avaient suivies jusqu’alors, ils hésitaient à se livrer à leur propre sentiment et restèrent muets devant son tableau. Girault, sculpteur, prenant le premier la parole, dit à ses camarades : « Eh ! qui nous empêche de dire que c’est fort beau ». cette courte allocution fut suivie d’applaudissemens exprimés avec cette vivacité et cet abandon qui n’appartiennent qu’au jeune âge.
De retour à Paris, en 1780, David exécuta son Bélisaire, pour lequel Pierre, alors premier peintre du roi, lui donna des conseils éclairés, et qui lui valut, l’année suivante, son admission à l’académie royale de peinture, comme agrégé. Postérieurement, David a fait, avec quelques légers changemens, une répétition réduite de ce tableau : elle porte la date de 1784 ; c’est celle que l’on voit au Musée[2]. Avant lui Vandyck avait également représenté le célèbre général romain, réduit à mendier dans les rues de Bysance[3]. Si l’on compare ces deux productions, on reconnaîtra comment un même sujet peut être embelli par le style et le sentiment de la beauté.
Trois ans après, David termina et présenta, pour son admission à l’Académie, Andromaque pleurant la mort d’Hector. Dans ce tableau, le style devient plus sévère. On voit que le peintre cherchait à se rapproche de l’antique. C’est ainsi que Racine avait montré tout ce qu’il pourrait être dans l’une de ses premières tragédies, dont le sujet était puisé aux mêmes sources.
Vers cette même époque, David fit, à la demande de madame de Noailles, un Christ pour l’église des Capucines à Paris. On raconte, à l’occasion de ce tableau[4], une anecdote assez plaisante.
« La maréchale fut d’abord charmée de la beauté de cette figure ; mais elle reconnut, enfin, dans ce Christ, un très beau garde-française qui avait servi de modèle. Sa religion en fut alarmée: elle renvoya le tableau à l’artiste, en protestant qu’elle ne s’agenouillerait jamais devant une pareille image. L’artiste eut beau répondre que l’intention sanctifiait tout, et, pour la rassurer, lui nommer plusieurs nymphes d’après lesquelles on avait fait des vierges, il y eut procès: on sent bien que l’artiste le gagna; le droit était de son côté, comme le ridicule, de l’autre. »
Depuis son retour de Rome, David avait épousé la fille de M. Pécoul, architecte, entrepreneur des bâtimens du roi. Reçu membre de l’Académie, il éprouvait le besoin de retourner dans la capitale des arts; la dépense que devait entraîner ce voyage semblait un obstacle insurmontable. M. Pécoul lui donna une nouvelle preuve de désintéressement et d’affection, en lui procurant les moyens d’exécuter son projet. David partit, emmenant avec lui sa femme et l’un de ses élèves qu’il chérissait, Drouais , qui venait de remporter le prix d’une manière si brillante. <ref>L’auteur du Pausanias français cite une lettre de David, écrite après la mort de Drouais, et qui semblerait prouver que ce fut, au contraire, le maître qui suivit l’élève. Quoi qu’il en soit, je vais rapporter cette lettre qui prouve l’affection que David avait pour Drouais et la haute estime que son élève lui avait inspirée.— « Je pris le parti de l’accompagner, autant par attachement pour mon art que pour sa personne; je ne pouvais plus me passer de lui; je profitais moi-même à lui donner des leçons, et les questions qu’il me faisait seront des leçons pour ma vie: Jai perdu mon émulation. »</ref>
Sous le règne de Louis XV, lorsque M.de Marigny fut nommé intendant de la maison du [16] roi, les arts étaient tombés dans une telle défaveur que, pour les relever, on eut la pensée, bonne sans doute par l’intention, de commander aux peintres d’histoire et aux statuaires les plus habiles, des tableaux et des figures en marbre. Le prix et les proportions de chacun de ces ouvrages furent expressément indiqués; mais on oublia de fixer une destination. Cette erreur qui, en se perpétuant, a eu de si fâcheux résultats, rendit la plupart de ces productions plus embarrassantes qu’utiles aux arts et à la gloire de l’école. Les statues, notamment, étaient encombrées dans une salle de Louvre, dite des Antiques, d’où la révolution seule les a fait sortir.
Un de ces tableaux fut commandé à David, qui exécuta le Serment des Horaces[5]; il en avait arrêté la composition et l’ensemble à Paris; il le termina, en 1784, à Rome, où il eut un succès complet. Le vieux Battoni en fit les plus grands éloges[6], et renouvela à son auteur le désir de le voir se fixer à Rome; mais David résista à ces instances, et le [17] peintre, ainsi que le tableau, furent reçus à Paris avec transport.
Cette belle production eut une prodigieuse influence sur l’école et même sur les usages : les costumes et les ameublemens changèrent de style ; cette fois, ce fut le génie qui donna une direction nouvelle à la mode : cette circonstance n’est pas indigne d’être rapportée.
À cette époque, David éprouva des tracasseries qui prenaient leur source dans l’ignorance et l’envie. Non seulement, M. D’Angivilliers, alors directeur général des bâtimens du roi, lui fit un reproche d’avoir exécuté le Serment des Horaces dans une dimension plus grande que celle qui avait été prescrite ; mais encore il se permit de critiquer amèrement cet ouvrage. Le temps a fait justice des ennemis de David, et le Serment des Horaces est resté ce qu’il est réellement, un tableau dans lequel on trouve des beautés du premier ordre, quoique l’ensemble ne soit pas à l’abri de toute critique. Le groupe de femmes, par exemple, me paraît une faute sous le rapport pittoresque. Pour produire une opposition, l’artiste a voulu montrer, d’un côté, l’enthousiasme de la gloire faisant taire les plus doux sentimens ; de l’autre, une mère, une amante, des enfans essayant en vain de trouver dans l’amour de la patrie le moyen d’imposer silence à une douleur qui n’est que trop légitime. En effet, que les Horaces soient vainqueurs ou vaincus, leur mort ou leur victoire fera toujours couler des larmes.
Je crois que le peintre a méconnu les limites qui séparent la peinture de la poésie. Le poète pouvait, devait même faire entendre tour-à-tour les transports des guerriers et la douleur de la mère et de l’amante ; mais le peintre ne pouvait mettre en présence deux groupes dans son tableau, sans troubler l’unité d’effet et d’action. A la vérité, le groupe de femmes est sacrifié à celui des guerriers ; toutefois, il partage involontairement l’attention ; je crois donc que c’est une faute. Au reste, quelle fierté dans ces jeunes guerriers ! Ce ne sera pas en vain que Rome[7] leur aura confié ses destins. L’amour de la patrie, la gloire d’avoir donné le jour à des héros, voilà ce qui anime le père ; et comme ces sentimens sont bien exprimés !
Un poète moderne a dit[8], en parlant de Corneille qui, dans sa tragédie des Horaces, a peint avec tant de grandeur les temps héroïque de l’ancienne Rome :
« Ah ! tu dois errer sur ces bords
Où le Tibre te rend hommage !
Viens converser avec les morts
Dont ta main retraça l’image.
Viens, et, ranimés pour te voir,
Ils vont s’élever sur tes traces ;
Viens, grand Corneille vient t’asseoir
Au pied du tombeau des Horaces ! »
Ces vers pouvaient s’adresser aussi bien à David qu’à Corneille ; le génie de ces deux grands hommes me semble offrir une analogie remarquable ; tous deux excellent à rendre des scènes fortes, à exprimer des sentimens énergiques. En puisant à la même source, le peintre n’est point resté inférieur au poète.
David avait pris dans l’Histoire des Horaces un autre dont il n’a laissé qu’un dessin : c’est le vieil Horace défendant son fils devant le peuple. Le guerrier tient encore à la main l’épée qu’il a plongée tour-à-tour dans le sein des ennemis de sa patrie et dans celui de sa sœur. Son maintien exprime une sorte de calme féroce ; ses yeux, animés d’une fierté sauvage, regardent le peuple assemblé devant lui, pour prononcer sur son sort. Le père parle à la multitude : il défend le meurtrier de sa fille ; mais ce meurtrier est le vainqueur des Curiaces : tout autre sentiment disparaît à ses yeux. Cette conception est une des plus fortes que le génie de David ait enfantées.
Socrate, entouré de ses disciples, recevant le breuvage mortel des mains du valet des Onze, est, sans contredit, le plus bel ouvrage de David sous le rapport de la composition. Ce tableau fut exécuté, en 1787 à la demande de M. de Trudaine, qui périt, avec son frère, pendant le cours de notre révolution. Le sage par excellence vient prendre un bain, et s’est replacé sur son lit de mort ; le valet des Onze, en lui présentant la coupe funeste, détourne la tête qu’il cache dans l’une de ses mains : le bourreau lui-même a horreur de l’injustice dont Socrate est la victime. Platon[9], placé au pied du lit, et qui, jusque-là, avait recueilli ses dernières paroles, se retourne et reste abîmé dans ses douloureuses réflexions. La douleur la plus vive s’est emparée de tous les assistans, et se manifeste d’une manière aussi vraie que variée ; mais le philosophe, resté calme, étend une main vers la coupe et lève l’autre vers le ciel. Criton semble frappé d’admiration ; sans doute Socrate vient d’annoncer qu’il espère des dieux une récompense immortelle. S’il est permis de douter, par ce qui nous a été transmis de la doctrine de Socrate, qu’il ait réellement enseigné l’immortalité de l’âme[10], du moins, on peut croire qu’il l’avait entrevue et qu’il espérait. Dans tous les cas, ce sont les dieux que Socrate invoque, et les dieux, tel qu’il les dépeignait, justes et bienfaisans. La pensée du peintre est donc d’accord avec le caractère moral du sage qu’il a représenté.
Dans l’origine, David avait peint Socrate tenant déjà la coupe que lui présentait le bourreau. « Non ! non ! lui dit André Chénier qui mourut également victime de l’injustice des hommes ; Socrate, tout entier aux grandes pensées qu’il exprime, doit étendre la main vers la coupe ; mais il ne la saisira que lorsqu’il aura fini de parler. »
Si l’on retrouve, dans les carnations du tableau des Amours de Pâris et d’Hélène, commandé par S. A. R. Mgr. le comte d’Artois, aujourd’hui le roi régnant, et qui fut terminé en 1788, le système que David avait suivi dans tous ses précédens tableaux, à l’exception du Socrate, système de convention, et qui tenait encore aux premières idées du peintre, on ne peut s’empêcher aussi de reconnaître qu’il y a de l’habileté dans la disposition du groupe et un effet bien entendu ; cependant ce tableau est froid : on n’y trouve pas assez de passion. Des scènes de cette nature ne convenaient pas au talens de l’artiste. Je pense encore qu’il y a un défaut de tact, de délicatesse à ce que Pâris prenne le bras d’Hélène, pour l’attirer vers lui : c’est sa main qu’il devait rechercher ; car c’est la main qui est l’heureux organe des mouvemens de l’âme. Au reste, le reproche le plus grave que l’on puisse faire au peintre à l’occasion de cette composition, c’est qu’elle ne lui appartient pas en propre ; c’est un emprunt, et ce n’est pas le seul qu’il ait fait.
Brutus rentrant chez lui après avoir condamné ses fils, est, comme les Horaces, un tableau exécuté par suite d’une demande faite au nom du roi. Il fut terminé en 1789.
Brutus vient de faire à sa patrie un sacrifice surhumain, et dont un père seul peut comprendre toute l’étendue. En rentrant chez lui, il est venu se réfugier près de la statue de Rome ; bientôt les restes inanimés de ses enfans passent le seuil de sa porte. Il entend le bruit des licteurs, et, plongé dans les plus sombres réflexions, il tourne la tête vers sa famille dont les cris le déchirent et l’importunent tout à-la-fois. Sa figure exprime une douleur farouche qui semblait inexprimable. La mère de ces infortunés jeunes gens, près de laquelle se groupent ses filles éplorées, s’élance les bras étendus. Ici la nature parle seule, et ses accens déchirent.
Dans ce tableau, comme dans les Horaces, le peintre me semble avoir dépassé les limites de son art : il divise l’intérêt ; conséquemment, il l’affaiblit. C’était Brutus, et Brutus seul, qu’il fallait mettre sous les yeux du spectateur.
Cette composition fait naître encore une observation d’une autre nature : c’est qu’elle manque de vraisemblance. Comment supposer, en effet, que les restes mutilés des fils de Brutus aient dû passer, pour ainsi dire, à travers la maison de leur père, sous les yeux de leur mère. On voit que c’est une scène disposée pour produire un effet cherché ; mais le but est dépassé : les corps sont trop près, et du père, et des spectateurs.
Nous voici arrivés à cette époque mémorable où les pouvoirs anciens eurent à lutter avec les idées nouvelles. On sait quel fut le résultat de cette lutte ; tout périt : le trône et la liberté. David, par la nature de ses aspirations et de son talent, se trouva entraîné d’abord parmi les amis ardens de la liberté ; plus tard, on le vit dans les rangs des démagogues les plus outrés. Dès ce moment, son pinceau ne fut plus occupé qu’a reproduire quelques scènes de la révolution. Sa première, et la plus importante production de cette époque, est le serment du Jeu de Paume. [11]
On se rappelle que le 20 juin, jour où le clergé devait se joindre aux communes, les députés, trouvant leur salle fermée, se rendirent, après avoir erré quelque temps dans les rues de Versailles, à la salle du Jeu de Paume, où il jurèrent de ne se dissoudre qu’après avoir donné une constitution a la France. Telle fut la formule du serment que prononça Bailly, monté sur une table, et que tous répétèrent avec enthousiasme ; tous, un seul excepté.
C’est le moment de cette prestation de serment, de cette acclamation, de ce vœu si fortement et si unanimement exprimé, que le peintre a représenté avec une énergie et un talent dignes de son sujet. Quel mouvement imprimé à toutes ces figures ! quel élan ! quels transports ! Bailly seul est calme ; mais que de noblesse dans son expression ! c’est là où l’on peut voir comment un homme de génie sait vaincre les obstacles : les costumes modernes si rebelles à la peinture, n’occupent pas un seul moment l’attention, parce que tout est plein de vie et de chaleur. Pour montrer l’union qui anime l’assemblée, David groupe ensemble, sur le devant de la scène, un chartreux, un protestant et un autre membre du Tiers-État. Il est vrai que la disposition de ce groupe se retrouve dans plusieurs monumens ; mais c’est un homme habile qui fait cet emprunt ; et par la manière heureuse dont il a su l’employer, il s’est, pour ainsi dire, approprié cette idée. Quel heureux effet ce groupe produit dans l’ensemble de cette scène !
Déjà l’on peut reconnaître, dans un épisode presque inaperçu de cette composition, la nature des idées qui fermentaient dans la tête de David : le rideau de l’une des fenêtres de cette salle, violemment agité par le vent, laisse entrevoir, au-delà, le ciel couvert de nuages précurseurs de la tempête ; le nuage s’ouvre et la foudre qui s’en échappe vient frapper la chapelle royale.
Cette composition inspira à André Chénier une ode dont il serait inutile de rapporter la date : elle est écrite à chaque vers. Cette ode, qui produisit une grande impression, commence ainsi :
Reprend ta robe d’or, ceins ton riche bandeau,
Jeune et divine poésie !
Quoique ces temps d’orage éclipsent ton flambeau,
Aux lèvres de David, roi du savant pinceau,
Porte la coupe d’ambroisie.
La patrie, à son art indiquant nos beaux jours,
A confirmé mes antiques discours,
Quand je lui répétais que la liberté mâle
Des arts est le génie heureux ;
Que nul talent n’est fils de la faveur royale,
Qu’un pays libre est leur terre natale……
Par un décret du 28 septembre 1791, l’Assemblée ordonna que ce tableau serait exécuté aux frais du trésor public, et placé dans le lieu de ses séances ; cependant, il n’existe qu’un dessin de cette composition. Mais, après la mort de David, on a exposé une grande toile où tous les personnages étaient déjà indiqué au trait ; quelques têtes seulement étaient à-peu-près terminées. Les artistes ont admiré, avec raison, la manière dont ces figures étaient tracées, et dont les têtes étaient peintes.
Nommé, par la ville de Paris, député à la Convention nationale qu’il présida pendant quatorze jours, David prit une part très active à tout ce qui s’y fit. Toutes les fois qu’il parut à la tribune, il y manifesta une exagération qui tenait du délire. Il vota, avec la majorité, sur toutes les questions relative au déplorable procès qui occupa la Convention au commencement de 1793.
Dans cet essai, consacré plus à l’artiste qu’a l’homme public, c’est assez, je pense, d’avoir caractérisé sa conduite d’une manière consciencieuse ; il serait sans intérêt de citer, à l’appui de l’opinion que j’exprime, des discours que l’inflexible Moniteur a conservés, et qui appartiennent peut-être plus à l’histoire du temps même où ils furent prononcés, qu’à celle de l’homme qui les avait écrits. Au reste, plusieurs productions importantes que David exécuta pendant qu’il occupait des fonctions publiques, serviront tout à-la-fois à faire connaître les idées qui s’étaient emparées de son esprit, et à lier les deux époques où il fut seulement artiste.
Le jour même où la Convention refusa l’appel au peuple, et condamna l’infortuné Louis XVI à la mort, Lepelletier de Saint-Fargeau fut assassiné par un nommé Pâris, qui avait fait partie de la garde constitutionnelle du roi : David le représenta étendu sur son lit de mort ; un sabre ensanglanté, suspendu au-dessus de lui, n’est retenu que par un cheveu, et traverse un papier sur lequel est écrit : Je vote pour la mort du tyran. Au haut du portrait est l’inscription suivante :
Le 29 mars, David fit hommage de ce tableau à la Convention nationale ; il prononça, à cette occasion, un discours qui n’est remarquable que par les sentimens qui y sont exprimés et qui avaient guidé son pinceau.
Les proscrits du 31 mai trouvèrent un vengeur dans une jeune fille qui descendait en ligne directe du grand Corneille : Marat périt sous le poignard de Charlotte Corday. Le 14 juillet, une députation dont Guirault était orateur, vint exprimer les regrets du peuple à la Convention.
« Oh ! crime ! dit-il, une main parricide nous a ravi le plus intrépide défenseur du peuple. Il s’était constamment sacrifié pour la liberté. Nos yeux le cherchent en vain parmi vous, représentans. Oh! spectacle affreux! il est sur un lit de mort! Où es-tu, David ? tu as transmis à la postérité l’image de Lepelletier mourant pour la patrie: il te reste encore un tableau à faire…. »
« Oui, je le ferai! » s’écria David d’une voix émue.
David tint sa promesse. Le 24 brumaire an II, il vint également faire hommage à la Convention de ce nouveau portrait, en exprimant ses regrets, comme il l’avait fait à l’occasion de Lepelletier.
L’ ami du peuple a la tête appuyée sur le bord de la baignoire où il était, quand il reçu le coup mortel; près de la est le couteau ensanglanté qu’une main de femme n’a abandonné qu’après avoir vengé l’humanité. La droite de Marat touche à terre; une plume s’en échappe; l’autre, appuyé sur le dessus de la baignoire, tient une lettre de Charlotte Corday. On y lit ces mots:
« Il suffit que je sois bien malheureuse pour avoir droit à votre bienveillance…. »
Sur une petite caisse qui lui servait de table est une écritoire, une plume et un assignat de trente sous posé sur un papier, sur lequel est écrit:
« Vous donnerez cet assignat à cette pauvre mère [29] de cinq enfans, dont le mari est parti pour la défense de la patrie. »
Sous le rapport de l’art, ce tableau est une production extrêmement remarquable ; il y règne une grande puissance d’effet, et un éclat que l’on n’avait pas encore trouvé dans les ouvrages de David.
Les deux portraits de Marat et Lepelletier, auxquels l’artiste a donné un caractère éminemment dramatique, sont de même dimension. On voit qu’ils ont été disposés pour être en regard l’un de l’autre ; mais l’homme habile se montre dans la manière différente dont ils ont été exécutés. Marat avait les habitudes d’un homme du peuple, quoiqu’il eût reçu de l’éducation ; Lepelletier appartenait à la haute classe de la société dont il avait conservé les manières. Il est facile d’apercevoir cette différence au simple aspect des deux portraits : celui de Marat, qui représente une nature hideuse et grossière[12], est heurté ; tandis que celui de Lepelletier est modelé avec plus de finesse ; on y trouve une grâce et une délicatesse de pinceau qui n’existent pas dans l’autre.
Les jeunes Bara et Vialat avaient péri en donnant des preuves d’un ardent républicanisme. David, après avoir déploré cette perte à la tribune, consacra son pinceau au jeune Bara, et le représenta au moment où, frappé à mort, il tombe en mettant la cocarde tricolore sur son cœur. Ce tableau n’est pas achevé ; mais l’ébauche que David a laissé est déjà un chef-d’œuvre de sentiment et d’expression.
L’horreur qu’inspiraient Robespierre et ses adhérens était parvenue à son comble ; le 9 thermidor renversa les échafauds de la terreur. Attaqué avec une violence extrême par André Dumont, David se défendit, en disant que Robespierre l’avait trompé par ses sentimens hypocrites. Goupilleau de Fontenai lui reproche d’avoir embrassé Robespierre au moment où il descendait de la tribune, en lui disant : « Si tu bois la ciguë, je la boirai avec toi ». David nia qu’il eût embrassé Robespierre, mais il convint qu’il lui avait dit qu’il boirait la ciguë avec lui. Par suite de cette réaction, il fut emprisonné deux fois ; au mois de fructidor an iii, il fut autorisé à rester chez lui, sous la surveillance d’un garde ; enfin le décret d’amnistie du 4 brumaire an iv lui rendit la liberté, et il rentra dans la vie privée.
A la première de ces deux détentions, ses élèves se réunirent et présentèrent à la Convention une pétition pour demander son élargissement ; l’un d’eux fut invité à la lire à la barre ; on sent bien qu’elle avait été inspirée par le sentiment qui unit les élèves à leur maître, et qu’elle devait en être empreinte. Chénier l’appuya; cependant elle ne fut pas accueillie.
Ce fut pendant son dernier séjour au Luxembourg que David fit l’esquisse des Sabines, et le portrait de sa mère, qui venait le voir tous les jours. Ainsi le calme de la prison, imposant silence aux passions désordonnées qui l’agitaient, y avait fait renaître les douces affections de la nature.
Rentré dans son atelier, David s’occupa exclusivement de son art. Il termina, en 1799, le tableau des Sabines [13], que l’on peut regarder comme le point culminant de son talent; on me permettra donc d’entrer dans un examen particulier de cette production.
Romulus avait demandé aux peuples voisins de former des alliances avec ses sujets; il sut dissimuler le dépit qu’il éprouva de leur refus; mais à une fête où ces mêmes peuples étaient accourus sans armes et sans méfiance, les Romains, à un signal de leur roi, tirèrent l’épée et enlevèrent les filles qui assistaient à ce spectacle; c’est le sujet que Le Poussin a représenté. Ceux de ces peuples qui voulurent venger cet outrage furent successivement défaits et incorporés parmi les habitans de la nouvelle ville. Les Sabins mirent plus de temps à faire leurs préparatifs; mais déjà les Sabines avaient eu [32] des enfans de leurs ravisseurs, et s’étaient liées à leur sort. Après plusieurs combats où les Romains et les Sabins furent alternativement vainqueurs et vaincus, les deux armées s’étaient avancées de nouveau l’une contre l’autre avec une fureur égale, lorsque Hersilie, femme de Romulus [14], suivie des autres Sabines, vint se jeter au milieu des combattans, et leur tint le discours que Tite-Live a mis dans sa bouche.
Tel est le moment que David a choisi.
Quelle belle scène que cette lutte où Rome prélude à la conquête du monde entier! Les Sabins occupent le Capitole; plus tard, les Gaulois s’en emparèrent aussi; mais les destinées de la ville de Mars devaient l’emporter: les Sabins furent vaincus et César soumit les Gaules.
Dans cette mêlée que le peintre a mise sous nos yeux, trois figures occupent principalement le spectateur: Romulus, Tatius et Hersilie. Les deux guerriers sont descendus de cheval pour se mesurer de plus près; le premier, balance son javelot qu’il est près de lancer; sa pose, sa fierté, sa beauté, indiquent le fils d’un dieu; tout décèle en lui le fondateur de la ville qui doit subjuguer le monde [ 33] entier; c’est la victoire sous les traits d’un guerrier. Tatius se couvre de son bouclier, et, l’épée à la main, il attend le moment favorable pour fondre sur son ennemi: mais, au moment même où la valeur des deux chefs va décider le sort des deux nations, Hersilie s’élance entre eux; ses regards, ses gestes sont supplians; les autres Sabines, accourues sur ses pas, déposent leurs enfans aux pieds des combattans ou les mettent au-devant de leurs lances. Leurs prières, leurs pleurs, leurs cris ont calmé la fureur des deux armées; le combat cesse: ici, un capitaine romain remet son épée dans le fourreau; là, un chef sabin fait signe aux siens de s’arrêter.
On a reproché à David d’avoir emprunté l’idée première de sa composition à une pierre antique décrite par Montfaucon, et d’avoir représenté, entièrement nus, ses deux principaux personnages, et quelques autres du premier plan, tels que ces deux jeunes écuyers à gauche et à droite du tableau. David s’est défendu du premier reproche, en s’autorisant de l’exemple des sculpteurs antiques qui ne se faisaient pas scrupule de répéter des figures déjà connues; et, après avoir allégué qu’il lui eût été plus facile de revêtir tous ses personnages de draperies et d’armures, que de les peindre nus, il a ajouté: « Qui peut le plus peut le moins ». [15]
Dans les arts d’imitations, la première loi, sans doute, et de ne pas blesser la vérité et les convenances ; mais David, ayant puisé son sujet dans un récit fabuleux, il en a profité pour montrer son art dans toute sa beauté. J’avoue que, d’accord à cet égard avec l’opinion de Lessing sur l’emploi des nus, je suis tout disposé à prendre parti pour David ; car, si l’on peut dire qu’il a blessé les convenances, cette faute est rachetée par de si grandes beautés que, à mon avis, il faut le louer de l’avoir faites ; et puis, la peinture, comme la poésie, n’a-t-elle pas ses licences ?
Il est une autre critique que ce tableau fit naître, et qui est très fondée : la couleur manque d’éclat ; mais la science du dessin y est portée au plus haut degré possible d’élévation. Ce ne sont point, au reste, des formes de convention qu’il a exprimées, c’est la nature, mais belle, avec choix, telle que les anciens l’ont représentée.
Il est digne de remarque que, dans sa première composition, tous ses personnages étaient vêtus. Ce fut aussi par suite de nouvelle réflexions, qu’il fit entrer dans son tableau tous ces enfans, qui sont un des moyens puissans de l’intérêt qu’il inspire.
Bonaparte, chef de l’armée de l’armée d’Italie, avait fait proposer à David de venir à son camp, loin des agitations politiques, peindre les combats qui l’ont immortalisé. David refusa. Après le traité de Campo-Formio, le général désira voir le peintre ; à leur entrevue, il fut question de faire son portrait.
— Je vous peindrai, dit David, l’épée à la main, sur le champ de bataille.
— Non, répondit Bonaparte ; ce n’est plus avec l’épée que l’on gagne les batailles. Je veux être peint calme, sur un cheval fougueux.
— Lorsque la victoire de Marengo eut de nouveau fixé le sort de l’Italie, Bonaparte, de retour à Paris, fit venir David.
— Que faites-vous en ce moment ? lui dit le premier Consul.
— Je travaille au passage des Thermopyles.
— Tant pis, vous avez tort de vous fatiguer à peindre des vaincus.
— Mais, citoyen consul, ces vaincus sont autant de héros qui meurent pour leur patrie, et, malgré leur défaite, ils ont repoussé pendant plus de cent ans les Perses de la Grèce.
— N’importe ; le seul nom de Léonidas est venu jusqu’à nous, tout le reste est perdu pour l’histoire.
Bonaparte lui ayant renouvelé le demande de son portrait, David lui promit de s’en occuper aussitôt, et le pria de poser.
— A quoi bon ? répondit Bonaparte ; croyez-vous que les grands hommes de l’antiquité dont nous avons les images, aient posé ? Mais, je vous peins pour votre siècle, pour des hommes qui vous ont vu, qui vous connaissent; ils voudrons vous trouver ressemblant.
- —Ressemblant! ce n’est pas l’exactitude des traits qui fait la ressemblance; ce qu’il faut peindre, c’est le caractère de la physionomie, ce qui l’anime.
- —L’un n’empêche pas l’autre.
- —Certainement, Alexandre n’a jamais posé devant Apelles. Personne ne s’informe si les portraits des grands hommes sont ressemblans; il suffit que leur génie y vive.
- —Vous avez raison. Eh! bien, vous ne poserez pas; je vous peindrai sans cela.[16]
Ce fut alors que David fit ce portrait où il représenta Bonaparte, tel que celui-ci l’avait demandé dans son premier entretien: calme sur un cheval fougueux, gravissant le mont Saint-Bernard. Sur le rocher sont écrits les noms d’Annibal et de Charlemagne: [37] l’histoire s’est chargée d’y graver celui du vainqueur de l’Europe.
Cet ouvrage ne répondit pas entièrement aux intentions de Bonaparte, et plusieurs observations qu’il fit à ce sujet prouvèrent que, s’il était totalement étranger à la pratique des beaux-arts, personne ne savait mieux que lui en juger la pensée.
David a fait plusieurs répétitions de ce portrait, et c’est une de ces répétitions qui a été exposée aux regards du public, après la mort du peintre; les autres furent destinées, l’une au roi d’Espagne qui l’avait demandée; la seconde, à notre Musée, etc. : l'original était à Saint-Cloud; il fut enlevé, en 1814, par les Prussiens, et c’est l’un des plus beaux ornemens du musée de Berlin.
Proclamé empereur, Bonaparte, qui voulait récompenser et illustrer tous les genres de mérite, avait fait entrer Vien au sénat: il nomma David son premier peintre. C’est à ce titre que ce dernier exécuta plusieurs grands ouvrages , tels que le Couronnement et la distribution des Aigles. Il employa trois ans à faire le premier de ces deux tableaux, le plus grand qui existe. Il est facile de concevoir, au reste, toutes les difficultés que le peintre dut éprouver, et qui tenaient principalement à la nature même du sujet représenté. Les prétentions des personnages qui devaient y figurer mettaient l’artiste à la torture: l’ambassadeur ottoman, que l’on voulait y [38] placer, s’y opposait, en objectant que sa religion lui interdisait l’entrée des églises chrétiennes ; il fallut employer les voies diplomatiques pour vaincre sa résistance. Ce tableau enfin terminé, l’empereur alla le voir en grand cortège. Après l’avoir examiné avec une attention particulière, et avoir donné à l’auteur des éloges sur la manière dont il l’avait conçu et exécuté, Napoléon fit deux pas en avant, se plaça vis-à-vis de David ; puis il leva son chapeau, et s’inclinant devant lui ; « David, lui dit-il d’une voix très élevée, je vous salue », honorant ainsi le génie d’une manière solennelle, comme dans une autre occasion il avait dit : « Honneur au courage malheureux. »
Toutes les parties de ce tableau ne sont pas également belles, sans doute ; mais la pose de l’empereur a de la dignité, de la majesté ; celle de l’impératrice est remplie de grâce ; le pape a de l’onction ; sa tête est d’une expression douce et noble tout à-la-fois ; la plupart des autres figures du premier plan sont également traitées avec une supériorité marquée. [17]
[39]Outre les divers tableaux destinés à retracer des circonstances remarquables de la vie de Bonaparte, David fit encore un grand nombre de portraits, tant de l’empereur que des personnages de sa cour, et d’étrangers qui étaient attirés dans son atelier par sa haute réputation. Dans le nombre, il en est un qui mérite d’être signalé comme un chef-d’œuvre : c’est celui du Pape.
Obligé de mettre de côté son Léonidas aux Thermopyles [18], David n’avait cependant pas renoncé à l’exécuter ; effectivement il le termina en 1814.
Ce tableau eut un succès peut-être plus grand qu’aucun de ceux que le même peintre avait déjà exposés ; mais les artistes et les connaisseurs éclairés ne partagèrent pas entièrement cet enthousiasme, excité principalement par le caractère de la scène représentée, et par les circonstances au milieu desquelles il apparaissait. Ils trouvèrent que David s’était rapproché des formes communes dans un tableau où il représentait des Grecs, c’est-à-dire, la nation qui avait senti le plus vivement la beauté, et qui l’avait le mieux exprimée. On trouva aussi que le Léonidas, dont la pose offre une certaine recherche, était en dehors de l’action, ou plutôt qu’il n’y avait pas une action principale sur laquelle l’attention [40] du spectateur fût arrêtée. En effet, qu’a voulu représenter le peintre ? La noble résolution prise par Léonidas et ses trois cents guerriers de mourir pour leur patrie. Comment a-t-il exposé son sujet ?
A l’approche de l’ennemi, tout s’anime et s’apprête ; celui-ci gravit un rocher pour écrire avec le pommeau de son épée cette inscription célèbre : « Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses saintes lois[19] ». Ceux-là s’emparent de leurs armes ; ici, un jeune homme presse la main de son père sur son cœur, pour lui prouver qu’il est inaccessible à la crainte ; là, un aveugle se fait conduire par un esclave pour partager la mort glorieuse à laquelle ses compagnons se dévouent. Au milieu de ce mouvement, le peintre a montré Léonidas tenant son épée et son bouclier, c’est-à-dire, prêt à consommer le sacrifice auquel il s’est déterminé, mais en même temps profondément occupé de l’avenir de sa patrie. Sans doute, c’est une idée heureuse d’avoir voulu que le général fût animé de sentimens supérieurs à la perte de la vie ; mais, sous le rapport pittoresque, sous le rapport même de la pensée, peut-on dire que cette figure sert de lien, de foyer, si je puis m’exprimer ainsi, à toute l’action représentée ? ne peut-on pas dire, au contraire, que ce tableau est composé de groupes différens qui ne sont pas suffisamment subordonnés à un groupe principal ? Au reste, cette figure de Léonidas, empruntée à une médaille antique, est extrêmement remarquable sous le rapport de l’exécution ; le torse, par exemple, est peint à merveille ; plusieurs autres figures sont également dignes du pinceau de David ; enfin, on trouve dans cet ouvrage un éclat de couleur que jusqu’alors le peintre avait paru peu rechercher, s’occupant, avant tout, de la forme et de l’expression.
Léonidas aux Thermopyles fut la dernière production que David exécuta sur sa terre natale. Les évènemens de 1815 l’ayant forcé de s’éloigner de la France, il se fixa à Bruxelles où il trouvait un gouvernement éminemment hospitalier, nos mœurs, notre langue et des habitans qui n’avaient cessé d’être Français que par suite d’une nouvelle démarcation de territoire. Il avait alors soixante-sept ans. Un nouveau chagrin vint bientôt l’assaillir dans son exil : il fut éliminé de l’Institut.
Si des témoignages d’estime et de bienveillance pouvaient tenir lieu de la patrie, David aurait pu se consoler : il reçut des preuves non équivoques de l’enthousiasme que faisaient naître, chez ses nouveaux hôtes et même chez des nations qui semblaient avoir une sorte d’aversion pour le nom français, sa réputation et son grand talent. Le roi de Prusse lui fit faire les invitations les plus pressantes d’aller se fixer à Berlin, où il lui offrait de le charger de la direction des arts ; le frère du roi vint lui-même chez le grand peintre, lui réitérer cette proposition ; mais David fut inébranlable dans sa résolution, et voulut rester libre à Bruxelles, où il était recherché et considéré.
Il se livra de nouveau et en entier à l’exercice de son art. Il fit successivement l’Amour quittant Psyché, qui ne lui paraissait pas mériter les critiques auxquelles ce tableau donna lieu ; Télémaque et Eucharis, Mars et Vénus [20], et plusieurs portraits, parmi lesquels on cite celui de l’abbé Sieyès.
Je crois que l’on peut regarder les trois tableaux que je viens de désigner, comme les derniers soupirs d’un beau talent ; mais ce que l’on doit surtout remarquer dans ces productions, c’est l’éclat de la couleur que David, depuis son Léonidas, semblait rechercher avec ardeur, alors que l’âge ne lui permettait plus de tracer des contours d’une main aussi ferme ni aussi sûre.
Pendant l’été de 1825, David tomba malade de manière à donner des inquiétudes pour sa vie : il se rétablit, recouvra pour un moment toutes ses forces, et voulut achever la Colère d’Achille, que M. Stapleaux, son élève, termina sous ses yeux ; bientôt il fut en proie aux plus cruelles souffrances. Sa vie était presque éteinte, lorsqu’on lui présenta une épreuve de la gravure des Thermopyles, sur laquelle M. Laugier désirait recueillir son avis. Il la fit placer devant lui, et, montrant avec le bout de sa canne les diverses parties de cette planche, il articula avec peine quelques observations. Puis, quand il en fut au personnage principal, il dit : « Ah ! ce n’est pas là la tête de Léonidas ! c’est qu’au fait il n’y avait que moi qui pusse la faire » ! Ce furent ses dernières paroles ; sa canne s’échappa de sa main, et sa tête retomba sur sa poitrine.
Il mourut, le 29 décembre 1825, à dix heures du matin, entouré de sa famille. Ses obsèques furent magnifiques. Ses enfans avaient demandé la faculté de rapporter le corps de leur père en France : cette demande fut refusée ; les lettres de part distribuées à Paris, portaient : Décédé, en exil, à Bruxelles. Depuis, son cœur a été déposé au cimetière de l’Est, ou sa famille lui a élevé un monument.
David se montre à la postérité sous le double rapport d’homme public et d’artiste.
Sous le rapport politique, sa conduite est empreinte d’une exagération affligeante ; cependant, quoique brusque dans son ton et ses manières, David n’était pas un méchant homme : il était suscepd’affections douces et tendres. Nous l’avons vu, dans sa prison, occupé à faire le portrait de sa mère. Il fut bon fils et bon père ; mais, lorsque les idées politiques prennent leur source ailleurs que dans le cœur, elles peuvent conduire au plus funeste égarement. L’histoire de la république romaine avait produit une vive impression sur l’imagination ardente de David ; les sujets qu’il y avait puisés et qui l’avaient le mieux inspiré étaient ceux où régnait l’amour de la patrie porté jusqu’à l’abnégation de soi-même : le vieil Horace recevant de ses fils le serment de mourir pour leur patrie, et remerciant le ciel d’avoir donné le jour à des héros ; Brutus prononçant lui-même la mort de ses enfans qui avaient conspiré contre la liberté de leur pays, en voulant ramener les Tarquins dans Rome, font connaître quelle était la nature des idées qui l’occupaient, et me semblent pouvoir expliquer sa conduite. Il poussa l’amour de la patrie, l’amour de la liberté jusqu’au délire, et, dans son aveuglement, il fut complètement dupe des monstres dont la bouche souillait les mots de liberté et de patrie. Lorsque Pétion attaqua Marat, le 3 avril 1793, dans une séance permanente qui fut extrêmement orageuse, David prenant sa défense, s’écria : « Je vous demande que vous m’assassiniez… Je suis aussi un homme vertueux, la liberté triomphera… » Marat vertueux ! quelle démence !
Nous l’avons vu, après le 10 thermidor, dire à Robespierre : « Si tu bois la ciguë, je la boirai avec toi ». Ainsi la préoccupation de son esprit, le désordre de ses idées, étaient tels, qu’il allait jusqu’à comparer Robespierre à Socrate. Au reste, pour reconnaître jusqu’à quel point il avait été subjugué par les hommes qui versaient le sang humain sur l’autel de la liberté, il suffit de lire le discours qu’il tint le 13 thermidor, lorsqu’André Dumont demanda qu’il fût arrêté.
« On ne peut concevoir jusqu’à quel point ce malheureux Robespierre m’a trompé : c’est par ses sentimens hypocrites qu’il m’a abusé. J’ai quelquefois mérité votre estime par ma franchise ; eh ! bien, citoyens, je vous prie de croire que la mort est préférable à ce que j’éprouve dans ce moment. Dorénavant j’en fais le serment, et j’ai cru le remplir encore dans cette malheureuse circonstance, je ne m’attacherai plus aux hommes, mais seulement aux principes.
Les évènemens exercent une influence nécessairement plus grande sur les hommes doués d’une imagination vive, exaltée : l’histoire est là pour justifier cette assertion. Bonaparte disait que, si Corneille eût vécu de son temps, il l’aurait nommé conseiller d’Etat ; si David fût né sous le règne de Louis XIV, il n’aurait été qu’un grand artiste, comme Corneille n’a été qu’un grand poète.
Il me reste à considérer David comme artiste, et cette tâche sera plus douce pour moi, parce qu'ici je n'ai plus qu'à faire remarquer les qualités qui distinguent son immense talent.
Si l'on fait abstraction de ses premiers essais , dans lesquels il n'avait pas encore un caractère qui lui fût propre, on reconnaît que l'ensemble de ses productions se divise en trois manières distinctes. La première, de laquelle, toutefois, il faut excepter le Socrate , se compose de tous ses tableaux, depuis la Peste de Saint-Roch jusqu'au Brutus . Là brille un dessin vrai, vigoureux ; mais les tons de chair manquent souvent de vérité ; les draperies ne sont pas toujours bien ajustées: on peut dire aussi que ses compositions ressemblent un peu à des bas-reliefs.
Les Sabines forment, à elles seules, une seconde époque; le pinceau n'est plus conduit de la même manière ; le dessin, aussi pur, est peut-être encore plus élevé, sans cesser d'être aussi vrai. Ce tableau manque de couleur; mais on ne voit plus l'emploi de ce vermillon qui dépare ses premiers ouvrages.
La troisième époque comprend depuis le Couronnement jusqu'à Mars et Vénus . Ici les teintes sont plus empâtées ; les figures ont plus de ressort; la couleur brille davantage: mais David a souvent pris pour modèle une nature plus commune.
Dans toutes les productions de l'esprit, on distingue deux choses principales, la pensée et l'exécution. Pour exprimer mon idée en peu de mots, je dirai, [47] ainsi que je l’ai déjà fait pressentir par quelques observations éparses dans le cours de cet Essai, que c’est moins par le mérite de l’invention que par celui du beau uni au vrai, que le génie de David se fait remarquer ; mais, à cette dernière qualité qu’il possédait à un haut degré, il joignit une exécution admirable, sans laquelle il n’y a pas de tableau ; dès-lors, on ne peut s’empêcher de le proclamer l’un des peintres les plus habiles que la France s’honore d’avoir produits. C’est à ses conseils, c’est à ses exemples, que l’on doit cette foule de grands artistes qui se pressent sur ses pas, et ce n’est pas un de ses moindres titres de gloire, d’avoir produit des hommes tels que Drouais, Girodet, Gérard, Gros, Fabre, etc., dont il a souvent suivi les conseils, et employé le pinceau. David a long-temps servi de fanal ; son éloignement nous a été funeste. Puisse la nouvelle école qui semble avoir voulu répudier ses préceptes et ses exemples, reconnaître enfin qu’elle est entrée dans une fausse voie où le talent même, ainsi que le prouve le sort des Boucher et des Vanloo, ne pourrait produire qu’une gloire éphémère.
David, grand par son génie, grand par l’influence qu’il a exercée sur les arts en France, grand par les élèves célèbres sortis de son école, a conquis une immortalité que rien ne pourrait lui ravir.
- 1771. Tullie faisant passer son char sur le corps de son père.
- 1772. Combat de Minerve contre Mars secouru par Vénus.
- 1773. Mort de Sénèque.
- 1774. Les enfans de Niobé percés de flèches par Diane et Apollon.
- 1775. Antiochus et Stratonice.
— Le plafond et les panneaux du salon de mademoiselle Guimard, rue du Montblanc, à Paris.
Les réglemens de l'Académie imposaient aux pensionnaires l'obligation d'envoyer à Paris, tous les ans, une figure peinte; et dans le cours de leur pensionnat, une copie d'après un maître. Pour satisfaire à cette double condition, David fit:
- — Deux figures purement académique.
- — Un Saint Jérôme.
- — Une copie de la Cène du Valentin; figures à mi-corps, grandes comme nature.
- Il fit, en outre:
- 1779. La peste de Saint Roch; figures de grande dimension. Ce tableau fut exposé à Paris en 1781.
- —Les funérailles de Patrocle; grande esquisse. Cette composition est remarquable par la chaleur de la pantomime, la vigueur du ton et l'énergie de la touche.
- —Un philosophe; tête d'étude.
- 1780. Bélisaire aveugle, réduit à mendier dans les rues de Byzance.
Ce tableau fut acheté par l'électeur de Trèves; depuis il est passé dans la galerie de Lucien Bonaparte.
- — Un christ, pour l'église des Capucines à Paris
- — Bélisaire et son jeune guide; tête d'étude.
- — Portrait équestre du comte Potocki; grand comme nature.
- 1783. Andromaque et Astyanax, pleurant près du corps d'Hector.
- Portrait de M. Desmaisons, oncle de David et architecte; c'est à lui que l'on doit la principale façade du palais de justice.
- — de M.Pecoul, son beau-père.
- — de Mme Pecoul, sa belle-mère.
- — de M. Leroy, médecin.
- — de M. le comte de Clermont-d'Amboise.
- — de M. Joubert, receveur-général des états du Languedoc; ébauche.
- 1784. Le serment des Horaces; figures grandes comme nature.
- 1784. Répétition réduite de Bélisaire.
- 1787. Mort de Socrate; figures demi-nature.
- — Répétition réduite des Horaces; figures au-dessous de demi-nature.
[54]1788. Paris et Hélène; figures au-dessus de demi-nature.
- 1789. Brutus rentrant chez lui après avoir condamné ses fils.
Portrait en pied de M. et Mme Lavoisier sur la même toile.
- — de M. Thelusson de Sorcy, officier au régiment des gardes
suisses.
- — de Mme de Sorcy , son épouse.
- — de Mme la marquise d'Orvilliers.
- — de Mme la comtesse de Bréhan; ébauche.
- — de M. et Mme Vassal.
- — de Mme Lecouteux ( brûlé dans un incendie ).
- — de Mme Hocquart (id. )
- — Une Vestale couronnée de fleurs ; demi-figure.
- — Répétition avec quelques changemens de Paris et Hélène.
- — Psyché abandonnée par l’ Amour, figures à mi-corps; ébauche dont quelques parties sont terminées.
- — Le serment au jeu de paume ; dessin au lavis.
- 1793. Portrait de Lepelletier-St.-Fargeau , au moment où il vient d'expirer; figure grande comme nature.
- — de Mlle Lepelletier St.-Fargeau , fille du précédent.
- An II. Portrait de MARAT dans la baignoire où il a reçu la mort;
demi-figure grande comme nature.
- —Barra , frappé à mort, met en tombant la cocarde tricolore sur son cœur ; ébauche.
- —Portrail de Bailly, id.
- —de Grégoire, id.
- —de Prieur de la Marne, id.
- 1799. Combat des Sabins contre les Romains.
- —Le couronnement de l'empereur Napoléon ; figures plus grandes que nature.
- —La distribution des aigles, id.
- —Sapho et Phaon ; figures grandes comme nature. Ce tableau , exécuté pour le prince Yousoupoff, est maintenant en Russie.
- —Romulus : étude d'après le tableau des Sabines. Deux guerriers morts et étendus à terre , un fond indiquant une fortification à demi élevée , font de cette figure une composition nouvelle et toute différente.
- —Portrait de Mme Verninac , fille de Lacroix , ministre des relations extérieures sous le directoire.
- —De Mme Récamier : ébauche peu avancée, à laquelle la beauté du modèle et la manière heureuse dont ce portrait était disposé donnent un grand prix.
- —de M. Blau , ambassadeur de Hollande en France.
- —de M. Meyer , ambassadeur de France en Hollande.
- —de M. Seriziat , beau-frère de David.
- —de Mme Seriziat.
- —de Mme Pastoret ; ébauche.
- —de Mme De Trudaine.
- —Portrait équestre du premier consul gravissant le Saint-Bernard. Il existe cinq répétitions de ce tableau avec quelques changemens ; elles sont répandues dans les différentes capitales de l'Europe.
- —Portrait en pied de Napoléon , dans le costume impérial. Ce tableau a été exécuté pour Jérôme Bonaparte , alors roi de Westphalie.
[56]
- — Le pape Pie VII et le cardinal Caprara dans le même cadre:
Etudes superbes faites pour le tableau du couronnement.
- — Portrait de S. S. Pie VII. Le pape se montra charmé que le chef de l'école fût chargé de faire son portrait, et il l'accueillit toujours avec une grande bienveillance. Ce portrait fut exécuté aux Tuileries dans l'appartement que le pape y occupait.
- — L'empereur Napoléon dans son cabinet. L'empereur est debout auprès de sou bureau ; des bougies, qui touchent à leur fin , indiquent qu'il a passé la nuit à travailler. David a fait quatre répétitions de ce tableau ; l'original est en Angleterre, et appartient au marquis de Douglas.
1814. Les Thermopyles ; figures grandeur de nature.
- Portrait de M. Estève , trésorier de l'empereur. —
- — du comte Français de Nantes. —
- — de M. et Mme Mongez ; sur la même toile. —
- — de M. le comte de Turenne ; buste. —
- — Répétition du précédent ; figure assise. —
- — de Mme David , femme de l'auteur. —
- — du général Meunier , gendre de David- —
- — du général Jeanin, id.
- — de Mme la comtesse Daru.
- — de M. Kervelegand , ancien maire de Mantes; ébauche.
- L’Amour quittant Psyché; figures grandes comme nature. Ce tableau appartient à M. de Sommariva.
- Télémaque et Eucharis; tableau de chevalet, figures à mi-corps. Ce tableau fut exécuté pour M. le comte de Schœnborn , pair de Bavière.
[57]Répétition du précédent, avec quelques changemens.Elle appartient à M. F. Didot fils.
- Répétition du couronnement de l'empereur , même dimension que l'original ; elle a été exposée successivement en Angleterre et aux États-Unis.
- La colère d'Achille ; figures à mi-corps ; sujet emprunté à la tragédie d’Iphigénie en Aulide.
- Répétition du même tableau, avec de grands changemens.
- Une bohémienne disant la bonne aventure à une jeune fille; figures à mi-corps.
- Mars désarmé par Vénus et les Grâces. C'est, sans contredit, l'ouvrage le plus important que David ait exécuté pendant son exil.
- Alexandre , Apelles et Campaspe ; figures de petite proportion ; ce tableau n'est pas entièrement achevé.
- Portrait du baron Alquier , ancien ambassadeur à Rome.
- —de Mme la comtesse Vilain xiv avec sa fille.
- —du lieutenant-général Gérard.
- —du jeune prince de Gayre.
- —du comte Sieyès.
- —de M. Ramel, ancien ministre des finances.
- —de Mme Ramel, née Panckoucke.
- —de deux filles de Joseph Bonaparte.
- —de Mme de Villeneuve , nièce de Joseph Bonaparte.
- —Carton du serment du jeu de paume, où les études nues des principales figures sont au trait et légèrement massées d'une teinte égale ; quatre têtes sont peintes ; ce sont celles de Mirabeau , Barnave, Dubois de Crancé et du père Gérard, [21]
[58]—
— Hector et Andromaque. C’est le moment où Hector se fait armer pour aller combattre Achille. Composition de plus de huit figures ; ce dessin est au lavis rehaussé de blanc.
— Vénus blessée par Diomède vient se plaindre à Jupiter : Composition de cinq figures, dessinée au lavis sur papier de couleur, et rehaussée de blanc.
— Homère récitant ses vers aux Grecs ; dessin à l’encre de la Chine.
— Régulus s’arrachant des bras de sa femme et de ses enfans, pour retourner à Carthage ; dessin indiqué au crayon et en partie tracé à la plume.
— Le vieil Horace défendant son fils devant le peuple : Composition admirable tracée au crayon et terminée dans quelques parties au lavis et à la plume.
— L’exécution des fils de Brutus : dessin au crayon ; le groupe des consuls est seul tracé à la plume.
— Distribution des aigles au Champ-de-Mars. Dans ce dessin, une victoire occupe la partie supérieure de la composition ; cette figure n’a pas été conservée dans le tableau.
— Neuf dessins à l’aquarelle pour les costumes républicains ; ces dessins ont été gravés par M. Denon.
— Trois portraits en pied, mais de petite dimension, exécutés à la plume et au lavis, de Pierre Bayle, Beauvais et Chalier, révolutionnaires célèbres. Ces personnages tiennent, l’un des chaînes, l’autre le couteau de la guillotine, etc. ; ils étaient destinés à entrer dans le décors d’une toile faite exprès pour une pièce où l’on devait célébrer, à l’Opéra, le triomphe de la liberté. Ce projet n’eut pas de suite, mais les dessins de David sont un monument curieux pour l’histoire de l’homme et de l’époque.
- —L’ombre de Septime-Sévère apparaissant à Caracalla après le meurtre de Geta; à la plume et au lavis à l’encre de la Chine.
- —Briscis enlevée à Achille.
- — Entrée de l’Empereur à l’Hôtel-de— Ville ; dessin à la plume et [ 59] au lavis. David avait été chargé d'en faire un tableau, mais ce projet n'a pas été exécuté.
- —Agrippine accompagnée de sa fille, transportant les cendres de son époux à Arles.
- — Orphée essayant, par les accords de sa lyre, d'attendrir Pruserpine et Pluton.
- Deux dessins représentant la mort des Amazones.
- —Athalle et Joas.
- —Ganymède versant le nectar à- l'aigle de Jupiter.
- —Le viol de Lucrèce; dernier ouvrage que la main de David ait tracé.
- — Plusieurs paysages.
N. B. J'aurais pu augmenter cette liste , déjà si nombreuse , en y ajoutant une foule d'autres dessins ou d'esquisses, qui sont la première pensée ou des études préparatoires de divers onvrages exécutés. Sans doute toutes ces productions ont de l'intérêt, et les amateurs se sont empressés , avec raison, d'en enrichir leurs collections ; mais il m'a paru que je devais me borner à faire connaître, d'abord, les ouvrages où le maître a développé complètement sa pensée ; ensuite, ceux qu'il avait commencés et qu'il n'a pas terminés. Quant aux esquisses et aux dessins qui se retrouvent d'une manière plus ou moins différente dans les ouvrages terminés, c'eût été une sorte de super-fétation de les indiquer. Ce détail appartient a l'atelier et doit y rester.
- ↑ Il est maintenant au Lazaret de Marseille.
- ↑ Cette répétition a été gravé par M. Morel.
- ↑ On sait que c’est une tradition apocryphe, rapportée par un écrivain peu estimé du douzième siècle, et qui n’est confirmée par aucun historien contemporain.
- ↑ Pausanias français, page 152.
- ↑ Gravé par M. Morel
- ↑ Il dit, à cette occasion, à David: « Tu ed io, soli, siam pittori; pel rimanente si può gettarlo al fiume », Battoni, en mourrant, laissa sa palette et ses pinceaux à David.
- ↑ Les historiens ne sont point d’accord entre eux sur la question de savoir de quel côté étaient les Horaces.
- ↑ Casimir Delavigne : Adieux à Rome
- ↑ On sait par le dialogue intitulé Phedon, que Platon n’assista pas aux derniers momens de Socrate : il était malade. Cependant, c’est principalement par ce même dialogue que nous connaissons les diverses circonstances qui précédèrent la mort de son maître, et les doctrines qu’il professa, au moment où il allait quitter la vie. Il est vrai qu’il est difficile de reconnaître dans ces doctrines ce qui appartient réellement à Socrate, d’avec ce que Platon y a mêlé de ses propres opinions ; mais enfin on pardonnera d’autant plus facilement au peintre d’avoir supposé que Platon était venu recueillir les dernières paroles de Socrate, que c’est Platon qui nous les a conservées, et que cette supposition lui fournissait les moyens d’introduire une belle figure dans son tableau.
- ↑ Voyez la Notice sur Socrate, par M. Stapfer, insérée dans la Biographie universelle.
- ↑ Gravée à l’aquatinta par M. Jazet.
- ↑ David a laissé un portrait de Marat, d’après nature, fait quelques instans après qu’il eut expiré. Ce portrait, au crayon, est d’une effrayante vérité.
- ↑ Gravé par M. Massard
- ↑ Les historiens ne sont pas d’accord à cet égard; les uns la font femme de Romulus, les autres de Talassius ou d’Hostilius; mais peu importe; le peintre a choisi la version qui lui offrait la circonstance la plus favorable, et il a eu raison.
- ↑ Rapports de l’Institut sur les prix décennaux, p. 12.
- ↑ Non! Bonaparte n’avait pas raison! ses observations sont piquantes, mais elles manquent de justesse. Entre deux portraits d’un homme célèbre, dont l’un aurait été fait d’après nature, et l’autre d’idée, comme le voulait Bonaparte, quel est celui qui inspirerait le plus d’intérêt et de curiosité? Le petit nombre de portraits antiques que nous possédons, et dont l’authenticité ne peut être contestée, sont frappans de cette vérité d’imitation que l’étude de la nature seule, peut donner aux ouvrages d’art; et c’est ce qui nous les rend si précieux. Au reste, il parait que Bonaparte a fini par poser, car M. DENON possédait une fort belle esquisse peinte évidemment d’après nature, par David.
- ↑ On a rapporté, tome xxxii, page 799, de la Revue encyclopédique, une lettre écrite des États-Unis, où l’on annonce que New-York possède le tableau du Sacre par David. L’original de ce tableau est dans les magasins du Musée ; c’est une copie faite à Bruxelles, et dans laquelle il existe plusieurs changemens, qui a été successivement exposée à Londres et à New-York.
- ↑ Gravé par M. Laugier.
- ↑ On sait que cette inscription fut composée par Simonide pour le monument élevé par les Lacédémoniens au lieu même où les trois cents héros s’étaient dévoués au salut de la Grèce.
- ↑ Mars et Vénus : l’exposition, à Paris, attira une grande affluence et produisit à son auteur 45,000 fr.
- ↑ Je possède le dessin au trait qui a servi à faire ce carton.