Essai sur la statistique comparée de l’Europe

La bibliothèque libre.

ESSAI
SUR LA
STATISTIQUE COMPARÉE DE L’EUROPE
À LA FIN DU MOYEN ÂGE
ET À L’ÉPOQUE ACTUELLE.
(INÉDIT.)

Rien n’est plus intéressant pour le philosophe qui cherche à découvrir les causes qui ont amené l’avancement de la civilisation, ou qui ont déterminé la décadence des États, que de comparer leurs forces et leurs richesses aux différentes périodes de leur existence. Cela est surtout instructif, quand leur situation présente nous est parfaitement connue, ainsi que les époques antérieures de leur histoire, qui peuvent nous servir de terme de comparaison. Le tableau qui va suivre donne un aperçu statistique des forces militaires, et surtout du revenu des puissances de l’Europe vers la moitié du xve siècle, dont la comparaison avec l’état actuel présente une foule de rapprochemens curieux. Pour bien établir le parallèle, il faut de toute nécessité commencer par poser nettement les limites de ces états vers la moitié du xve siècle, afin de les comparer avec les portions qui leur correspondent dans les circonscriptions politiques du xixe siècle. Plusieurs de ces états n’ont guère changé de limites, et offrent par conséquent des termes de comparaison parfaitement semblables, quant à l’étendue, à la nature du sol, au climat, aux côtes, ports, etc., etc. Tels sont l’Angleterre, l’Écosse, le Portugal.

Une des choses qui frappe davantage dans ce tableau, c’est l’immense supériorité de la république de Venise, quant à son revenu, comparativement à toutes les puissances de l’Europe. En effet, si l’on considère l’étendue et la population de cette république en 1453, ainsi que celles de la France, de l’Angleterre, de l’Espagne, de la Hongrie, on sera frappé de la richesse de ce petit état ; et si l’on cherche la cause de son grand revenu, on verra sans peine qu’il était le résultat du commerce, de la navigation et de l’industrie manufacturière, encouragées par un gouvernement plus sage et plus éclairé que ne l’étaient à la même époque ceux du reste du monde.

En jetant ensuite un coup-d’œil sur notre Balance politique du globe, on verra également que le plus grand développement de forces et de richesses est aussi le produit des mêmes élémens, et que c’est l’Angleterre (depuis un siècle surtout) qui offre les plus étonnans résultats de l’industrie et du commerce, encouragés par un gouvernement protecteur de toutes les branches de la prospérité publique. En 1500, la marine anglaise était presque nulle, ainsi que sa navigation et son commerce ; et cette nation, malgré sa position merveilleusement calculée pour avoir une grande prépondérance sur mer, était alors très-inférieure, sous ce rapport, au Portugal et à Venise.

Une autre observation non moins importante, c’est que la navigation a été la principale source des richesses, et le moyen le plus rapide d’en acquérir ; mais cette branche de l’industrie humaine n’a chez aucun peuple acquis un grand développement qu’à la faveur de deux circonstances également essentielles et inséparables l’une de l’autre : la première, c’est une position favorable, soit insulaire, soit offrant des ports et des côtes avantageusement placés pour la navigation et pour devenir des entrepôts de commerce ; la deuxième, c’est l’établissement de colonies maritimes.

C’est à ces deux élémens que Venise dut sa grande prospérité et ses immenses richesses, ainsi que le Portugal, et après lui la Hollande et l’Angleterre. Mais il faut remarquer que Venise conserva long-temps sa prospérité, parce que cette république avait des maximes fixes et une forme de gouvernement propre à les maintenir, tandis que l’Espagne, le Portugal surtout, dont la fortune fut bien plus rapide et plus brillante, tombèrent presque aussitôt en décadence, faute d’un gouvernement constitué de manière à s’occuper sans relâche des moyens d’assurer la prospérité nationale. C’est ainsi que la Hollande et l’Angleterre, qui héritèrent des dépouilles du Portugal, ont non-seulement su conserver, mais ont donné à leur système commercial un développement inconnu dans les temps anciens. Le lecteur instruit pourra faire d’autres rapprochemens que le manque d’espace nous force à supprimer, et qui ont déjà été faits dans nos tableaux statistiques de la monarchie française, de l’empire russe et de la monarchie anglaise, que nous avons publiés récemment.

Mais, avant d’offrir le tableau comparatif de l’Europe aux deux époques susmentionnées, il faut que nous indiquions les sources auxquelles nous avons puisé.

Le premier tableau a été rédigé par Marino Sanudo le jeune. Ce noble Vénitien traça en 1485 un aperçu statistique des ressources militaires des principales puissances du monde alors connu, en rapportant ses calculs à l’année 1450, et un semblable aperçu des revenus des principaux états de l’Europe en 1453. Les précieux renseignemens que ce savant avait puisés dans les archives de la république de Venise, collection immense de trésors statistiques rassemblés depuis le xviiie siècle jusqu’à l’époque de sa chute, et les faits qu’il a pu recueillir lui-même, animé comme il l’était de la plus ardente passion pour cette science, doivent inspirer quelque confiance dans ses estimations. Nos relations d’amitié avec feu le comte Carli, fils du célèbre économiste de ce nom, nous ont procuré l’avantage de remplir les lacunes laissées par Marino Sanudo à l’égard de quelques états. Nous ne dissimulerons pas cependant que plusieurs des estimations du statisticien vénitien et du comte Carli nous paraissent erronées. Malgré ces imperfections, et malgré quelques lacunes, ce tableau n’en est pas moins toujours un des plus précieux documens que possède la statistique. Il offre la mesure des forces et des ressources relatives des principaux états de l’Europe, d’après l’idée que s’en faisait alors un des juges les plus compétens. Lorsqu’on pense aux étonnantes contradictions, aux absurdités même qu’on rencontre dans les ouvrages de notre époque, on doit pardonner à Marino Sanudo les erreurs dans lesquelles il peut être tombé. Les travaux qui nous occupent actuellement ne nous laissent pas le loisir nécessaire pour faire les recherches qu’exigerait leur rectification, que nous nous proposons d’entreprendre à l’aide des matériaux contenus dans une foule de documens publiés depuis quelques années, et avec le secours des savans distingués qui nous honorent de leur amitié ou de leur bienveillance. Ce sera une des parties les plus importantes de notre tableau physique, moral et politique des cinq parties du monde, dans lequel nous tâcherons d’offrir un Essai sur la superficie, la population, les revenus et les forces de terre et de mer des principaux états du monde connu à cette époque.

Le second tableau est un extrait de notre Balance politique du globe. Cet ouvrage a été trop favorablement accueilli pour que nous ayons besoin de rien ajouter sur les évaluations qu’il offre.

Nous croyons indispensable de faire observer que le petit nombre de cavaliers assigné par Sanudo à certains états, nombre qui paraît d’abord disproportionné à leurs revenus, vient de ce que ces mêmes états employaient une grande partie de leurs ressources pour entretenir des flottes nombreuses. C’est au moins ce que nous supposons pour justifier quelques-uns de ses calculs qui, au premier aperçu, semblent inexacts.

On a mis une étoile avant tous les états qui ont cessé d’exister, et se trouvent aujourd’hui réunis aux grandes puissances actuelles. On ne l’a cependant pas placée avant la Morée, parce que cette partie de la Grèce est comprise dans le nouvel état que les grandes puissances de l’Europe viennent de constituer. Le vaste empire de Pologne n’est maintenant représenté que par la petite république de Cracovie, et jusqu’à un certain point par le royaume actuel de Pologne : ce dernier, quoique régi d’une manière particulière et jouissant d’une constitution, n’en était pas moins de fait, avant les événemens qui l’agitent actuellement, dépendant de la Russie.

On a ajouté dans des notes séparées les revenus que Marino Sanudo assignait à quelques états dans d’autres époques. Nous prévenons le lecteur que plusieurs de ces évaluations nous paraissent inexactes, d’après quelques renseignemens positifs que nous possédons ; mais il n’est pas facile de les rectifier d’une manière précise.

Le ducat dont il est question dans le tableau de Marino Sanudo et dans l’aperçu statistique de la république de Venise au xve siècle, vaut actuellement environ 12 francs. Tout le monde sait l’immense différence qu’il y a aujourd’hui entre la valeur relative de cette somme et celle qu’elle avait au milieu du xve siècle.

I. TABLEAU STATISTIQUE DES REVENUS ET DES FORCES DES PRINCIPAUX ÉTATS DE l’EUROPE VERS LE MILIEU DU XVe SIÈCLE.


NOMS
des
PRINCES ET DES ÉTATS.
REVENUS
EN DUCATS
en 1453.
ARMÉE DE TERRE
VERS 1450.
NOMBRE
DE CAVALIERS
qu’ils pouvaient
ARMER
dans
L’INTÉRIEUR.
ENVOYER
hors de leurs
FRONTIÈRES.
L’empereur avec tous les princes de l’Allemagne, en y comprenant aussi les villes libres 
2,000,000 60,000 30,000
Le roi de France[1] 
1,000,000 30,000 15,000
* Le duc de Bourgogne[2] 
900,000 3,000 1,500
Le roi d’Espagne[3] 
800,000 30,000 15,000
Le roi de Pologne 
800,000 50,000 25,000
* République de Venise[4] 
800,000 10,000 5,000
* Le roi de Hongrie, avec tous les princes de ce royaume 
600,000 80,000 40,000
* Le duc de Milan[5] 
500,000 10,000 5,000
* Le grand-maître de Prusse 
500,000 30,000 15,000
Le roi d’Angleterre 
500,000 30,000 15,000
* Barcelonne, avec toute la Catalogne 
400,000 12,000 6,000
Le pape 
400,000 6,000 3,000
Les possessions du roi d’Aragon dans le royaume de Naples 
310,000 12,000 6,000


Le roi de Danemarck, Suède et Norwége 
250,000 14,000 7,000
* Le roi Réné 
250,000 6,000 3,000
* Albanie, Croatie, Esclavonie, Servie et Bosnie 
250,000 30,000 15,000
* Le maître de Saint-Jacques 
200,000 4,000 2,000
Tous les princes du royaume de Naples ensemble 
200,000 4,000 2,000
* République de Bologne[6] 
200,000 2,000 1,000
* République de Florence[7] 
200,000 4,000 2,000
Le prince de Morée 
200,000 20,000 10,000
* Le roi d’Écosse 
180,000 10,000 5,000
* République de Sienne 
180,000 2,000 1,000
* République de Gênes 
180,000 4,000 2,000
* Valachie 
180,000 20,000 10,000
Le duc de Savoie 
150,000 8,000 4,000
Le roi de Portugal[8] 
140,000 6,000 3,000
* Le duc de Bretagne[9] 
140,000 8,000 4,000
* Le grand-maître de Rhodes 
140,000 4,000 2,000
* Le marquis de Montferrat 
100,000 2,000 1,000
* Le roi de Chypre 
100,000 2,000 1,000
* Le duc de Naxos, dans l’Archipel 
80,000 2,000 1,000
* Le seigneur de Mételin 
70,000 2,000 1,000
* Le marquis de Ferrare[10] 
70,000 2,000 1,000
* Le marquis de Mantoue[11] 
60,000 2,000 1,000


II. TABLEAU STATISTIQUE DES REVENUS ET DES FORCES DES PRINCIPALES PUISSANCES DE l’EUROPE EN 1826.


NOMS
des états
revenus
en 1826.
forces
de terre
en 1826.
francs. hommes.
Monarchie anglaise 
1,527,730,000 102,283
Monarchie française 
989,000,000 231,560,283 [12]
Empire russe 
400,000,000 1,039,000
Empire d’Autriche 
350,000,000 271,404
Empire ottoman 
250,000,000 278,000
Monarchie prussienne 
215,000,000 162,600
Monarchie néerlandaise 
161,836,000 43,297
Monarchie espagnole 
108,000,000 50,000
Royaume des Deux-Siciles 
84,000,000 30,000
Royaume de Bavière 
79,100,000 35,800
Royaume sarde (états du roi de Sardaigne) 
65,000,000 26,000
Monarchie portugaise) 
54,096,000 26,636
Monarchie norwégienno-suédoise) 
42,000,000 45,200
Monarchie danoise) 
40,000,000 38,819
État de l’église) 
30,000,000 6,000
Royaume de Saxe) 
28,000,000 12,000
Royaume de Hanovre) 
26,000,000 13,054
Royaume de Wurtemberg) 
23,761,000 13,955
Grand-Duché de Bade) 
20,353,000 10,000
Grand-Duché de Toscane) 
17,000,000 4,000

Maintenant, pour mettre nos lecteurs en état de remonter plus facilement aux causes qui produisirent l’étonnante prospérité et la grande puissance de la république de Venise pendant tout le moyen âge, nous allons tracer le tableau de ses ressources, de ses richesses, de sa marine et de son commerce, considéré dans le point culminant de sa splendeur, c’est-à-dire au xve siècle. Nous l’empruntons à l’excellent ouvrage que M. Quadri, secrétaire du gouvernement de Venise, a rédigé avec un talent remarquable, sous le titre modeste de Compendio della Storia Veneta. Il nous a paru nécessaire de le faire précéder d’un court exposé sur les possessions de cette illustre république, leur étendue et leur population approximative en 1453. Nous l’avons rédigé nous-même à l’aide de plusieurs documens que nous avons pu nous procurer.

apercu statistique sur la république de venise au xve siècle.

Le territoire de la république de Venise en 1453 se composait de trois parties distinctes, 1o le Dogado, qui embrassait la ville de Venise et ses dépendances immédiates dans les lagunes, et où se trouvaient Chiozza, Malamocco, Murano, Burano, Grado, etc., etc. ; 2o les états de terre-ferme, qui comprenaient le Frioul et les territoires de Trévise, Padoue, Vicence, Vérone, Brescia, Bergame, Crême et Ravenne ; 3o les états maritimes, qui embrassaient l’Istrie, la Dalmatie, une partie de l’Albanie avec Durazzo, Scutari, Alessio, etc. ; une partie de la Livadie, avec Lépante, etc., partie de la Morée, avec Patras, Argos, Napoli de Romanie, etc., etc. ; partie de la Macédoine, avec Tessalonica ou Saloniki, l’île de Candie, celle de Négrepont et plusieurs autres dans l’Archipel. Tous ces pays pouvaient avoir une superficie de 25,400 milles carrés de 60 au degré équatorial, et environ 3,600,000 habitans.

Avec un si petit territoire, d’ailleurs très-morcelé et très-difficile à défendre, et une population si faible, les Vénitiens n’en étaient pas moins la première puissance maritime et commerçante du globe à cette époque. Leur commerce s’étendait sur toutes les mers alors connues. Sans parler du grand nombre de bâtimens particuliers qui parcouraient l’Adriatique, la république envoyait tous les ans quatre grandes flottes marchandes, escortées par les galere di mercato, qui étaient montées par les équipages de l’état. Ces flottes avaient les destinations suivantes :

La première se rendait dans la mer Noire, et se partageait en trois divisions : l’une parcourait les mers de la Grèce, d’où elle faisait voile pour Constantinople ; la seconde se dirigeait vers Sinope et Trébisonde, sur la côte méridionale de la mer Noire ; et la troisième allait vers le nord, dans la mer d’Azof, à Tana, près de l’embouchure du Don, où arrivaient les caravanes russes et tartares chargées de marchandises qui, après avoir traversé la mer Caspienne, remontaient le Volga, et étaient transportées dans cette ville.

La seconde flotte parcourait les ports de la Syrie, touchait à Alep et Baïrout, et dans son retour, visitait l’île de Chypre, celle de Candie et la Morée.

La troisième se rendait en Égypte, où elle chargeait les marchandises qui venaient de la mer Rouge.

La quatrième enfin, appelée flotte de Flandre, faisait le tour du royaume de Naples et de la Sicile ; ensuite elle longeait la côte d’Afrique, et touchait les ports de Tripoli, Tunis, Alger et des pays voisins ; elle passait le détroit de Gibraltar, parcourait la côte de Maroc, et se dirigeait vers le Portugal, l’Espagne et la France. Elle finissait sa course en abordant à Bruges, Anvers et Londres, d’où elle revenait à Venise, en repassant le détroit, et en longeant les côtes de la France et celles d’autres états sur la Méditerranée.

M. Quadri a consigné dans son ouvrage l’extrait fort intéressant du discours prononcé au sénat de Venise par le doge Mocenigo, à l’occasion d’un projet de guerre contre le duc de Milan. Cet extrait suffira pour donner une idée des richesses et des ressources immenses de cette république à l’époque en question.

Le doge exposait que les registres des banquiers montraient l’introduction annuelle à Venise de 1,612,000 ducats d’or, qui venaient de Milan, Monza, Côme, Alexandrie, Tortone, Novarre, Pavie. Crême, Bergame et Parme.

Ces mêmes villes y envoyaient en outre beaucoup de produits de leurs fabriques, entre autres 90,000 pièces de draps de toute espèce, ce qui montait, en y comptant les futaines, à 900,000 ducats ; elles envoyaient aussi des toiles pour la valeur de 100,000 ducats. Les droits seuls payés par ces marchandises rendaient 200,000 ducats par an au trésor de la république.

Venise vendait annuellement aux villes de la Lombardie :


Coton, pour la valeur de 
250,000 ducats
Fil 
30,000
Laines d’Espagne et de France 
240,000
Draps tissus d’or et de soie 
250,000
Poivre, cannelle, sucre, et autres épices 
540,000
Savon 
250,000
Couleurs 
170,000
Esclaves 
30,000
Articles plus petits pour coudre et broder 
30,000
1,790,000 ducats.


Dans cette somme ne sont pas compris divers autres articles moins considérables.

Le même doge Mocenigo raconte que les Vénitiens gagnaient, dans leur commerce avec la Lombardie, 600,000 ducats, sans aucune mise de fonds, et cela seulement par le moyen du courtage, du nolis de barques, du poids des marchandises, etc., etc.

Venise tirait annuellement de Florence 16,000 pièces de draps, et ses banquiers recevaient, toutes les semaines, de cette place, 7,000 ducats en argent comptant.

La seule capitale de la république mettait tous les ans en circulation dix millions de ducats, sur lesquels elle en gagnait deux par le transport des marchandises, et deux autres par divers moyens, ce qui faisait quatre millions par an de bénéfice, et pour un siècle 400 millions. D’après ces résultats, et en calculant même que la moitié environ des profits fût dépensée pour l’entretien des vaisseaux et des équipages, il restait encore le gain considérable de 200 millions.

Par le recensement de cette époque, on voit que la population de Venise montait à cent quatre-vingt-dix mille habitans, parmi lesquels il y avait, selon le doge Mocenigo, mille nobles qui jouissaient d’une rente annuelle de 600 à 4,000 ducats. Le cadastre porte le revenu annuel des maisons de cette ville à 500,000, et estime leur valeur à 7,000,000 de ducats.

L’hôtel des monnaies de Venise frappait tous les ans 1,000,000 de ducats d’or ou sequins, 200,000 monnaies d’argent et 800,000 sous. On envoyait en Syrie et en Égypte 500,000 ducats, 100,000 en Terre-Ferme, 100,000 dans les colonies maritimes, et 100,000 en Angleterre. L’exportation du numéraire montait donc à 800,000 ducats ; le reste enrichissait Venise.

En effet, pendant le règne de Mocenigo, c’est-à-dire dans l’espace de dix ans, on amortit 4,000,000 (ducats) de dette publique, on satisfit ponctuellement aux dépenses courantes, et on travailla avec la plus grande activité dans l’arsenal à préparer les matériaux qui servirent ensuite à repousser, pendant quelques siècles, les attaques terribles des Ottomans.

Cette grande quantité d’argent, si remarquable à cette époque, lorsque l’Amérique n’avait pas encore ouvert ses trésors à l’Europe, était apportée à Venise par ses vaisseaux marchands.

Le doge Mocenigo en donne l’état suivant qui se rapporte à l’année 1421. On comptait alors 3,000 bâtimens de la portée de 10 à 200 tonneaux, montés par 17,000 matelots, 300 gros navires avec 8,000 matelots, et 45 grosses galères, en tout 3,345 bâtimens de commerce qui occupaient 36,000 hommes pour leur service, outre 16,000 ouvriers employés à la construction, à la réparation, etc.

L’histoire de cette république nous montre qu’elle mettait en campagne des armées de 30,000 et 40,000 soldats, qui allaient de pair avec ceux de l’Empire, de l’Espagne et de la France. Les princes, les ducs et les seigneurs accouraient pour les commander, invités par les gros appointemens que la république leur assignait. Il est souvent question de 100, 200 et jusqu’à 480 vaisseaux sortis de ses ports. Enfin, pour avoir une idée approximative de ce que coûtait une flotte à cette époque, nous allons terminer par le tableau des dépenses ordinaires pour une flotte de dix galères. Ce tableau, qui fut tracé par Marino Sanudo le vieux, appelé Torsello, dans son grand projet pour la conquête de la Terre-Sainte, et présenté au pape vers 1300, contient les évaluations suivantes :


florins.
Valeur de dix galères de grandeur moyenne, capables de porter 250 hommes chaque, avec agrès et armes 
15,000
Solde à 2,500 hommes qui devaient monter ces galères pendant neuf mois (c’était la durée d’une campagne à cette époque) 
70,000
Ainsi, pour une escadre de dix galères seulement 
85,000 fl.


D’après cette proportion, la dépense pour une flotte de 100 galères aurait monté dans une seule campagne à 850,000 florins ou sequins, puisque au temps de Torsello le florin correspondait à peu près au ducat, qui était le sequin. On peut juger par là quelles devaient être les richesses immenses d’une république qui pouvait lancer à la fois sur les mers plusieurs flottes de 100 vaisseaux.

Adr. Balbi.
  1. Revenus à d’autres époques antérieures, selon Marino Sanudo : 
     Ducats. 

    a

    Le roi de France en 1414 
     2,000,000
  2. Le duc de Bourgogne en 1400 
     3,000,000
  3. Le roi d’Espagne en 1410 
     3,000,000
  4. La république de Venise en 1423 
     1,100,000
  5. Le duc de Milan en 1425 
     1,000,000
  6. La république de Bologne en 1423 
     400,000
  7. La république de Florence en 1423 
     400,000
  8. Le roi de Portugal en 1410 
     200,000
  9. Le duc de Bretagne en 1414 
     200,000
  10. Le marquis de Ferrare en 1423 
     150,000
  11. Le marquis de Mantoue en 1423 
     150,000
  12. Il est inutile sans doute de faire observer qu’il n’est question ici que de l’armée de ligne. En ce moment, la France compte dix-sept cent mille hommes armés de gardes nationales ; elle aura avant le printemps cinq cent mille hommes de troupes de ligne.

    (P. M., directeur)