Essais d’union de diverses variantes de bylines mises en vers réguliers

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ESSAIS D’UNION


De diverses variantes de bylines mises en vers réguliers




Les bylines sont les chansons épiques de la Russie. Toutes, et les plus anciennes remontent au onzième siècle, se sont conservées par la tradition verbale ; leur étude et leur publication n’ont guère commencé que vers 1850. Parmi les bylines, les unes se rapportent aux traditions les plus anciennes des paysans slaves, et leurs personnages sont plus près de la mythologie que de l’histoire : les autres gravitent autour des deux centres anciens de la vie russe, Kiev et Novgorod. Les personnages du cycle kiévien sont groupés autour du héros Vladimir : le thème principal de ces bylines est la lutte contre l’ennemi extérieur. Dans le cycle de Novgorod, les héros sont presque uniquement de braves et valeureux bourgeois ne connaissant guère que les querelles intestines. Chaque byline comporte un grand nombre de variantes. L. Tolstoï a choisi quelques variantes d’une byline et les a fondues en une seule qu’il a écrite en vers réguliers. Nous donnons la traduction des quatre bylines ainsi remaniées par L. Tolstoï. (N. du T.)

(Pour l’étude des bylines, voir A. Rambaud, La Russie épique.)


Le Géant Sviatogor[1].

Sviatogor est parti dans les champs et Sviatogor n’a rencontré personne avec qui mesurer sa force extraordinaire. Et il sent en lui une force puissante, il la sent qui coule dans ses veines, elle lui pèse comme un fardeau, et Sviatogor, la Lumière, orgueilleux, prononce les paroles suivantes :

— Si je trouvais un appui, par ma force toute-puissante je soulèverais la terre !

Dès qu’il eut prononcé ces paroles, Sviatogor aperçut un passant. Au loin, dans la steppe, le passant portait un sac, et Sviatogor se dirigea vers lui. Il se mit au trot, le passant était toujours devant lui ; il prit le galop, il ne put rattraper le passant. Alors Sviatogor s’écria à haute voix :

— Ohé, passant ! Attends un peu ! Je ne puis te rejoindre avec mon bon coursier.

De loin, le passant entendit Sviatogor ; il s’arrêta et laissa tomber son sac de ses épaules. Sviatogor s’approcha de ce sac, il voulut le soulever du bout de sa cravache, mais le sac ne remua pas ; il semblait enraciné. Sviatogor le prit du bout de son doigt : le sac ne bougea pas. Sviatogor se pencha sur son cheval et le prit avec la main ; le sac ne bougea pas, il paraissait enraciné. Il sauta à bas de son cheval, et de ses deux mains, avec un grand effort, il essaya de soulever le sac. Une sueur de sang ruissela de son front et il ne souleva le sac qu’à la distance d’un cheveu, et lui-même s’enfonça dans le sol jusqu’aux genoux. Alors Sviatogor dit de sa voix haute :

— Passant, dis-moi la vérité vraie, dis-moi ce que contient le sac !

Le passant répondit à ces paroles :

— Ce petit sac contient l’équivalent du poids de la terre notre mère.

Alors Sviatogor s’adressa au passant :

— Et toi-même, qui es-tu ? Comment te nommes-tu ?

À ces paroles le passant répondit :

— Je suis Mikoula, le paysan, Selianenovitch, je suis Mikoula, et notre mère la Terre m’aime.


Soukhman[2].

Chez le bon prince Vladimir on festoyait : on festoyait en l’honneur des boïards, des princes et des nobles chevaliers. Et, pendant le festin, tous se vantaient. L’un vantait ses trésors, l’autre son bon coursier ; le fort vantait sa force, le sot vantait sa jeune épouse ; le sage, enfin, vantait sa vieille mère. Seul le chevalier Soukhman Odikhmantiévitch est assis à la table, absorbé dans ses pensées, et ne se vante de rien. Vladimir, le Prince, le Beau-Soleil, se promène dans la grande salle, secouant sa blonde chevelure, et tient à Soukhman ce discours ;

— Pourquoi, Soukhman, restes-tu rêveur ? Pourquoi ne manges-tu pas, ne bois-tu pas ? Pourquoi ne goûtes-tu pas au cygne blanc et ne te vantes-tu de rien à ce festin ?

Et Soukhman prononça les paroles suivantes :

— Puisque tu l’ordonnes, je vais me vanter ! Je vais t’amener un cygne blanc, non pas blessé, ni ensanglanté, mais vivant, entre mes mains.

Et Soukhman se dressa sur ses jambes agiles et harnacha son beau coursier, et Soukhman s’en alla vers la mer bleue, vers la baie calme. Et Soukhman arriva vers la première baie et n’y trouva pas le cygne blanc. Il s’en alla vers une autre baie et n’y trouva ni oie, ni cygne ; et de même, dans la troisième baie, il ne trouva ni oie grise, ni cygne blanc. Alors Soukhman demeura songeur :

— « Comment retournerai-je à la belle ville de Kiev ? Que dirai-je au prince Vladimir ? »

Il s’en alla vers le fleuve Dniéper. Là, il regarda et vit que le Dniéper n’était plus comme autrefois : tout son aspect avait changé ; son eau était chargée de sable. Alors Soukhman demanda au fleuve Dniéper :

— « Fleuve, pourquoi es-tu ainsi ? Ton aspect n’est plus celui de jadis, ton eau est souillée de sable ! »

Et le fleuve Dniéper lui répondit :

— « Mon aspect n’est plus celui d’autrefois parce que derrière moi, fleuve Dniéper, arrivent quarante mille méchants Tatars qui construisent des ponts du matin au soir, et ce qu’ils font le jour, je l’emporte la nuit. Mais je n’en puis plus ! »

Alors Soukhman prononça les paroles suivantes :

— « Où serait mon honneur de chevalier si je ne mesurais pas mon courage avec la force tatare ! »

Et il lança son bon coursier : il traversa le fleuve Dniéper sans mouiller les sabots de son cheval. Soukhman courut près d’un vieux chêne, d’un vieux chêne tout rabougri. Il arracha l’arbre et ses racines. Un suc blanc coula du chêne. Il prit le chêne comme un gourdin, et lança son cheval contre les Tatars. Soukhman tournait, retournait, levant et abaissant son gourdin. Quand il frappait en avant, il perçait toute une rue et, en arrière, il faisait une ruelle, et Odikhmantiévitch écrasa ainsi tous les Tatars. Seuls, trois jeunes Tatars s’enfuirent dans les arbustes, sous les ormes. Ils se cachèrent au bord du Dniéper. Soukhman s’approcha du fleuve, et de leur cachette, les trois Tatars lui lancèrent trois flèches qui frappèrent ses flancs et trouèrent sa peau blanche. Soukhman-la-Lumière retira les flèches de ses côtes, et ferma ses plaies ensanglantées avec des feuilles de coquelicots, et, avec son couteau, il égorgea les trois jeunes Tatars. Soukhman revint chez le prince Vladimir. Il attacha son cheval à un piquet et lui-même pénétra dans la salle du festin. Vladimir-le-Prince-le-Beau-Soleil se promène à travers la salle. Il demande au chevalier Soukhman :

— « Eh bien ! Soukhman, m’apportes-tu un cygne blanc non ensanglanté ? »

Et Soukhman dit les paroles suivantes :

— « Oh ! Vladimir-le-Prince, au bord du Dniéper je n’avais pas à penser aux cygnes. Au delà du fleuve Dniéper, j’ai rencontré une armée de quarante mille méchants Tatars qui marchaient sur la ville de Kiev. Ils construisaient des ponts du matin au soir que le fleuve Dniéper emportait la nuit. Mais il était à bout de forces. Alors, je lançai mon coursier contre les Tatars et je les battis tous, jusqu’au dernier ! »

Vladimir-le-Prince-le-Beau-Soleil n’eut pas foi en ces paroles. Il ordonna à ses fidèles serviteurs de prendre Soukhman par ses bras blancs et de l’enfermer dans de profonds caveaux, et il envoya vers le Dniéper Dobrinouchka pour s’assurer des récits de Soukhman.

Dobrinouchka se dressa sur ses jambes agiles, il harnacha son rapide coursier et courut dans les champs jusqu’au fleuve.

Là, il vit, gisant à terre, une armée de quarante mille guerriers exterminés, et, auprès d’eux, le chêne avec ses racines, l’arbre fendu en lames. Dobrinouchka souleva le chêne, l’apporta au prince Vladimir et lui parla en ces termes :

— « Odikhmantiévitch se vante de la vérité. Derrière le fleuve Dniéper j’ai vu gisant quarante mille méchants Tatars, et le gourdin d’Odikhmantiévitch s’est fendu à ce terrible massacre. »

Alors Vladimir-le-Prince ordonna à ses serviteurs d’aller dans les caveaux profonds et d’en faire sortir au plus vite Soukhman, et de l’amener devant ses yeux clairs. Et Vladimir dit :

— « Pour de si grands services, je comblerai de bienfaits ce brave chevalier. Je lui donnerai pour toujours des villes avec leurs faubourgs, des bourgs avec leurs villages, des trésors sans nombre ! »

Les fidèles serviteurs vont, dans les caveaux profonds, chercher Soukhman et lui disent :

— « Sors du caveau, Soukhman, Vladimir-le-Prince te gracie. Pour tes glorieux exploits, notre Soleil te veut accorder des villes avec leurs faubourgs, des bourgs avec leurs villages, et des trésors sans nombre. »

Soukhman sortit dans les champs et prononça les paroles suivantes :

— « Oh ! Vladimir-le-Prince-le-Beau-Soleil, tu devais à temps me témoigner ta reconnaissance, tu devais à temps me récompenser, car maintenant tu ne me verras plus, tu ne regarderas plus mes yeux limpides ! »

Et Soukhman retira de ses plaies les feuilles de coquelicots et Soukhman-la-Lumière dit :

— « Coule, rivière Soukhman, coule mon sang bouillant ! mon sang versé pour des ingrats ! Ah ! rivière Soukhman, sois sœur du fleuve Dniéper ! »


Le Géant Volga[3].

Ce ne sont pas les petites et multiples étoiles qui se sont répandues sur le ciel. Ce n’est pas la lune argentée qui a brillé dans le ciel haut, c’est le beau soleil qui a éclairé notre terre, la sainte Russie. À notre mère, la sainte Russie, est né un brave, un héros, Volga-Lumière-Bouslaiévitch.

À sa naissance, la terre humide a tremblé, la mer bleue s’est agitée, les poissons se sont enfoncés dans les abîmes marins, les bêtes sauvages se sont cachées dans les forêts. Le royaume turc a tremblé.

Quand Volga eut sept ans, il voulut acquérir beaucoup de sciences et partit trouver les sages afin d’étudier, et il apprit à comprendre tous les artifices de la magie divine. Il apprit la première magie : se transformer en oiseau ; il apprit la deuxième magie : se transformer en poisson ; il apprit la troisième magie : se transformer en loup gris.

Quand Volga eut quinze ans, il rassembla une bande de gens d’armes, tous égaux à lui, de braves compagnons, trente frères moins un, lui-même était le trentième ; et Volga et ses compagnons s’arrêtèrent sur la montagne près de Kiev. Et Volga-Bouslaiévitch dit :

— « Vous, mes courageux compagnons, trente frères moins un, moi, Volga, le trentième, écoutez votre frère aîné, faites ce qu’on vous ordonne : tendez des filets de soie et plongez-les dans la mer bleue. »

La bande écouta Volga, noua des filets de soie, et les plongea dans la mer bleue. Volga se changea en poisson-brochet. Il descendit jusqu’au fond des eaux, effraya tous les poissons et les chassa dans les filets.

Volga et ses compagnons s’arrêtèrent sur la montagne près de Kiev et Volga-Bouslaiévitch parla :

— « Mes courageux compagnons, trente frères moins un, moi, Volga, le trentième, écoutez votre frère aîné, et faites ce qu’il vous ordonnera : Nouez des filets de soie et tendez-les dans la forêt sombre, sur les pentes où passent les bêtes sauvages. »

La bande obéit à Volga ; elle noua des filets de soie, les tendit dans la forêt ; ensuite Volga se transforma en loup au pelage gris et se mit à courir à travers les bois sombres, les forêts touffues, et il effraya les bêtes fauves et les chassa dans les filets.

Et Volga et ses compagnons s’arrêtèrent sur la montagne près de Kiev et Volga-Bouslaiévitch dit :

— « Nous avons pris tous les poissons dans les profondeurs de la mer bleue ; nous avons attrapé toutes les martres des forêts sombres et touffues, le héros sera celui qui ira dans le royaume turc, chez le tzar Saltan Bekétovitch pour apprendre ce qu’il médite. »

Là, les compagnons se dérobèrent, ni les grands, ni les moyens n’y voulurent aller et les cadets, restèrent muets. Alors Volga-Bouslaiévitch dit :

— « C’est donc Volga qui partira lui-même. »

Volga se transforma en oiseau. Il s’éleva dans les nues et il arriva au royaume turc et se posa sur la fenêtre. Le tzar Saltan Bekétovitch est assis avec la tzarine Davidovna. Ils causent entre eux et Saltan Bekétovitch dit :

— « Mon épouse bien-aimée, ma jeune Davidovna, je veux envahir la sainte Russie. Je veux prendre la belle ville de Kiev ; je veux doter chacun de mes neuf fils d’une ville russe et je veux t’apporter un riche manteau de zibeline ! »

Et Davidovna lui dit :

— « Oh ! toi ! Saltan Bekétovitch, c’est en vain que tu veux conquérir la terre russe. Ne sais-tu pas qu’en Russie les choses ne sont plus comme autrefois. Le beau soleil a éclairé la belle terre sainte de Russie, un brave héros est né : Volga-Bouslaiévitch ! Il est posé maintenant sur la fenêtre, Volga-Bouslaiévitch, et il écoute nos paroles secrètes. Tu ne conquerras pas la belle ville de Kiev, tu ne doteras pas tes neuf fils avec des villes russes, mais tu perdras ta tête à cause de ce Volga-Bouslaiévitch. »

Saltan ne croit pas à ces paroles. Il se fâche contre la tzarine, il frappe son visage blanc, et chasse de sa vue Davidovna. Alors Volga-Bouslaiévitch se transforme en hermine. Il court dans les caves profondes, ronge les cordes des arcs, arrache aux flèches leurs pointes d’acier et les enfonce dans la terre ; et il se transforme de nouveau en oiseau et retourne à la ville de Kiev, rassemble ses compagnons et s’approche du royaume turc.

Le royaume turc est bien barré par une haute muraille de pierre. Dans la muraille, il y a de grandes portes dorées, sur le côté, des verrous de cuivre, le bas est protégé par des dents de poissons. Une fourmi seule pourrait passer dans les interstices. Les compagnons sont devenus tristes :

— « Comment pourrons-nous franchir la muraille de pierre ? Nous y risquerons en vain nos têtes. »

Alors Volga-Bouslaiévitch se transforma en fourmi et transforma en fourmis tous ses compagnons. Et lui et ses compagnons passèrent dans les intervalles des dents de poissons. Et quand Volga-Bouslaiévitch eut pénétré dans la ville, ils reprirent leur aspect de héros armés. Et Volga-Bouslaiévitch dit :

— « Ecoutez votre frère aîné, faites ce qu’il vous ordonne : Dans le beau royaume turc, tuez les vieux et les jeunes, exterminez tous jusqu’au dernier, épargnez seulement trente des plus belles filles. »

Les compagnons écoutèrent Volga. Dans le beau royaume turc, ils tuèrent les vieux et les jeunes, ils exterminèrent tous jusqu’au dernier, sans en laisser pour la graine. Ils n’épargnèrent que les trente plus belles filles.

Volga lui-même alla chercher le tzar dans son palais de pierre. Les portes de fer sont fermées, et les portes ont des verrous très solides. Et Volga-Bouslaiévitch dit :

— « Je briserai ma jambe, mais j’enfoncerai la porte ! »

Il poussa de la jambe la porte de fer, il cassa le solide verrou, il prit le tzar turc par sa main blanche, et Volga-Bouslaiévitch dit :

— « Est-ce qu’on ne vous tue pas, vous, les rois ? Est-ce qu’on ne vous supplicie pas ? »

Et il renversa le tzar sur les dalles, et il réduisit Saltan en bouillie. Et il récompensa également chacun de ses compagnons : mille chevaux à chacun, un tonneau d’or rouge et une fille.


Mikoulouchka Sélianinovitch[4].

Volga-la-Lumière avec ses compagnons est parti par les villes et les bourgs pour recueillir le tribut des paysans. Il est parti dans les champs, et dans un champ il entend un laboureur. On entend que c’est un paysan qui laboure et sifflote ; on entend au loin le bruit d’une charrue, on entend sonner contre la pierre le soc d’acier, et nulle part dans le champ on ne voit le laboureur.

Volga part à la recherche de ce laboureur, mais il marche toute une journée, du matin au soir, sans l’apercevoir, et toujours il entend le paysan qui laboure et sifflote ; on entend au loin le bruit d’une charrue ; on entend sonner contre la pierre le soc d’acier, et nulle part dans le champ on ne voit le laboureur.

Seulement, au matin de la troisième journée, Volga rencontre dans le champ le laboureur. Le paysan laboure le champ et stimule son cheval, trace des sillons profonds, extirpe les souches, arrache les pierres. Le paysan part d’un bout et l’on ne voit pas l’autre, et sa charrue de laboureur est d’érable, et un cheval bleu est attelé à la charrue. Volga salue le laboureur et lui dit :

— Ohé ! paysan laboureur ! que Dieu t’aide à cultiver et à faire œuvre de laboureur, à tracer des sillons et à arracher les pierres et les racines !

Le paysan répondit à ces paroles :

— Merci, Volga, je te remercie. L’aide de Dieu m’est nécessaire, l’aide de Dieu pour labourer et faire œuvre de laboureur. Et toi-même, avec tes compagnons, vas-tu loin ? Est-ce que Dieu t’envoie au loin, ou te traces-tu toi-même ton chemin ?

Et Volga répond à ces paroles :

— Paysan, moi avec mes compagnons, je vais dans les villes et les bourgs pour le tribut. Joins-toi à mes compagnons !

Le paysan enfonça sa charrue dans la terre, il détela son cheval, il monta sur le cheval et partit avec Volga et ses compagnons. Et le paysan dit à Volga :

— Ah ! ce n’est pas bien, Volga, j’ai laissé, sans la ranger, ma charrue dans la terre ; il faut l’arracher du sol, débarrasser les dents de la terre, et jeter le soc dans le buisson.

Volga envoie dix hommes et leur ordonne de retirer le soc du sillon et de le jeter dans le buisson. Les gaillards s’approchent de la charrue ; ils descendent de leurs beaux chevaux et saisissent la charrue d’érable. Mais ils ne peuvent l’arracher du sol. Ils tournent autour et ne peuvent l’arracher de la terre, ils ne peuvent débarrasser de la terre les dents de la charrue, ils ne peuvent pas jeter le soc derrière le buisson.

Volga envoie toute sa bande. Il ordonne d’arracher la charrue du sol, de débarrasser de la terre les dents de la charrue, et de jeter le soc dans le buisson.

Tous les compagnons saisissent la charrue d’érable, mais ils ne peuvent l’arracher de la terre. Alors le paysan, le laboureur s’avance, il descend de son cheval ; il s’approche de sa charrue d’érable, il prend la charrue d’une seule main et l’arrache du sol ; avec la pelle il détache la terre et jette le soc dans un buisson de cytise. Ils sont remontés sur leurs beaux coursiers et s’en sont allés. Ils arrivent sur la route : la jument du paysan marche au pas et le cheval de Volga trotte ; le cheval du paysan va au trot et le cheval de Volga reste en arrière. Le paysan marche sans broncher. Volga galope à toute vitesse, et Volga dit au paysan en lui agitant son bonnet :

— Attends ! paysan-laboureur, on ne peut pas te suivre.

Le paysan se retourne vers Volga et ralentit le pas de sa jument et ils marchent au pas sur la route et Volga prononce les paroles suivantes :

— Paysan, tu as une bonne monture. Si ta jument était un étalon, elle vaudrait cinq cents roubles !

Et le paysan lui répondit les paroles suivantes :

— Tu es sot, Volga, et tu dis des sottises. J’ai donné pour le poulain cinq cents roubles, et si c’était un étalon il n’aurait pas de prix.

Et Volga prononça les paroles suivantes :

— Paysan, quel est ton prénom, et comment t’appelle-t-on par le nom de ton père ?

Et le paysan répondit :

— J’ai labouré le seigle et le mettrai en meules, Je l’emporterai chez moi pour le faire moudre, et je brasserai la bière et j’inviterai des hôtes, et les paysans boiront à ma santé et crieront : « Ohé ! Mikoula-la-Lumière ! toi, Mikoulouchka, Mikoulouchka Sélianinovitch ! »

  1. Le géant Sviatogor appartient à ce cycle des héros primitifs, c’est l’un des Titans de la mythologie slave ; orgueilleux de sa force, Dieu veut l’en punir.
  2. Soukhman est aussi un des héros primitifs. Son nom signifiant le sec, le desséchant, on s’est demandé s’il n’était pas une personnification du soleil d’été ; d’autre part on pourrait le croire un fleuve, si l’on en juge par la dernière phrase de sa byline. (N. du T.)
  3. Le géant Volga (Volga-Bogatyr) est le premier des héros du cycle primitif. D’abord, sorte de Protée russe, il se revêt peu à peu des attributs princiers, et les bylines qui portent son nom offrent un tableau exact de la vie princière de cette époque. Le Volga des bylines ne serait autre que le prince Oleg, dont le grand exploit fut son expédition contre Constantinople. (N. du T.)
  4. Mikoulouchka Sélianinovitch, le second des héros du cycle primitif, est un paysan, sorte d’Hercule rustique. Mis en présence du représentant de la caste princière, Volga, c’est le paysan qui l’emportera. (N. du T.)