Essais de psychologie sportive/Chapitre XXX

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Payot & Cie (p. 242-250).

Remèdes sportifs

pour les neurasthéniques

Février 1912.

Les neurasthéniques accidentels sont en général des gens dont un réservoir essentiel s’est vidé sans qu’il soit possible de le remplir à nouveau autrement que goutte à goutte. C’est pourquoi leur seul véritable médecin est le Temps avec ses habituelles infirmières : Patience et Résignation. Il y a pourtant des « aides », des « trucs », dirions-nous même, auxquels ceux qui les soignent auront recours utilement, et de ce nombre ne sont pas la plupart des petites pastilles et des petites pilules dont une chimie avisée inonde les dépôts pharmaceutiques. Ces ingrédients ont pour objet de « nourrir les nerfs », ce qui est une prétention sans fondement. Ce n’est pas de cette façon directe que les nerfs se nourrissent ; leur cuisine est faite de la simple régularité d’une alimentation normale et de repos, un repos assez complet et doublé de somnolence, si possible, mais rarement total. Le psychisme, par contre, joue dans l’affaire un rôle dont, sans en exagérer l’importance comme le font certains, il est nécessaire de tenir grand compte. Et c’est ici que le sport devrait intervenir non pas dans tous les cas, certes, mais dans bien des cas, surtout lorsqu’il s’agit d’un homme fait, organiquement sain.

Un phénomène accompagne fréquemment ce genre de neurasthénie ; nous le désignerons sous la dénomination de « perte ou affaiblissement du sentiment viril ». L’homme actif, bien portant la veille ou se croyant tel et que fauche soudain le mal sournois issu de la trépidation moderne — le mal américain, comme pourrait l’appeler la rancune européenne, — cet homme se sent en peu de temps devenir une sorte de loque humaine impuissante et humiliée. Il n’est plus le maître chez lui ; sa lucidité demeurée complète le fait assister à sa propre déchéance de la façon la plus cruelle et, à moins qu’il ne possède sur son propre cas des lumières provenant de l’expérience ou d’études scientifiques antérieures, on ne parvient pas à lui faire croire qu’en quelques mois, une année au plus, il aura recouvré la plénitude de ses moyens, si d’ailleurs il accepte d’accomplir comme il faut son temps de geôle et de subir — en y aidant lui-même — le régime qui lui est imposé.

Tout ce qui est sportif est plus ou moins productif de ce « sentiment viril », fait d’énergie corporelle et de confiance en soi ; seulement voilà : le sport est fatigant. Pour le neurasthénique il le sera même doublement. À la fatigue musculaire se superposera en effet chez lui une dépense de force nerveuse exagérée. Or, comment dépenser ce que l’on n’a pas, ce qu’on est en train de réamasser, lentement et péniblement ? Ce serait absurde de le tenter. Par là s’explique la répugnance que la plupart des médecins professent à l’endroit des mouvements sportifs dans le traitement de la neurasthénie. Cette crainte provient, nous nous permettrons de le dire, de leur ignorance en la matière. Non, tous les mouvements sportifs ne correspondent pas à une dépense déraisonnable, et c’est pourquoi il en est qu’on peut vraiment recommander en pareil cas.

Ce ne sont pas les plus anodins, mais ce seront avant tout ceux qui exigent le moins d’initiative et comportent le moins d’imprévu. Anodins, en effet, ils ne servent pas à grand’chose psychiquement. Tel mouvement de gymnastique suédoise qui est au sport ce qu’une gamme est au piano, n’éveillera que bien imparfaitement chez celui qui l’exécute l’idée de la puissance musculaire. L’imagination doit intervenir bien plus fortement si l’on désire un résultat. C’est pourquoi nous préconiserons avant tout l’équitation. Rien de plus virilisant pour l’homme que le contact du cheval. Tout un atavisme guerrier renforce à cet égard la mentalité du cavalier. Mais l’équitation se présente justement comme un exercice où l’initiative et l’imprévu ont une grande part. Alors ?… Voici l’explication de notre idée.

Premièrement, la station à cheval (pour tout autre que le novice dont une crispation instinctive parcourt les membres) ne comporte aucune fatigue. Il ne manque en vérité au cavalier qu’un dossier pour être assis beaucoup plus confortablement que dans le meilleur fauteuil. Si ses étriers sont bien au point, le poids de son corps se trouve admirablement réparti. Cet équilibre ne sera nullement troublé par le pas de l’animal ; à peine commencera-t-il à l’être par le trot léger, mais ceci à une condition, c’est que ces allures se prolongent dans une régularité absolue et que la préoccupation de la conduite du cheval soit absente. Ces circonstances ne sont pas difficiles à réaliser. Faites avancer sur une route neuf cavaliers sur trois rangs de trois et numérotez-les pour plus de commodité. Les numéros 4, 6, 7 et 9 seront à peu près exempts de la dite préoccupation et les numéros 5 et 8, complètement encadrés devant et de côté, le seront de façon totale. Les soldats de cavalerie qui font au pas une étape en colonne, ne sont fatigués parfois que par la longueur de l’étape et aussi par le poids qu’ils portent eux-mêmes. Mais, au début, ce leur est un grand repos de se laisser aller, et beaucoup en profitent. Ainsi la promenade à cheval collective, avec des chevaux bien mis et tranquilles et un itinéraire sans surprises ni encombrements, se présente comme un remède très puissant psychiquement et très doux physiquement. Le travail dans le manège, remarquons-le en passant, n’a pas du tout la même valeur, car il faut la progression en ligne droite pour « endormir » le cavalier ; la progression circulaire n’y parvient pas et tend à l’agacer inconsciemment.

Deux autres sports recommandables, mais applicables seulement à des neurasthéniques vigoureux de constitution et préalablement préparés, bien entendu, sont la boxe et l’aviron. La boxe (anglaise ou française) provoque et satisfait en même temps le sens de l’agression si utile à quiconque se prend à douter de sa propre force et à en déplorer la disparition. Contrairement à ce que l’on pense généralement, ces exercices peuvent être réglés de façon à ne pas provoquer une grande dépense physique. Nous mettons à part (nous le répétons encore) le cas de l’apprentissage. L’apprentissage d’un sport comporte toujours une assez grande dépense. Si un homme n’a jamais enfourché un cheval, donné un coup de poing ou ramé, les remèdes sportifs ne sont pas utilisables pour lui en cas de crise neurasthénique. Mais le nombre de ces « ignorants », de ces « illettrés musculaires » va heureusement en diminuant.

La boxe, en pareil cas, ne doit jamais tourner à l’assaut ni même au coup de poing libre, dirigé par exemple sur le boxing-bag. Il faut la leçon dans toute sa rigidité, donnée et prise dans le plus complet silence, avec une obéissance passive de la part de l’élève. Mêmes conditions de silence imposé et de commandements enregistrés et exécutés sans réplique pour l’équitation et l’aviron. C’est ainsi seulement que l’effet psychique pourra être obtenu avec la plus faible contribution de force nerveuse, avec la moindre dépense possible par conséquent. Les conditions accessoires seront : le plein air le plus complet (peu de vêtements et très légers), le souci d’éviter la sudation, enfin l’absence de réaction hydrothérapique à l’issue de l’exercice ; au contraire, une immobilité absolue et de quelque durée s’impose.

Cette question du « service commandé », que les pages précédentes ont déjà effleurée, est encore en enfance. Elle a pédagogiquement une valeur extrême ; elle en a aussi médicalement. Pourquoi les « réservistes » français, les « volontaires » anglais, les Suisses qui sortent de leurs « cours de répétition » éprouvent-ils presque toujours un sentiment de rénovation, de « remise à neuf » qui leur fait considérer ces périodes, pourtant assez dures, comme un excellent fortifiant et comme très salutaires à leur santé ? C’est, dit-on, parce que l’existence qui leur a été imposée était fort hygiénique. Mais ce n’est pas vrai. Tout est relatif. Hygiénique pour les bureaucrates trop sédentaires, peut-être, mais beaucoup menaient chez eux une vie très supérieure à celle-ci au point de vue de l’hygiène. Ce qui les a reposés c’est la détente psychologique produite par l’enrégimentement, l’obéissance et l’insouciance. Il y a eu là une véritable « cure mentale ».

Ce point de vue n’a pas été considéré jusqu’ici. Quand il le sera, on en tirera toutes sortes de conclusions, et peut-être verra-t-on surgir des sanatoriums organisés militairement. Et il n’est pas certain du tout que le régime militaire appliqué à la neurasthénie ne doive par lui être excessivement salutaire. Naturellement, ce sera un régime avec des nuits longues, des siestes copieuses et des repas fréquents et abondants. Mais l’appareil guerrier environnera le tout d’une atmosphère réconfortante et virilisante. Et les sports — ceux que nous venons de dire — y trouveront leur place.