Essais et Notices. - Les Livres de science populaire

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Essais et Notices. - Les Livres de science populaire
Revue des Deux Mondes (p. 267-272).
ESSAIS ET NOTICES.

LES LIVRES DE SCIENCE POPULAIRE EN 1864.


Parmi ces publications qu’on voit se multiplier chaque année à la fin de décembre, la préférence acquise aux livres de science populaire[1] n’est-elle pas un des signes du temps, pour employer l’expression admise ? On ne saurait en tout cas nier que, depuis une dizaine d’années, tout le monde, petits ou grands, n’ait senti le besoin de s’initier aux applications, devenues si nombreuses, de la science. Les feuilles quotidiennes ont fait une place chaque jour plus grande aux vulgarisateurs ; la science s’est parée pour être accessible à la foule. Dans les livres, le dessin est venu heureusement en aide au récit, et si chacun des prêtres improvisés de la nouvelle religion n’a pas fait preuve de toutes les qualités requises pour prêcher sûrement la doctrine, il n’est pas moins résulté de tout ce mouvement une diffusion, une excitation salutaire, dont les effets se font aujourd’hui sentir. Le niveau de l’éducation scientifique commune s’est élevé ; le ciel et la terre ont dévoilé à des lecteurs émus une partie de leurs mystérieuses beautés, et la science n’est plus restée inaccessible aux profanes, comme ces temples de l’ancienne Égypte où les prêtres seuls pénétraient en secret.

Le mouvement dont nous parlons était depuis longtemps préparé. Déjà, au siècle dernier, Fontenelle, Buffon, Jean-Jacques Rousseau, Bailly, Bernardin de Saint-Pierre, Franklin, pour n’en pas citer d’autres, avaient largement initié le public aux merveilles de la nature. Soit qu’ils aient étudié les trois règnes, soit qu’ils aient porté leurs regards vers le ciel, ou que, moins hardis, ils se soient bornés à foire sentir l’utilité des applications industrielles, ces illustres maîtres ont eu pour but de rendre la science populaire, et ont orné leurs écrits, déjà si nets et si clairs, de tous les charmes du style. Après eux, deux vulgarisateurs non moins célèbres, unis déjà par les liens de l’amitié, Humboldt et Arago, ont chacun, dans une voie différente, mais heureusement tous les deux, continué l’initiation des profanes à tous les arcanes de la science. C’est ce même mouvement qui se poursuit aujourd’hui, un peu au hasard il est vrai. L’armée des vulgarisateurs est sans chef, les soldats qui la composent sont eux-mêmes indisciplinés, ayant plus de bonne volonté que de science. Toutefois ils rendent des services aux ignorans et aux savans eux-mêmes, on ne saurait le nier, et c’est merveille de voir avec quel empressement les accueille un public toujours bien disposé et surtout avide d’apprendre. En temps ordinaire, c’est dans la presse quotidienne et dans quelques recueils spéciaux que les vulgarisateurs se font entendre. Aux approches du 1er janvier, ils abordent le livre, le livre du plus grand format, avec des illustrations dues aux meilleurs artistes. La mode s’en est mêlée, et les derniers mois de l’année 1864 ont vu fondre une véritable avalanche de ces livres de science vulgarisée. Nous allons en choisir quelques-uns et faire connaître sans détours les qualités comme les défauts qui les distinguent.

En premier lieu, citons le Ciel. La grandeur du sujet et le caractère bien connu déloyauté scientifique de l’auteur, M. A. Guillemin, méritent cette distinction au livre, qui d’ailleurs se recommande aussi par une véritable impression de luxe, un format exceptionnel et des dessins coloriés qui font la joie des amateurs. À cet ouvrage, qui n’a d’égal que l’Astronomie populaire d’Arago, et qui la laisse même derrière lui pour certains détails d’exécution (ceci soit dit sans vouloir offenser le moins du monde la mémoire de l’illustre savant), à cet ouvrage ont collaboré tous les grands noms de l’astronomie moderne. En Angleterre, ce sont surtout sir J. Herschel, l’amiral Smyth, Lassell et Warren de La Rue, en Allemagne Littrow, en Russie Struve, Bond aux États-Unis, en France MM. Le Verrier, Chacornac, Laussedat, Goldschmidt, etc. Tous ont aidé l’auteur de leurs conseils et de leur bienveillant concours. Mémoires originaux, dessins, photographies, ont été mis à sa disposition ; à Paris, l’Observatoire impérial lui a été généreusement ouvert. Encouragé, soutenu jusqu’au bout par de tels appuis, M. A. Guillemin s’est mis courageusement à l’œuvre. Avec une patience qui ne s’est pas démentie un instant et un soin consciencieux de la vérité auquel on ne saurait donner trop d’éloges par ce temps de productions hâtives, il a mené son œuvre à bonne fin. La jeunesse, les gens du monde, justifiant le cœlum tueri d’Ovide, peuvent désormais regarder le ciel et y découvrir quelque chose, grâce aux notions d’astronomie rendues accessibles à tous dans ce livre remarquable. Le soleil, les planètes et les comètes, les étoiles et les nébuleuses, enfin les grandes lois de l’astronomie, les méthodes et les instrumens en usage dans cette science qu’on pourrait appeler divine, forment autant de chapitres de l’ouvrage. La lecture en est facile, le style toujours clair et rapide. L’auteur n’en est pas du reste à son coup d’essai, et le Ciel témoigne d’un progrès très notable sur les Causeries astronomiques qui l’avaient précédé.

Si nous descendons des hauteurs de l’empyrée, où nous a conduits M. Guillemin, nous pourrons avec M. Arthur Mangin étudier au passage l’Air et le Monde aérien. L’ouvrage est un peu composite, comme son titre, et M. Mangin y dévoile tour à tour à ses jeunes lecteurs la constitution et les phénomènes de l’atmosphère ; puis il décrit les habitans du monde aérien, les insectes et les oiseaux. Le livre est nourri de faits généralement bien présentés, et d’une façon intéressante ; mais un grave reproche qu’on peut faire à l’auteur, c’est l’absence de toute méthode. Ainsi des chapitres sur la machine pneumatique, les pompes, le baromètre, l’aérostation et l’aéronautique, les tempêtes, les cyclones, les prédictions du temps, précèdent ceux sur les insectes et les oiseaux, sans transition, sans qu’on voie bien clairement comment tout cela se soude. Il y a mieux : dans l’histoire des insectes et des oiseaux, que l’auteur pouvait rendre si intéressante pour ses jeunes lecteurs, bien des faits sont passés sous silence. Les classifications même sont un peu négligées, et cependant c’est sur ces deux points peut-être, nous entendons les classifications entomologique et ornithologique, que les naturalistes sont le plus à l’abri des reproches si fondés qu’on leur adresse en général sur la méthode. Nous voulons bien reconnaître que le mode d’après lequel M. Mangin range les oiseaux offre un certain côté pittoresque ; mais quand une division est admise dans la science et que cette division est bonne, pourquoi ne pas la respecter ? pourquoi la violer à plaisir ? De bonne foi, M. Mangin, en cataloguant les habitans de l’air en oiseaux parés, chanteurs, parleurs, voyageurs, nageurs, marcheurs, rapaces, intrus, a-t-il heureusement remplacé la classification en usage, et les ordres des rapaces, des passereaux, des grimpeurs, des gallinacés, des échassiers et des palmipèdes, auxquels nous reportent jusqu’aux souvenirs d’histoire naturelle du collège, n’offrent-ils pas, dans l’énonciation même, un caractère net et philosophique qu’il est bon de reconnaître ? Les gens du monde ont adopté ces noms qu’ils comprennent, les maîtres de la science les ont acceptés tour à tour. Nous n’aimons pas la routine, nous croyons que la science progresse tous les jours, qu’une bonne classification est encore à trouver, une vraie classification naturelle ; il ne faut pas cependant, par amour du changement, faire moins bien qu’on n’a fait. M. Mangin en agit sans plus de façon avec les insectes. Il est vrai qu’il peut nous répondre dans les deux cas qu’il n’écrit pas pour des naturalistes.

Du Monde aérien au Monde de la Mer, la transition se fait sans qu’on y pense. Saluons encore ici un bon livre, une œuvre posthume malheureusement, signée d’un pseudonyme, celui d’Alfred Frédol. Moquin-Tandon, qui a illustré les chaires scientifiques de province avant d’entrer à l’Institut et au Muséum, se cachait volontiers sous ce nom d’emprunt pour chanter, quelquefois dans le patois gracieux de son pays, le Noyer de Maguelonne ou les Jujubes de Montpellier. C’est sous ce même nom de Frédoque nous le retrouvons dans son dernier ouvrage, étude pleine de vie et de force, semée de traits originaux, souvent familiers, et que l’on ne dirait pas suspendue par la mort. Ici comme dans le Ciel, tout indique une science de bon aloi, tout est marqué au coin de la vérité. Comme dans le Ciel aussi, des gravures coloriées initient le lecteur aux merveilles décrites dans le texte. C’est une succession de beaux dessins se déroulant dans les pages du livre comme les parois transparentes d’un aquarium. L’illusion est complète, on assiste à la vie des eaux, on voit se développer sous ses yeux des plantes et des animaux qu’on avait jusqu’alors à peine soupçonnés ; on en rencontre d’absolument inconnus, on en retrouve enfin qu’on croyait bien connaître, mais sur lesquels on est étonné d’avoir su jusqu’alors si peu de chose. Moquin-Tandon a fait son livre en maître, en homme qui possède son sujet, et il nous promène tour à tour des plantes marines et des animaux infusoires aux polypiers et aux rayonnes, le corail, les éponges, les méduses, les étoiles de mer, les oursins ; puis défilent à nos regards, avec leurs mœurs, leurs ruses, leur vie propre, toute la gent coquillière des mollusques, puis encore les crustacés et les poissons, les tortues et les oiseaux marins, enfin les gigantesques cétacés et les phoques, et jusqu’à l’ours blanc des pôles cantonné dans les mers de glace. N’est-ce pas là un spectacle aux cent actes divers, et n’est-ce pas le cas de répéter, après avoir lu ce beau livre, ces paroles émues de Christophe Colomb justement rappelées par l’auteur, que la bouche ne suffit pas à dire ni la main à écrire toutes les merveilles de la mer, la lengua no basta para decir ni la mano para escribir todas las maravillas del mar ?

Si maintenant nous baissons d’un ton, nous passerons du Monde de la Mer, qui nous a tenu dans les régions sereines de la science, au Monde des Insectes, œuvre d’un esprit un peu léger, souvent trop superficiel, mêlée cependant de traits agréables. Ici la science affecte des dehors plaisans, on en cause entre amis en parlant aussi d’autre chose, de omni re scibili et quibusdam aliis. Cela frise par instans le conte de fée, parfois aussi le roman. Au demeurant, le livre n’a nulle prétention, nulle portée scientifique ; mais il fait aimer la science, et les esprits auxquels ne confient pas une nourriture trop substantielle pourront y trouver quelque plaisir, et même quelque profit.

Les deux ouvrages dont il nous reste à parler rentrent au contraire, comme les premiers, dans le domaine scientifique, sans cesser d’être à la portée de tous. Tous deux traitent de botanique. L’un, l’Histoire des Plantes de M. Figuier, se présente avec les qualités et les défauts que nous avons déjà relevés chez l’auteur. Disons toutefois que ces défauts se font moins sentir ici que dans de précédens ouvrages, et que ce livre, bien que n’étant qu’une compilation, ne présente pas trace de ces erreurs si graves comme on en a redressé dans la Terre avant le déluge et la Terre et les Mers. Quelques dessins sont remarquables de vérité et d’exécution, et la division de l’œuvre est satisfaisante. La dernière partie, la géographie botanique, qui traite de la loi de distribution des végétaux à la surface du globe, est bien conduite. En somme, on reconnaît là un certain talent d’exposition, et, dans le courant de l’ouvrage, l’auteur semble se défier d’un écueil qu’il n’a pas toujours su éviter dans de précédentes publications. Il maîtrise ici son penchant aux explications forcées, douteuses, nous dirions presque surnaturelles. Une fois cependant il se laisse encore entraîner, et, pour donner des raisons de la tendance des racines à se diriger vers le centre de la terre, il invoque nous ne savons quelles expériences bizarres faites par des chercheurs isolés, expériences qui auraient besoin d’être contrôlées, et contrôlées solennellement. Au lieu d’imaginer ainsi des preuves contre nature, ne pourrait-on tout simplement admettre une bonne fois, comme le font du reste la plupart des traités de botanique, que si la racine se dirige vers le centre de la terre, la tige vers le ciel, c’est que l’une trouve dans le sol, l’autre dans l’atmosphère, sa propre nourriture, c’est que cet agent mystérieux qu’on appelle force vitale l’exige ainsi ? La pesanteur, ou, si l’on veut, la force de gravitation, autre agent dont l’essence est également inconnue, n’a point de rôle à jouer dans ce grand phénomène.

Les réserves que nous venons de faire nous empêchent de mettre sur la même ligne l’Histoire des Plantes de M. Figuier et la Plante de M. Grimard. Ce dernier livre est vraiment un traité original de botanique. On devine que l’auteur n’a emprunté ses inspirations qu’à lui-même. Dans un format modeste, avec des dessins qui attirent moins les yeux que ceux de son rival, cet ouvrage est mieux fait et semble destiné à une longue vie. Ce n’est pas une compilation improvisée, c’est le livre d’un homme qui sent, qui a vu et qui sait. Dans la première partie, l’auteur chante la plante dans une forme un peu dithyrambique ; mais bien vite, dans le second volume, le langage calme et mesuré du savant reprend le dessus, et c’est là la partie vraiment pratique et utile du livre. Voulez-vous être botaniste, voulez-vous herboriser à votre aise dans les vertes campagnes autour de Paris, lisez-le, inspirez-vous-en. Voulez-vous rester philosophe et ne connaître de la plante que ce qui vous intéresse dans le grand monde de la vie, tenez-vous-en au premier volume. Lire et méditer les deux est ce qui vaut mieux encore. L’auteur a fait heureusement entrer dans son cadre quelques bonnes pages de botanique géologique dont on néglige trop généralement de s’occuper en dehors des livres de géologie, et il nous a montré, non sans un certain bonheur d’expression, la vie végétale naissant sur le globe avec les plus humbles cryptogames, puis se développant avec les fougères, les palmiers, et arrivant enfin, avec les grands arbres dicotylédones, au degré de magnifique éclosion où nous la voyons aujourd’hui.

Quelle conclusion tirer de ces pages et quels services peuvent rendre non-seulement à la jeunesse, aux gens du monde, mais encore à la vraie science, tous ces livres de science populaire que chaque année voit naître et souvent la même année mourir ? Nous croyons que le principe est bon, que ce n’est pas perdre son temps que de vulgariser la vérité, d’initier le public aux grandes découvertes, aux nobles études de notre époque. Par là on prépare les jeunes esprits aux carrières utiles, on propage parmi les gens du monde des connaissances devenues de plus en plus indispensables dans la vie de chaque jour. On vient en aide aux savans eux-mêmes en popularisant leurs belles découvertes., en en faisant comprendre la portée, les applications et souvent le sens philosophique ; mais pour que le bien se fasse comme il convient, pour que la vulgarisation soit profitable, il faut qu’elle ne soit pas entachée d’erreur, que le bon grain ne soit pas mêlé d’ivraie.

Sous ce rapport, qu’il nous soit permis de dire que l’esprit d’examen et de critique n’a pas toujours présidé à la préparation des ouvrages de science populaire dont nous venons de parler, qu’il y a dans quelques-uns d’entre eux ou des compilations trop hâtives ou des chapitres écrits trop légèrement. Nous les avons examinés chacun en détail, c’est au lecteur de se reporter à ce que nous avons dit au sujet de chacun d’eux pour voir sur qui tombe l’éloge et sur qui tombe le blâme. Au demeurant, l’intention des auteurs a été bonne toujours, et il faut faire des vœux pour que le flambeau de la science brille ainsi chez nous chaque année d’un éclat de plus en plus vif.

N’oublions pas néanmoins que la critique, tout en faisant bon accueil à certaines tentatives de vulgarisation, doit se montrer à l’occasion vigilante et sévère. On ne s’improvise pas vulgarisateur scientifique, et pour vulgariser avec avantage il faut d’abord bien savoir soi-même. Ce qui a fait le mérite de quelques auteurs exceptionnels que nous avons cités, Buffon, Arago, Humboldt, c’est qu’ils étaient eux-mêmes des savans accomplis, bien plus ils étaient aussi des écrivains. Sans doute nous ne demandons pas à nos vulgarisateurs populaires les qualités de ces hommes de génie, mais nous leur demandons, à quelques-uns du moins, plus de calme, plus de vrai savoir dans leurs productions, parfois si nombreuses. Il vaut mieux se taire que d’écrire à contre-sens, que de répandre dans le public des faits souvent entachés d’erreurs ou mal présentés. Le public ne peut comprendre ce que l’auteur ne comprend pas lui-même, et des deux côtés il en résulte une demi-savoir pire que la plus profonde ignorance. On ne transige pas du reste avec les vérités scientifiques. Voilà pourquoi le droit, disons mieux, le devoir de la critique est de se montrer justement sévère et de tenir le public en garde contre les faux vulgarisateurs.


L. SIMONIN




  1. Le Ciel, par A. Guillemin ; 1 vol. in-8o illustré ; Hachette. — Le Monde de la Mer, par A. Frédol ; 1 vol. in-8o illustré ; Hachette ». — Histoire des Plantes, par L. Figuier ; 1 vol. in-8o, avec figures ; Hachette. — L’Air et le Monde aérien, par A. Mangin ; 1 vol. in-8o illustré ; Tours, A. Mame. — Le Monde des Insectes, par S. Henri Berthoud ; 1 vol. in-8o illustré ; Garnier frères. — La Plante, par E. Grimard ; 2 vol. in-12, avec figures ; J. Hetzel.