Essais et Notices - La chute d'une impératrice

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Essais et Notices - La chute d'une impératrice
Revue des Deux Mondes5e période, tome 49 (p. 460-468).
ESSAIS ET NOTICES

LA CHUTE D’UNE IMPÉRATRICE

Le livre que M. de Méneval vient de publier est le complément des trois volumes de Souvenirs historiques dus à son grand-père, l’ancien secrétaire du portefeuille de Napoléon Ier, qui fut ensuite secrétaire des commandemens de l’Impératrice-Régente et resta attaché à la personne de la souveraine jusqu’au mois de mai 1815. A l’aide de la correspondance intime et du Journal inédit du baron de Méneval, l’auteur de Marie-Louise et la Cour d’Autriche entre les deux abdications[1] nous décrit d’une plume alerte l’existence de l’Impératrice depuis le départ de Paris, le 29 mars 1814, jusqu’à la deuxième abdication de l’Empereur. Une étude documentée sur cette période n’est jamais négligeable : si, après les beaux travaux de M. Frédéric Masson[2] et de M. Henri Welschinger[3], la vie de la seconde femme de Napoléon est connue dans ses grandes lignes, le champ de la « petite » histoire demeure encore assez vaste, et l’on y peut glaner avec profit. L’ouvrage de M. de Méneval apporte des renseignemens nouveaux et particulièrement curieux sur la conduite de Marie-Louise pendant l’été de 1814 ; le recul du temps a permis à l’auteur de soulever un coin du voile, de montrer ce que la discrétion du secrétaire de l’Impératrice avait tenu caché. L’historien nous dépeint l’intimité toujours croissante de la souveraine déchue avec le comte Neipperg, et il traite ce sujet épineux avec une réserve et une délicatesse à laquelle nous voulons rendre hommage dès le début.


I

« L’œuvre de la séduction de Marie-Louise, — dit-il, — entreprise par le général Neipperg, armé de tous les pouvoirs et de tous les encouragemens du gouvernement autrichien pour en arriver à ses fins, a quelque chose de plus cynique et de plus odieux que la chute de l’innocente Marguerite provoquée par le satanique docteur Faust. » On sait dans quelles circonstances Neipperg fut donné comme mentor à la princesse. Le 11 avril 1814, le jour même de la signature du traité qui reconnaissait à l’Empereur la souveraineté de l’île d’Elbe, le docteur Corvisart prescrivait à Marie-Louise de faire une saison aux eaux d’Aix en Savoie. La souveraine, qui était alors à Orléans, se vit interdire le séjour de l’île d’Elbe, dont le climat serait fatal, disait-on, à sa santé et à celle du roi de Rome. Après l’entrevue de Rambouillet avec l’empereur François, Marie-Louise partit pour Vienne où elle devait attendre le retour de son père. Le 15 juin, elle obtint de lui l’autorisation d’aller à Aix. L’Impératrice laissait son fils à Schœnbrunn sous la garde de la comtesse de Montesquiou et quittait Vienne le 6 juillet, accompagnée de Mme de Brignole et de Méneval. Elle voyagea sous le nom de duchesse de Colorno[4], et prit comme itinéraire, — selon la remarque de M. Frédéric Masson, — « les résidences d’exil des Bonaparte : » Munich où elle vit Eugène de Beauharnais et la princesse de Bavière, Baden où elle rencontra Louis Bonaparte, Payerne où elle trouva Joseph qui l’emmena dans sa maison de campagne d’Allaman, située à quatre lieues de Lausanne. L’Impératrice arriva à Chamonix le 11 juillet au soir et voulut monter le lendemain aux Bossons et à la Mer de Glace. Ce ne fut que le 17 juillet, à six heures du soir, qu’elle toucha au terme de son voyage.

Le général Neipperg, qui commandait auparavant une division à Pavie, avait été désigné par le gouvernement autrichien pour surveiller l’archiduchesse. Il se porta au-devant d’elle le 17 juillet à Carrouge et l’escorta à cheval jusqu’à Aix. Méneval, témoin de cette rencontre, écrit dans ses Souvenirs que la vue de Neipperg causa à la princesse « une impression désagréable qu’elle ne dissimula pas. » Ce n’était pas la première fois qu’elle l’apercevait. Neipperg, qui faisait partie de l’ambassade extraordinaire de Schwarzenberg, avait été présenté officiellement aux Tuileries le 7 juin 1810. En mai 1812, pendant son séjour à Dresde, Marie-Louise avait eu l’occasion de s’entretenir avec l’officier autrichien qui était alors « à la suite » de l’empereur François.

L’Impératrice resta à Aix jusqu’au 4 septembre. Méneval la quitta le 20 juillet pour passer quelques semaines auprès de sa femme et de ses enfans. Les billets qu’elle lui écrit ne nous renseignent pas exactement sur l’emploi de son temps. Il n’y est pas fait mention des nombreux divertissemens qui troublaient la cure. La correspondance nous montre Marie-Louise en proie à la tristesse, désireuse de gagner bientôt la terre promise, le beau duché de Parme. Le nom de Neipperg ne figure naturellement pas dans les lettres datées d’Aix. Il est vraisemblable qu’au début le geôlier fut tenu à l’écart de la petite Cour, composée de Bausset, de Corvisart, du peintre Isabey et de Mme de Montebello. Mais il ne tarda pas à en faire partie. M. Welschinger croit que le général fut le pourvoyeur des plaisirs de la souveraine : « Il ne laissa pas l’Impératrice s’ennuyer un moment... Il la conduisit souvent en barque sur le lac du Bourget. »

Metternich savait que cet ennemi implacable de Napoléon prendrait vivement à cœur les intérêts de la chancellerie autrichienne. Neipperg devait « soigneusement observer l’archiduchesse pour le cas où elle voudrait aller trouver son mari, et alors, — après des représentations, — passer à la défense absolue, si elle persistait. » Le colonel Hurault étant arrivé de l’île d’Elbe, porteur d’une lettre de l’Empereur et avec la mission d’emmener l’Impératrice, fut dénoncé à Neipperg, arrêté et dirigé sur Paris[5]. Talleyrand avait écrit, le 9 août, à Metternich « que la saison des eaux ayant été bien complète pour Mme l’archiduchesse, il conviendrait que son séjour ne se prolongeât pas. » Le Cabinet de Vienne était du même avis. Vers le 15 août, la princesse recevait une lettre du chancelier qui la dissuadait de se rendre à Parme avant la fin du Congrès et la priait de revenir à Schœnbrunn. Marie-Louise envoya une copie de cette lettre à Méneval. Le 20 août, elle lui écrivit qu’elle avait eu des nouvelles de l’Empereur à la date du 6 août. « Il se portait bien, disait-elle, était heureux, tranquille et pensait surtout beaucoup à moi et à son fils[6]. »

Lorsque Méneval revit Marie-Louise aux Sécherons le 9 septembre, il la trouva « engraissée et dans un état de santé parfait. » L’Impératrice paraissait « fort contente, » et n’était pas pressée de rentrer à Vienne où Neipperg devait la ramener ; elle résolut de faire un voyage dans l’Oberland bernois avant de regagner l’Autriche. Marie-Louise s’était attachée à son geôlier. A partir du 15 août, date où Corvisart, Isabey et Mme de Montebello avaient quitté Aix, elle s’était trouvée en continuel tête-à-tête avec lui.

Quel était donc le mobile qui poussait Neipperg à conquérir la souveraine ? Il était, — croyons-nous, — beaucoup moins épris de l’Impératrice que désireux de régner un jour prochain sur les duchés italiens. Lorsqu’il avait reçu l’avis qu’on le nommait grand maître de la maison de la future duchesse de Parme, Neipperg avait dit — en guise d’adieux — à une dame de Milan qui lui accordait ses faveurs : « J’espère bien, avant six mois, être au mieux avec Marie-Louise, et bientôt son mari ! » — Il avait quarante-deux ans, n’était point beau. Son visage portait les traces de nombreuses blessures. Un bandeau noir dissimulait même la perte d’un œil. « L’élégance de sa tournure, — écrit l’auteur des Souvenirs, — était relevée par la coupe dégagée de l’uniforme hongrois. »

Le séducteur se montre un compagnon charmant, empressé, hardi. Avec lui l’Impératrice ne craint ni les fatigues, ni les dangers. Elle laisse à Berne une partie de son monde. Mèneval, qu’elle avait engagé à la suivre, la rejoint seulement, huit jours après, à Thoun. Marie-Louise visite pendant ce temps : Grindenwald, l’hospice du Grimsel, celui du Simplon, Brieg, Lenck, Thoun. Elle revient à Berne le 21 septembre, enchantée de son voyage. On peut se figurer ce qu’il offrit d’agrément : les journées se passent à gravir les sommets, à escalader les glaciers. La nuit venue, les touristes se réfugient dans quelque auberge. On fait de la musique pour se délasser. L’Impératrice chante, tandis que Neipperg est au piano.

Le secrétaire des commandemens va au-devant de la princesse à Thoun. Il lui demande si elle a des nouvelles de l’Empereur. Marie-Louise répond qu’elle n’en a pas eu depuis la mission de Hurault : elle n’avait pu se rendre à l’île d’Elbe, la volonté de son père la rappelant à Vienne. Les voyageurs s’arrêtent à Berne trois jours, du 21 au 24 septembre. Le 23, Méneval écrit à sa femme : « Je n’ai certes pas à me plaindre personnellement d’elle (Marie-Louise] ; mais je ne puis me dissimuler que ce n’est plus cet ange de pureté et d’innocence que j’ai quitté... Sa tête n’est pas occupée comme je le voudrais. Tu connais mon tendre attachement pour Elle ; il a redoublé depuis que je la vois dans un chemin qui la mène à sa perte... Elle est entourée d’écueils, — et sa jeunesse et son inexpérience ont tant besoin d’un guide et d’un protecteur ! »

L’Impératrice traversa avec sa caravane les petits cantons suisses. Le 25 septembre, elle s’embarquait sur le lac des Quatre-Cantons et s’arrêtait devant les ruines du château des Habsbourg. Le galant Neipperg, ayant ramassé un morceau de fer, prétendit que c’était un fragment de la lance du fondateur de la dynastie. Les voyageurs passèrent la nuit du 25 au 26 au Righi, à l’auberge du Soleil d’Or. C’est alors que Méneval fut douloureusement éclairé sur la conduite de l’Impératrice. En arrivant à Schwytz, il lui avait demandé l’autorisation de la devancer à Vienne, alléguant qu’il attendait des lettres pressées. Ce n’était qu’un prétexte. En réalité, l’intimité de Neipperg et de Marie-Louise l’avait étrangement choqué. A l’auberge du Righi, le valet de pied de service, qui devait coucher en travers de la porte de la souveraine, avait été éloigné. Les personnes de la suite furent très surprises de cette dérogation à l’usage, qui pouvait cependant s’expliquer par la disposition des pièces : la chambre qu’occupait l’Impératrice n’avait qu’une issue sur le corridor, et il eût été gênant pour elle d’être gardée de la sorte. Mais voici un renseignement qui aggrave le cas. « En causant de cela chez Mme de Brignole, — écrit Méneval, — je déployai machinalement une carte de Suisse qui était sur la table, lorsqu’il en tomba un billet fermé que je m’empressai de ramasser. En le rendant à Mme de Brignole, je reconnus l’écriture de l’Impératrice sur le billet qui était adressé au général Neipperg[7]. » Que signifiait cette correspondance secrète ? Méneval, « n’ayant même pas le droit de remontrance, » résolut de partir tout de suite pour Schœnbrunn. Il y arriva trois jours avant Marie-Louise, qui rentra le 7 octobre au matin. Neipperg fut récompensé de son zèle comme il le méritait : il fut nommé, pour la durée du Congrès, chambellan de la duchesse de Parme.


II

C’est le titre que l’on donnera désormais à Marie-Louise. Cependant l’octroi de ce duché n’allait pas sans difficultés. Louis XVIII et Ferdinand VII faisaient opposition. Talleyrand s’ingéniait à contrecarrer sur ce point les vœux de l’empereur d’Autriche et du Tsar. Neipperg plaidait chaleureusement la cause de Marie-Louise auprès des représentans des différentes Cours. « Ce qu’il empêchait surtout, — dit M. Welschinger, — c’était toute correspondance venue de l’île d’Elbe ou partie de Schœnbrunn pour cette île[8]. » L’Empereur, privé de nouvelles de sa femme depuis le 10 août, demandait le 10 octobre au grand-duc de Toscane la permission de lui adresser chaque semaine une lettre destinée à l’Impératrice et le priait de lui envoyer en retour des nouvelles de la mère et de l’enfant. L’épouse oublieuse de ses devoirs ne craignait pas d’afficher son goût pour le chambellan. Le Journal de Méneval porte continuellement cette mention : « musique particulière ce soir avec le général. » Un soir, Bausset et Méneval se retirent par discrétion à huit heures et demie pour laisser seuls l’archiduchesse et son favori. La petite cour de Schœnbrunn était divisée en deux camps : les serviteurs restés fidèles à Napoléon, c’est-à-dire Mme de Montesquiou et Méneval ; les partisans de Metternich, c’est-à-dire Mme de Brignole et Bausset. Ces derniers incitaient Marie-Louise à sacrifier la cause de son fils dans l’affaire des duchés italiens.

Le 23 décembre, l’archiduchesse reçut une lettre de Napoléon du 20 novembre, qu’un courrier de Toscane avait apportée. La lettre avait été communiquée aux souverains avant d’être remise à destination. Marie-Louise n’y répondit pas, ayant promis « de n’entretenir aucune correspondance avec son mari, sans le consentement de son père. » Le Congrès traînait en longueur. Neipperg s’efforçait d’agir auprès de Gentz pour faire aboutir les négociations concernant les duchés de Parme, Plaisance et Guastalla. Marie-Louise consentit enfin à renoncer pour son fils au droit de succession et promit de ne pas l’emmener en Italie. Le 22 février, le général recevait une mission pour Turin. Marie-Louise supplia l’empereur François d’ajourner le départ de Neipperg jusqu’à la conclusion des affaires de Parme. N’ayant pas obtenu une réponse assez catégorique de son père, elle s’adressa le 24 février à Metternich, qui consentit à contremander le départ de l’indispensable conseiller.


III

Le 7 mars, Marie-Louise apprit par Neipperg la terrible nouvelle du départ de l’île d’Elbe. Elle parvint à dissimuler son émotion qui était très vive. Si l’entreprise réussissait, c’était pour elle l’anéantissement de ses beaux rêves d’avenir. L’Impératrice était bien décidée à ne pas revoir l’époux qu’elle avait abandonné et trompé. Son père la rassura, lui disant qu’il ne lui permettrait de retourner en France que dans deux ou trois ans, lorsque Napoléon aurait donné à l’Europe des gages suffisans de ses intentions pacifiques. Le 12 mars, après une longue promenade à cheval avec Neipperg, Marie-Louise écrivit au chancelier de l’Empire la déclaration par laquelle elle se plaçait avec son fils sous la protection de son père et des souverains alliés, et affirmait sa résolution de « demeurer étrangère à tous les projets de Napoléon. » Le lendemain était publié à Vienne le factum des puissances qui livrait l’Empereur à la vindicte publique, « comme ennemi et perturbateur du repos du monde. »

Napoléon, arrivé à Grenoble, avait écrit le 8 mars à Marie-Louise pour la prier de le rejoindre avec son fils à Paris. M, de Méneval pense que cette lettre expédiée au général Bubna, qui commandait les troupes autrichiennes à Turin, parvint à l’Impératrice. M. Masson estime que c’est une seconde lettre, datée du 11 mars et expédiée de Lyon, qui fut remise au général Bubna par un officier du 7e hussards. Cette missive fut lue à Vienne par les souverains et les représentans des puissances. « L’Impératrice seule, — dit-il, — ne la voit pas. »

Le 19 mars, on sépara la mère de l’enfant. Mme de Montesquiou emmena le petit prince à Vienne. Cette manœuvre était un gage de fidélité donné par Metternich aux intérêts du roi Louis XVIII. Quelques jours après, le 1er avril, avait lieu à Schœnbrunn une séparation plus cruelle pour Marie-Louise. Neipperg lui disait adieu avant de partir pour l’armée d’Italie. La princesse ne pouvait manquer de faire des vœux pour le succès des armes autrichiennes : son cœur serait tout entier du côté où allait combattre le futur ministre de ses États.

Le traité du 25 mars lui garantissait les duchés, à la condition qu’elle s’établirait à Parme sans son fils et que celui-ci ne lui succéderait pas. Elle confiait, le 2 avril, à Méneval qu’elle penserait de loin à l’enfant, économiserait cinq cent mille francs par an, « qui, Joints aux revenus des fiefs de Bohême, assureraient, après elle, à son fils, une existence indépendante. » Méneval lui répondit avec beaucoup de fermeté qu’il ne s’agissait pas de considérations pécuniaires pour le fils de Napoléon, « qui vivrait désormais en dehors des lois, sans patrie, sans titre, et pour ainsi dire sans nom, car on ne saurait plus comment l’appeler. »

Ballouhey, intendant de la maison de l’Impératrice, étant venu prendre les commissions de Marie-Louise, avant de regagner Paris, elle le pria de dire à l’Empereur qu’Elbe et son fils se pointaient bien, et qu’elle faisait des vœux pour son bonheur. L’intendant n’était chargé d’aucune lettre pour Napoléon : il est vrai qu’elle eût été confisquée en cours de route. — La correspondance avec Neipperg était la seule que désirât entretenir Marie-Louise. Le 23 avril, elle recevait de lui une lettre « volumineuse, » datée de Trévise, et l’avant-veille, elle en avait reçu une autre envoyée de Modène[9]. Le 30 avril, la princesse apprenait la mort de la comtesse Neipperg, décédée en Wurtemberg où son mari l’avait abandonnée.

Méneval se rendait compte qu’il n’avait plus rien à faire auprès de la duchesse de Parme. Il avait hâte de revoir sa famille et de quitter la triste résidence de Schœnbrunn. Il prit congé de Marie-Louise le 6 mai, à dix heures du soir. Elle parut très émue en disant adieu à ce fidèle serviteur ; avec lui disparaissait le dernier lien qui l’attachât à la France. Marie-Louise chargeait Méneval de bonnes paroles pour l’Empereur. » Elle me dit, — écrit-il, — qu’elle espérait qu’il comprendrait le malheur de sa position, me répéta qu’elle ne prêterait jamais la main à un divorce ; qu’elle se flattait qu’il consentirait à une séparation amiable et qu’il n’en concevrait aucun ressentiment ; que cette séparation était devenue indispensable, mais qu’elle n’altérerait pas les sentimens d’estime et de reconnaissance qu’elle conservait. »

Le 9 juin 1815, la souveraineté du duché de Parme était reconnue à Marie-Louise par l’article 99 de l’acte final du Congrès de Vienne. On sait que ce ne fut qu’en 1821 que la duchesse de Parme, devenue veuve, s’unit à Neipperg par un mariage morganatique.


Quel jugement peut-on porter sur une pareille destinée ? L’histoire de Marie-Louise entre les deux abdications montre que l’Impératrice ne manquait pas seulement de la force nécessaire pour rester vertueuse, qu’elle manquait aussi d’intelligence et de cœur. En abandonnant la cause de son fils, elle avait fait preuve d’un égoïsme révoltant. Si l’empereur d’Autriche et sa troisième femme Marie-Louise-Béatrix d’Este, si Metternich et Neipperg avaient mis de l’acharnement à l’éloigner du droit chemin, d’autres voix lui avaient rappelé qu’elle n’était pas libre de disposer de sa personne. La vieille reine Marie-Caroline de Sicile, jadis l’ennemie déclarée de Napoléon, n’avait pas caché son indignation des « manœuvres » employées pour séparer Marie-Louise du prisonnier de l’île d’Elbe. « Si l’on s’opposait à leur réunion, il fallait quelle attachât les draps de son lit à sa fenêtre et s’échappât sous un déguisement. Voilà, — répétait-elle, — ce que je ferais à sa place ; car quand on est mariée, c’est pour la vie. » Nous avons vu qu’il n’avait pas fallu longtemps pour effacer le souvenir de l’absent. Elle n’avait jamais éprouvé des sentimens bien vifs pour le « Minotaure » auquel on l’avait envoyée. Le mariage politique ne lui avait pas donné le bonheur. Sa sensibilité était toute germanique : elle aimait le chant, la musique, la poésie, la nature, mais en cela, comme en toute autre chose, la vraie grandeur lui échappait. L’attachant récit de M. de Méneval complète et précise les données que nous avions sur cette archiduchesse, légère d’esprit, de goûts et de sentimens. Comment aurait-elle compris Napoléon ? En revanche, le séducteur rencontré aux portes d’Aix, dont la carrière était toute semée d’aventures galantes, remplissait à merveille les conditions voulues pour dominer le cœur et le cerveau « romantique » d’une jeune princesse allemande.


RAYMOND DE VOGÜÉ.

  1. 1 vol. in-8 ; Emile Paul.
  2. L’Impératrice Marie-Louise, 1 vol. in-8 ; OIlendorff.
  3. Le Roi de Rome, 1 vol. in-8 ; Plon.
  4. Colorno est un château des environs de Parme.
  5. Voyez F. Masson, op. cit.
  6. Napoléon n’avait eu que le 28 août des nouvelles de sa femme. Une lettre du 31 juillet, confiée à Bausset qui se rendait à Parme, n’était arrivée à l’île d’Elbe qu’un mois après. Le 10 août, Marie-Louise annonçait à l’empereur son prochain départ pour Vienne, mais elle l’assurait de son désir de le rejoindre bientôt.
  7. Extrait d’une note manuscrite et inédite trouvée dans les papiers de Méneval.
  8. Op. cit.
  9. Il est regrettable que l’auteur n’ait pas eu communication de ces documens qu’il eût été fort intéressant de trouver à l’Appendice.