Essais sur les principes des finances/11

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CHAPITRE ONZIEME.

Des Employés.


Après avoir consideré les principaux agens de la perception, dans leurs raports avec le principe de la monarchie, il me reste à parler ici des sous-ordres. Sans rappeller ce que j’ai dit, de la possibilité de réduire leur nombre en raison proportionnelle du degré de simplicité qui convient à la chose, je rechercherai seulement quels seroient les moyens de porter dans les classes inférieures, l’esprit de patriotisme & d’honnêteté qui doit animer la premiere.

Qu’on se représente une machine dont les ressorts placés au centre seroient destinés à mouvoir tous les points de la circonférence. Que dans l’intervalle du centre à la circonférence, on décrive à des distances inégales plusieurs cercles concentriques : qu’on suppose ensuite qu’à mesure que les ressorts partis du centre arrivent à l’un de ces cercles, ils s’y divisent sur chaque point, en autant de branches que le cercle suivant a de points relatifs ; & cette machine sera l’image parfaite de l’administration des financiers.

Les fermiers sont au centre : les premiers employés supérieurs au cercle le plus voisin ; ceux du second ordre au cercle d’après, & ainsi de cercle en cercle le rang diminue en même tems que le nombre augmente, jusqu’à ce qu’on arrive au cercle qui termine, sur la circonférence duquel se trouvent placés les derniers subalternes.

Le fermier donne l’impulsion à son premier agent ; celui-ci la repete aux points du cercle suivant qui lui correspondent ; & de degré en degré la même impulsion par un mouvement prompt & successif, communique en se multipliant jusqu’aux extrémités de la machine. De ces extrémités, l’effet de l’impulsion est ensuite reporté au centre, par le canal des mêmes intermédiaires qui la leur avoient transmise ; & la correspondance mutuelle de toutes les parties qui agissent & réagissent sans cesse les unes sur les autres, par une progression réguliere, constitue le méchanisme de l’administration.

Il suit de cette démonstration, que les différentes classes d’employés doivent être envisagées comme parties intégrantes d’un ordre hierarchique, qui du dernier subalterne s’éleve graduellement jusqu’au fermier. L’autorité suprême est à un bout, la subordination absolue occupe l’autre ; & chaque intermédiaire participant à la fois des deux extrêmes, unit plus ou moins le pouvoir à l’obéissance, suivant le point d’élevation où il est placé.

La nature des fonctions assignées à chaque classe, en déterminant son rang dans l’ordre hiérarchique, détermine en même tems celui qu’elle tient dans le corps social. Ainsi le traitement de l’employé doit nécessairement le mettre au niveau de tout autre citoyen, auquel son état l’assimile : ainsi du simple nécessaire qui suffit au dernier subalterne, la proportion doit monter successivement jusqu’aux commodités, même à l’espéce de superflu qui conviennent aux premiers grades.

Remarquez qu’il seroit pernicieux pour la chose même, qu’on s’écartât du principe qui régle naturellement cette proportion. Car si vous donnez au dernier subalterne plus que le nécessaire, vous lui fournissez les moyens de se livrer à la dissipation ; & par-là vous l’excitez à négliger des devoirs qui exigeoient de sa part une vigilance & une activité continuelles. Si vous lui donnez moins, ses devoirs seront également négligés : car il sera forcé de leur dérober une partie de son tems ; pour se procurer ailleurs la portion de nécessaire qui lui manque ; supposé même que pour l’obtenir par une voie plus courte, il ne préfère pas de conniver secretement aux manœuvres du fraudeur, en lui vendant à vil prix l’intérêt de ses commettans.

Je n’étendrai pas la suite de ce raisonnement à chacun des degrés de l’ordre hierarchique. On se rappellera sans doute ce que j’ai dit au Chapitre précédent, sur la richesse démesurée des financiers ; & il doit me suffire d’avoir montré les inconvéniens du défaut de proportion aux deux extrêmes, pour avoir droit de conclure que les uns ou les autres seroient inévitables à tous les intermédiaires.

Si nous considerons maintenant les différens ordres d’employés, du côté des fonctions qui leur sont propres, nous verrons qu’elles deviennent plus délicates & plus importantes à mesure que le rang est plus élevé. Borné à des opérations purement méchaniques, le subalterne n’a à proprement parler qu’un travail de peine à fournir ; tandis que le supérieur qui le dirige doit réunir plus ou moins de sagacité, de talens & d’expérience, en raison composée du genre d’autorité qu’il exerce, & de la nature des devoirs personnels, dont il est lui-même comptable à ses chefs.

Or, s’il est de principe que l’école de l’obéissance soit celle qui forme le mieux à l’art de commander, & que généralement on prescrive avec plus d’intelligence, de justesse & de netteté des régles aux autres, à raison de ce qu’on les a pratiquées soi-même, il s’ensuit évidemment que le meilleur moyen de perfectionner la régie est d’élever successivement chaque employé d’un grade à l’autre, à mesure que ses talens & les nouvelles connaissances qu’il acquiert, le mettent en état de le remplir.

Portez aux premiers emplois les sujets de distinction : n’accordez les places de retraite qu’à ceux dont le zéle supérieur aux talens s’est signalé par de longs services dans les ordres inférieurs ; & que l’espéce ou l’ancienneté du travail soient les seuls titres qui décident des avancemens & des récompenses.

Tant que vous tiendrez invariablement à ce principe, l’émulation croîtra sans cesse parmi vos employés ; la justice que vous exercerez envers eux, les rendra justes eux-mêmes ; vos préceptes feront une impression d’autant plus sure, qu’en toute occasion vous donnerez l’exemple à l’appui ; & par là les vues droites & patriotiques de la classe qui gouverne, formeront insensiblement l’esprit général de toutes les classes subordonnées.

S’il arrivoit, au contraire, que le népotisme, la protection, l’intrigue, la bassesse & l’espionnage obtinssent à chaque instant la préférence sur le mérite ; alors les talens devenant inutiles, tout sujet qui n’auroit pour lui ni parens ni protecteurs, seroit contraint de recourir au moins à l’une des trois autres voies pour s’avancer : alors comment les vices que le soin de son propre intérêt lui aura fait contracter, & qui d’un jour à l’autre le conduiront à de nouveaux degrés de dépravation, n’influeroient-ils pas malgré la vigilance & les ordres des supérieurs, dans la partie d’administration dont il est chargé particulièrement ?