Eveline, Aventure et intrigues d’une miss du grand monde/Chapitre VIII

La bibliothèque libre.
Chez tous les Marchands de Nouveautés, Paris, 1907
◄   Chapitre VII. Chapitre VIII. Jeffreys — Le batelier — Le jeune ? — Ma seconde grossesse — Terrible accident — Mon deuil.   ►


CHAPITRE VIII

JEFFREYS — LE BATELIER — LE JEUNE ? — MA SECONDE GROSSESSE — TERRIBLE ACCIDENT — MON DEUIL


Je voulus nourrir mon baby moi-même, considérant que c’est le devoir de toute femme de ne pas laisser ce soin à un sein étranger, j’y trouvai du reste une joie et un bonheur sans mélange.

Quelque temps après ma délivrance, j’étais assise un soir, seule, dans le parloir. Sir Edward étant sorti, je lisais, quand Jeffreys, le valet de mon mari, entra pour remettre du charbon dans le feu.

J’avais souvent rêvé de faire servir ce grand et robuste garçon à mes plaisirs, mais j’avais toujours craint de perdre un bon domestique en le plaçant sur un pied d’égalité avec son maître ; une longue expérience de son caractère me convainquit que Jeffreys n’était pas homme à prendre avantage des privilèges que je pourrais lui accorder. Je résolus alors de l’admettre dans mes jeux.

Comme il allait se retirer, je l’appelai, le priant de regarder dans mon dos si je n’avais pas une épingle qui me piquait. Comme mes vêtements étaient très lâches, cela était facile.

— Voyez-vous quelque chose, Jeffreys ?

— Non, madame.

— Mais cependant cela me pique.

— Voulez-vous que je frotte un peu ?

— Oui, mais frottez en dedans, Jeffreys, un peu plus bas, encore, encore (il touchait presque mes fesses), encore, là, maintenant, vous pouvez frotter ; il était dans leur séparation.

Sa main s’abaissa graduellement, je me haussai un peu et il toucha le siège des amours, il y introduisit son doigt, je me penchai alors en arrière pendant que de mes bras jetés autour de son cou, j’attirai sa tête vers la mienne, nos lèvres se rencontrèrent.

— Que font les servantes ? lui dis-je.

— Elles sont à l’ouvrage.

— C’est bien, descendez maintenant, vous reviendrez dans dix minutes.

Au bout de dix minutes, il revint. Je me jetai dans ses bras. Son membre était court et d’une épaisseur extraordinaire, le plaisir qu’il me donna différait entièrement de ce que j’avais ressenti jusque-là. C’était plutôt au pourtour que dans le centre que j’éprouvais du plaisir ; quant au foutre, il en déchargea une immense quantité qui formait un lac sur le tapis. Trois fois, il revint dans la soirée et trois fois il fit d’aussi copieuses libations. Je le priai de laisser sa porte entr’ouverte afin que je puisse aller le rejoindre la nuit, si j’en trouvais l’occasion.

Ce soir-là était celui où mon mari sacrifiait sur l’autel conjugal, et ordinairement après il s’endormait d’un profond sommeil. Vers minuit, je me levai, j’ouvris doucement la porte et me dirigeai vers la chambre de Jeffreys qui m’attendait anxieusement. Après avoir joui deux fois, je lui tins ce petit discours :

— Vous ne devez pas supposer, Jeffreys, parce que je vous admets dans mes faveurs, que vous jouirez dans la maison d’une plus grande autorité que par le passé.

Votre maître sera toujours votre maître, et si vous vous écartez de cette ligne de conduite, une séparation éternelle aura lieu entre nous. Si, au contraire, vous vous souvenez de votre situation, je me reconnaîtrai largement envers vous !

— Soyez tranquille, madame, je suis trop reconnaissant de la faveur que vous me faites pour risquer votre déplaisir, du reste, je vous ai aimé sans espérance, mais maintenant que mes désirs sont satisfaits, je préférerais mourir que de vous quitter.

— Soyez certain, Jeffreys, que vous ne me quitterez pas tant que vous vous conduirez bien.

Le lendemain matin, j’entrai dans la salle à manger où Jeffreys rangeait.

— Eh bien, Jeffreys, comment vous trouvez-vous ce matin ?

— Je ne me suis jamais si bien porté, madame.

— Voulez-vous m’embrasser, Jeffreys ?

— Je voudrais bien autre chose, mais je n’ose pas, si on venait.

— Bah ! fermez la porte et ne soyez pas trop long.

J’avais à peine fini de parler que le monstrueux membre était entre mes cuisses et me faisait jouir comme s’il ne m’avait pas déjà fait pâmer d’amour quatre fois la nuit précédente.

En passant un jour sur Westminster Bridge, je vis près du parapet un jeune batelier d’une beauté peu commune. Je lui demandai s’il voulait me conduire jusqu’à Vaux-Hall Bridge ; pour toute réponse, il me tendit la main et je sautai dans la barque. Un peu avant d’arriver, je lui dis hardiment :

— Voulez-vous être mon favori ?

— Avec autant de plaisir que j’aimerais que vous fussiez ma favorite.

— Voulez-vous essayer tout de suite ?

— On pourrait nous voir.

— Il n’y a pas de danger, nous sommes au milieu de la rivière et je suis voilée.

— Oui, mais j’aurai certainement une amende.

— Eh bien, je la payerai.

Je me glissai au fond du bateau, il laissa aller les rames et se coucha sur moi, je trouvai un plaisir exquis au balancement de la barque dans un pareil moment. Nous entendîmes quelques cris partis du rivage, on nous avait aperçus, je lui commandai aussitôt de s’arrêter, et après lui avoir donné mon adresse de Primlico, je sautai sur la rive ; une voiture me ramena rapidement chez moi, où je rentrai sans qu’on se fût aperçu de ma longue absence.

Quelques jours après, je revis mon batelier qui me raconta qu’il avait été obligé de partager les guinées que je lui avais données avec trois autres bateliers qui nous avaient vus dans le bateau, sans quoi ils auraient recherché quelle était la femme, sûrs d’une bonne aubaine. Je remerciai beaucoup ce jeune garçon et je le revis souvent par la suite. Durant le séjour de mon père à Londres, je passai de bons après-dîners avec lui. Mon frère vint aussi me voir, et je rencontrai de temps en temps Robert chez ma mère ; quant à Prosper, je n’avais joui avec lui que deux fois il était parti en Islande peu de temps après.

Un soir que j’étais seule, j’entendis frapper à la porte, et bientôt la voix de Robert qui demandait à me voir parvint à mon oreille, j’ordonnai qu’on le fît entrer.

— Venez-vous de la part de ma mère, Robert ?

— Non, madame, je viens vous demander si vous avez quelques commissions pour Paris.

— Pour Paris ?

Soupçonnant la cause de ce brusque départ, je confessai le pauvre garçon qui m’avoua qu’il était malheureux loin de moi, que ma mère ne l’aimait pas, et qu’il préférait aller en France. Je lui promis de tâcher de le garder auprès de moi et de lui donner une réponse le lendemain. En attendant, je réclamai une preuve de son amour ; en l’espace de trois minutes, il me fit jouir deux fois des plaisirs ineffables de l’amour.

Le soir, au dîner, je parlai de Robert à mon mari.

Sir Edward trouva que nous avions assez de domestiques, et que nous ne pouvions, pour le moment, en prendre un de plus ; nous tombâmes d’accord que Robert attendrait la première vacance.

Le lendemain matin, quand Robert fut entré, je lui expliquai que je ne voulais pas qu’il quittât Londres, qu’il allait prendre un logement dont il me donnerait l’adresse, que je lui donnerais quinze livres par mois, et que j’irais le voir tous les jours, que je serais libre entre midi et une heure ; je lui recommandai la plus grande discrétion et de ne jamais prononcer mon nom.

— Maintenant, Robert, donnez-moi quelques bons baisers avant de vous en aller.

— Rien d’autre, ma chérie ?

— Si, si, mon cher Robert, tout ce que tu pourras me donner.

Je tombai dans ses bras et nous jouîmes délicieusement du même spasme amoureux.

Un jour que je montais l’escalier, je vis un jeune vitrier qui remettait un carreau cassé ; c’était un jeune homme de dix-huit à vingt ans, beau comme le jour ; je passai près de lui, sans paraître le remarquer, mais à peine fus-je dans ma chambre que je cassai une vitre et sonnai.

— Sophie, faites dire au vitrier de venir pour remettre ce carreau que je viens de casser maladroitement en poussant le volet.

— Madame, il est justement dans la maison.

— Alors, c’est très bien, vous le ferez monter quand il aura fini, et vous Sophie vous irez me chercher le dernier livre de Lord Byron chez le libraire.

Peu d’instants après que je fus seule, j’entendis un léger coup frappé à la porte.

— Entrez, ah ! c’est vous, jeune homme, tenez, voici le carreau.

Comment vais-je faire pour baiser ses lèvres roses ; lui demanderai-je hardiment de me satisfaire ; mais il est si jeune, et semble si innocent. Je brûlais du désir de m’enivrer de cette jeunesse ; quels yeux magnifiques, quelle belle chevelure légèrement bouclée, et quelles dents éblouissantes ! Combien son baiser doit être doux !

Je commençai à lui parler de son métier, et je m’aperçus qu’il ne l’avait pris que pour faire vivre sa mère, pauvre veuve d’officier tué en Espagne ; quand je connus à fond sa détresse, je lui offris pour sa mère un billet de quarante livres.

Il voulut se jeter à mes genoux pour me remercier, mais je le retins dans mes bras et le serrai contre ma poitrine ; je posai mes lèvres sur les siennes et posai mon genou contre ses cuisses ; je sentis une certaine dureté, alors je lui murmurai dans un soupir :

— Peux-tu m’aimer et être mon ami ?

— Je t’adorerai et serai ton esclave.

Je le déboutonnai et mis au jour son membre dur et gros, je le caressai, je l’embrassai, je respirai sa douce odeur, et, me couchant sur mon lit qui était tout près, je l’attirai sur moi et nous jouîmes délicieusement de notre premier embrassement. J’éprouvais une volupté immense à jouir de ce jeune homme plein de vie et d’innocence, à m’enivrer de ses effluves d’amour nouveau et vierge.

Pendant cet hiver-là, je pris l’habitude de me laver soir et matin avec de la neige recueillie dans des tonneaux, et c’est à cette coutume que j’attribue la fermeté de ma poitrine que je n’ai jamais perdue.

Je nourris mon enfant pendant quinze mois. Je restai environ trois mois sans avoir aucune relation avec un autre homme que mon mari. Je souffrais beaucoup de cette privation de plaisirs sensuels ; mon mari, voyant mon état, me suppliait de renoncer à mon abstinence, mais rien ne put prévaloir contre mes principes, j’étais résolue à ne pas donner à mon mari des enfants étrangers. Enfin, je me retrouvai enceinte, j’annonçai cette joyeuse nouvelle à Sir Edward qui, heureux et triomphant, me donna alors carte blanche pour satisfaire mes passions lubriques.

— Tout ce que je vous demande, ma bien-aimée, me dit-il, c’est d’être prudente dans votre choix, le monde est si méchant que je ne voudrais pas qu’il trouvât à mordre à votre réputation.

— Soyez tranquille, mon cher, je ne déshonorerai pas votre nom ni votre tête.

— Vos passions, ma chère Éveline, demandent plusieurs hommes pour les satisfaire, elles sont indomptables et telles que j’en ai rarement vu de pareilles ; ce n’est pas votre faute, mais je suis trop malheureux de vous voir souffrir pour vous empêcher de les satisfaire.

Je l’assurai que je n’aimais que lui par le cœur, et c’était vrai, je n’avais réellement une sincère affection que pour Sir Edward.

Durant tout le temps de ma grossesse, je continuai mes nombreux plaisirs. Personne ne soupçonnait Lady H…, reçue partout avec respect et considération, d’être la proie de ses désirs insensés ; aucun homme de mon monde n’avait jamais reçu aucun encouragement, et j’étais citée comme le modèle des femmes et des mères ; tel est l’effet de la prudence, dans le commerce du monde, elle rapporte plus que la vertu, et beaucoup de femmes ont la réputation d’être vertueuses, quand elles sont seulement prudentes.

Peu de temps après, j’accouchai d’une petite fille que je nourris moi-même comme j’avais fait de mon fils. J’étais la plus heureuse des femmes, femme d’un gentleman honorable, instruit, estimé ; mère de deux charmants enfants, maîtresse d’excellents serviteurs qui m’aimaient et me respectaient, convive aimée de chaque société, possesseur d’une fortune princière, maîtresse entière de mes actions, mon bonheur m’effrayait pour une simple mortelle ; la roue de la fortune change tout cela.

Un soir de décembre, j’attendais mon mari qui était allé passer la soirée au dehors, et qui devait rentrer à pied s’il ne pleuvait pas. Tout à coup, une voiture s’arrêta à la porte et un violent coup de sonnette annonça un visiteur étranger.

Le valet s’empressa d’ouvrir.

Un domestique en livrée demanda si c’était bien ici la maison de Sir Edward H…, sur la réponse affirmative du valet, il le pria de venir l’aider à descendre son maître qui était dans un état alarmant.

J’entendis Jeffreys s’écrier, et je vis mon mari soutenu par les deux valets s’avancer pâle et chancelant. Je poussai un cri et m’évanouis ; quand je revins à moi, j’étais dans mon lit, entourée de ma mère et des domestiques en pleurs, un docteur était là.

— Où est mon mari ? m’écriai-je.

— Tranquillisez-vous, madame, Sir Edward n’est pas mort.

— Alors, je veux le voir.

— C’est impossible, madame, votre présence pourrait lui faire mal.

— Non, non, au contraire, je veux le voir.

Je priai tant que sur ma promesse d’être calme, je pus pénétrer dans l’appartement où était couché Sir Edward, assisté de deux chirurgiens.

En revenant, il avait été assailli par quelque rôdeur qui lui avait volé sa chaîne et sa montre après l’avoir blessé, un passant l’avait relevé, et, ayant trouvé sa carte, l’avait fait porter chez lui. Je m’établis sa garde-malade, et pendant cinq jours et cinq nuits, je ne le quittai pas, passant par des crises de désespoir et des accès de folle espérance ; le cinquième jour, il demanda à voir ses enfants ; il me les recommanda, posa une dernière fois ses yeux avec amour sur les miens, et expira dans mes bras.

Pendant six mois, je fus presque folle, je restai des heures entières assise au même endroit, croyant converser avec mon bien-aimé. On consulta les plus grands médecins qui ordonnèrent de me mener à la campagne. On me mena où j’avais passé mes premières années, et, peu à peu, je revins à la vie ; je recommençai à m’occuper de mes enfants, je pus pleurer. Je me rappelai combien mon cher mari m’avait recommandé ses enfants, je me reprochais de les avoir négligés, je résolus de leur dévouer ma vie, de ne jamais me remarier.

Je repris peu à peu ma santé et mes belles couleurs, en même temps je pris connaissance du testament de mon mari qui m’avait assuré une fortune, en me constituant exécutrice testamentaire.

Le temps qui aplanit tous les obstacles diminua mon chagrin ; je ne pleurai plus, mais le souvenir de mon mari n’était jamais absent de ma mémoire.

Pour me distraire, mes parents me proposèrent de faire un voyage. J’y étais disposée moi-même, car mes désirs qui, pour un temps, s’étaient apaisés, revenaient plus irritants que jamais ; le contact d’un homme me faisait tressaillir, la vue d’un homme dont j’avais joui me faisait défaillir. J’étais forcée cependant de m’abstenir, car mon mari n’était plus là pour me couvrir de sa protection. Je réglai mes affaires en Angleterre, et je partis pour la France ; j’avais avec moi Robert, Jeffreys, Thompson le cocher, Thomas le groom, Sophie et la bonne des enfants.

Je résolus de me fixer à Paris où, quand on a un peu de considération et de la fortune, personne ne s’occupe de vos affaires privées. À Paris, vous n’êtes pas comme à Londres sujet aux épigrammes de chaque journaliste, vous n’êtes pas exposé à la censure des femmes qui n’ont jamais eu l’occasion de perdre leur vertu ; à Paris, pourvu que vous soyez riche, vous jouissez d’une entière liberté ; les Parisiens sont le peuple le plus indulgent, ce qui fait que leur capitale est vraiment par excellence le Paradis des Femmes.


FIN