Exégèse des Lieux Communs/039

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Mercure de France (p. 83-85).

XXXIX

C’est l’ambition qui perd les grands hommes.


Savoir ce que le Bourgeois entend par un grand homme n’est pas la chose la plus facile. Tout le monde penserait que le plus grand homme, à ses yeux, est celui qui a le plus d’argent. Eh bien ! ce n’est qu’une opinion plausible. Ce n’est pas encore tout à fait ça.

Au-dessus de l’homme qui a beaucoup d’argent, il y a celui qui fait peur, ayant le pouvoir de prendre l’argent des autres et de leur donner, en échange, des coups de pied dans le cul. Celui-là est incontestablement un plus grand homme.

Il y en a pourtant un troisième qui est plus grand encore, si j’ose le dire, qui est, à coup sûr, le plus grand des hommes. C’est celui qui venge le Bourgeois de cette Vérité offensive dont il vient d’être parlé. Un tel victorieux, on le comprend, n’a pas besoin d’être riche ni de répandre la terreur. Inutile même qu’il se nomme Renan ou Voltaire. Ne fût-il qu’un cuistre bâtard, un moléculaire et vagabond apostat, dans les plus vermineuses guenilles, il est le Scipion de cette Carthage de lumière qu’il faut détruire. Cela suffit. Son ambition, s’il en avait une, serait de partager la gloire de ce soldat immortel et ganté de fer qui souffleta, chez le grand Pontife, aux matines du Vendredi saint, le Christ enchaîné.

Mais, alors, que nous veut ce Lieu Commun avec son « ambition » désastreuse ? Je me le demande. Si quelque chose manque essentiellement au Bourgeois, c’est la Grandeur qu’il abhorre. Il ne peut donc pas se perdre par là et le Lieu Commun qui nous embarrasse a dû être mis en circulation par de très petits hommes qui voulaient en imposer.