Exégèse des Lieux Communs/079

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Mercure de France (p. 149-150).

LXXIX

Aller son petit bonhomme de chemin.


« Alexandre le Grand réduisit, après sept mois d’un siège opiniâtre, l’imprenable ville de Tyr. Pour la punir de cette résistance, il fit mettre en croix deux mille habitants échappés à la fureur du soldat. Après quoi il continua, dans la direction de l’Égypte, son petit bonhomme de chemin. »

Ainsi parlait au lycée de Périgueux, il y a quelque quarante ans, un digne professeur d’histoire à qui nous infligions, presque chaque jour, d’effroyables farces dont il s’apercevait à peine.

Ce « petit bonhomme de chemin » est resté dans ma mémoire avec le nom d’Alexandre et la figure de ce savant comme une sorte de mastic. Il n’a plus été possible de les séparer et, par le phénomène de l’association et de la filiation des idées, je ne puis entendre ce Lieu Commun sans voir aussitôt les plus héroïques personnages se défiler d’une patte légère, après avoir accompli quelque rosserie grandiose. Napoléon, par exemple, après la Bérésina, ou, si on le préfère, l’aimable Néron qui n’était, je le veux bien, qu’un imbécile, mais un imbécile maître du monde et qui allait, lui aussi, son petit bonhomme de chemin planté de chrétiens en feu, comme l’a raconté Tacite, ut cum defecisset dies, in usum nocturni luminis urerentur.

Le Bourgeois, à son tour héritier et successeur de ces personnages effrayants, va son petit bonhomme de chemin vers la mort, éclairé par les étrons.