Exégèse des Lieux Communs/128

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Mercure de France (p. 220-221).

CXXVIII

L’Inquisition.


Celui-là n’a pas bougé. Il est exactement au même point qu’il y a cent ans. Les auto-da-fé, les bûchers, les san-benito, les brodequins, les chevalets, les cabestans, les tenailles, les pals, les scies, les limes, les fouets, les clous, les grils et les crics, ça va toujours. L’instrument de torture est un article courant et de première nécessité. L’âme du gazier et celle du planeur ont besoin d’être persuadées que l’histoire de l’Église est une longue friture. Le Bourgeois, quel que soit son métier, peut douter d’une addition, mais il sait qu’il y a eu un ou plusieurs ordres religieux institués à l’unique fin de brûler à petit feu les penseurs ou de les écorcher de la tête aux pieds.

Ah ! ces penseurs, mon enfance en a-t-elle été assez farcie, comblée, bondée, obstruée, saturée, soûlée. C’était au point que tout prêtre m’apparaissait au milieu des flammes et des échafauds, environné de pensantes victimes. Ce qu’il y avait de plus atroce, c’est que plus on était vertueux et plus on pensait, moins on échappait à ces tigres. Que de larmes ! que de cris ! que de hurlements de désespoir ! et, de ma part, que de juvéniles épiphonèmes ! que d’imprécations ! Tout cela venant à se combiner avec les hennissements euphoniques de la puberté, je commençai à devenir moi-même un penseur…

Le décor et la mise en scène des supplices ont quelque chose de si captivant que des hommes qu’on aurait pu croire situés à une certaine distance des boutiques et qui n’étaient pas nécessairement séquestrés dans une ignorance imprenable, des poètes tels que Victor Hugo et Villiers de l’Isle-Adam, ont navigué avec bonheur dans les vieux bateaux à voiles de l’Inquisition d’Espagne. Chacun d’eux a fait son Torquemada.

Villiers seul, qui se croyait catholique, s’est avisé d’un Pierre d’Arbuès, premier inquisiteur de la foi en Aragon, assassiné par les Juifs, en 1485 au pied de l’autel et canonisé par Pie IX. Ce saint et même ce martyr est montré par l’auteur des Histoires insolites dans la posture d’un opiniâtre et sanguinolent papelard qui exhorte à l’amour divin en faisant craquer les os…

Alors que voulez-vous ! On a envie de les embrasser en pleurant, les bourgeois et leurs sous-bourgeois qui poussent dans l’ombre de ces montagnes et qui, peut-être, crétinisent avec innocence.