Exégèse des Lieux Communs/176

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Mercure de France (p. 282-283).

CLXXVI

On fait ce qu’on peut.


Quand on a fait des enfants et qu’on est arrivé à se faire un nom, on a fait ce qu’on pouvait et je ne vois pas ce que Dieu même aurait à demander de surcroît. Les fameux Commandements du Sinaï ne sont qu’un décor facultatif. Le solide et le certain c’est ce qui vient d’être précisé.

« Une fois, dit la Bienheureuse Angèle de Foligno, j’étais plongée dans une méditation sur la mort du Fils de Dieu… Alors cette parole me fut dite dans l’âme : « Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée ! » Je crus recevoir un coup mortel et je ne sais comment je ne mourus pas… D’autres paroles vinrent qui augmentèrent ma souffrance : « Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée, ce n’est pas par grimace que je me suis fait ton serviteur, ce n’est pas de loin que je t’ai touchée ! »

À ce dernier mot, le Bourgeois, le vrai, l’éternel Bourgeois, celui qui fut homicide dès le commencement, bondit en criant :

— Tu m’as touché, toi ! tu oses dire que tu m’as touché, avec tes Mains et tes Pieds percés et ta Face en sang et ta Sueur de sang et les hurlements de ta multitude juive et le ruissellement surnaturel de ta longue Flagellation ! Tu m’as touché ! ah ! vraiment, pauvre Homme-Dieu, pauvre Bon Dieu des anciens temps ! Es-tu seulement une pièce de cent sous pour agir sur moi ? Tu ne voulais pas rire avec ta bienheureuse et ta bienheureuse non plus ne voulait pas rire. Eh bien ! moi, c’est tout le contraire. Je suis un homme gai, un joyeux bougre et je n’ai pas plus besoin de tes Larmes que de ton Sang. Je suis né pour les affaires et la rigolade, et je n’entends rien à la pénitence ni aux extases. On fait ce qu’on peut, on n’est pas des bœufs.

Post-scriptum. — « J’ai eu faim, dira le Juge, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire… » — Tout ça, c’est très joli, répondront mille charcutiers, mais le carême nous fait rudement du tort.