Examen critique de la soi-disant réfutation/07

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VII.


LA PARABOLE DU SAMARITAIN


Luc, Chap. X.


M. Dessaulles à l’auteur anonyme d’un Pamphlet dirigé contre lui.


Toi qui par un libelle, as cru me diffamer,
Délateur courageux qui n’oses te nommer,
Tu nuis dévotement ; et ta haine, mon frère,
Sous un masque emprunté de piété sincère,

De zèle et de ferveur colorant son venin,
Va perçant, flétrissant, déchirant ton prochain ;
Ce sont de noirs péchés, que Dieu te les pardonne !
Il est une leçon qu’il faut que je te donne ;
Ou plutôt que Jésus, mon Sauveur et le tien,
T’enseigne en son discours comment on est chrétien.

Un docteur de la loi, cherchant à le surprendre,
Lui dit : « Maître, parlez ; ne pourriez-vous m’apprendre
Quel chemin le plus court doit nous conduire au ciel,
Et comment on est pur aux yeux de l’Éternel ? »
Jésus lui répondit : « Vous avez le saint livre ;
Qu’y lisez-vous ? Comment vous prescrit-il de vivre ? »
« — On y lit : Vous devez, en tout temps, en tout lieu,
Aimer par-dessus tout le Seigneur votre Dieu ;
D’esprit, de cœur et d’âme il commande qu’on l’aime,
Aimez votre prochain à l’égal de vous-même :
Ainsi le veut la loi ; son texte m’est connu. »
— Jésus dit : « Vous avez sagement répondu,
Allez ; accomplissez cette loi salutaire. » —
Un docteur a toujours de la peine à se taire.
Le nôtre donc insiste : « Et quel est mon prochain ? »
Jésus lui répondit par ce récit divin :
« — Un homme descendait de la montagne sainte ;
Des murs de Jéricho ses pas gagnaient l’enceinte,
Lorsque par des voleurs il se vit dépouillé ;
Ces brigands, dont le bras d’horreurs était souillé,
L’ayant meurtri, navré des coups qu’ils lui donnèrent,
Sur le bord du chemin mourant l’abandonnèrent.
Un prêtre vers ce lieu tourna d’abord ses pas :
Il vit ce malheureux… et ne s’arrêta pas.
Un lévite à son tour vient sur la même place ;
Il voit ce malheureux, l’entend gémir… et passe.
Vint un Samaritain ; que pensez vous qu’il fit ?
Entendant des sanglots, la pitié le saisit,
Il s’arrête, il s’émeut ; et, mettant pied à terre,
Court à ce malheureux, entre ses bras le serre,
Le soulève, lui fait reprendre ses esprits,
Se dépouille, et partage avec lui ses habits ;
D’une main secourable il panse ses blessures,
De flots d’huile et de vin baigne ses meurtrissures ;
Et dans ses soins pieux ne pouvant se lasser,
Sur sa monture enfin parvient à le placer.
Il le conduit lui-même en une hôtellerie,
Veille auprès de son lit, charme son insomnie.
Le lendemain matin, obligé de partir :
Aux maux qu’il souffre encor vous saurez compatir,

Dit-il à l’hôtelier ; soutenez sa faiblesse,
Usez de cet argent que pour lui je vous laisse.
S’il ne suffisait pas, ajoutez ce qu’il faut ;
N’épargnez rien enfin, je reviendrai bientôt,
Et je vous rendrai tout. Il eut sa récompense ;
Le malade guérit. Or, que faut-il qu’on pense
Des trois qui tour à tour sur la route ont passé ?
Lequel fut le prochain du malheureux blessé ?
— Sur la réponse est-il quelqu’un qui ne s’accorde ?
Celui qui sur cet homme a fait miséricorde.
— Il est vrai, dit Jésus ; allez, et montrez-vous
Comme lui, bon, humain, charitable envers tous. »


Ô le bel apologue ! Ô la douce parole !
Docteurs haineux et durs, allez à cette école ;
Faut-il vous expliquer l’ingénieux dessein
Qui pour modèle aux Juifs montre un Samaritain ?
Savez-vous qu’autrefois l’enfant de Samarie
Fut aux yeux des Hébreux un proscrit, un impie,
Qu’ils avaient en horreur cet ennemi du ciel,
Et du mont Garizim le sacrilège autel ?
C’est ce proscrit pourtant, dont la noble conduite
Condamne ici le prêtre et fait honte au lévite !
Que ce précepte saint, désormais mieux compris,
Pénètre en tous les cœurs, rogne en tous les esprits.
Amené lentement jusqu’à la tolérance[1],
Le monde ira plus loin, j’en conçois l’espérance ;
Se tolérer, c’est peu ; ce n’est que se souffrir,
Il faut nous entr’aimer, nous entre-secourir ;
Avec tous les humains en frères sachons vivre,
Telle est la douce loi qu’enseigne le saint livre.
— Et toi, mon bon prochain qui m’as calomnié,
Mon cœur ne nourrit point pour toi d’inimitié.
Viens m’offrir, s’il se peut, l’occasion propice
D’exercer ma vengeance… en te rendant service ;
Viens, dis-je, souviens-toi que le Samaritain,
Par ce récit t’apprend que je suis ton prochain.

  1. On entend ici la tolérance envers les personnes, qui non-seulement est un devoir, mais un des points les plus saillants de la morale chrétienne.


    On pourrait dire aussi, la tolérance civile, que l’Église non-seulement admet, mais que pour certaines circonstances, Elle bénit comme un bienfait.