Excursion en Auvergne

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EXCURSION

EN AUVERGNE

COMPTE RENDU

PAR

Louis BOUTILLIER,

Président de la Société des Amis des Sciences naturelles de Rouen, Membre de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, etc.

ROUEN

IMPRIMERIE LÉON DESHAYS

Rue Saint-Nicolas, 28 et 30.


1877

Extrait du Bulletin de la Société des Amis des Sciences naturelles de Rouen, année 1876, 2e  semestre.

EXCURSION


EN AUVERGNE


Séparateur



Personne n’ignore que plusieurs membres de notre Société avaient projeté depuis longtemps une excursion en Auvergne, à titre de ballon d’essai lancé dans les voies de l’avenir. C’est aussi ce qui explique pourquoi ce projet de promenade lointaine a été formé et entrepris sous un caractère absolument privé.

La tentative ayant pleinement réussi, je viens, comme il convient, Messieurs, et au nom de l’essaim voyageur, vous offrir le résumé, sans doute bien incomplètement traduit, des innombrables jouissances intellectuelles qu’il lui a été donné de savourer au sein de la délicieuse contrée, où il a joyeusement butiné pendant toute une semaine.

Les heureux excursionnistes, au nombre de dix : MM. Léon Dupré, Labigne, Lecrocq, Augustin Le Marchand, Auguste Madoulé, Morel, Neveu, Albert Witz, Georges Witz et Louis Boutillier, se trouvèrent réunis dans la soirée du 25 juin à Clermont-Ferrand, lieu du rendez-vous général. Leur premier soin fut de se placer sous la direction expérimentée de M. A. Julien, le savant et très-sympathique professeur de géologie à la Faculté des sciences de Clermont, qui avait eu l’exquise urbanité de venir souhaiter la bienvenue à des étrangers dont il devait se faire bientôt autant d’amis.

Le programme des courses scientifiques à réaliser est vite discuté et arrêté, et chacun de nous gagne sa chambre et son lit.

Pendant que mes collègues puisent dans un paisible sommeil une énergie précieuse, je vais essayer d’esquisser à grands traits le pays où se bercent mollement leurs rêves élyséens.


Le département du Puy-de-Dôme tire son nom de la plus haute montagne des monts Dômes. Il présente, dans sa surface, un immense bassin onduleux appelé la Limagne et deux longues chaînes de montagnes qui le flanquent à l’est et à l’ouest.

Dans la plus grande partie de son étendue, ce département est hérissé de montagnes et de collines volcaniques d’un cachet tout particulier se liant entre elles par d’affreux précipices ou par de fertiles vallons, Les bossellements inégaux du sol en rendent l’aspect si singulièrement pittoresque qu’à chaque instant le touriste découvre de charmants paysages, de ravissants tableaux, que l’on pourrait comparer à ceux de la plus brillante galerie, si la sublime et inépuisable nature n’était pas au-dessus de toutes les imitations qu’essaie d’en faire même le génie.

Les montagnes de ce département offrent les vestiges de l’un des plus terribles incendies du globe ; les déjections volcaniques ont coulé avec une telle abondance qu’elles ont recouvert tout l’ancien sol. C’est avec une avide curiosité que l’œil parcourt ce terrain scorifié et ces énormes boursoufflures, dont quelques-unes montrent encore leurs cratères éteints environnés de matières poreuses et légères. Du sommet de ces hautes éminences, jadis vomies par d’épouvantables fournaises et aujourd’hui gracieusement revêtues d’une éclatante parure, l’observateur attentif peut encore suivre, par la pensée, les ondulations des flots bouillonnants de lave avant leur solidification et assister ainsi aux effroyables déchainements des forces souterraines.

La nature semble communément traiter en marâtre les régions montagneuses et ne composer leur livrée que des attributs lugubres de sa sévérité ; mais elle a fait une généreuse exception en faveur des cônes pierreux du Puy-de-Dôme, qu’elle à décorés d’une luxuriante végétation. D’épais rideaux de forêts voilent la base de ces montagnes ; leurs flancs sont tapissés d’herbes fraiches, de gazons touffus, qu’émaillent et parfument à l’envi les plus élégantes fleurs, et dont la délicate saveur réjouit les nombreux troupeaux qui constituent l’une des principales richesses du département.

Le sol arable du pays est formé de la décomposition des roches éruptives, dont les fragments, brisés par des chocs répétés, puis charriés, divisés, triturés et balayés par les eaux ont successivement rempli les vallées. Aussi les terres qui avoisinent les extrémités inférieures des pentes et des plateaux sont-elles de beaucoup les plus fertiles. Vivifiée par d'innombrables filets d’eau, la végétation s’y développe avec une étonnante vigueur.

Les alentours de Clermont sont surtout des plus séduisants.

Assise sur un monticule d'origine volcanique, la ville de Clermont s'étale en amphithéâtre au centre d'un hémicycle de montagnes et de collines. Du nord à l’est, se déroule une immense plaine, au-delà de laquelle resplendissent une foule de villages enveloppés d'une ondoyante verdure. De l'autre côté, se déploie en demi-cercle tonte une chaine de monts isolés, dont le majestueux puy de Dôme occupe le milieu de la courbe, Des collines étagées, les unes nues et stériles, les autres couvertes de vignes ou parsemées de bois, s'élèvent du pied de la vallée jusqu'au bord du plateau qui supporte les puys supérieurs. Au sud, dans le lointain, se montrent les monts Dores et, plus près, la butte aplatie de Gergovia, où les armes de Vercingétorix, ce héros de la Gaule, tinrent en échec la fortune de César en faisant subir à ses légions victorieuses la honte d’une meurtrière défaite. Ensuite, tout auprès, le puy de Gravenoire ; puis le Montrognon avec ses ruines poétiques, débris muets d’une forteresse féodale qui fut la résidence des dauphins d’Auvergne. À l’autre extrémité de la chaîne, ce sont les puys de Chanturgues et de Var qui lèvent leurs croupes scorifiées chargées d’opulents vignobles.

De quelque côté que la vue se promène, elle est agréablement distraite par une étrange diversité de sites romantiques tour à tour sauvages et champêtres, mais toujours fascinateurs sous leurs aspects imprévus, et présentant un délicieux mélange de riantes prairies, de vergers bigarrés, de gigantesques gibbosités, de bosquets fleuris, d’escarpements rapides, d’arbres séculaires, de coteaux doucement inclinés, de somptueuses villas, de modestes métairies et de mobiles ruisseaux aux capricieux méandres, dont les ondes limpides et bondissantes communiquent partout la fraicheur, le mouvement et la vie. En vérité, la nature semble avoir prodigué les dons de la magnificence à cette portion de l’Auvergne, si propre à surprendre l’admiration, à charmer les regards, et qui plait d’autant plus qu’on la connait davantage.

À cet ensemble grandiose qui électrise puissamment les fibres du cerveau, se joignent des avantages plus réels encore et dignes au plus haut degré des esprits méditatifs, des géologues surtout, par l’observation des masses platoniques dont l’arrangement et l’enchevêtrement forment les deux grandes chaînes de montagnes qui donnent au pays son relief si pittoresquement accidenté.

Les intéressants phénomènes géologiques que l’on rencontre à chaque pas dans le département du Puy-de-Dôme ont été depuis nombre d’années l’objet d’un examen approfondi qui se poursuit encore avec succès, tant il est vrai qu’il y a toujours à glaner dans le riche domaine de la science. Bien que les coulées volcaniques soient généralement recouvertes de végétation, l’érosion des eaux a cependant mis de nouveau quelques rides de leurs flancs à nu sur une foule de points. En quelques endroits, les éboulements ont dévoilé de belles colonnades basaltiques, semblables à celles du nord de l’Irlande, imposant témoignage des furieux embrasements qui jadis bouleversèrent ces régions.

Je toucherai, en passant, quelques mots sur ces masses prismatiques que nous offrent, en colonnes pressées, plusieurs contrées volcaniques du globe.

Tantôt les prismes basaltiques sont de véritables monolithes, comme s’ils avaient été formés d’un seul jet ; tantôt ils sont divisés, à intervalles presque égaux, par des fentes transversales parfois très-rapprochées et rappelant les articulations d’une colonne vertébrale. Assez fréquemment ces articulations sont singulièrement jointes les unes aux autres, et présentent alors de forts bizarres emboîtements.

La structure colonnaire des balsates est commune à d’autres roches feldspathiques d’origine ignée ; mais de toutes les productions plutoniques, ce sont les nappes basaltiques qui montrent le plus distinctement le phénomène de la division prismatique.

Les colonnes de basalte affectent toutes sortes de position. Il en est qui constituent de grands et beaux piliers, mais dont le diamètre n’est pas toujours proportionné à la hauteur. Les prismes les plus petits sont généralement aussi les plus parfaits.

Quelquefois les prismes basaltiques sont diversement dirigés en faisceaux circulaires et radiés, ou groupés en arches courbées ou bifurquées ; cependant ils apparaissent le plus souvent en colonnes verticales figurant d’énormes tuyaux d’orgues ou d’immenses pilastres fendillés.

Longtemps on a prétendu que ces divisions prismatiques étaient des cristaux ; mais cette hypothèse aventureuse doit être à jamais rejetée. En effet, la régularité de la forme extérieure des véritables cristaux doit être accompagnée de la structure régulière intérieure, et cette conformité, qui est réalisable dans des substances homogènes, ne saurait se produire dans des matières hétérogènes. En examinant attentivement les prismes basaltiques les mieux réussis, on s’aperçoit bientôt qu’il leur manque la similitude et surtout la constance des angles. La division prismatique est tout simplement la conséquence du resserrement ou du chement des molécules de la masse liquéfiée lors de son refroidissement, phénomène qui en produisant des fissures dans plusieurs directions amène la configuration colomnaire.



JOURNÉE DU LUNDI 26 JUIN


CLERMONT ET SES MONUMENTS. - MUSÉE LECOQ.

COURSE AU PUY DE LA POIX. - FONTAINES INCRUSTANTES

DE SAINT-ALYRE.



Je parlerai d’abord de Clermont et de ses monuments, que la Société visita par groupes isolés.

La ville de Clermont remonte à une antiquité très-reculée. Elle paraît avoir, dès après la conquête des Gaules par les Romains, remplacé Gergovia, l’ancienne capitale des Arvernes, qui occupait la cime d’une montagne voisine.

La nouvelle cité s’appela d’abord Nemetum, puis Augustonemetum en souvenir des bienfaits dont la combla l’empereur Auguste ; mais elle reprit, vers la fin du IIe siècle, sa dénomination celtique de Arvernia. Dans les commencements de l’ère carlovingienne, on lui appliqua le nom de sa citadelle, Clarus mons, devenu en français Clermont. Plus tard, lorsque la réunion des deux villes de Clermont et de Montferrand fut ordonnée par Louis XIII, on eut le Clermont-Ferrand actuel. Enfin, en 1790, la ville de Clermont, jusqu’alors capitale de la province d’Auvergne, devint chef-lieu du département du Puy-de-Dôme.

Clermont, dont le sol avait été si terriblement calciné par les puissances souterraines, ne fut pas mieux traitée par les passions humaines. En effet, cette cité célèbre eut à subir, durant de longs siècles, les plus rudes vicissitudes du sort des armes. Après avoir été successivement saccagée par les Vandales en 408 et par les troupes d’Honorius en 412, elle fut assiégée en 473 par les Visigoths, et cédée à ces barbares en 475. Thierry, fils naturel de Clovis, en fit la conquête en 507, et soumit pour la première fois toute l’Auvergne à la domination des rois de France. En 532, ce même Thierry ayant été informé que son frère Childebert s’était emparé de Clermont, vint en faire de nouveau le siège, et, après l’avoir reprise, la pilla et la dévasta de fond en combre. En 761, Pépin y mit le feu et fit égorger tous ses habitants sans distinction d’âge ni de sexe. De plus, Clermont fut ravagée en 853 par les Normands, et en 916 par les Danois. Elle fut aussi en proie aux luttes particulières des évêques de Clermont et des comtes d’Auvergne. DU XIIe au XIIIe siècle, elle eut tort à souffrir de nos discordes intestines et des incursions des Anglais ; la ville fut plusieurs fois fortifiée et démantelée. Elle passa encore par de bien cruelles épreuves lors des guerres de religion, ainsi que pendant celles de la Ligue et de la Fronde, qui ensanglantèrent tour à tour le pays. Elle n’échappa point, non plus, aux