Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre XIV. Du mariage sons la loi de Moïse et sous la loi de grâce.

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Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 270-271).
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==CHAPITRE XIV. DU MARIAGE SOUS LA LOI DE MOÏSE ET SOUS LA LOI DE GRACE.==

39. « Il a été dit aux anciens : Que celui qui renvoie sa femme, lui donne un acte de répudiation. » Voilà la justice moindre des pharisiens, que le Seigneur ne contredit point quand il ajoute : « Mais moi je vous le dis : Quiconque renvoie, sa femme hors le cas d’adultère, la rend adultère ; et quiconque épouse une femme renvoyée, commet un adultère. » En effet celui qui commande de donner un acte de répudiation, ne commande pas pour cela de renvoyer la femme ; mais en disant : « Que celui qui la renvoie, lui donne un acte de répudiation » il cherche à modérer, par la pensée d’un divorce, la colère irréfléchie de l’homme qui rejette sa femme. En suscitant ainsi un délai, l’auteur de la loi assez fait comprendre, autant que cela était possible avec des hommes à tête dure, qu’il n’approuvait point le divorce. Aussi le Seigneur, interrogé d’abord sur cette question, répond-il Moïse a fait cela à cause de la dureté de votre tueur[1]. » En effet quelque dur que pût être celui qui voulait renvoyer sa femme, il revenait facilement à des sentiments plus doux en pensant qu’une fois l’acte de répudiation donné, sa femme pourrait impunément en épouser un autre. C’est donc pour fortifier la difficulté du divorce, que le Seigneur n’a excepté que le cas de fornication. Quant aux autres inconvénients, s’il y en a, il veut qu’on les supporte courageusement par égard pour la foi conjugale et la chasteté ; et il appelle adultère l’homme qui épouse une femme même dégagée du lien qui l’unissait à son premier mari. L’apôtre Paul fixe la durée de cet engagement, qui subsiste, dit-il, tant que l’époux vit ; mais, l’époux une fois mort, il accorde la permission d’en prendre un autre[2]. C’est en effet la règle qu’il suit et qu’il donne, non comme un conseil de sa part, ainsi qu’il le fait en quelques circonstances, mais comme un ordre formel du Seigneur quand il dit : « Pour ceux qui sont mariés, ce n’est pas moi, mais le Seigneur qui commande que la femme ne se sépare point de son mari : que si elle en est séparée, qu’elle demeure sans se marier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari ; que le mari, de même, ne quitte point sa femme[3]. » Il faut, je pense, dire aussi du mari : qu’il ne prenne pas d’autre femme quand il a renvoyé la sienne, ou qu’il se réconcilie avec celle-ci. Car il peut arriver qu’il renvoie.safemme pour cause de fornication, suivant l’exception faite parle Seigneur. Or s’il n’est point permis à la femme de se remarier, tant que vit le premier époux qu’elle a quitté, ni à celui-ci de prendre une autre femme du vivant de celle qu’il a renvoyée : il est bien moins permis encore d’avoir un honteux commerce avec les premiers venus. Mais il faut estimer bien plus heureux les époux qui, ayant mis des enfants au monde, ou ayant dédaigné de laisser des héritiers ici-bas, ont pu, d’un commun consentement, observer entre eux la continence, ce qui n’est point contraire à la défense de renvoyer sa femme : car ce n’est point la renvoyer que de vivre avec elle dans un commerce spirituel, et non charnel, et on reste fidèle à cette parole de l’Apôtre : « Il faut que ceux-mêmes qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas[4]. »

  1. Mt. 19, 8
  2. Rom. 7, 2-3
  3. 1 Cor. 7, 10-11
  4. 1 Cor. 8, 29