Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 17

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Chapitre 16 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean Chapitre 18


CHAPITRE XVII



Versets 1-5.



S. Chrysostome : (hom. 80 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire à ses disciples : « Vous aurez des tribulations dans le monde. » A cet avertissement il fait succéder la prière, pour nous apprendre à tout quitter pour recourir à Dieu seul au milieu de nos tribulations : « Ayant dit ces choses, Jésus leva les yeux au ciel, » etc. — Bède : Il faut entendre ici les choses qu’il leur dit pendant la cène, les unes lorsqu’il était encore à table, jusqu’à ces paroles : « Levez-vous, sortons d’ici ; » les autres lorsqu’il fut sorti, jusqu’à la fin de la prière, dont voici le commencement : « Jésus leva les yeux au ciel, et dit : Mon Père, » etc. — S. Chrysostome : Il lève les yeux au ciel pour nous apprendre jusqu’où nos prières doivent monter, et que nous devons les faire en levant au ciel, non-seulement les yeux au corps, mais ceux de l’esprit.




S. AUG. (Traité 104 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur aurait pu en tant qu’homme, s’il l’avait fallu, prier sans proférer aucune parole ; mais en se montrant l’humble suppliant de son Père, il a voulu nous apprendre qu’il n’a pas oublié qu’il était notre maître. Aussi ses disciples trouvent-ils un sujet d’édification, non-seulement dans ses enseignements, mais dans la prière qu’il adresse pour eux à son Père. Et ce fruit précieux est à la fois pour ceux qui entendirent cette prière, et pour nous qui devons un jour la lire dans le saint Evangile. Il commence sa prière en ces termes : « Mon Père, l’heure est venue, » et il nous montre ainsi que loin d’être nécessairement soumis au temps, il était le suprême ordonnateur du temps où devaient s’accomplir les actions dont il était l’auteur immédiat ou qui ne se faisaient que par sa permission. N’allons pas croire que cette heure soit venue comme amenée par le destin, c’est Dieu lui-même qui l’avait fixée dans ses décrets, car loin de nous la pensée que les astres aient pu contraindre à mourir le Créateur des astres.




S. HIL. (de la Trin., 3) Il ne dit pas : Le jour ou le temps est venu, mais : « L’heure est venue. » L’heure est une partie du jour, et quelle est cette heure ? celle où il devait être couvert de crachats, flagellé, crucifié, mais celle aussi où le Père devait glorifier le Fils. La mort vint interrompre le cours de ses œuvres, et tous les cléments du monde ressentirent l’effet de cette mort, la terre trembla sous le poids du Seigneur suspendu à la croix, et elle attesta qu’elle ne pouvait contenir dans son sein celui qui allait mourir. Le centurion s’écrie bien haut : « Il était vraiment le Fils de Dieu. » La prédiction se trouve ainsi justifiée. Le Sauveur avait dit : « Glorifiez votre Fils, » et il affirme ainsi qu’il était vraiment son Fils, non-seulement de nom, mais en réalité, en ajoutant le pronom : « Vôtre, » car nous sommes aussi en grand nombre les Fils de Dieu, mais nous ne le sommes pas de la même manière que lui. Il est proprement le Fils de Dieu par origine et non par adoption, en vérité, et non-seulement par dénomination, par sa naissance, et non par création. Aussi après qu’il eut été glorifié, la vérité fut solennellement proclamée, le centurion confessa qu’il était le vrai Fils de Dieu, de manière à ce que personne, parmi les fidèles, ne pût hésiter à reconnaître ce que les bourreaux eux-mêmes n’avaient pu nier. — S. AUG. Mais si sa passion a été pour lui un principe de gloire, combien plus sa résurrection ? Ce qui éclate, en effet, dans sa passion, c’est son humilité bien plutôt que sa gloire. Il faut donc entendre ces paroles : « Mon Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils ; » dans ce sens : L’heure est venue de répandre la semence de l’humilité, ne différez pas les fruits de gloire qu’elle doit produire. — S. HIL. (de la Trin., 3) Mais peut-être regardera-t-on comme une marque de faiblesse dans le Fils qu’il ait besoin d’être glorifié par un plus puissant que lui. Et qui, en effet, se refuserait à reconnaître dans le Père une puissance plus grande, sur le témoignage du Sauveur lui-même, qui déclare que son Père est plus grand que lui ? Prenons donc garde qu’un sentiment d’irréflexion nous fasse voir dans la gloire du Père un affaiblissement de la gloire du Fils, car Noire-Seigneur ajoute aussitôt : « Afin que votre Fils vous glorifie. » Il n’y a donc ici aucun signe de faiblesse dans le Fils, puisqu’il doit rendre lui-même la gloire qu’il demande ; donc cette prière qu’il fait pour que son Père lui donne une gloire qu’il doit lui rendre à son tour, est une preuve qu’ils ont tous deux une même puissance et une même divinité.

S. AUG. (Traité 105 sur S. Jean) Mais on peut demander avec raison comment le Fils a glorifié le Père, puisque la gloire éternelle du Père n’a pu subir d’amoindrissement qui serait la suite de son union avec la nature humaine, ni d’accroissement dans sa perfection toute divine. Sans doute la gloire du Père n’a pu éprouver on elle-même aucune altération, aucun accroissement, mais elle était comme amoindrie aux yeux des hommes, lorsque Dieu n’était connu que dans la Judée. C’est donc lorsque l’Evangile de Jésus-Christ eut fait connaître le Père aux nations, que le Fils a véritablement glorifié le Père. Il lui dit donc : « Glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie, » c’est-à-dire : Ressuscitez-moi, afin que je vous fasse connaître à tout l’univers. Il explique ensuite plus clairement encore comment le Fils glorifie le Père, en ajoutant : « Puisque vous lui avez donné puissance sur toute chair, afin qu’il donne la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés. » Cette expression, « toute chair, » signifie tous les hommes, c’est-à-dire, que la partie est prise pour le tout. Cette puissance sur toute chair a été donnée par le Père à Jésus-Christ en tant qu’homme. — S. HIL. (de la Trin., 3) Car il s’est incarné pour rendre la vie éternelle à tout ce qui était faible, esclave de la chair et de la mort. — S. HIL. (de la Trin., 9) Ou bien, Dieu a donné ce pouvoir au Fils par sa naissance où il lui a communiqué sa divine essence. Il ne faut point regarder cette communication dans le Père comme un signe de faiblesse, puisqu’il conserve le pouvoir qu’il donne, et que le Fils ne laisse pas d’être Dieu lui-même, tout en recevant le pouvoir de donner la vie éternelle. — S. Chrysostome : NôtreSeigneur dit : « Vous lui avez donné la puissance sur toute chair, » pour montrer que sa prédication devait s’étendre, non-seulement aux Juifs, mais à tout l’univers. Mais comment entendre ces paroles : « Sur toute chair, » car tous les hommes n’ont pas embrassé la foi ? c’est-à-dire, que le Fils de Dieu a fait tout ce qui dépendait de lui pour déterminer les hommes à croire ; si un grand nombre n’ont point écoute sa parole, la faute n’en est pas à celui qui leur parlait, mais à ceux qui ont refusé de recevoir sa parole. — S. AUG. Il leur dit donc : « Puisque vous lui avez donné puissance sur toute chair ; que votre Fils vous glorifie, » C’est-à-dire, qu’il vous fasse connaître à toute chair que vous lui avez donnée, car vous ne la lui avez donnée, que pour qu’il lui donne lui-même la vie éternelle.




S. HIL. (de la Trin., 3) Mais en quoi consiste la vie éternelle ? le Sauveur va nous l’apprendre : « Or, la vie éternelle consiste à vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et celui que vous avez envoyé Jésus-Christ. » La vie, c’est de connaître le vrai Dieu, mais cela seul ne suffit pas. Quelle est la connaissance essentiellement liée à celle-là ? « Et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. » — S. HIL. (de la Trin., 4) Les Ariens prétendent que le Père seul est le seul vrai Dieu, le seul juste, le seul sage, et ils excluent le Fils de toute communion à ces divines perfections. Les choses qui sont propres à un seul, disent-ils, ne peuvent être communiquées à un autre, si donc ces attributs se trouvent dans le Père seul, la conséquence est que le Fils n’est point véritablement Dieu, et que c’est à tort qu’on lui en donne le nom. — H. HIL. (de la Trin., 5) Chacun sait, à n’en pouvoir douter, que la vérité d’une chose se révèle par sa nature et par sa vertu, ainsi le véritable froment est celui qui réduit en farine, cuit sous la forme de pain, et pris en nourriture présente la nature au pain et en produit les effets ; je demande donc ce qui manque au Fils pour qu’il soit vrai Dieu, puisqu’il a tout à la fois la nature et la vertu de Dieu ? Il a donné des preuves de la puissance de sa nature, lorsqu’il a créé les choses qui n’existaient pas et les a appelées à l’existence suivant sa volonté. — S. HIL. (de la Trin., 9) Dira-t-on que par ces paroles : « Vous qui êtes le seul vrai Dieu, » le Sauveur se met en dehors de toute communion, de toute identité avec la nature divine ? Oui, sans doute, ou pourrait dire qu’il se met en dehors, si après ces paroles : « Vous qui êtes le seul vrai Dieu, » il n’ajoutait : « Et celui que vous avez envoyé Jésus-Christ. » En effet, la foi de l’Église a confessé que Jésus-Christ était vrai Dieu, par la même raison qu’elle reconnaissait que le Père était le seul vrai Dieu, car la naissance divine du Fils unique ne lui a rien fait perdre de la nature divine.




S. AUG. (de la Trin., 6, 9.) Voyons doue si ces paroles du Sauveur : « Afin qu’ils vous connaissent, vous qui êtes le seul vrai Dieu, » signifient que le Père seul est le vrai Dieu, et si au contraire nous ne devons pas en conclure que les trois personnes, le Père, le Fils, et le Saint-Esprit soient Dieu. Mais c’est en vertu du témoignage du Sauveur lui-même, que nous disons que le Père est le seul vrai Dieu, que le Fils est le seul vrai Dieu, que l’Esprit saint est le seul vrai Dieu, et que le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, c’est-à-dire, toute la Trinité ne font pas trois Dieux, mais un seul vrai Dieu. — S. AUG. (Traité 103 sur S. Jean.) On peut encore disposer la phrase, de cette manière : Afin qu’ils reconnaissent pour le seul vrai Dieu vous et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ ; et dans cette proposition se trouve compris l’Esprit saint, parce qu’il est l’Esprit du Père et du Fils, et l’amour consubstantiel de ces deux personnes divines. Le Fils vous glorifie donc en vous faisant connaître à tous ceux que vous lui avez donnés. Or, si la connaissance de Dieu est la vie éternelle, plus nous avançons dans la connaissance de Dieu, plus aussi nous avançons vers la vie éternelle. La mort n’a plus d’accès dans la vie éternelle, et la connaissance de Dieu sera parfaite, lorsque l’empire de la mort sera complètement détruit. Alors Dieu sera souverainement glorifié, parce que sa gloire sera à son comble. Les anciens ont défini la gloire, la renommée d’un homme, accompagnée d’estime et de louange. Or, si la gloire, d’un homme peut résulter de sa renommée seule, quelle sera donc la gloire de Dieu, lorsqu’il sera vu tel qu’il est ? C’est pour cela que le Psalmiste a écrit : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles. » La gloire et la louange de Dieu, et par conséquent sa glorification, n’auront plus de fin, parce que la connaissance de Dieu sera pleine et parfaite.




S. AUG. (de la Trin., 1, 8.) C’est alors que nous contemplerons dans la vie éternelle la vérité de ce que Dieu disait à Moïse : « Je suis celui qui suis. » (Ex 3) — S. AUG. (de la Trin., 5, 18.) Lorsque notre foi deviendra la vérité au sein de la vie elle-même, alors notre mortalité fera place à l’éternité. — S. AUG. (Traité 105 sur S. Jean,) Mais dès cette vie Dieu est glorifié, lorsque la prédication le fait connaître aux hommes par la foi, et c’est pour cela que le Sauveur dit : « Je vous ai glorifié sur la terre. » — S. HIL. (de la Trin., 4) Cette glorification n’ajoute rien à la perfection de la divinité, mais elle est un certain honneur qui résulte de la connaissance de ceux qui l’ignoraient auparavant. — S. Chrysostome : C’est avec raison qu’il dit : « Je vous ai glorifié sur la terre, » car il avait été glorifié dans les cieux en recevant la gloire qui est propre à sa nature, et les adorations des anges ; il ne parle donc pas ici de la gloire essentielle à la nature du Père, mais de la gloire qui résulte des hommages que lui rendent les hommes. C’est pour cela qu’il ajoute : « J’ai consommé l’œuvre que vous m’avez donnée à faire. » — S. AUG. (Traité 105 sur S. Jean.) Il ne dit pas : L’œuvre que vous m’avez commandée, mais : « Que vous m’avez donnée, » paroles qui sont un éclatant témoignage en faveur du la grâce ; car que possède la nature humaine, même dans le Fils unique, qu’elle n’ait reçu ? Mais comment a-t-il consommé l’œuvre que Dieu lui a donnée à faire, puisqu’il lui restait encore la douloureuse épreuve de sa passion ? Il regarde donc comme consommé ce dont il sait avec certitude que la consommation est proche. — S. Chrysostome : Ou bien encore il dit : « J’ai consommé l’œuvre que vous m’avez donnée, » c’est-à-dire, j’ai fait de mon côté tout ce qui me concernait ; on peut dire aussi que tout est consommé, quand la plus grande partie est faite, car la racine de tous les biens avait été plantée et les fruits ne devaient pas tarder à suivre, et il était d’ailleurs essentiellement uni à tout ce qui devait arriver dans la suite.




S. HIL. (de la Trin., 9) Il ajoute ensuite pour nous faire comprendre le mérite de l’obéissance et tout le mystère de sa divine incarnation : « Et maintenant, mon Père, glorifiez-moi en vous-même. » — S. AUG. (Tr. 105 sur S. Jean.) Il avait dit précédemment : « Mon Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie, » c’est-à-dire, que d’après l’ordre indiqué par ces paroles, le Père devait glorifier le Fils, afin que le Fils pût glorifier ensuite le Père. Ici au contraire il dit : « Je vous ai glorifie, et maintenant glorifiez-moi, » c’est-à-dire, qu’il semble demander d’être glorifié comme récompense de ce qu’il a le premier glorifié son Père. Pour expliquer cette différence, il faut admettre que dans la première proposition, Notre-Seigneur s’est servi du Verbe qui exprimait le temps dans lequel les choses devaient avoir lieu, et que dans la seconde proposition, il s’est servi du passé pour exprimer une chose future, comme s’il avait dit : Je vous glorifierai sur la terre, en consommant l’œuvre que vous m’avez donnée à faire, et maintenant glorifiez-moi vous-même, mon Père. Ces deux propositions ont donc le même sens et ne diffèrent que parce que la seconde renferme le mode de glorification que le Fils demande à son Père : « Glorifiez-moi en vous-même de la gloire que j’ai eue en vous avant que le monde fût. » L’ordre naturel de cette phrase est celui-ci : Que j’ai eue en vous avant que le monde existât. Il en est qui ont prétendu que ces paroles signifiaient que la nature humaine dont le Verbe s’est revêtu dans l’incarnation, devait être transformée dans la nature du Verbe, et que l’homme devait être changé on Dieu. Bien plus, si nous examinons de plus près leur sentiment, ils vont jusqu’à dire que l’homme est anéanti en Dieu, car personne n’oserait dire que ce changement double en aucune façon, ou augmente le Verbe de Dieu. Nous disons, nous, que celui qui nie que le Fils de Dieu ait été prédestiné, nie par-là même qu’il soit le Fils de l’homme, Jésus donc voyant arriver le temps de la glorification à laquelle il était prédestiné, demande que cette prédestination reçoive son accomplissement : « Et maintenant glorifiez-moi, » etc. C’est-à-dire, il est temps que je jouisse en vous en vivant à votre droite, de cette gloire que j’ai eue en vous en vertu de votre prédestination éternelle. — S. HIL. (de la Trin., 3) Ou bien il demandait que la nature qui en lui appartenait au temps, reçût la gloire qui est au-dessus du temps, et que la chair soumise à la corruption fût transformée dans la vertu de Dieu et l’incorruptibilité de l’esprit.




Versets 6-8.



S. Chrysostome : (hom. 81 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur explique ensuite à ses disciples quelle est cette œuvre qu’il a consommée, c’est-à-dire, la manifestation du nom de Dieu : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés. » — S. AUG. (Traité 106 sur S. Jean.) S’il veut seulement parler ici des disciples avec lesquels il vient de célébrer la cène, il ne peut être question de cette glorification dont il a parlé précédemment, et par laquelle le Fils glorifie le Père. Quelle gloire, en effet, pour Dieu, d’avoir pu être connu de onze ou de douze mortels ? Si au contraire ces paroles : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde, » comprennent dans la pensée du Sauveur, tous ceux qui devaient croire en lui ; c’est vraiment alors cette glorification par laquelle le Fils donne la gloire au Père. Cette proposition : « J’ai manifesté votre nom, » doit donc s’entendre comme cette autre : « Je vous ai glorifié, » c’est-à-dire, que le passé est mis ici pour le futur. Cependant la suite nous autorise à regarder comme plus probable que le Sauveur parlait ici de ceux qui étaient déjà ses disciples, et non de tous ceux qui devaient croire en lui. Dès le commencement de sa prière, le Sauveur veut nous faire comprendre sous le nom de siens, tous ceux à qui il a fait connaîtra le nom de son Père qu’il a glorifié en leur donnant cette connaissance ; ce qu’il a dit précédemment : « Afin que votre Fils vous glorifie, » se trouve expliqué par les paroles qui suivent : « Puisque vous lui avez donné la puissance sur toute chair. » Ecoutons maintenant ce qu’il dit de ses disciples : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde. » Est-ce donc, qu’ils ne connaissaient pas le nom de-Dieu, lorsqu’ils étaient Juifs ? Et où donc lisons-nous : Dieu est connu dans la Judée, et sou nom est grand dans Israël ? Voici donc comme il faut entendre ces paroles : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde, » c’est-à-dire, à ceux qui, m’écoutent en ce moment ; non pas ce nom de Dieu que vous donnent communément les hommes, mais le nom de Père, nom qui ne peut être manifesté qu’autant que le Fils est manifesté lui-même. Il n’est, en effet, aucune nation qui, avant même du croire en Jésus-Christ, n’ait eu une connaissance quelconque de Dieu, comme étant le Dieu de toutes lus créatures. Comme créateur du monde, Dieu était donc connu dans toutes les nations, avant même qu’elles eussent embrassé la foi de Jésus-Christ. Il était connu dans la Judée comme le Dieu, dont le culte était exclusif de toutes les fausses divinités. Mais son nom de Père de Jésus-Christ, par lequel il efface les péchés du monde, n’était nullement connu, et c’est ce nom qu’il manifeste à ceux que son Père lui a donnés du monde. Mais comment l’a-t-il manifesté ? Si le temps dont il a dit précédemment : « L’heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles n’était pas encore venue, il faut admettre que le Sauveur a employé ici le passé pour le futur. — S. Chrysostome : On peut dire encore qu’il leur avait déjà fait connaître par ses paroles comme par ses actions, que Dieu le Père avait Jésus-Christ pour Fils. — S. AUG. En leur disant : « Vous me les avez donnés du monde, » il leur fait comprendre qu’ils n’étaient pas du monde ; toutefois ce n’est pas à leur naissance, mais à la grâce de la régénération qu’ils en étaient redevables. Mais que veulent dire les paroles qui suivent : « Ils étaient à vous, et vous me les avez donnés ? » Est-ce que le Père a jamais rien possédé que le Fils n’ait possédé lui-même ? Non sans doute ; cependant le Fils de Dieu a eu en cette qualité ce qu’il n’avait pas encore comme Fils de l’homme, alors qu’il ne s’était pas encore fait homme dans le sein de sa mère. Lors donc qu’il dit : « Ils étaient à vous, » le Fils de Dieu ne se sépare point de son Père, mais il a coutume de rapporter toute sa puissance à celui de qui il tire cette puissance avec son origine. Et en ajoutant : « Vous me les avez donnés, » il nous montre que c’est comme homme qu’il les a reçus de son Père. Il se les est aussi donnés à lui-même, c’est-à-dire, que Jésus-Christ Dieu a donné avec son Père à Jésus-Christ homme ce qui n’est pas avec le Père, c’est-à-dire, les hommes. En s’exprimant ainsi, il nous fait voir l’étroite union qui existe entre lui et son Père, et que la volonté de son Pure est que les hommes croient au Fils, c’est pour cela qu’il ajoute : « Et ils ont gardé votre parole. — Bède : Cette parole du Père, c’est lui-même, parce que c’est par lui que le Père a créé toutes choses, et qu’il contient en lui-même toutes les paroles, comme s’il disait : Ils m’ont confié à leur souvenir, de manière à ne jamais m’oublier. Ou bien « ils ont gardé ma parole, » en ce sens qu’ils ont cru en moi : « Et maintenant ils savent que tout ce que vous m’avez donné vient de vous. » Il en est qui prétendent qu’il faut lire : « Maintenant j’ai connu que tout ce que vous m’avez donné vient de vous, » mais ce langage n’aurait pas de sens, car comment le Fils pouvait-il ignorer ce qui appartient au Père ? Au contraire, on comprend très bien qu’il ait dit de ses disciples : « Ils ont appris qu’il n’y a rien en moi qui vous soit étranger, et que toutes les vérités que j’enseigne viennent de vous. » S. AUG. Le Père lui a tout donné lorsqu’il l’a engendré, pour qu’il possédât tout ce qu’il possède lui-même. — S. Chrysostome : Et comment les disciples l’ont-ils appris ? Par mes paroles, qui leur enseignaient que je suis sorti de vous ; c’est, en effet, ce à quoi nous le voyons s’appliquer dans tout son Evangile : « Parce que je leur ai donné les paroles que vous m’avez données, et ils les ont reçues. » — S. AUG. C’est-à-dire, ils les ont comprises et retenues, car on revoit véritablement la parole lorsqu’on la comprend intérieurement : « Et ils ont reconnu véritablement que je suis sorti de vous. » Et pour ne pas donner à penser que cette connaissance était déjà le fruit de la claire vision, et non de la foi, il explique quelle est cette connaissance, en ajoutant : « Et ils ont cru (sous-entendez véritablement) que vous m’avez envoyé. » Ils ont donc cru véritablement ce qu’ils ont reconnu véritablement. Car ces paroles : « Je suis sorti de vous, » ont la même signification que ces autres : « Vous m’avez envoyé. » Il ne faut pas entendre ce que le Sauveur dit ici : « Ils ont cru, en vérité, » dans le même sens que ce qu’il a dit précédemment à ses disciples : « Vous croyez maintenant, l’heure est venue où vous serez dispersés chacun de votre côté ; » mais ils ont cru en vérité, c’est-à-dire comme il faut croire, d’une foi ferme, inébranlable, forte, persévérante, qui devait les empêcher de s’enfuir chacun chez eux, et d’abandonner Jésus-Christ. Les disciples n’étaient donc pas encore tels que le Sauveur les représente, en employant le passé pour le futur, et en prédisant l’admirable changement que le Saint-Esprit devait opérer en eux. Il est facile d’expliquer comment le Père a donné ces paroles à son Fils, si l’on entend qu’il les a reçues du Père comme Fils de l’homme, si l’on entend, au contraire, qu’il a reçu ces paroles du Père comme Fils unique, il faut éloigner toutes idée de temps, et se garder de croire que le Fils de Dieu ait pu exister un seul instant sans que son Père lui ait donné ces paroles ; car tout ce que le Père a donné au Fils, il le lui a donné en l’engendrant.




Versets 9-13.



S. Chrysostome : (hom. 81 sur S. Jean.) Tant de paroles consolantes, que le Seigneur avait prodiguées à ses disciples, n’avaient pu encore pénétrer leurs cœurs ; il s’adresse donc pour eux à son Père, afin de leur montrer la grandeur de son amour. « C’est pour eux que je vous prie, » c’est-à-dire je ne me contente pas de leur donner tout ce que j’ai, je me rends encore leur intercesseur près d’un autre, pour leur témoigner un plus grand amour. — S. AUG. (Traité 107 sur S. Jean.) Ce monde, dont le Sauveur ajoute : « Je ne prie point pour le monde, » ce sont ceux qui suivent dans leur vie la concupiscence du monde, et qui ne sont point compris dans les décrets de la grâce pour être choisis par lui du milieu du monde. Ce sont ces discrets auxquels le Sauveur fait allusion par ces paroles : « Mais je prie pour ceux que vous m’avez donnés. » Par là même, en effet, que son Père les lui a donnés, ils n’appartiennent plus à ce monde pour lequel il ne prie point. Ne croyons pas, du reste, que parce que le Père les a donnés à son Fils, il ait perdu ceux qu’il a donnés ; aussi ajoute-t-il : « Parce qu’ils sont à vous. » — S. Chrysostome : Nôtre-Seigneur répète souvent ces paroles : « Vous me les avez donnés, » pour bien convaincre ses disciples que telle était bien la volonté de son Père, qu’il n’est point venu comme un étranger pour les tromper, mais qu’il les a revus comme étant à lui. Loin de nous encore la pensée que son pouvoir sur eux est un pouvoir nouveau, et que c’est récemment que son Père les lui a donnés, car il ajoute : « Et tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi. » Que personne donc ne croie, parce que mon Père me les a donnés, qu’ils soient devenus étrangers à mon Père, car tout ce qui est à moi est à lui ; ni qu’ils m’étaient étrangers à moi-même, parce qu’ils m’ont été donnés, car ce qui est à lui est à moi.




S. AUG. Nous voyons assez clairement ici comment tout ce qui est au Père est aussi au Fils unique ; c’est parce qu’il est Dieu lui-même, qu’il est né du Père, et qu’il est égal au Père. Ce n’est donc point dans le même sens que le père de l’enfant prodigue disait à l’aîné de ses fils : « Tout ce que j’ai est à vous ; » (Lc 15, 31) car ces paroles doivent s’entendre de tous les biens créés qui sont au-dessous de la créature raisonnable. Les paroles du Sauveur, au contraire, comprennent la créature raisonnable elle-même qui ne peut être soumise qu’à Dieu. Comme elle appartient à Dieu le Père, elle ne pourrait appartenir en même temps au Fils qu’autant qu’il serait égal au Père ; car on ne peut sans crime assujettir les saints, dont il parle ici, à un autre qu’à celui qui les a créés, qui les a sanctifiés. Mais lorsqu’on parlant de l’Esprit saint le Sauveur dit aussi : « Tout ce qu’a mon Père est à moi, » il entend les perfections qui sont de l’essence même de la divinité du Père, car ce n’est point d’une créature soumise au Père et au Fils que le Saint-Esprit aurait pu recevoir ce que le Sauveur exprime en ces termes : « Il recevra de ce qui est à moi. »




S. Chrysostome : Nôtre-Seigneur donne la preuve de ce qu’il vient d’avancer : « Et j’ai été glorifié en eux. » La preuve, en effet, qu’ils sont sous ma puissance, c’est qu’ils me glorifient en croyant en moi et en vous, car personne ne peut être glorifié en ceux qui ne seraient point soumis à sa puissance. — S. AUG. En leur représentant cette glorification comme un fait accompli, il leur fait voir qu’elle entrait dans les desseins de la prédestination divine, et il voulait qu’on regardât comme certain ce qui devait nécessairement arriver. Cependant il nous faut examiner s’il s’agit ici de cette glorification dont le Sauveur a dit plus haut : « Et maintenant, mon Père, glorifiez-moi en vous ; » car s’il a été glorifié dans son Père, comment l’a-t-il été dans ses disciples ? Est-ce lorsqu’il s’est manifesté aux apôtres, et par eux à tous ceux qui ont cru à leur témoignage ? Nôtre-Seigneur ajoute, en effet : « Et déjà je ne suis plus dans le monde, et eux sont dans le monde. » — S. Chrysostome : C’est-à-dire, alors même que je ne serai plus présent sous une forme sensible, je serai glorifié dans la personne de ceux qui donnent leur vie pour moi, comme pour mon Père, et qui me font connaître par leurs prédications, comme ils font connaître mon Père. — S. AUG. Si vous ne considérez que le moment où le Sauveur parlait de la sorte, ses apôtres et lui étaient encore dans le monde. Nous ne pouvons pas entendre ces paroles : « Déjà je ne suis plus dans le monde, » du détachement du cœur et du progrès de l’âme dans la vie divine ; car, peut-on admettre que Jésus ait jamais eu de l’affection pour les choses du monde ? Il ne reste donc plus qu’un sens possible à ces paroles, c’est que Notre-Seigneur affirme qu’il n’est plus présent dans le monde corporellement comme il l’était auparavant. Est-ce que nous ne disons pas tous les jours, d’un homme qui est sur le point de partir, et surtout de celui qui va mourir : Il n’est plus ici ? Jésus explique d’ailleurs le sens de ces paroles, en ajoutant : « Et je vais à vous. » Il recommande donc à son Père ceux qu’il allait priver de sa présence corporelle : « Père saint, lui dit-il, conservez dans votre nom ceux que vous m’avez donnés ; » c’est-à-dire qu’il prie Dieu en tant qu’homme, pour les disciples que Dieu lui a donnés. Mais pesez bien les paroles qui suivent : « Afin qu’ils soient un comme nous. » Il ne dit pas : Afin qu’eux et nous, nous soyons un, comme nous sommes un nous-mêmes ; mais qu’ils soient un dans leur nature, comme nous sommes un nous-mêmes dans notre nature. En effet, comme en Jésus-Christ Dieu et l’homme ne font qu’une seule et même personne, nous comprenons qu’il est homme, parce qu’il prie, nous comprenons qu’il est Dieu, parce qu’il ne lait qu’un avec celui qu’il prie. — S. AUG. (De la Trin., 4, 8.) Nôtre-Seigneur, comme chef de l’Église, qui est son corps, aurait pu dire : Eux et moi, nous sommes non pas une seule chose, mais un seul être, car la tête et le corps ne font qu’un en Jésus-Christ. Mais on nous montrant sa consubstantialité divine avec son Père, il veut que nous soyons un en Jésus-Christ, non-seulement dans cette nature qui nous est commune, dans laquelle nous voyons des hommes mortels s’élever à une glorieuse égalité avec les anges, mais qu’ils soient un comme nous, par les sentiments d’un amour réciproque, qui les fonde en un seul esprit dans les ardeurs du feu de la charité, et les fasse tendre au même bonheur par les efforts d’une volonté unanime. Voilà ce que signifient ces paroles : « Afin qu’ils soient un comme nous sommes un, » c’est-à-dire, de même que le Père et le Fils sont un, non-seulement dans une même et simple nature individuelle, mais dans l’unité d’une même volonté ; ainsi ceux qui ont le Fils pour médiateur entre bien et eux, doivent aussi être un, non-seulement par la communauté d’une même nature, mais par l’union d’une même charité.




S. Chrysostome : Nôtre-Seigneur parle ici de nouveau comme homme : « Pendant que j’étais avec eux, je les conservais en votre nom ; » c’est-à-dire par votre puissance ; il parle ici, je le répète, d’une manière humaine, en rapport avec les dispositions d’esprit de ses disciples, qui croyaient que la présence corporelle leur était de la plus grande utilité. — S. AUG. (Traité 107 sur S. Jean.) Le Fils de Dieu, fait homme conservait les disciples au nom de son Père, lorsqu’il était présent corporellement au milieu d’eux ; mais alors même le Père conservait au nom du Fils ceux dont il exauçait les prières qui lui étaient faites au nom du Fils. Il ne faut point prendre ces paroles dans ce sens matériel, que le Père et le Fils gardent tour à tour les disciples, car le Père, le Fils et le Saint-Esprit nous environnent ensemble d’une égale protection ; mais la sainte Ecriture ne peut nous être utile qu’en descendant jusqu’à nous. Comprenons donc qu’en s’exprimant ainsi, Notre-Seigneur établit la distinction des personnes divines, mais non la séparation dans la nature. Lors donc, que le Fils gardait ses disciples par sa présence corporelle, le Père n’attendait pas, pour les garder lui-même, que son Fils cessât de remplir cet office, mais tous deux les conservaient en les couvrant de leur puissance divine. Et quand le Fils les priva de sa présence corporelle, il continua de les garder spirituellement avec son Père. Car en les recevant comme homme des mains de son Père, il ne les a pas soustraits à la garde du Père ; et le Père, en les confiant à la garde de son Fils, ne les a point donnés sans le concours de celui-là même qui les a reçus ; car il les a donnés à son Fils fait homme, mais conjointement avec ce même Fils, Dieu comme lui. « J’ai gardé ceux que vous m’avez donnés, et aucun d’eux n’a péri, si ce n’est l’enfant de perdition, » (c’est-à-dire le traître disciple prédestiné à la perdition), afin que l’Ecriture fût accomplie, c’est-à-dire la prophétie qui a pour objet le perfide Judas (surtout dans le Psaume 108).




S. Chrysostome : Il fut le seul qui périt alors, mais un grand nombre l’imitèrent dans la suite. Nôtre-Seigneur dit : « Aucun d’eux n’a péri, autant qu’il dépendait de moi, » c’est ce qu’il exprime plus clairement ailleurs, lorsqu’il dit : « Je ne jetterai pas dehors celui qui vient a moi. » (Jn 10) Mais s’ils veulent sortir d’eux-mêmes, je ne veux pas les retenir de vive force et malgré eux : « Et maintenant je viens à vous. » Mais, pourrait-on lui dire, ne pouvez-vous donc pas les conserver tout en vous éloignant d’eux ? Il le peut sans doute, mais il leur explique pourquoi il parle ainsi : « Et je dis ces choses étant dans le monde, afin qu’ils aient en eux la plénitude de ma joie, » c’est-à-dire, afin qu’ils ne se laissent point aller au trouble naturel à leurs dispositions encore imparfaites. Il leur fait voir ainsi que c’est pour leur procurer le repos de la joie intérieure qu’il tient ce langage. — S. AUG. Le Sauveur a déjà expliqué plus haut quelle est cette joie dont il dit ici : « Afin qu’ils aient en eux la plénitude de ma joie, » lorsqu’il a dit : « Qu’ils soient un comme nous sommes un. » Cette joie qui est la sienne (c’est-à-dire, qu’il leur a donnée), il leur en prédit l’accomplissement parfait dans leurs cœurs, et c’est pour cela qu’il a dit ces choses étant dans le monde. Cette joie, c’est la paix et la félicité de la vie future. Jésus qui avait dit précédemment qu’il n’était plus dans le monde, nous déclare maintenant qu’il dit ces choses étant dans le monde, il y était encore, parce qu’il n’était pas encore sorti du monde, et il n’y était plus dans un autre sens, parce qu’il devait bientôt le quitter.

Versets 14-19.



S. Chrysostome : (hom. 82 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur donne une seconde raison qui rend ses disciples dignes de la protection toute spéciale de son Père : « Je leur ai donné votre parole, et le monde les a eus en haine, » etc., c’est-à-dire, ils ont été un objet de haine à cause de vous et à cause de votre parole. — S. AUG. Ils n’avaient pas encore éprouvé cette haine par les persécutions auxquelles ils furent en butte dans la suite, mais le Sauveur, suivant sa coutume, annonce les événements qui doivent avoir lieu, en termes qui semblent signifier qu’ils sont déjà arrivés. Il fait connaître ensuite la cause de la haine du monde contre eux : « Parce qu’ils ne sont pas du monde. » C’est par la régénération que cette grâce de séparation leur a été donnée ; car par leur naissance naturelle, ils étaient du monde. Dieu leur a donné de n’être plus du monde, comme lui-même n’est plus du monde : « Comme moi-même, ajoute-t-il, je ne suis point du monde. » Le Sauveur n’a jamais été du monde, car même dans sa nature de serviteur, il est né de l’Esprit saint, qui a été le principe de la régénération des autres. Cependant bien qu’ils ne fussent plus du monde, il était nécessaire qu’ils restassent encore dans le monde ; aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Je ne demande pas que vous les ôtiez du monde. » — Bède : C’est-à-dire, le temps approche où je disparaîtrai du monde, il est donc nécessaire qu’ils n’en soient pas enlevés eux-mêmes : « Mais je vous prie de les sauver du mal. » Quoiqu’on puisse l’entendre de toute sorte de mal, Nôtre-Seigneur a surtout en vue le mal qui doit résulter de son éloignement. — S. AUG. Il répète la même pensée qu’il vient d’exprimer : « Ils ne sont pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde. — S. Chrysostome : (hom. 83 sur S. Jean.) Pourquoi donc a-t-il dit précédemment : « Que vous m’avez donnés du monde ? » Il parlait alors de la nature, et sous rapport ils étaient du monde, tandis qu’ici il veut parler des actions mauvaises. Sous ce rapport, ils ne sont point du monde, parce qu’ils n’ont rien de commun avec la terre, et qu’ils sont par avance citoyens des cieux ; il leur montre ainsi son amour pour eux on faisant leur éloge à son Père. Lorsqu’on parlant de son Père et de lui, il emploie la particule comme, il veut exprimer l’égalité absolue qui résulte de l’unité de nature, mais lorsqu’il emploie ce même mot on parlant de nous et de lui, il laisse une grande distance entre les deux termes de comparaison. La prière qu’il adresse précédemment à son Père : « Sauvez-les du mal, » a pour objet de leur obtenir, non-seulement d’être délivrés de tous les dangers, mais aussi la persévérance dans la foi, c’est pour cela qu’il ajoute : « Sanctifiez-les dans la vérité. » — S. AUG. Car c’est ainsi qu’ils sont sauvés de tout mal, ce qui vient de faire l’objet de sa prière. On peut demander comment ils n’étaient plus du monde, s’ils n’étaient pas encore sanctifiés dans la vérité ; est-ce parce que tout sanctifiés qu’ils sont, ils font des progrès dans cette même sainteté avec le secours de la grâce de Dieu ? Ces héritiers du Nouveau Testament sont sanctifiés dans la vérité, vérité dont les sanctifications légales de l’Ancien Testament n’étaient que l’ombre, et lorsqu’ils sont sanctifiés dans la vérité, ils sont sanctifiés en Jésus-Christ, qui a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie. » (Jn 14) Aussi le Sauveur ajoute : « Votre parole est vérité, le texte de l’Evangile grec porte λόγος, c’est-à-dire, le Verbe. Le Père a donc sanctifié dans la vérité (c’est-à-dire, dans son Verbe unique), ses héritiers et ses cohéritiers.




S. Chrysostome : Ou bien encore : « Sanctifiez-les dans la vérité, » c’est-à-dire, sanctifiez-les en leur donnant l’Esprit saint, et la saine doctrine, car la saine doctrine sur Dieu contribue à la sanctification de l’âme, et comme preuve qu’il est ici question de doctrine, il ajoute : « Votre parole est vérité, c’est-à-dire, elle ne renferme point de mensonge, il n’y a rien en elle de simplement figuratif ou de corporel. Cette prière : « Sanctifiez-les dans la vérité, » a encore, ce me semble, une autre signification, c’est-à-dire, séparez-les pour le ministère de la parole et de la prédication. Aussi ajoute-t-il : « Comme vous m’avez envoyé dans le monde, je les ai envoyés moi-même. » — LA GLOSE. Les Apôtres ont été envoyés pour remplir la même mission que Jésus-Christ, voilà pourquoi saint Paul dit : « Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde, et il a placé en nous la parole de réconciliation. » (2 Co 5, 19.) L’expression comme n’a pas la même signification pour lui et pour les Apôtres, elle n’établit la parité qu’autant qu’elle est possible en parlant du Fils de Dieu et des hommes. Nôtre-Seigneur dit qu’il les a envoyés dans le monde, en employant, selon sa coutume le passé, pour le futur.




S. AUG. Nous avons ici eu une preuve évidente que le Sauveur veut parler des apôtres ; car le nom d’apôtres, qui vient du grec, veut dire en latin, envoyés. Or, comme ils sont les membres du corps de l’Église, dont Jésus-Christ est le chef, il continue ainsi sa prière : « Et je me sanctifie moi-même pour eux, » c’est-à-dire je les sanctifie en moi-même, puisqu’ils font partie du corps dont je suis le chef. Et pour nous faire mieux comprendre que ces paroles : « Je me sanctifie moi-même pour eux, » veulent dire qu’il les sanctifie en lui-même, il ajoute : « Afin qu’ils soient eux-mêmes sanctifiés en vérité, » c’est-à-dire en moi, puisque le Verbe est la vérité ; c’est dans ce Verbe que le Fils de l’homme a été sanctifié dès le commencement de son existence, lorsque le Verbe s’est fait chair. Il s’est alors sanctifié lui-même en lui-même, c’est-à-dire qu’il s’est sanctifié comme homme en lui-même, comme Verbe, parce que le Verbe et l’homme ne font qu’un seul Christ. Et c’est à cause de ses membres qu’il ajoute : « Et je me sanctifie moi-même pour eux, » (c’est-à-dire je les sanctifie eux-mêmes eu moi, parce qu’ils ne font qu’un avec moi), afin qu’ils soient eux-mêmes sanctifiés en vérité. Que signifie cette expression : « Eux-mêmes ? » c’est-à-dire comme moi, et dans la vérité, qui n’est autre que moi-même. — S. Chrysostome : Ou bien encore : « Je me sanctifie moi-même pour eux ; » c’est-à-dire, je m’offre à vous comme victime ; car toutes les victimes sont saintes, aussi bien que tout ce qui est consacré à Dieu. Sous l’ancienne loi, cette sanctification n’existait qu’en figure (comme par exemple dans les brebis qu’on immolait), mais maintenant elle existe dans la vérité, c’est pour cela qu’il ajoute : « Afin qu’ils soient sanctifiés en vérité ; » car je veux aussi vous les offrir on sacrifice. Il s’exprime de la sorte, ou parce que lui, qui s’offre, est notre chef, ou parce qu’ils sont eux-mêmes appelés à s’immoler comme victimes : « Offrez vos corps, dit l’Apôtre, comme une hostie vivante, sainte, et agréable à ses yeux, » etc. (Rm 13, 1)

Versets 20-23.



S. AUG. ( Traité 109 sur S. Jean.) Après avoir prié pour ses disciples, auxquels il avait donné le nom d’apôtres, il comprend aussi dans sa prière tous les autres qui dévoient croire en lui : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui, par leur parole, doivent croire en moi. » — S. Chrysostome : ( hom. 82 sur S. Jean.) Il donne en même temps un nouveau motif de consolation, en leur apprenant qu’ils seront eux-mêmes la cause du salut d’un grand nombre d’autres : « Mais encore pour ceux qui, par leur parole, doivent croire en mon nom. » — S. AUG. Le Sauveur comprend ici tous ses élus, ceux qui vivaient alors, et aussi ceux qui devaient exister dans la suite, et non-seulement qui ont entendu les prédications des apôtres lorsqu’ils étaient encore sur la terre, mais encore tous ceux qui ne sont venus qu’après leur mort, et nous-mêmes, qui sommes nés si longtemps après ; mais qui avons été amenés à la foi en Jésus-Christ par la parole des Apôtres, en effet, les apôtres, qui vivaient avec Jésus-Christ, ont annoncé aux autres ce qu’ils avaient appris de lui, et c’est ainsi que leur parole est parvenue jusqu’à nous, et qu’elle parviendra à tous ceux qui, dans la suite, doivent croire, en lui. Il peut sembler, au premier abord, qu’il n’a point compris dans sa prière quelques-uns des siens, ceux par exemple qui n’étaient pas alors avec, lui, qui n’ont pas cru par la parole des apôtres, mais qui avaient cru en Jésus-Christ bien auparavant. En effet, Nathanaël, Joseph d’Arimathie, et un grand nombre d’autres, dont saint Jean dit qu’ils crurent en Jésus-Christ, n’étaient pas alors avec lui. Je ne parle pas du vieillard Siméon, de la prophétesse Anne, de Zacharie, d’Elisabeth, du saint Précurseur, parce qu’on pourrait me répondre qu’il n’était pas besoin de prier pour ces saints personnages, qui étaient sortis de cette vie avec de grands mérites, ce que l’on peut dire également de tous les anciens justes. Quant aux premiers, il faut admettre que leur foi en Jésus-Christ n’était pas encore aussi parfaite qu’il la voulait. Ce ne fut qu’après sa résurrection, lorsque l’Esprit saint eut éclairé l’ignorance et fortifié la faiblesse des apôtres, que la foi des autres atteignit toute sa perfection. Mais la difficulté existe encore pour l’apôtre saint Paul, qui déclare qu’il a été fait apôtre non de la part des hommes, ni par un homme, et le bon larron, qui crut en Jésus-Christ, alors qu’on vit défaillir, dans les docteurs, leur foi, encore si imparfaite. La seule solution que nous puissions donner, c’est de dire que la parole des apôtres c’est la parole de foi qu’ils ont prêchée dans le monde. Notre-Seigneur l’appelle leur parole, parce qu’ils en ont été les premiers et les principaux organes, car depuis longtemps ils l’annonçaient par toute la terre, quand Paul la reçut lui-même par une révélation particulière de Jésus-Christ, et c’est encore cette même parole qui était le fondement de la foi du bon larron. Notre divin Rédempteur a donc compris dans sa prière tous ceux qu’il a rachetés, ceux qui vivaient alors comme ceux qui ne devaient exister que dans la suite. —(Traité 112) Quel était l’objet ou le motif de cette prière ? Le voici : « Afin que tous ils soient un. » Il demande ici pour tous ce qu’il a demandé précédemment pour ses apôtres, afin que nous tous, c’est-à-dire eux et nous, nous soyons un. — S. Chrysostome : Nôtre-Seigneur termine son discours par des vœux d’unité, c’est-à-dire comme il l’avait commencé lorsqu’il disait : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres. »




S. HIL. (de la Trin., 8) Il explique, plus distinctement ce qu’il a dit de cette unité, en lui donnant pour exemple, le plus sublime modèle d’unité : « Comme vous, mon Père, êtes un en moi, et moi en vous, qu’eux aussi soient un en nous ; » c’est-à-dire, que de même le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, nous devons, à leur exemple, être un dans le Père et le Fils. — S. Chrysostome : Cette expression comme ne signifie pas ici une ressemblance exacte et parfaite elle doit être prise en tenant compte de la distance qui existe entre les hommes et Dieu, comme lorsque le Sauveur nous dit, dans un autre endroit : « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. » (Lc 6, 36)




S. AUG. Il est très-important de remarquer ici que Nôtre-Seigneur n’a pas dit : Afin que tous nous soyons un, mais : « Afin qu’ils soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous. » Sous-entendu : « Nous sommes un. » Le Père est, en effet, dans le Fils, et le Fils dans le Père, de manière à ne faire qu’un, parce qu’ils n’ont qu’une seule et même nature. Quant à nous, nous pouvons bien être un en eux, mais nous ne pouvons pas être un avec eux, parce que nous n’avons pas avec eux une même nature. Ils sont donc en nous, et nous en eux, de manière à ne faire qu’un dans leur nature, comme nous ne faisons qu’un dans la nôtre ; car le Père et le Fils sont en nous comme Dieu est dans son temple, et nous sommes en eux comme la créature est dans le Créateur. Il ajoute : « En nous, » pour nous faire bien comprendre que cette unité, que produit la charité parfaite, doit être attribuée à la grâce de Dieu comme à son principe.— S. AUG. (de la Trin., 4, 9) Ou bien il parle ainsi, parce que les hommes ne peuvent être un en eux-mêmes, séparés qu’ils sont par diverses passions, par la cupidité, par les souillures qui, dans leurs péchés, couvrent leur âme. Il demande donc qu’ils soient purifiés par le Médiateur, afin qu’ils puissent être un on lui. — S. HIL. (de la Trin., 8) Les hérétiques font tous leurs efforts pour nous induire en erreur, en nous persuadant que ces paroles : « Mon Père et moi, ne sommes qu’un, » ne signifient pas l’unité parfaite de nature, et l’identité de substance divine dans le Père et le Fils, mais une simple union, qui résulte de leur amour mutuel et du parfait accord de leurs volontés ; et ils appuient leur opinion sur ce terme de comparaison pris par Nôtre-Seigneur lui-même : « Afin qu’ils soient tous un, comme nous sommes un nous-mêmes. » Mais malgré les efforts de l’impiété pour détourner le sens véritable de ces paroles, ce sens n’en reste pas moins le seul qu’on puisse admettre. — Si, en effet, les hommes, par la grâce de la régénération prennent, comme une nouvelle nature, qui leur communique une même vie, une même éternité, on ne peut plus dire qu’ils ne sont un que par la communauté des mêmes sentiments, puisqu’ils le sont par la communauté de la même nature régénérée. — Mais au Père et au Fils seuls il appartient d’être un, en vertu de leur nature ; parce qu’un Dieu qui naît d’un Dieu comme son Fils unique, ne peut exister qu’en recevant une seule et même nature de celui qui l’a engendré.




S. AUG. (Traité 110 sur S. Jean.) Mais que signifient ces paroles qu’il ajoute : « Afin que le monde croie que vous m’avez envoyé ? » Est-ce que le monde embrassera la foi, lorsque tous nous ne ferons plus qu’un avec le Père et le Fils ? Est-ce que cette union parfaite n’est pas cette paix perpétuelle, qui est plutôt la récompense de la foi que la foi elle-même ? Dans cette vie, bien que tous nous soyons un, par les liens d’une même foi, cependant celte unité est bien plutôt l’effet que la cause de notre foi. Que veut-il donc dire par ces paroles : « Qu’ils soient tous un, afin que le monde croie ? » Car ils forment eux-mêmes le monde qui doit croire, et c’est d’eux qu’il a dit : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux qui, par leur parole, doivent croire en moi. » Comment donc devons-nous entendre ces paroles : « Qu’ils soient un en nous, afin que le monde croie que vous m’avez envoyé ? » Le Sauveur ne veut pas dire que leur parfaite unité sera la cause pour laquelle le monde embrassera la foi ; mais c’est une prière qu’il fait à Dieu : « Que le monde croie, » comme lorsqu’il dit : « Qu’ils soient un. » Et si nous suppléons partout le mot : « Je demande, » le sens de cette proposition sera des plus clairs : Je demande que tous ils ne soient qu’un : Je demande qu’ils soient tous un en nous : Je demande que le monde croie que vous m’avez envoyé. — S. HIL. (de la Trin., 4) Ou bien le monde doit croire que le Fils a été envoyé par le Père, parce que tous ceux qui doivent croire en lui seront un dans le Fils et dans le Père. — S. Chrysostome : Rien n’est plus scandaleux, en effet, que la division entre les chrétiens ; tandis que l’union parfaite entre ceux qui ont une même foi, est un sujet d’édification, et un motif de foi pour ceux qui ne croient point. C’est ce que le Sauveur avait dit dès le commencement : « Tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de la charité les uns pour les autres ; » si la division règne parmi eux, on ne les reconnaîtra plus pour les disciples d’un Maître pacifique ; et si je ne suis point moi-même ami de la paix, ils ne reconnaîtront point que vous m’avez envoyé.




S. AUG. Notre-Seigneur qui, en priant son Père, venait de donner une preuve de son humanité, prouve maintenant qu’il est Dieu comme son Père, et qu’il peut accorder lui-même ce qu’il demande : « Et je leur ai donné la gloire que vous m’avez donnée, » etc. Quelle est cette gloire ? C’est l’immortalité, que la nature humaine devait recevoir dans la personne de Jésus-Christ ; car en vertu des décrets immuables de la prédestination, il se sert du temps passé pour annoncer les événements futurs. Mais cette gloire de l’immortalité, qu’il déclare lui avoir été donnée par son Père, il faut entendre qu’il se l’est aussi donnée à lui-même ; car toutes les fois que le Fils parle d’une œuvre du Père sans s’y associer lui-même, il fait acte d’humilité ; et lorsqu’en parlant de ses propres œuvres il n’y comprend pas le Père, il veut établir l’égalité qui règne entre lui et son Père. D’après cette règle, il ne se met pas ici en dehors des œuvres du Père, en disant : « La gloire que vous m’avez donnée, » et ne présente pas non plus son Père comme étranger à son action, bien qu’il déclare que c’est lui-même qui donne cette gloire. Or, de même qu’en priant son Père pour tons les siens, son dessein a été que « tous fussent un ; » ainsi, en disant : « Je leur ai donné la gloire que vous m’avez donnée, » il a voulu que cette unité parfaite fût un effet de sa grâce, car il ajoute aussitôt : « Afin qu’ils soient un en nous, comme nous sommes un. » — S. Chrysostome : Ou bien, par cette gloire, il entend la gloire qui vient des miracles et de la doctrine, et qui doit avoir pour fin la parfaite union entre eux : « Afin qu’ils soient un en nous, comme nous sommes un. » Car cette gloire, d’être aussi parfaitement unis, est plus grande que la gloire qui vient des miracles. En effet, tous ceux qui ont cru par la prédication des apôtres, sont un, et si la division a régné parmi quelques-uns d’entre eux, ils ne doivent l’imputer qu’à leur négligence, ce que Nôtre-Seigneur n’a pu ignorer.




S. HIL. (de la Trin., 8) Tous les fidèles sont donc un, par le moyen de cette gloire, tour à tour reçue et donnée ; mais je ne comprends pas encore comment cette gloire a été la cause de cette unité parfaite entre tous les fidèles. Notre-Seigneur a voulu établir en quelque sorte les degrés et l’ordre par lesquels ou peut arriver à cette unité consommée, lorsqu’il dit : « Qu’ils soient un en nous, » c’est-à-dire, que notre divin Médiateur nous enseigne l’unité parfaite, parce qu’il est en son Père par sa nature divine, ce que nous sommes en lui par suite de son incarnation et de sa naissance corporelle, et qu’il est encore en nous par le mystère de son sacrement. — S. Chrysostome : Dans un autre endroit, il dit de lui et de son Père : « Nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure, » (Jn 14) et il ferme ainsi la bouche aux Sabelliens, par la distinction qu’il fait des deux personnes ; en même temps qu’il détruit l’erreur des Ariens, en affirmant que son Père ne vient point par lui dans ses disciples, mais qu’il vient lui-même en eux avec son Père.




S. AUG. Cependant il ne veut pas dire que le Père n’est pas en nous, ou que nous ne sommes pas dans le Père ; le Sauveur a voulu simplement marquer en peu de mots l’office de médiateur qu’il remplit entre Dieu et les hommes. Il ajoute : « Afin qu’ils soient consommés dans l’unité ; » et il nous montre ainsi que la réconciliation qui a lieu par ce divin Médiateur, nous conduit à la jouissance de la félicité parfaite. Aussi, je ne crois pas qu’on doive entendre les paroles qui suivent : « Afin que le monde connaisse que vous m’avez envoyé, » dans le même sens que s’il disait, comme précédemment : « Afin que le monde croie ; » car, tant que nous croyons ce que nous ne voyons pas, nous ne sommes pas encore consommés dans l’unité comme nous le serons lorsque nous mériterons de voir ce qui fait ici-bas l’objet de notre foi. La connaissance qui sera le fruit de cette consommation n’est donc plus celle que donne la foi, mais celle que produira la claire vue, et les croyants dont parle ici le Sauveur, c’est le monde lui-même, qui d’ennemi qu’il était est devenu l’ami de Dieu. C’est pour cela que Nôtre-Seigneur ajoute : « Et que vous les avez aimés comme vous m’avez aimé. » En effet, c’est dans son Fils que le Père nous aime, parce que c’est en lui qu’il nous a choisis. Mais nous ne sommes pas pour cela les égaux du Fils unique ; car cette locution : De même que, ainsi, n’expriment pas toujours l’égalité, mais simplement : Telle chose est, parce que telle autre chose est également. Ces paroles : « Vous les avez aimés comme je vous ai aimé, » signifient donc : Vous les avez aimés parce que vous m’avez aimé ; car, la seule raison pour laquelle le Père aime les membres de son Fils, c’est l’amour qu’il a pour son Fils lui-même. Or, qui pourrait dire combien ce Dieu, qui ne peut rien haïr de ce qu’il a fait, aime les membres de son Fils unique, et combien plus encore il aime le Fils unique lui-même ?

Versets 24-26.



S. Chrysostome : (hom. 82 sur S. Jean.) Après avoir prédit qu’un grand nombre croiraient par le ministère, des Apôtres, et qu’ils jouiraient d’une gloire extraordinaire, il les entretient de la couronne qui leur est réservée : « Mon Père, je veux que, là où je suis, ceux que vous m’avez donnés soient aussi avec moi. » — S. AUG. (Traité 110 sur S. Jean.) Il veut parler de ceux que son Père lui a donnés, de ceux qu’il a choisis du milieu du monde, car comme il le dit au commencement de sa prière : « Dieu lui a donné puissance sur toute chair, c’est-à-dire, sur tous les hommes, pour leur donner la vie éternelle, preuve évidente du pouvoir qu’il a reçu sur tout homme pour sauver ceux qu’il veut et laisser qui il veut dans la damnation éternelle. Telle est donc la récompense qu’il a promise à tous ses membres, c’est que là où il est, nous serons avec lui. Or, il est impossible que le Père tout-puissant n’accomplisse pas la volonté exprimée par son Fils tout-puissant (Traité 111) ; et notre piété doit croire sans difficulté ce que notre faiblesse ne nous permet pas de comprendre que le Père et le Fils n’ont qu’une seule et même volonté. A ne voir en Jésus-Christ que la nature humaine, selon laquelle il est né de la race de David ; il a pu dire : « Là où je suis, » en se considérant comme étant déjà là où il devait bientôt aller. Il nous promet donc que nous serons un jour dans les cieux, car cette nature humaine qu’il a prise dans le sein d’une Vierge, il l’a élevée jusque dans les cieux et l’a placée à la droite de son Père. — S. GREG. (Moral., 27, 8.) Mais alors que signifient ces paroles que la vérité nous dit dans un autre endroit : « Personne n’est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel ? » Nous répondons que la vérité n’est point eu contradiction avec elle-même, car le Seigneur étant le chef de ses membres, il est seul avec nous après qu’il a rejeté loin de lui la multitude des réprouvés, et puisque nous ne faisons plus qu’un avec lui, on peut dire qu’il retourne seul en nous au ciel d’où il est descendu seul en lui-même.




S. AUG. (Traité 111 sur S. Jean.) Si nous considérons au contraire la nature divine par laquelle il est égal à Dieu son Père, et que nous voulions comprendre à ce point de vue le sens de ces paroles : « Là où je suis, je veux qu’ils soient avec moi, » il nous faut éloigner de notre esprit toute image des choses sensibles, et ne pas rechercher où est le Fils égal à son Père, parce qu’on ne peut trouver un lieu où il ne soit pas. Remarquons encore que Nôtre-Seigneur ne se contente pas de dire : « Je veux que là où je suis, ils y soient eux-mêmes ; » mais il ajoute : « Avec moi. » En effet, être avec lui, c’est le plus grand des biens, car si l’on peut être malheureux en étant là où il est, on est nécessairement heureux lorsqu’on est avec lui. Ainsi, pour prendre un exemple dans les choses sensibles, quoique d’un ordre bien différent, de même qu’un aveugle qui se trouve là où brille la lumière, n’est cependant pas avec la lumière, mais en est séparé même en présence de la lumière, ainsi, bien que non-seulement l’infidèle, mais encore le fidèle ne puisse jamais être où n’est pas le Christ, il n’est cependant pas avec le Christ contemplé dans sa nature. Nul doute que le chrétien fidèle soit avec Jésus-Christ par la foi, mais le Sauveur voulait parler ici de la claire vue qui nous le fera voir tel qu’il est : c’est pour cela qu’il ajoute : « Afin qu’ils voient la gloire que vous m’avez donnée. » Remarquez : « Afin qu’ils voient, » et non : Afin qu’ils croient ; c’est la récompense de la foi, et non la foi elle-même. — S. Chrysostome : Il ne dit pas non plus : Afin qu’ils entrent en participation de ma gloire, mais : « Afin qu’ils voient ma gloire, » nous indiquant ainsi en termes couverts que le souverain repos consiste dans les cieux à voir le Fils de Dieu. Or, le Père a donné cette gloire à son Fils lorsqu’il l’a engendré.




S. AUG. Lors donc que nous verrons la gloire que le Père a donnée à son Fils, quand même nous entendrions ici, non pas la gloire que le P’ère donne à son Fils qui lui est égal, en l’engendrant, mais celle qu’il a donnée à son Fils fait homme après la mort de la croix ; lorsque nous verrons cette gloire du Fils, c’est alors qu’aura lieu le jugement, et que l’impie disparaîtra pour ne pas être témoin de la gloire du Seigneur. Quelle est cette gloire ? Celle qui lui est propre comme Dieu. En admettant donc que c’est comme Fils de Dieu et Dieu lui-même que le Sauveur dit : « Je veux que là où je suis ils y soient avec moi, » nous serons alors dans le Père avec Jésus-Christ, qui après ces paroles : « Afin qu’ils voient la gloire que vous m’avez donnée, » ajoute aussitôt : « Parce que vous m’avez aimé avant la création du monde. » C’est en Jésus-Christ, en effet, qu’il nous a aimés avant la création du monde, et c’est alors qu’il a réglé dans sa prédestination ce qu’il devait accomplir à la fin du monde. — Bède : Il donne le nom de gloire à l’amour dont son Père l’a aimé avant la création du monde, et c’est dans cette gloire qu’il nous aime nous-mêmes avant l’établissement du monde.




THEOPHYL. Après avoir prié pour les fidèles et leur avoir fait de si magnifiques promesses, Nôtre-Seigneur place une considération pleine de piété et digne de la mansuétude dont il faisait profession : « Père juste, le monde ne vous a pas connu, » c’est-à-dire, mon désir eût été de voir tous les hommes en possession des biens que j’ai demandés dans cette prière ; mais ils ne vous ont point connu, et ne pourront obtenir ni la gloire, ni les couronnes que je leur ai promises. — S. Chrysostome : Le langage du Sauveur paraît ici empreint d’un profond sentiment de tristesse, de ce que les hommes n’ont point voulu connaître l’auteur de toute bonté et de toute justice. Les Juifs sont donc dans l’erreur quand ils prétendent vous connaître, et qu’ils me reprochent à moi de ne point vous connaître ; c’est le contraire qui est vrai : Pour moi, je vous ai connu, et ceux-ci ont connu que vous m’avez envoyé, et je leur ai fait connaître votre nom et le leur ferai connaître, en leur donnant par l’Esprit saint une connaissance parfaite. Or, quand ils auront appris ce que vous êtes, ils sauront que je ne suis point séparé de vous, mais que vous m’avez aimé d’un amour extraordinaire, que je suis votre propre Fils, et que je vous suis uni par les liens les plus étroits. C’est ce que je leur ai enseigné, afin que je demeure en eux, et c’est ainsi qu’ils conserveront infailliblement la foi qu’ils ont en moi, et l’amour qui doit en être le fruit : « Afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux. » Comme s’il disait : C’est l’amour qu’ils auront pour moi, qui leur méritera que je demeure en eux.




S. AUG. Ou bien encore : Qu’est-ce que la connaissance de Dieu, si ce n’est la vie éternelle, qu’il n’a point donnée au monde réprouvé, mais au monde réconcilié ? Le monde ne vous a donc point connu, parce que vous êtes juste, et qu’il a mérité, que vous lui refusiez la grâce de vous connaître ; au contraire, le monde réconcilié vous a connu, parce que vous êtes miséricordieux, et que ce n’est point à ses mérites, mais à votre grâce qu’il doit de vous connaître. Il ajoute : « Pour moi je vous ai connu. » En tant que Dieu, il est par nature la source de la grâce, et en tant qu’homme, né du Saint-Esprit et de la vierge Marie, il l’est devenu par une grâce ineffable. Enfin, comme la grâce de Dieu nous est donnée par Jésus-Christ, il termine en disant : « Et ceux-ci (c’est-à-dire, le monde réconcilié) ont connu, mais parce que vous m’avez envoyé ; cette connaissance leur est donc venue par la grâce. Et je leur ai fait connaître votre nom (par la foi), et je le leur ferai connaître (par la claire vue), afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux. » L’Apôtre s’est servi d’une locution semblable lorsqu’il a dit : « J’ai combattu un bon combat. » (1 Tm 1, 4.) Il ne dit pas : J’ai combattu d’un bon combat, ce qui serait plus conforme au langage ordinaire. Or, comment l’amour dont le Père a aimé le Fils est-il en nous, si ce n’est parce que nous sommes ses membres, et que Dieu nous aime dans son Fils, qu’il aime tout entier, c’est-à-dire, le chef et les membres, c’est pour cela que le Sauveur ajoute : « Et moi en eux. » Il est, en effet, en nous comme dans son temple, et nous sommes en lui en tant qu’il est notre chef.