Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 6

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Chapitre 5 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean Chapitre 7


CHAPITRE VI


Versets. 1-14.


S. Chrysostome : (hom 42 sur S. Jean) Lorsque des traits viennent tom-


ber sur un corps dur qui leur résiste, ils retournent avec force contre ceux qui les ont lancés, si, au contraire, ils ne rencontrent aucun obstacle, leur force s’affaiblit et finit bientôt par s’éteindre. Ainsi lorsque nous voulons résister à des hommes pleins d’audace, ils en deviennent plus furieux, si au contraire, nous prenons le parti de leur céder, nous voyons leur fureur s’apaiser aussitôt. Voilà comment Nôtre-Seigneur Jésus-Christ apaise la colère que ses discours ont fait naître dans le cœur de ses ennemis. Il se retire dans la Galilée, non pas cependant dans les mêmes lieux dont il était parti précédemment pour se rendre à Jérusalem, car ce n’est pas à Cana en Galilée, mais au delà de la mer qu’il se retire : « Jésus s’en alla ensuite de l’autre côté de la mer de Galilée qui est le lac de Tibériade. » — ALCUIN. Cette mer prend divers noms suivant les divers lieux qui se trouvent sur ses bords. On l’appelle ici la mer de Galilée de la province où elle se trouve et lac de Tibériade de la ville de Tibériade qui est située sur ces bords. On lui donne le nom de mer, non que l’eau en soit salée, mais parce que les Hébreux donnaient le nom de mer à toutes les grandes étendues d’eau. Nôtre-Seigneur traversa souvent ce lac pour prêcher l’Evangile aux peuples qui habitaient sur ses bords. — THEOPHYL. Le Sauveur va successivement d’un lieu dans un autre, pour éprouver la bonne volonté du peuple et rendre les hommes plus désireux et plus avides de l’entendre : « Et une grande multitude de peuple le suivait, parce qu’ils voyaient les miracles qu’il faisait sur ceux qui étaient malades. » — ALCUIN. En rendant la vue aux aveugles et en opérant d’autres prodiges semblables. Et il ne faut pas oublier qu’il guérissait l’âme en même temps qu’il rendait la santé du corps.


S. Chrysostome : (hom. 42.) Malgré l’éclat et la sublimité de sa doctrine, ses miracles faisaient beaucoup plus d’impression sur eux, ce qui est l’indice d’esprits encore peu instruits, car les miracles, dit saint Paul, sont un signe, non pour les fidèles, mais pour les infidèles. Ceux dont saint Matthieu rapporte qu’ils étaient dans l’admiration de sa doctrine, (Mt 7, 28), faisaient preuve de plus grande sagesse. Mais pourquoi l’Evangéliste ne rapporte-t-il pas les miracles opérés par Jésus ? parce que le but qu’il s’est proposé était de consacrer la plus grande partie de son ouvrage à reproduire les discours du Seigneur. « Jésus monta donc sur une montagne et s’y assit avec ses disciples. » Il monte sur une montagne à cause du miracle qu’il doit opérer, ses disciples y montent avec lui et accusent ainsi la conduite du peuple qui ne peut l’y suivre. Il monte encore sur cette montagne pour nous apprendre à nous soustraire au tumulte et à l’agitation du monde, car la solitude est la meilleure préparation à l’étude de la sagesse et à la méditation des choses divines : « Or, la Pâque qui est la grande fête des Juifs était proche. » Vous voyez que dans l’espace d’une année tout entière, l’Evangéliste ne nous raconte que deux miracles de Jésus-Christ ; la guérison du paralytique et celle du fils de l’officier royal, car il ne s’est point proposé de tout raconter, mais de faire le choix de quelques faits plus importants. Mais pourquoi Nôtre-Seigneur ne se rend-il pas à Jérusalem pour la fête de Pâques ? Il voulait laisser tomber peu à peu la loi, en s’autorisant pour cela des mauvaises dispositions des Juifs contre lui. — THEOPHYL. Les Juifs le poursuivaient avec acharnement, il prend occasion de leur animosité contre lai pour se dispenser d’observer la loi et il apprend ainsi aux observateurs de la loi que toutes les figures disparaissent à l’avènement de la vérité, et qu’il n’est ni soumis à la loi ni astreint à l’observance de cérémonies légales. Remarquez en effet que ce n’était point la fête de Jésus-Christ, mais la fête des Juifs.


Bède : (sur S. Marc, chap. 6) En examinant avec attention le récit des évangélistes, on se convaincra facilement qu’il s’écoula un an tout entier entre la mort de Jean-Baptiste et la passion du Sauveur. En effet, saint Matthieu rapporte que le Seigneur ayant appris la mort de Jean-Baptiste, se retira dans le désert, et qu’il y nourrit miraculeusement la multitude ; saint Jean de son côté nous fait remarquer que la fête de Pâques était proche lorsque Jésus fit ce miracle, il s’en suit évidemment que Jean-Baptiste fut décapité aux approches de la fête de Pâques. Un an après eut lieu la passion du Sauveur, à l’époque de la même fête, « Jésus donc ayant levé les yeux, et voyant qu’une très-grande multitude était venue à lui, » etc. — THEOPHYL. Remarquez cette circonstance du récit de l’Evangéliste : « Jésus ayant levé les yeux, pour nous apprendre qu’il ne promenait pas librement ses regards de tous côtés, mais qu’il les tenait modestement baissés en conversant avec ses disciples. — S. Chrysostome : (hom. 42 sur S. Jean.) Ce n’est pas sans motif que Nôtre-Seigneur était assis avec ses disciples, il voulait les instruire plus librement et avec plus de soin, et se les attacher plus étroitement. Il lève ensuite les yeux et aperçoit la multitude qui venait à lui. Pourquoi donc fait-il cette question à Philippe ? Il connaissait ceux de ses disciples qui avaient besoin d’un enseignement plus étendu, et tel était l’apôtre Philippe qui dit au Sauveur dans la suite : « Montrez-nous votre Père, et cela suffît. » Nôtre-Seigneur commence donc par instruire son disciple, car s’il avait opéré le miracle de la multiplication des pains sans autre préparation, ce miracle n’eût point apparu dans tout son éclat. Jésus l’oblige donc de reconnaître son impuissance à suffire aux besoins de cette multitude pour qu’il demeure bien convaincu de la grandeur du miracle qui va se faire : « Il parlait ainsi pour le tenter, » dit l’Evangéliste.


S. AUG. (Serm. 2 sur les par. du Seign.) Il est une tentation qui porte directement au péché, et elle ne peut jamais être l’œuvre de Dieu qui ne porte jamais personne au mal, selon la parole de saint Jacques. Il est encore une tentation qui a pour objet d’éprouver la foi, et dont Moïse dit : « Le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu’on sache si vous l’aimez on non, » (Dt 13, 3) et c’est dans ce sens qu’il faut entendre la question que Jésus faisait à Philippe pour le tenter. — S. Chrysostome : (hom. 42.) Est-ce donc que Nôtre-Seigneur ignorait la réponse que lui ferait son disciple ? Non sans doute, mais l’Evangéliste se conforme ici à la manière de parler en usage parmi les hommes-Ainsi lorsque l’Ecriture dit de Dieu « qu’il sonde les cœurs des hommes, » (Rm 8, 27) cette expression ne signifie nullement un examen qui a pour cause l’ignorance, mais une absolue certitude, de même l’Evangéliste en rapportant que Jésus parlait de la sorte pour éprouver son disciple, veut simplement dire qu’il savait certainement ce que Philippe lui répondrait. On peut dire encore que par cette question, Nôtre-Seigneur voulait faire passer son disciple par cette épreuve pour le rendre plus certain du miracle qu’il allait opérer, et l’Evangéliste qui semble craindre que la manière dont il s’exprime ne donne une idée peu favorable du Sauveur, se hâte d’ajouter : « Car il savait ce qu’il devait faire. »

ALCUIN. Jésus fait donc cette question, non pour apprendre ce qu’il ignore, mais pour convaincre son disciple de la lenteur de son esprit et de sa foi, qu’il ne pouvait découvrir par lui-même. — THEOPHYL. Ou bien il voulait le faire connaître aux autres disciples, et leur montrer qu’il n’ignorait pas les pensées les plus intimes de son cœur. — S. AUG. (de l’acc. des Evang., 2, 46.) D’après le récit de saint Jean, le Seigneur à la vue de cette nombreuse multitude, aurait demandé à Philippe pour l’éprouver où il trouverait de quoi nourrir tout ce peuple. Mais alors comment admettre la vérité du récit des autres évangélistes dans lesquels nous lisons que les apôtres pressèrent tout d’abord le Seigneur de congédier le peuple, et qu’il leur répondit : « Ils n’ont nul besoin de s’en aller, donnez-leur vous-mêmes à manger ? » Pour concilier cette difficulté, il suffit d’admettre qu’après ces paroles, le Sauveur regarda cette grande multitude de peuple et qu’il fit à Philippe la question qui est rapportée par saint Jean, et que les autres apôtres ont passée sous silence.— S. Chrysostome : (hom, 42.) Ou bien encore, il s’agit ici de deux faits différents qui n’ont point eu lieu à la même époque.


THEOPHYL. Nôtre-Seigneur avait voulu éprouver la foi de son disciple, et il le trouve encore dominé par des sentiments tout humains, qui se trahissent dans sa réponse : « Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun un morceau. » — ALCUIN. Une semblable réponse accuse en effet un esprit bien lent à croire, car s’il avait compris parfaitement que Jésus était le Créateur de toutes choses, il n’aurait eu aucun doute sur l’étendue de sa puissance. — S. AUG. (de l’acc. des Evang. 2, 46.) Saint Marc prête à tous les disciples la réponse que saint Jean attribue exclusivement ici à Philippe. Mais on peut dire que ce dernier évangéliste laisse à comprendre que Philippe répondit au nom des autres apôtres, quoiqu’il ait pu, en se conformant à l’usage beaucoup plus reçu, mettre le pluriel à la place du singulier.


THEOPHYL. Les sentiments d’André étaient à peu près semblables à ceux de Philippe, bien qu’il eût sur Jésus-Christ des pensées plus élevées : « André, frère de Simon Pierre, lui dit : Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d’orge et deux poissons. » — S. Chrysostome : (hom. 42.) Ce n’est pas sans raison qu’André tient ce langage, il se rappelait le miracle qu’avait fait le prophète Elisée qui avait multiplié vingt pains d’orge pour nourrir cent personnes. (4 R 4, 42-44.) Il lui vint donc dans l’esprit une idée un peu plus élevée, mais qui n’alla pas encore bien loin, comme l’indique la réflexion qu’il ajoute : « Mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » Il s’imaginait que celui qui opérait des miracles, les faisait plus ou moins grands, selon les éléments plus ou moins considérables qu’il avait à sa disposition, ce en quoi il se trompait. Il lui était aussi facile de nourrir une grande multitude avec quelques pains comme avec un plus grand nombre, parce qu’il n’avait nul besoin d’une matière préalable. Si donc il consent à se servir des éléments créés pour opérer ses miracles, c’est pour montrer que les créatures sont régies par sa providence pleine de sagesse. THEOPHYL. Ainsi sont confondus les Manichéens qui prétendent que les pains et tous les autres éléments crées viennent d’un principe mauvais, du Dieu du mal, puisque le Fils du Dieu bon, Jésus-Christ consent à multiplier ces pains, car si les créatures étaient mauvaises, Jésus, qui était bon, n’aurait pas voulu les multiplier.


S. AUG. (de l’acc. des Evang., 2, 46.) La réflexion que saint Jean prête à André au sujet des cinq pains et des deux poissons, est rapportée par les autres Evangélistes (qui ont mis le pluriel pour le singulier), comme ayant été faite collectivement par tous les disciples.


S. Chrysostome : (hom. 42.) Apprenons ici, nous qui sommes tout entiers aux satisfactions de la sensualité, quelle était la nourriture de ces hommes admirables, quelle sobriété dans la quantité comme dans le choix de leurs aliments. Nôtre-Seigneur fait asseoir le peuple avant que les pains aient été multipliés, parce que, comme dit saint Paul, les choses qui n’existent pas lui sont soumises comme celles qui existent (Rm 4) : « Jésus leur dit : Faites-les asseoir. » — ALCUIN. L’expression discumbere signifie littéralement manger étant couché, suivant l’usage des anciens : « Or, il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu. » — THEOPHYL. C’est-à-dire du gazon encore vert, car on n’était pas loin de la fête de Pâques, qui se célébrait au premier mois du printemps : « Les hommes s’assirent donc au nombre d’environ cinq mille. » L’Evangéliste ne compte que les hommes, suivant la coutume des Juifs, c’est ainsi que Moïse fit le dénombrement de tous les hommes depuis vingt ans et au-dessus (Nb 1), sans faire aucune mention des femmes, nous indiquant ainsi que ce qui est plein de jeunesse et de force mérite seul d’être compté aux yeux de Dieu.


« Alors Jésus prit les pains, et après avoir rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des deux poissons, autant qu’ils en voulaient. » — S. Chrysostome : (hom. 42.) Mais pourquoi Nôtre-Seigneur n’a-t-il point fait de prière avant de guérir le paralytique, de ressusciter les morts, d’apaiser la mer agitée, tandis que nous le voyons ici prier et rendre grâces ? C’est pour nous apprendre à rendre grâces à Dieu avant de commencer le repas. On peut dire encore qu’il prie avant de faire des miracles de moindre importance, pour faire voir qu’il ne prie pas pour obtenir du secours, car s’il avait eu besoin de demander le secours d’en haut, c’eût été surtout avant de faire ses plus grands miracles, et comme il les fait toujours avec autorité, il est évident que c’est par condescendance pour nous, qu’il adresse à Dieu sa prière. Une autre raison, c’est qu’il voulait bien persuader le peuple, qui était présent, que c’était par la volonté de Dieu qu’il était venu sur la terre. Voilà pourquoi il ne prie point avant de faire un miracle loin des yeux de la foule, il priait, au contraire, lorsqu’il devait le faire devant tout le peuple, pour le convaincre qu’il n’était point en opposition avec Dieu.


S. HIL. (de la Trin., 3) Les disciples présentent donc à cette multitude cinq pains, et les leur distribuent à mesure qu’ils les rompent, ils se succèdent dans leurs mains par une création instantanée de nouveaux morceaux de pain. Le pain qui est rompu ne diminue point, et cependant de nouveaux morceaux remplissent continuellement les mains qui les rompent, sans que les sens ni les yeux puissent suivre la continuité de cette création vraiment merveilleuse. Ce qui n’existait pas, existe, on voit ce qu’on ne comprend pas, et la seule pensée qui reste, est celle de la toute puissance de Dieu.— S. AUG. (Traité 24 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur multiplie ces cinq pains de la même manière qu’il fait sortir de quelques grains seulement d’abondantes moissons. Les mains de Jésus-Christ étaient pleines d’une puissance toute divine, et ces pains étaient comme des semences qui n’étaient pas confiées à la terre, mais qui étaient multipliées par celui qui a créé la terre.


S. Chrysostome : (hom. 42.) Considérez ici la différence qui sépare le Seigneur de ses serviteurs ; les prophètes qui n’avaient la grâce qu’avec mesure, n’opéraient aussi des miracles que dans une certaine mesure, tandis que Jésus-Christ, qui agit avec une puissance absolue, faisait tous ses miracles dans toute la plénitude de son autorité : « Lorsqu’ils furent rassasiés il dit à ses disciples : Recueillez les morceaux qui sont restés. » Ce n’est point par vaine ostentation que le Sauveur commande de recueillir ces restes, mais pour bien établir la réalité du miracle, et c’est pour la même raison qu’il l’opère avec une matière préexistante. Mais pourquoi charge-t-il ses disciples plutôt que la foule, de recueillir ces restes ? parce qu’il voulait instruire surtout ceux qui devaient être les maîtres du monde entier. Quant à moi, j’admire non-seulement la multiplication des pains, mais le soin avec lequel l’Evangéliste mentionne le nombre précis de corbeilles. Il y avait cinq pains, et Jésus-Christ dispose le tout de manière à ce que les restes ne remplissent que douze corbeilles, ni plus ni moins autant qu’il y avait d’Apôtres. — THEOPHYL. Ce miracle nous apprend aussi à ne pas nous décourager au milieu des étreintes de la pauvreté.


Bède : Le peuple, à la vue de ce miracle, était dans l’admiration, parce qu’il ne connaissait pas encore la divinité du Sauveur, c’est pour cela que l’Evangéliste ajoute : « Ces hommes (dont le jugement était dominé par les sens), ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde. » — ALCUIN. Leur foi était loin d’être parfaite, puisqu’ils ne regardaient le Seigneur que comme un prophète, sans reconnaître encore sa divinité, mais cependant l’éclat de ce miracle leur avait fait faire de grands progrès, puisqu’ils le distinguaient des autres par le nom de prophète ; ils se rappelaient, en effet, que leurs prophètes s’étaient quelquefois signalés par des miracles. D’ailleurs ils ne se trompent pas, en appelant Nôtre-Seigneur prophète, puisque lui-même a daigné prendre ce nom : « Il ne convient pas, dit-il, qu’un prophète périsse hors de Jérusalem. » (Lc 13) — S. AUG. (Traité 24.) Jésus-Christ est prophète et le Seigneur des prophètes, de la même manière qu’il est ange et le Seigneur des anges. Il est ange (ou envoyé) parce qu’il est venu annoncer des choses présentes ; il est prophète, parce qu’il a prédit l’avenir, et en tant que Verbe fait chair, il est le Seigneur des anges et des prophètes, car on ne peut concevoir un prophète sans le Verbe de Dieu. — S. Chrysostome : (hom. 42.) Ils disent : « Qui doit venir en ce monde, » il est donc évident qu’ils attendaient un prophète extraordinaire. Aussi ces paroles : « Celui-ci est vraiment prophète, » se trouvent dans le texte grec avec l’article, comme preuve qu’ils le distinguent de tous les autres prophètes.


S. AUG. (Traité 24 sur S. Jean.) Remarquons que comme la nature divine ne peut être aperçue de nos yeux, et que les miracles de la Providence, par lesquels Dieu ne cesse de gouverner le monde et de régir toutes les créatures, ont perdu pour nous de leur éclat, parce qu’ils se renouvellent tous les jours ; il s’est réservé quelques œuvres extraordinaires, qu’il opère à des temps marqués en dehors des causes physiques et des lois ordinaires de la nature, pour émouvoir ainsi par la nouveauté plutôt que par la grandeur du miracle, ceux sur qui les prodiges de tous les jours ne font plus d’impression. En effet, le gouvernement du monde entier est un bien plus grand miracle que l’acte par lequel le Sauveur nourrit cinq mille hommes avec cinq pains : et cependant personne n’admire le premier miracle, et tous sont ravis d’admiration en présence du second, non pas précisément parce qu’il est plus grand, mais parce qu’il arrive rarement. Toutefois, ne nous contentons pas de voir seulement le fait extérieur dans les miracles du Christ, le Seigneur, sur la montagne, c’est le Verbe sur les hauteurs, il ne se présente donc point ici dans un état d’humiliation, et il ne faut point passer légèrement sur ce miracle, mais lever nos regards en haut. — ALCUIN. Dans le sens mystique, la mer est l’emblème du monde toujours agité. Mais dès que Jésus-Christ se fut comme embarqué par sa naissance sur la mer de notre mortalité, qu’il l’eut foulée aux pieds par sa mort, et traversée par sa résurrection, la multitude des croyants, formée des deux peuples, l’a suivi fidèlement par la foi et l’imitation de ses vertus. — Bède : Le Seigneur a gagné le sommet de la montagne, lorsqu’il est monté au ciel dont cette montagne est la figure. — ALCUIN. Il laisse la multitude au pied de la montagne, et monte plus haut avec ses disciples, pour nous apprendre qu’il faut imposer des préceptes moins difficiles aux âmes encore faibles, et réserver la doctrine plus relevée pour les âmes plus parfaites. C’est aux approches de la fête de Pâques qu’il nourrit cette multitude, et il nous enseigne par là que celui qui désire se nourrir du pain de la divine parole, et du corps et du sang du Seigneur, doit s’y préparer en célébrant la pâque spirituelle, c’est-à-dire en passant de l’habitude du vice à la pratique de la vertu, puisque le mot pâque signifie passage. les yeux du Seigneur sont les dons spirituels, et il lève les yeux, c’est-à-dire qu’il laisse tomber le regard de sa miséricorde sur les élus qui reçoivent de lui ses dons spirituels.


S. AUG. (liv. des 83 quest., quest. 61.) Les cinq pains d’orge signifient la loi ancienne, soit parce que la loi a été donnée aux hommes, alors qu’ils se conduisaient plutôt par la chair que par l’esprit, et qu’ils étaient comme livrés aux cinq sens du corps (remarquez que cette multitude se composait de cinq mille hommes) ; soit parce que la loi a été donnée par Moïse, qui l’a renfermée dans les cinq livres qui portent son nom. Ces cinq pains étaient d’orge, et figuraient parfaitement la loi dans laquelle l’aliment vital de l’âme était recouvert par des signes extérieurs. La moelle de l’orge est en effet recouverte d’une paille très tenace. Ces pains d’orge peuvent encore représenter le peuple lui-même qui n’était pas encore dépouillé de ses désirs charnels, qui adhérait à son cœur comme la paille qui recouvre le grain d’orge. L’orge est la nourriture des bêtes de somme et des esclaves. Or, la loi a été donnée à des esclaves, et à des hommes charnels, dont les animaux sont la figure.


S. AUG. (comme précéd.) Les deux poissons destinés à donner au pain une saveur agréable, sont l’emblème des deux institutions qui gouvernaient le peuple, le sacerdoce et la royauté, et ces deux institutions figuraient à leur tour Nôtre-Seigneur, qui les réunissait toutes deux dans sa personne. — ALCUIN. On peut dire encore que ces deux poissons figurent les paroles ou les écrits des prophètes et des auteurs de Psaumes ; or, de même que le nombre cinq se rapporte aux cinq sens du corps, le nombre mille est le symbole de la perfection. Ceux qui s’appliquent à maîtriser et à diriger parfaitement les cinq sens de leur corps, sont appelés viri (hommes), du mot vires (forces). Ce sont ceux qui ne se laissent point corrompre par une mollesse féminine, qui vivent dans la chasteté et la tempérance, et méritent de goûter les douceurs de la sagesse céleste.


S. AUG. (Traité 24.) L’enfant qui portait ces cinq pains et ces deux poissons figurait le peuple juif, qui portait les cinq livres de la loi comme un enfant inexpérimenté, sans songer à s’en nourrir ; ces aliments, tant qu’ils restaient enveloppés, n’étaient pour lui qu’une charge accablante, et ils n’avaient la vertu de nourrir qu’à la condition d’être mis à découverts.


Bède : La réflexion que fait André : « Qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » est pleine de justesse, dans le sens allégorique, car la loi ancienne servait à peu de chose jusqu’au moment où Jésus la prit dans les mains, c’est-à-dire, en accomplit les prescriptions et nous offrit à l’entendre dans le sens spirituel ; car par elle-même la loi ne conduisait personne à la perfection.


S. AUG. (Tr. 24.) C’est au moment où les pains étaient rompus qu’ils se multipliaient, et c’est ainsi que les cinq livres de Moïse, par l’exposition (ou la fraction) qui en a été faite, ont donné naissance à une multitude d’autres livres.— S. AUG. (Liv. des 83 quest., qu. 61.) C’est, en brisant en quelque sorte, ce qu’il y avait de dur dans la loi, et en expliquant ce qu’elle avait d’obscur, que Nôtre-Seigneur nourrit ses disciples, lorsqu’après sa résurrection il leur découvrit le sens des Ecritures.


S. AUG. (Traité 24.)La question du Sauveur avait pour objet de faire ressortir l’ignorance de son disciple, qui était la figure de l’ignorance où le peuple était de la loi. Le peuple s’assoit sur l’herbe, parce qu’il avait encore des goûts charnels et se reposait volontiers dans les satisfactions de la chair, car « toute chair est comme l’herbe des champs. » (Is 40) Remarquez encore que le Seigneur ne nourrit et ne rassasie de ces pains multipliés miraculeusement que ceux qui traduisent dans leurs œuvres les enseignements qu’ils ont reçus.


S. AUG. (Traité 24.) Quels sont ces restes qu’il commande de recueillir ? C’est ce que le peuple n’a pu manger, et ces restes qui sont les vérités d’une intelligence plus cachée et que la multitude ne peut comprendre, sont confiés à ceux qui sont capables, et de les recevoir et de les enseigner aux autres, tels qu’étaient les Apôtres, et voilà pourquoi nous voyons que douze corbeilles furent remplies de ces restes. — ALCUIN et Bède : Les corbeilles servent aux usages domestiques, elles figurent donc ici les Apôtres et leurs imitateurs qui, d’un extérieur peu remarquable aux yeux des hommes, sont cependant remplis intérieurement des richesses de tous les trésors spirituels. Les Apôtres sont comparés à des corbeilles, parce que c’est par leur ministère que la foi en la sainte Trinité devait être prêchée dans toutes les parties du monde. Le Sauveur n’a point voulu créer de nouveaux pains, mais s’est contenté de multiplier ceux qui existaient, pour nous apprendre qu’il n’est point venu pour rejeter et détruire la loi, mais en dévoiler les mystères en l’expliquant.


Versets. 15-21. Bède : A la vue d’un si grand miracle, le peuple comprit que Jésus réunissait la puissance à la bonté, et il voulut le faire roi, car les hommes veulent dans les princes qui sont à leur tête la bonté dans le gouvernement, jointe à la puissance pour les défendre. Mais aussitôt que le Sauveur en eut connaissance, il s’enfuit sur la montagne, c’est-à-dire, qu’il se retira promptement ; « Jésus ayant connu qu’ils devaient venir pour l’enlever et le faire roi, s’enfuit de nouveau sur la montagne tout seul ; » on peut conclure de là que Nôtre-Seigneur, qui était d’abord assis avec ses disciples sur la montagne d’où il vit la multitude qui venait à lui, était descendu ensuite de la montagne et avait nourri le peuple dans la plaine, car comment aurait-il pu se retirer de nouveau sur la montagne s’il n’en était d’abord descendu ?


S. AUG. (de l’acc. des Evang.) Le récit de saint Jean n’est point ici en contradiction avec celui de saint Matthieu, qui nous dit que : « Jésus monta seul sur la montagne pour prier. » (Mt 4) Car ces deux motifs prier et fuir ne s’excluent pas, bien au contraire, Nôtre-Seigneur nous enseigne que c’est surtout lorsque nous sommes dans la nécessité de fuir qu’il nous faut recourir à la prière. — S. AUG. (Traité 25.) Nôtre-Seigneur était roi, et cependant il craint de devenir roi, parce que sa royauté n’était pas de celle que peuvent donner les hommes, mais bien plutôt une royauté qu’il voulait communiquer aux hommes. En effet, comme Fils de Dieu, il ne cesse de régner avec son Père. Les prophètes ont aussi prédit son règne comme Fils de Dieu fait homme, il a fait chrétiens ceux qui ont cru en lui, et ce sont ceux qui composent son royaume, royaume qui sur la terre se forme et s’achète au prix du sang de Jésus-Christ. Un jour viendra où ce royaume disparaîtra dans toute sa splendeur, lorsqu’après le jugement dernier, la gloire des saints brillera de tout son éclat. Or, ses disciples et la multitude qui croyait en lui, pensaient que sa venue sur la terre avait pour objet l’établissement de ce royaume.


S. Chrysostome : (hom. 42 et 43.) Voyez quelle est la puissance de la sensualité. Il n’est plus question pour eux de la transgression du sabbat, tout leur zèle pour Dieu s’est évanoui, ils sont rassasiés, tout est oublié ; Jésus est pour eux un prophète et ils veulent le faire roi et le mettre sur le trône. Mais Jésus-Christ se dérobe à leurs désirs, et nous apprend ainsi à mépriser les honneurs du monde. Jésus laisse donc ses disciples et se retire sur la montagne. Les disciples voyant que le Sauveur les avait quittés, descendirent vers la mer, lorsque le soir fut venu, comme le fait remarquer l’Evangéliste. Ils l’attendirent jusqu’au soir, espérant toujours qu’il viendrait les retrouver, mais le soir venu, ils ne peuvent résister davantage au désir de le chercher, tant était grand leur amour pour leur divin Maître ! et cet amour les porte à monter dans une barque pour aller à sa rencontre : « Et étant montés dans une barque, ils naviguèrent vers l’autre bord pour arriver à Capharnaüm, espérant qu’ils l’y trouveraient.


S. AUG. (Traité 24.) L’Evangéliste fait connaître d’abord le but de leur voyage, avant d’exposer quels en furent les incidents. Ils traversèrent le lac, et saint Jean raconte comme par récapitulation ce qui arriva pendant la traversée : « Il faisait déjà nuit, et Jésus n’était pas encore venu à eux. »


S. Chrysostome : (hom. 42 sur S. Jean.) C’est avec dessein que l’Evangéliste précise le moment de la traversée, il veut faire ressortir la vivacité de leur amour pour Jésus-Christ. Ils ne disent pas : Le soir est venu, la nuit se fait, leur amour les pousse à s’embarquer malgré tous les obstacles qui se présentaient, d’abord le temps : « Il faisait déjà nuit, » puis la tempête : « La mer soulevée par un grand vent s’enflait ; » enfin le lieu où ils se trouvaient, la terre était fort éloignée : « Lorsqu’ils eurent ramé environ vingt-cinq ou trente stades. » — Bède : Nous employons cette locution lorsque nous sommes dans le doute, à peu près vingt-cinq ou trente. — S. Chrysostome : (hom. 43.) Une dernière difficulté, c’est l’apparition inattendue du Sauveur : « Ils virent Jésus marchant sur la mer et s’approchant de la barque, et ils eurent peur. » Il leur apparaît après les avoir quittés, il veut leur apprendre d’un côté ce que c’est que l’abandon et le délaissement, et rendre leur amour plus vif ; et de l’autre, leur manifester sa toute-puissance. Cette apparition est pour eux une cause d’effroi : « Et ils eurent peur, » dit l’Evangéliste. Aussi Notre-Seigneur s’empresse de dissiper leur frayeur et de relever leur courage : « Mais il leur dit : C’est moi, ne craignez point. » — Bède : Il ne leur dit point : Je suis Jésus, mais simplement : « C’est moi, » parce qu’ils vivaient dans son intimité, et qu’au seul son de sa voix, ils purent facilement reconnaître leur maître ; ou bien, ce qui est plus vraisemblable, il voulut leur apprendre qu’il était celui qui dit à Moïse : « Je suis celui qui suis, » (Ex 3, 14)


S. Chrysostome : (hom. 43.) Le Sauveur voulut apparaître aux yeux de ses disciples pour les convaincre que c’était lui-même qui allait apaiser la tempête, circonstance que l’Evangéliste nous fait comprendre, en ajoutant : « Ils voulurent le prendre dans leur barque, et aussitôt ils abordèrent au rivage vers lequel ils se dirigeaient. » C’est donc à Jésus qu’ils furent redevables de cette heureuse traversée. Cependant il ne voulut point monter dans la barque pour faire mieux ressortir la grandeur du miracle et la puissance divine qui l’opérait. — THEOPHYL. Vous voyez ici, en effet, trois miracles réunis : Jésus marche sur la mer, il calme la fureur des flots, et fait aborder aussitôt la barque au rivage dont les disciples étaient encore fort éloignés, lorsque le Seigneur apparut. — S. Chrysostome : (hom. 43.) Jésus ne permit pas que la foule le vît marcher sur la mer, parce que ce miracle était au-dessus de sa portée, il ne voulut pas même qu’il se prolongeât longtemps aux yeux de ses disciples, et il disparut presque aussitôt de leurs regards.


S. AUG. (de l’accord des Evang., 1, 47) D’après saint Matthieu, Jésus ordonna d’abord à ses disciples de monter dans une barque, de le devancer au delà du lac, et d’attendre là qu’il eût congédié la foule ; et après l’avoir congédiée, il se retire seul sur la montagne pour prier. Saint Jean, au contraire, rapporte que le Sauveur s’enfuit aussitôt sur la montagne, et il ajoute : « Le soir étant venu, ses disciples descendirent vers la mer, et lorsqu’ils furent montés dans une barque, » etc. Mais il n’y a ici aucune contradiction, car qui ne voit que saint Jean raconte par récapitulation, comme ayant été fait par les disciples, ce que Jésus leur avait ordonné avant de se retirer sur la montagne ? — S. Chrysostome : (hom. 43.) On peut dire encore que ce miracle est différent de celui qui est rapporté par saint Matthieu. Dans le récit de saint Matthieu, les disciples ne reçurent pas aussitôt Nôtre-Seigneur, ici au contraire, ils s’empressent de le recevoir sans aucun retard. Dans le premier évangéliste encore, la tempête continuait de battre les flancs du navire, ici d’une seule parole, Jésus fait revenir le calme, on peut donc admettre deux miracles différents, ce qui n’a rien de surprenant, car Nôtre-Seigneur a pu faire plusieurs fois les mêmes miracles pour les rendre plus faciles à croire.


S. AUG. (Traité 25 sur S. Jean.) Dans le sens mystique, Nôtre-Seigneur commence par nourrir la multitude et se retire ensuite sur la montagne, selon ce qui était prédit de lui : « L’assemblée des peuples vous entourera, et à cause d’elle remontez dans les hauteurs. » (Ps 7) C’est-à-dire, remontez dans les hauteurs, afin que l’assemblée des peuples vous entoure. Mais pourquoi l’Evangéliste dit-il que le Sauveur s’enfuit ? car on n’aurait pu le retenir malgré lui. Cette fuite a donc une signification mystérieuse, et nous apprend que la hauteur de ces mystères ne pouvait être comprise ; en effet, vous dites de tout ce que vous ne comprenez pas : « Cela me fuit. » Nôtre-Seigneur fuit donc seul sur une montagne lorsqu’il monte au-dessus de tous les cieux. Tandis qu’il est dans les hauteurs des cieux, ses disciples qui sont restés dans la barque sont exposés à la violence de la tempête. Cette barque était la figure de l’Église, il faisait déjà nuit, et il n’y avait rien d’étonnant, la vraie lumière ne brillait pas encore, Jésus n’était pas encore venu les trouver. Plus approche la fin du monde, et plus aussi on voit croître les erreurs et augmenter l’iniquité. En effet, la charité est lumière, suivant les paroles de saint Jean : « Celui qui hait son frère demeure dans les ténèbres. » (1 Jn 2, 9.) Les flots qui agitent le navire, la tempête, les vents sont les clameurs des réprouvés. La charité se refroidit, les flots ne cessent de monter et de battre les flancs du navire, et cependant ni les vents, ni la tempête, ni les flots, ni les ténèbres ne peuvent briser la barque et l’engloutir, ni même l’empêcher d’avancer, car celui qui aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé. Le nombre cinq est l’emblème de la loi, renfermée dans les cinq livres de Moïse ; le nombre vingt-cinq est donc aussi la figure de la loi, puisqu’il est le produit du nombre cinq multiplié par cinq. Mais la perfection qui est signifiée par le nombre six, manquait à la loi avant l’Evangile, et en multipliant cinq par six, on obtient le nombre trente, figure de la loi accomplie par l’Evangile. Nôtre-Seigneur vient donc trouver ceux qui accomplissent la loi, en marchant sur les flots, c’est-à-dire, en foulant aux pieds toutes les vaines enflures de l’orgueil et toutes les hauteurs du monde, et cependant les tribulations sont si grandes, que ceux mêmes qui croient en Jésus tremblent d’y succomber.


THEOPHYL. Lorsque les hommes ou les démons s’efforcent de nous ébranler par la crainte, écoutons Jésus-Christ qui nous dit : « C’est moi, ne craignez point, » c’est-à-dire je suis toujours près de vous, je demeure avec vous comme Dieu, et ne passe jamais, ne vous laissez donc point enlever par de vaines terreurs la foi que vous avez en moi. Voyez encore comment Nôtre-Seigneur ne vient pas au secours de ses disciples au commencement du danger, mais longtemps après. C’est ainsi que Dieu permet que nous soyons au milieu des dangers, pour éprouver notre courage parce combat contre les tribulations, et nous enseigner à recourir à celui-là seul qui peut nous sauver alors même que tout espoir est perdu. En effet c’est que lorsque l’intelligence de l’homme est à bout de ressources et déclare son impuissance, que le secours de Dieu arrive. Si nous voulons nous aussi recevoir Jésus-Christ dans notre barque, c’est-à-dire lui offrir une habitation dans nos cœurs, nous arriverons aussitôt au rivage où nous voulons aborder, c’est-à-dire au ciel.


Bède : Mais cette barque ne porte point d’hommes indolents et paresseux, elle veut des rameurs vigoureux ; c’est ainsi que dans l’Église ce ne sont point les âmes molles et nonchalantes mais les âmes fortes et qui persévèrent dans la pratique des bonnes œuvres qui parviennent au port du salut éternel.


Versets. 22-27.


S. Chrysostome : (hom. 43 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur n’a pas fait connaître clairement au peuple comment il avait marché sur la mer, mais il le lui a laissé soupçonner à en juger par ces paroles de l’Evangéliste : « Le lendemain, le peuple qui était demeuré de l’autre côté de la mer, vit que Jésus n’était point entré dans la seule barque qui était près du rivage, » etc. Cette manière de parler indique que le peuple pouvait présumer que le Sauveur avait traversé la mer à pied. Et on ne peut dire ici qu’il était monté dans une autre barque puisqu’il n’y en avait qu’une seule dans laquelle ses disciples étaient montés, sans que Jésus fût monté avec eux.


S. AUG. (Traité 25 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur leur suggère donc l’idée de ce grand miracle. D’autres barques arrivèrent près du lieu où ils avaient mangé le pain que le Sauveur leur avait donné, et le peuple monta dans ces barques pour aller à la recherche de Jésus : « D’autres barques suivirent, etc., et ils se dirigèrent vers Capharnaüm pour chercher Jésus. » — S. Chrysostome : (hom. 42.) Et cependant après un si grand miracle, ils ne lui demandent pas comment il a traversé la mer, ni la manière dont s’est opéré ce prodige extraordinaire : « Et l’ayant trouvé au-delà de la mer, ils lui dirent : Maître, quand êtes-vous venu ici ? » A moins qu’on ne prenne ici le mot quand dans le sens de comment. Ils font ici preuve d’une habileté remarquable ; ils proclamaient précédemment que c’était un prophète, ils s’étaient concertés pour le faire roi, ils le trouvent aujourd’hui et ne lui découvrent rien de ce dessein. — S. AUG. Voici celui qui s’était enfui sur la montagne, dans la crainte que le peuple ne le fît roi, qui s’entretient maintenant avec le peuple, ils peuvent se saisir de sa personne et le proclamer roi. Mais Jésus, après le miracle plein de mystère qu’il a opéré, leur adresse ses enseignements, afin de nourrir de sa doctrine divine l’âme de ceux dont il a nourri miraculeusement le corps.

ALCUIN. Celui qui nous a enseigné par son exemple à fuir la louange et les honneurs de la terre, apprend également aux docteurs comment ils doivent remplir le ministère de la prédication.


S. Chrysostome : (hom. 44.) La mansuétude et la douceur ne sont pas toujours utiles, lorsque vous avez affaire à un disciple d’un esprit lent et peu ouvert encore, il faut le presser avec l’aiguillon ; c’est ce que fait ici le Fils de Dieu. La multitude accourt à lui et cherche à le flatter en lui disant : « Maître, quand donc êtes-vous venu ici ? » et il ne répond à cette question que par un reproche pour montrer qu’il ne désire nullement l’honneur qui vient des hommes, mais qu’il ne cherche que leur salut, aussi il ne se contente pas de blâmer leur conduite, il dévoile les pensées les plus secrètes de leur cœur : « Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez non parce que vous avez vu des miracles, » etc. — S. AUG. C’est-à-dire : En me cherchant, vous obéissez aux instincts de la chair, et non aux désirs de l’esprit.


S. Chrysostome : (hom. 44.) Aux reproches Nôtre-Seigneur ajoute l’enseignement de la doctrine : « Travaillez pour avoir, non la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle. » C’est-à-dire : Vous cherchez la vie matérielle et périssable, mais mon intention en nourrissant vos corps a été de vous inspirer le désir de cette nourriture qui donne non point la vie du temps, mais la vie éternelle. — ALCUIN. La nourriture matérielle n’alimente et n’entretient que le corps, et encore n’atteint-elle ce but qu’à la condition d’être renouvelée tous les jours, mais la nourriture spirituelle demeure éternellement et nous donne une satiété perpétuelle et une vie qui n’a d’autre terme que l’éternité.


S. AUG. (Traité 25.) Il fait pressentir qu’il est lui-même cette nourriture comme il le déclarera plus ouvertement dans la suite de son discours, et il semble leur dire : Vous me cherchez pour toute autre chose que moi, cherchez-moi donc pour moi-même.


S. Chrysostome : (hom. 44.) Mais comme il en est qui voudraient s’autoriser de ces paroles pour mener une vie toute de paresse et d’oisiveté, il est nécessaire de leur rappeler ce que dit saint Paul : « Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais qu’il s’occupe en travaillant des mains à quelque ouvrage bon et utile, pour avoir de quoi donner à ceux qui sont dans l’indigence. » (Ep 4, 28.) Et lui-même lorsqu’il vint à Corinthe, demeurait chez Aquila et Priscille et travaillait de ses mains. (Ac 18) Ces paroles : « Ne travaillez pas pour avoir la nourriture qui périt, » n’autorisent en aucune façon la paresse et l’oisiveté, mais nous font un devoir de travailler et de distribuer le fruit de notre travail. C’est là en effet la nourriture qui ne périt pas, tandis que travailler pour la nourriture qui périt, c’est être dominé par l’amour des choses de la terre. Jésus leur tient ce langage parce qu’ils n’avaient aucun souci de la foi, et qu’ils ne songeaient qu’à se rassasier sans travailler, c’est ce qu’il appelle la nourriture qui périt. — S. AUG. De même qu’il avait dit précédemment à la Samaritaine : « Si vous saviez quel est celui qui vous demande à boire, vous lui en auriez demandé vous-même et il vous eût donné une eau vive. » Il ajoute ici : « Cette nourriture que le Fils de l’homme donnera. »


ALCUIN. Lorsque vous recevez le corps de Jésus-Christ des mains du prêtre, faites attention non au prêtre que vous voyez, mais à celui que vous ne voyez pas. Le prêtre n’est que le dispensateur de cette nourriture, il n’en est pas l’auteur. Or le Fils de l’homme se donne à nous, afin qu’il demeure en nous, et que nous demeurions en lui. Ne considérez pas ce Fils de l’homme comme un des enfants ordinaires des hommes, il en a été séparé par une grâce toute particulière qui l’a placé en dehors de tous les autres ; ce Fils de l’homme est tout ensemble le Fils de Dieu, comme il le déclare dans ce qui suit : « Car c’est lui que le Père a marqué de son sceau. » Marquer d’un sceau, c’est appliquer un signe, et Nôtre-Seigneur semble dire : Gardez-vous de me mépriser, parce que je suis le Fils de l’homme, car je suis le Fils de l’homme marqué du sceau de Dieu le Père, c’est-à-dire qu’il a imprimé sur moi un signe qui me distingue de tout le reste du genre humain, et qui me constitue son libérateur.


S. HIL. (de la Trin., 8) Les sceaux ont cette propriété de reproduire parfaitement la figure dont ils portent l’empreinte, et de la conserver néanmoins tout entière. Ils reçoivent cette empreinte gravée à leur surface, et la reproduisent dans toute son intégrité. Cette comparaison ne peut donc être appliquée à la génération divine, car dans les sceaux il y a la matière, la différence entre l’original et l’empreinte et l’impression qui reproduit sur une matière plus molle l’empreinte gravée sur un métal plus dur. Mais lorsque le Fils de Dieu qui est devenu le Fils de l’homme pour opérer le mystère de notre salut, dit qu’il a été marqué du sceau de Dieu, il veut nous faire comprendre qu’il reproduit en lui la nature du Père, et qu’il a le pouvoir de donner la nourriture qui renferme le germe de la vie éternelle, parce qu’il contient la plénitude de la nature divine du Père qui l’a marqué de son sceau. — S. Chrysostome : (hom. 44.) Ou bien encore il l’a marqué de son sceau, c’est-à-dire il l’a comme désigné pour nous apporter cette nourriture ; ou enfin il l’a marqué de son sceau, c’est-à-dire il nous l’a fait connaître par son témoignage.


ALCUIN. Dans le sens mystique, c’est le lendemain, c’est-à-dire après l’ascension de Jésus-Christ, que la multitude, qui s’applique à la pratique des bonnes œuvres, et qui cesse d’être esclave des plaisirs des sens, attend l’arrivée de Jésus. Cette seule barque qui est sur le rivage, c’est l’Église qui est une ; les autres barques qui surviennent sont les conventicules des hérétiques, qui recherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ (Ph 2) ; et c’est avec raison qu’il leur dit : « Vous me cherchez, parce que vous avez mangé des pains. »


S. AUG. (Traité 25 sur S. Jean.) Combien en est-il encore qui ne cherchent Jésus que pour en obtenir des faveurs temporelles ? L’un a une affaire, il vient réclamer l’appui du clergé, un autre est opprimé par un homme puissant, il s’empresse de venir réclamer le secours de l’Église ; à peine s’en trouvent-ils qui cherchent Jésus pour lui seul.


S. GREG. (Moral., 23, 17 ou 20.) Cette multitude représente encore ceux qui, au sein même de la sainte Église, s’attirent la haine de Dieu en recevant les ordres sacrés qui les rapprochent de Dieu, sans s’occuper des vertus qu’exigent les saints ordres, et en n’y cherchant qu’un moyen de subvenir aux besoins de la vie présente. On suit le Seigneur pour le pain dont on a été rassasié, lorsqu’on ne demande à la sainte Église que les biens et les aliments temporels ; on le cherche à cause des pains, et non pour ses miracles, lorsqu’on aspire au ministère sacré, non pour y pratiquer la vertu dans un degré plus excellent, mais pour un intérêt tout matériel. — Bède : Ceux encore qui demandent dans leurs prières les biens temporels plutôt que les biens de l’éternité, cherchent Jésus, non pour Jésus, mais pour toute autre chose. Nous voyons ici, en figure, que les conciliabules des hérétiques ne peuvent avoir pour hôtes ni Jésus-Christ, ni ses disciples ; ces autres barques qui surviennent, ce sont les hérésies que l’on voit surgir tout d’un coup. Cette foule qui reconnaît que ni Jésus ni ses disciples n’étaient là, représente ceux qui, reconnaissant les erreurs des hérétiques, les abandonnent pour venir embrasser la vraie foi.


Versets. 28-34.


ALCUIN. Ils comprirent que cette nourriture, qui demeure pour la vie éternelle, c’était l’œuvre de Dieu, et ils demandent ce qu’ils doivent faire pour travailler à se procurer cette nourriture, c’est-à-dire pour opérer l’œuvre de Dieu : « Ils lui dirent donc : Que ferons-nous pour opérer les œuvres de Dieu ? » — Bède : C’est-à-dire, quels préceptes devrons-nous observer pour accomplir les œuvres de Dieu ? — S. Chrysostome : (hom. 45.) Ils lui faisaient cette question, non dans le dessein de s’instruire et d’agir en conséquence, mais pour l’amener à reproduire le miracle de la multiplication des pains. — THEOPHYL. Bien que Jésus-Christ connût parfaitement l’inutilité de ses enseignements pour ce peuple grossier, il ne laisse pas de lui répondre pour l’utilité générale ; et il lui apprend ainsi qu’à tous les hommes quelle est cette œuvre de Dieu : « Jésus répondit : L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » —S. AUG. (Traité 25.) Il ne dit pas : C’est que vous croyiez à lui, mais : « C’est que vous croyiez en lui. » On peut croire à Jésus-Christ, sans croire immédiatement en lui ; ainsi les démons croyaient à Jésus-Christ, sans cependant croire en lui ; ainsi nous croyons à Paul, sans pour cela croire en Paul. Croire en Jésus-Christ, c’est donc l’aimer en croyant, c’est unir la foi à l’amour, c’est s’unir à lui par la foi et faire partie du corps dont il est le chef. C’est la foi que Dieu exige de nous, et qui opère par la charité. (Gal 5) Cependant la foi est distincte des œuvres, selon la doctrine de l’Apôtre : « L’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. » (Rm 3, 28.) Il est des œuvres qui paraissent bonnes, quoique séparées de la foi en Jésus-Christ, mais elles ne le sont pas en réalité, parce qu’elles ne se rapportent pas à la fin qui les rend véritablement bonnes : « Car Jésus-Christ est la un de la loi, pour justifier tout homme qui croit. » (Rm 10) Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur n’a pas voulu distinguer la foi des œuvres, mais qu’il a déclaré que la foi est l’ouvrage de Dieu ; car c’est la foi qui opère par la charité. Et il ne dit pas : Votre œuvre, mais : « L’œuvre de Dieu est que vous croyiez en lui, » afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur. (2 Co 10, 17.) Croire en lui, c’est donc manger la nourriture qui demeure pour la vie éternelle. Pourquoi préparer vos dents et votre estomac ? Croyez, et vous avez mangé. A cause de cette invitation que le Sauveur leur fait de croire en lui, ils répondent en demandant de nouveaux miracles pour appuyer leur foi ; car c’est le propre des Juifs de demander des miracles : « Ils lui répartirent : Quel miracle faites-vous, pour que, le voyant, nous croyions en vous ? »


S. Chrysostome : (hom. 45.) Rien de plus déraisonnable à des hommes qui ont pour ainsi dire un miracle entre les mains, que de tenir un pareil langage, comme s’ils n’avaient jamais été les témoins d’aucun miracle. Ils ne laissent même pas au Sauveur le choix du miracle, mais ils veulent le mettre dans la nécessité de n’opérer d’autre prodige que celui qui a été fait en faveur de leurs ancêtres : « Nos pères ont mangé la manne dans le désert. » — ALCUIN. Et pour ne point exposer cette manne au mépris, ils la relèvent par l’autorité du Psalmiste en ajoutant : « Ainsi qu’il est écrit : Il leur a donné à manger le pain du ciel. » (Ps 77) — S. Chrysostome : (hom. 45.) Parmi tant de miracles que Dieu opéra dans l’Égypte, dans la mer Rouge, dans le désert, ils rappellent de préférence le souvenir du miracle de la manne, dont leurs instincts sensuels leur faisaient désirer le retour. Remarquez qu’ils n’attribuent point ce miracle à Dieu, pour ne point paraître égaler le Sauveur à Dieu, ils ne présentent point non plus Moïse comme en étant l’auteur, parce qu’ils ne veulent point humilier Jésus-Christ ; ils échappent à cette double difficulté en disant : « Nos pères ont mangé la manne dans le désert. »


S. AUG. (Traité 25.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur se posait comme supérieur à Moïse, car jamais Moïse n’osa dire de lui qu’il donnait la nourriture qui ne périt point. Au souvenir donc des granas miracles opérés par Moïse, ils en voulaient de plus grands encore, et semblaient dire au Sauveur : Vous promettez la nourriture qui ne périt point, et vous êtes loin de faire des miracles semblables à ceux de Moïse, ce ne sont point des pains d’orge qu’il a donnés au peuple de Dieu, mais la manne qui tombait du ciel.


S. Chrysostome : (hom. 45.) Nôtre-Seigneur aurait pu leur répondre que Moïse avait fait de plus grands miracles que celui de la manne ; mais ce n’était pas le moment de leur parler de la sorte, il n’avait en vue qu’une seule chose, c’était de leur inspirer le désir de la nourriture spirituelle : « Jésus leur répondit donc : En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a point donné le pain du ciel, » etc. La manne ne venait donc point du ciel, et si l’Ecriture dit qu’elle venait du ciel, c’est dans le même sens qu’elle appelle les oiseaux, les oiseaux du ciel (Ps 8), et qu’elle dit ailleurs : « Le Seigneur a tonné du haut du ciel. » (Ps 17 ; Qo 46.) Le Sauveur dit que la manne n’était pas un pain véritable, non pas que la manne ne fût vraiment miraculeuse, mais parce que c’était une figure et non la vérité. Remarquez encore qu’il ne se met pas en opposition avec Moïse, c’est Dieu qu’il oppose à Moïse, et il se met lui-même à la place de la manne. — S. AUG. (Traité 25.) Voici le vrai sens des paroles du Sauveur : La manne était le symbole de la nourriture dont je viens de vous parler, et toutes ces choses étaient des figures de la vérité qui devait s’accomplir en moi ; vous vous attachez aux figures, et vous n’avez que du mépris pour la vérité. C’est Dieu, en effet, qui donne le pain figuré par la manne, c’est-à-dire, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ : « Car le pain véritable est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde. » — Bède : Le monde doit s’entendre ici non pas des éléments qui le composent, mais des hommes qui l’habitent. — THEOPHYL. Nôtre-Seigneur déclare qu’il est le pain véritable, parce que le premier et le principal objet figuré par la manne, c’était le Fils unique de Dieu fait homme. Le mot manne signifie en effet : Qu’est-ce que cela ? Car les Juifs ayant vu la manne tomber du ciel, se disaient l’un à l’autre dans leur étonnement : « Quelle chose est-ce là ? » (Ex 16) Or, le Fils de Dieu fait homme est par-dessus tout cette manne, objet d’étonnement pour les Juifs, qui se demandaient aussi les uns les autres : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment le Fils de Dieu peut-il être le Fils de l’homme ? Comment deux natures ne forment-elles qu’une seule personne ? » — ALCUIN. Il est descendu des cieux en se revêtant de notre humanité, et c’est la divinité qui s’en est revêtue qui donne la vie au monde.


THEOPHYL. Ce pain, qui de sa nature est la vie, parce qu’il est le Fils du Dieu vivant, fait l’œuvre qui lui est propre, en donnant la vie à tout ce qui existe ; de même, en effet, que le pain matériel conserve la vie du corps, ainsi Jésus-Christ donne la vie à l’âme par les secrètes opérations de l’Esprit. Il communique même au corps un principe d’incorruptibilité, qu’il lui assure par sa résurrection, et c’est en ce sens qu’il donne la vie au monde. — S. Chrysostome : (hom. 45.) Et ce n’est pas seulement aux Juifs, mais à tous les hommes répandus sur la surface de la terre. Mais ceux qui l’écoutaient ne portaient pas encore leurs pensées si haut : « Ils lui dirent donc : Seigneur, donnez-nous ce pain. » Il vient de leur déclarer que c’était son Père qui leur donnait ce pain, et ils ne lui disent pas : Priez-le de nous le donner, mais : « Donnez-nous ce pain. » À l’exemple de la Samaritaine, qui avait pris dans un sens matériel ces paroles du Sauveur : « Celui qui boira de cette eau n’aura jamais soif, » et qui lui disait pour se mettre à l’abri du besoin : « Donnez-moi de cette eau ; » les Juifs disent à Jésus : « Donnez-nous toujours ce pain pour nous soutenir. »


Versets. 35-49.


S. Chrysostome : (hom. 45 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur, sur le point d’initier les Juifs à la connaissance de ses mystères, commence par établir sa divinité et leur dit : « Je suis le pain de vie, » paroles qui ne s’appliquent point à son corps, dont il dira plus tard : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair. » Il leur parle donc de sa divinité, car c’est par suite de son union avec le Verbe que la chair est un véritable pain qui devient le pain du ciel pour celui qui reçoit l’Esprit lui-même. — THEOPHYL. Il ne dit point : Je suis le pain qui sert d’aliment, mais : « Je suis le pain de vie. » Tout était devenu la proie de la mort, et c’est par lui-même que Jésus-Christ nous a rendu la vie ; et la vie que ce pain soutient et alimente n’est pas cette vie naturelle et passagère, mais la vie sur laquelle la mort n’a aucun empire. C’est pour cela qu’il ajoute : « Celui qui vient à moi, c’est-à-dire, celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » Ces paroles : « Il n’aura jamais faim, » doivent être entendues dans le même sens que ces autres : « II n’aura jamais soif, » elles expriment ce rassasiement éternel qui ne laisse place à aucun besoin, à aucun désir.


THEOPHYL. Ou bien il n’aura jamais ni faim ni soif, c’est-à-dire, qu’il n’éprouvera jamais aucun dégoût, aucune langueur pour entendre la parole de Dieu, et qu’il ne souffrira jamais de la soif spirituelle, comme ceux qui n’ont point été régénérés dans l’eau du baptême et qui n’ont point été sanctifiés par l’Esprit saint.


S. AUG. (Traité 25.) Vous désirez donc le pain du ciel que vous avez devant vous, mais vous ne le mangez pas. « Je vous l’ai dit, vous m’avez vu et vous ne croyez point. » — ALCUIN. Si je m’exprime de la sorte, ce n’est pas que j’espère que vous chercherez à vous rassasier de ce pain, mais c’est bien plutôt pour condamner votre incrédulité qui, tout en me voyant, refuse de croire en moi. — S. Chrysostome : (hom. 45.) Ou bien, Nôtre-Seigneur fait ici allusion au témoignage des Ecritures dont il a dit plus haut : « Les Ecritures rendent témoignage de moi ; » et encore à ces antres paroles : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez pas reçu, » etc. Quant à ce qu’il leur dit ici : « Parce que vous m’avez vu et vous n’avez pas cru ; » il veut parler en termes couverts des miracles qu’il a opérés sous leurs yeux.


S. AUG. (Traité 25.) Cependant je n’ai point perdu le peuple de Dieu tout entier, parce que vous avez vu et que vous n’avez pas cru : « Car tout ce que me donne mon Père viendra à moi, et celui qui vient à moi je ne le rejetterai pas dehors. » — Bède : Il dit en termes absolus : « Tout ce que me donne mon Père, » c’est-à-dire, la plénitude des fidèles. Ce sont ceux que le Père donné au Fils, lorsque, par une inspiration secrète, il les fait croire au Fils. — ALCUIN. Celui donc que le Père attire à la foi qui le fait croire en moi, viendra à moi par la foi pour entrer en union avec moi, et je ne rejetterai pas dehors celui que les pas de la foi et des bonnes œuvres conduiront jusqu’à moi, c’est-à-dire, qu’il demeurera avec moi dans le secret d’une conscience pure, et je finirai par le recevoir dans l’éternelle béatitude. — S. AUG. (Traité 25.) Cette retraite intérieure, d’où l’on n’est point chassé dehors, est un sanctuaire profond et une douce solitude sans aucun ennui, sans l’amertume des mauvaises pensées, sans les agitations des tentations et des douleurs, et c’est de cette retraite intérieure que Nôtre-Seigneur a voulu parler lorsqu’il dit : « Entrez dans la joie de votre maître. » (Mt 25)


S. Chrysostome : (hom. 45.) Ces expressions : « Tout ce que me donne mon Père, » prouvent que la foi en Jésus-Christ n’est point une chose ordinaire et facile, ni qui soit l’œuvre exclusive de notre volonté, elle demande en même temps une révélation supérieure et une âme sincèrement disposée à recevoir cette révélation. Il suit de là que ceux à qui le Père ne donne point cette grâce ne sont pas à l’abri de toute accusation, car nous avons aussi besoin de notre volonté pour croire. Nôtre-Seigneur condamne en même temps leur incrédulité, en montrant que celui qui ne croit point en lui, va contre la volonté de son Père. Saint Paul dit de son côté, que c’est lui-même qui donne les fidèles à son Père : « Ensuite viendra la fin de toutes choses, lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père. » (1 Co 15, 24.) Le Père, lorsqu’il donne, ne se dépouille pas de ce qu’il donne, il en est de même du Fils ; et s’il est dit de lui qu’il nous remet entre les mains de son Père, parce que c’est lui qui nous amène à son Père ; il est aussi écrit du Père : « C’est par lui que nous avons été appelés dans la société de son Fils. » (1 Jn 1) Celui donc qui croit en moi sera sauvé, car c’est pour les hommes que je suis venu sur la terre, et que je me suis incarné : « Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé. » Quoi donc ! est-ce que votre volonté est différente de celle de Dieu ? Nôtre-Seigneur va au-devant de cette pensée, en ajoutant : « Or, la volonté de mon Père, qui m’a envoyé, est que, quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle ; » donc c’est aussi la volonté du Fils, puisque le Fils donne la vie à ceux qu’il veut. Tel est donc le sens de ces paroles : Je ne suis point venu faire autre chose que ce que veut le Père, et je n’ai point d’autre volonté que la sienne : « Car tout ce qui est à mon Père, est également à moi ; » ce qu’il réserve de dire à la fin de son discours, car il voile de temps en temps les vérités trop relevées pour l’intelligence de ses auditeurs.


S. AUG. (Traité 25.) Ou bien encore, le Sauveur donne ici la raison pour laquelle il ne rejette pas dehors celui qui vient à lui : « C’est parce que je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé. » L’âme est sortie de Dieu, parce qu’elle était orgueilleuse, c’est par l’orgueil que nous avons été chassés dehors, c’est par l’humilité seule que nous pouvons rentrer. Lorsqu’un médecin qui entreprend la guérison d’une maladie, guérit la maladie elle-même, sans guérir la cause qui l’a produite, la guérison n’est que momentanée, et le mal revient sous l’action de la cause qui persévère. Or, c’est pour guérir la cause de toutes les maladies ; c’est-à-dire, l’orgueil, que le Fils de Dieu est descendu des cieux, et qu’il s’est profondément humilié. Pourquoi donc vous enorgueillir, ô homme ? C’est pour vous que le Fils de Dieu s’est réduit à cet état d’humiliation. Peut-être rougirez-vous d’imiter l’exemple de l’humilité qui vous serait donné par un homme, imitez-le du moins quand cet exemple vous est donné par un Dieu, qui vous recommande si hautement l’humilité en vous disant : « Je suis venu, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé. » L’orgueil, en effet, ne veut faire que sa volonté, l’humilité, au contraire, fait la volonté de Dieu.


S. HIL. (de la Trin., 3) En s’exprimant de la sorte, le Sauveur ne veut point dire qu’il fait ce qu’il ne veut pas, mais il fait paraître son obéissance dans sa soumission à la volonté de son Père, volonté qu’il veut accomplir dans toute sa perfection. — S. AUG. (Traité 25.) Celui-là donc qui viendra à moi, je ne le rejetterai pas dehors, parce que je ne suis pas venu pour faire ma volonté ; humble moi-même, je suis venu enseigner l’humilité ; celui qui vient à moi s’unit et s’incorpore à moi, parce qu’il ne fait pas sa volonté, mais celle de Dieu, et c’est pour cela qu’il ne sera pas jeté dehors, car l’orgueil seul l’avait chassé dehors. On ne peut venir à moi qu’à la condition d’être humble, et on n’est rejeté dehors que par l’orgueil : celui qui pratique l’humilité ne tombe jamais des hauteurs de la vérité. Mais pour quelle raison ne jette-t-il pas dehors celui qui vient à lui, parce qu’il n’est pas venu faire sa volonté ? La voici : « Car la volonté de mon Père qui m’a envoyé, est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés. » Celui qui est donné à Jésus-Christ est celui qui est resté fidèle à la pratique de l’humilité : « Votre Père qui est dans les cieux ne veut pas qu’il se perde un seul de ces petits. » (Mt 18, 14.) Il en peut périr parmi les orgueilleux, mais aucun de ceux qui sont petits ne périt, car il faut devenir semblable à ce petit pour entrer dans le royaume des cieux. (Mt 18, 3-5.) — S. AUG. (de la correct, et de la grâce, chap. 9) Ceux donc, qui dans les décrets de la providence de Dieu, ont été prévus, prédestinés, appelés, justifiés, glorifiés, sont déjà enfants de Dieu, avant leur seconde naissance et même avant la première, et il est impossible qu’ils périssent, parce qu’ils sont véritablement venus à Jésus-Christ. C’est lui donc qui leur donne la persévérance finale dans le bien, car elle n’est donnée qu’à ceux qui ne doivent point périr. Quant à ceux qui ne persévèrent point, leur perte est certaine.


S. Chrysostome : (hom. 45 sur S. Jean.) Lorsque Nôtre-Seigneur dit : « Je ne perdrai aucun d’eux ; » ce n’est pas qu’il ait besoin d’eux, mais en s’exprimant de la sorte, il fait voir le désir qu’il a de leur salut. Après avoir dit : « Je n’en perdrai aucun, et je ne le jetterai pas dehors ; » il ajoute : « Mais je le ressusciterai au dernier jour. » C’est qu’en effet, à la résurrection générale, les méchants seront jetés dehors, selon ces paroles du Sauveur : « Prenez-le, et jetez-le dans les ténèbres extérieures. » (Mt 22 et 25) Vérité que confirment ces autres paroles : « Lui qui peut précipiter dans la géhenne l’âme et le corps. » (Mt 10) Il ramène souvent la pensée de la résurrection, pour que les hommes ne jugent pas la conduite de la Providence divine par les seules choses présentes, et pour qu’ils vivent dans l’attente d’une autre vie.


S. AUG. (Traités 23 et 25.) Voyez comme il parle ici en termes précis de cette double résurrection : « Celui qui vient à moi ressuscite dès maintenant, en partageant l’humilité de mes membres ; » et de plus : « Je le ressusciterai au dernier jour. » Pour expliquer davantage ce qu’il venait de dire : « Tout ce que mon Père m’a donné ; » et encore : « Je ne perdrai aucun d’eux. » Nôtre-Seigneur ajoute : « Telle est la volonté de mon Père qui m’a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle. » Il avait dit précédemment : « Celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m’a envoyé. » Ici au contraire : « Celui qui voit le Fils et qui croit en lui. » Il ne dit point : Et qui croit dans le Père, parce que croire dans le Fils et croire dans le Père, sont une seule et même chose ; car de même que le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même ; et ainsi celui qui voit le Fils et qui croit en lui, a la vie éternelle, en arrivant par la foi à la vie qui est comme la première résurrection. Mais cette première résurrection n’est pas la seule, aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Et je le ressusciterai au dernier jour. »


Versets. 41-46.


S. Chrysostome : (hom. 46 sur S. Jean.) Les Juifs qui espéraient recevoir une nourriture matérielle, ne commencèrent à se troubler que lorsque cette espérance leur fut enlevée : « Cependant les Juifs murmuraient contre lui, parce qu’il avait dit : Je suis le pain vivant, » etc. La cause apparente de leur trouble, c’est que Nôtre-Seigneur leur déclarait qu’il était descendu du ciel, mais la cause véritable, c’est qu’ils avaient perdu l’espérance de la nourriture matérielle qu’ils attendaient. Cependant le miracle qu’il venait d’opérer leur inspirait encore pour lui quelque respect, voilà pourquoi ils n’osent le contredire ouvertement, ils se contentent de témoigner leur désapprobation par leurs murmures. Quel était l’objet de ces murmures, le voici : « Et ils disaient : Est-ce que ce n’est pas là Jésus, fils de Joseph ? » — S. AUG. (Traité 26 sur S. Jean.) Ils étaient encore loin du pain du ciel, et ils n’en connaissaient pas le désir ; car ce pain exige la faim de l’homme intérieur. — S. Chrysostome : (hom. 46.) Il est évident qu’ils ne connaissaient pas encore l’admirable génération du Sauveur, puisqu’ils l’appellent le fils de Joseph, et toutefois il ne leur en fait point de reproche, et ne leur dit point : Je ne suis pas le fils de Joseph, parce qu’ils étaient incapables de comprendre sa naissance miraculeuse ; car s’ils ne pouvaient comprendre sa naissance selon la chair, à plus forte raison sa naissance éternelle et ineffable. — S. AUG. (Traité 26.) Il a pris notre chair mortelle, mais non pas comme les hommes la prennent. Il avait un Père dans les cieux, et il s’est choisi une mère sur la terre ; il est né sans mère dans le ciel, et sans père sur la terre. Mais quelle fut sa réponse aux murmures des Juifs ? « Jésus leur répondit : Ne murmurez, point entre vous, » c’est-à-dire : Je sais pourquoi vous n’avez point cette faim spirituelle, et pourquoi vous ne comprenez, ni ne cherchez ce pain : « C’est que personne ne peut venir à moi, si mon Père qui m’a envoyé, ne l’attire. » Quel magnifique éloge de la grâce ! Nul ne vient, s’il n’est attiré ; ne cherchez point à savoir et à juger qui est attiré, et qui ne l’est pas ; pourquoi Dieu attire celui-ci plutôt que celui-là, si vous ne voulez vous égarer, et contentez-vous d’entendre cette vérité : Vous n’êtes point encore attiré, priez Dieu qu’il vous attire.


S. Chrysostome : (hom. 46.) Les Manichéens saisissent avidement ces paroles pour nous objecter que notre libre arbitre n’a aucune puissance. Cependant Nôtre-Seigneur ne veut pas détruire ici ce qui est en nous, mais nous montrer simplement le besoin que nous avons du secours de Dieu, et il vent parler ici non de celui qui vient malgré lui, mais de celui qui rencontre de grands obstacles. — S. AUG. Si nous sommes attirés malgré nous à Jésus-Christ, c’est donc aussi malgré nous que nous croyons. C’est donc ici l’œuvre de la violence et non de la volonté ; mais on ne peut entrer dans l’Église qu’autant qu’on le veut, on ne peut croire que parce qu’on le veut, « car il faut croire de cœur pour obtenir la justice. » (Rm 10) Si donc celui qui est attiré vient malgré lui, il n’a point la foi ; s’il n’a point la foi, il ne vient pas. En effet, ce n’est pas en marchant que nous approchons de Jésus-Christ, mais en croyant ; ce n’est point par un mouvement de notre corps, mais par la volonté de notre cœur. C’est donc par la volonté que nous sommes attirés. Comment sommes-nous attirés par la volonté ? « Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera ce que votre cœur demande. » (Ps 37) Il y a une certaine volupté du cœur pour celui qui goûte la douceur de ce pain céleste. Or, si le poète a pu dire : « Chacun est entraîné par son plaisir, » à combien plus juste titre pouvons-nous dire que l’homme qui place ses délices dans la vérité, dans la béatitude, dans la justice, dans la vie éternelle, est véritablement attiré vers le Christ ; car toutes ces choses c’est le Christ. Dira-t-on que les sens du corps ont leurs voluptés, et que l’âme n’en a point qui lui soient propres ? Donnez-moi une âme qui aime, donnez-moi une âme qui désire, une âme fervente, une âme qui se regarde comme exilée et qui ait faim et soif dans la solitude de cette vie, une âme qui soupire après la fontaine de l’éternelle patrie, et elle comprendra ce que je dis. Mais pourquoi Nôtre-Seigneur s’exprime-t-il de la sorte : « Si mon Père ne l’attire ? » S’il faut que nous soyons attirés, soyons-le par celui à qui l’Epouse des cantiques a dit : « Attirez-moi après vous. » (Ct 1) Mais examinons le véritable sens de ces paroles. Le Père attire au Fils ceux qui croient au Fils, parce qu’ils pensent qu’il a Dieu pour Père. En effet, Dieu le Père a engendré un Fils qui lui est égal, et celui qui pense et médite attentivement dans la foi de son âme, que celui en qui il met sa foi est égal au Père, est attiré par le Père vers le Fils. Arius ne voit en lui qu’une créature ; le Père ne l’a pas attiré. Photius dit que le Christ n’est qu’un homme, celui qui partage ses sentiments n’est pas attiré par le Père. Dieu le Père attire Pierre, lorsqu’il dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16) Aussi que lui répond Nôtre-Seigneur : « Ce n’est point la chair et le sang qui vous l’a révélé, mais mon Père qui est dans les cieux. » Il l’attire par là même qu’il lui révèle ; car si les révélations qui ont lieu parmi les jouissances de la terre sont assez fortes pour entraîner ceux qui aiment, comment supposer que Jésus-Christ, révélé par le Père, n’ait pas la même force pour nous entraîner ? Qu’est-ce que l’âme désire plus vivement que la vérité ? Mais ici les hommes sont tourmentés par la faim et la soif de la vérité, ce n’est que dans le ciel que leurs désirs seront rassasiés, c’est pour cela que Nôtre-Seigneur ajoute : « Et je le ressusciterai au dernier jour. » La soif qu’il éprouve ici-bas sera rassasiée à la résurrection des morts, parce que je le ressusciterai.


S. AUG. (Quest. sur le Nouv. et l’Ane. Test., chap. 27) Ou bien encore, le Père attire au Fils par les œuvres qu’il faisait par le Fils. — S. Chrysostome : (hom. 46.) Quelle est grande la dignité du Fils, puisqu’il ressuscite ceux que le Père lui amène, que ses œuvres ne sont point séparées de celles du Père, et qu’il nous montre ici la parfaite égalité de sa puissance avec celle du Père. Mais de quelle manière le Père attire au Fils ? la voici : « Et il est écrit dans les prophètes : Et ils seront tous enseignés de Dieu. » Voyez ici la dignité de la foi, ce n’est point des hommes, ni par le moyen des hommes, qu’elle nous est enseignée, Dieu seul en est le souverain maître, toujours prêt à répandre sur tous lès hommes ses grâces aussi bien que sa doctrine. Mais si tous sont enseignés de Dieu, comment expliquer l’incrédulité d’un certain nombre ? L’expression tous doit s’entendre de plusieurs, ou bien de tous ceux qui ont la bonne volonté. — S. AUG. (de la prédest., chap. 8) On peut encore l’entendre dans un autre sens : Lorsqu’un maître de belles-lettres est seul dans une ville, nous disons : Il enseigne les lettres à tout le monde, non pas que tous les habitants de la ville les apprennent, mais parce que ceux qui veulent les apprendre n’ont que lui pour maître ; de même nous disons ici que Dieu enseigne à tous les hommes à venir à Jésus-Christ, non pas que tous soient dociles à ses enseignements, mais parce que personne ne peut venir par une autre voie. — S. AUG. (Traité 26.) Ou bien encore, tous les hommes de ce royaume seront enseignés de Dieu, dans ce sens que les hommes ne seront point leur véritable maître. Sans doute, ce sont les hommes qui leur enseignent extérieurement la doctrine qu’ils cherchent à comprendre, mais c’est au dedans que l’intelligence en est donnée, au dedans que la lumière brille, au dedans que la révélation se fait. Le bruit de mes paroles vient frapper vos oreilles, mais si le maître intérieur n’en révèle le sens, qu’est-ce que je dis ? que sont mes paroles ? Nôtre-Seigneur dit donc aux Juifs : « Et ils seront tous enseignés de Dieu, » c’est-à-dire : Comment, Juifs, pouvez-vous me connaître, vous que le Père n’a pas enseignés ?


Bède : Nôtre-Seigneur dit au pluriel : « Il est écrit dans les prophètes, » parce que tous les prophètes, remplis d’un seul et même esprit, tendaient au même but, bien que l’objet de leurs prophéties fût différent. Aussi tous les prophètes s’accordent avec chacun d’entre eux, c’est ainsi que le prophète Joël s’accorde avec le prophète qui a dit : « Ils seront tous enseignés de Dieu. » On ne trouve pas ces paroles dans Joël, mais on y lit quelque chose de semblable : « Enfants de Sion, faites éclater votre joie, livrez-vous à votre allégresse, à la présence du Seigneur votre Dieu, parce qu’il vous a donné un docteur de justice. » (Jl 2, 23.) Cependant cette pensée se trouve plus explicitement exprimée dans Isaïe, lorsqu’il dit : « Je rendrai tous tés-enfants disciples de Dieu. » — S. Chrysostome : (hom. 46.) C’est qu’en effet avant Jésus-Christ, c’étaient les hommes qui enseignaient les vertus divines, maintenant, au contraire, c’est le Fils unique de Dieu et l’Esprit saint.


S. AUG. (de la prédestin., chap. 8) Tous ceux qui sont ainsi enseignés de Dieu, viennent au Fils, parce que le Père les a instruits et enseignés par le Fils : « Quiconque a entendu le Père et appris de lui, vient à moi. » Si tout homme qui a entendu le Père et appris de lui, vient au Fils, tous ceux qui ne l’ont pas entendu sont privés d’enseignement. Que cette école céleste dans laquelle le Père se fait entendre, et apprend à venir au Fils, est éloignée des sens de la chair ! Ce n’est point à l’oreille du corps qu’il s’adresse, mais à l’oreille du cœur, là où est le Fils lui-même, parce qu’il est le Verbe, par lequel le Père enseigne ; là où est aussi l’Esprit saint, car la foi nous apprend que les œuvres de la Trinité sont indivisibles ; cependant ce divin enseignement est attribué au Père, parce que le Fils procède de lui ainsi que le Saint-Esprit. Ainsi la grâce qui se répand secrètement dans les âmes par un effet de la bonté divine, n’est rejetée par aucune dureté de cœur, car son premier objet est de faire disparaître cette dureté de cœur. Pourquoi donc Dieu n’enseigne-t-il pas à tous les hommes à venir à Jésus-Christ ? C’est que ceux qui sont enseignés, le sont par miséricorde, tandis que ceux qui ne le sont pas en sont privés par un juste jugement. Dirons-nous que ceux qu’il n’enseigne pas veulent cependant apprendre ? On nous répondra : Et que signifient ces paroles : « O Dieu ! vous nous convertirez de nouveau vers nous, et vous nous donnerez la vie ? » (Ps 84) Et si ce n’est pas Dieu qui inspire la bonne volonté à ceux qui ne l’ont pas, pourquoi l’Église prie-t-elle pour ses persécuteurs, conformément au précepte que lui en fait le Seigneur ? Il n’est personne qui puisse dire : J’ai cru et c’est ma foi qui a été le principe de ma vocation, car c’est la miséricorde de Dieu qui prévient celui qui est appelé, afin qu’il puisse recevoir le don de la foi.


S. AUG. (Traité 26.) Voilà donc comment le Père nous attire en nous enseignant la vérité, et sans nous imposer aucune nécessité, et il n’appartient qu’à Dieu de nous attirer ainsi : « Quiconque a entendu le Père, et appris de lui, vient à moi. » Quoi donc ! est-ce que Jésus. Christ n’a rien enseigné ? Mais les hommes n’ont point vu le Père se faisant leur maître, et ils ont vu le Fils qui en remplissait les fonctions à leur égard ? C’était le Fils qui parlait, mais c’était le Père qui enseignait. Si donc moi qui ne suis qu’un homme, j’enseigne celui qui a entendu ma parole, à plus forte raison le Père enseigne celui qui a entendu sa parole ou son Verbe. C’est ce que le Sauveur nous explique parfaitement en ajoutant immédiatement : « Non que personne ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu, » paroles dont voici le sens : Je viens de vous dire : « Quiconque a entendu le Père et appris de lui ; » n’allez pas vous tenir à vous-mêmes ce langage : Nous n’avons jamais vu le Père, comment pourrons-nous être instruits par lui ? Apprenez de moi comment vous pourrez être instruits : Je connais mon Père, je viens de lui comme la parole sort de celui qui la profère, je suis non pas la parole qui retentit et qui passe, mais la parole qui demeure avec celui qui la prononce, et qui attire celui qui l’entend. — S. Chrysostome : (hom. 46.) Tous nous venons de Dieu, mais Nôtre-Seigneur ne parle point ici de ce qui distingue le Fils de Dieu et lui est propre, à cause de l’esprit encore faible et grossier de ses auditeurs.


Versets. 47-52.


S. AUG. (Traité 26 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur en vient enfin à révéler, aux Juifs ce qu’il était : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle ; » c’est-à-dire, celui qui croit en moi, me possède. Qu’est-ce que me posséder ? c’est posséder la vie éternelle ; car la vie éternelle, c’est le Verbe qui était au-commencement avec Dieu, et cette vie était la lumière des hommes. La vie s’est revêtue de la mort, afin que la mort fût détruite par la vie.


THEOPHYL. Comme ce peuple insistait pour obtenir la nourriture corporelle, et rappelait à ce dessein le souvenir de la manne qui avait été donnée à leurs pères, le Sauveur veut leur montrer que tous les faits de la loi ancienne étaient une figure de la vérité qu’ils avaient présente sous leurs yeux, et les élève à la pensée d’une nourriture toute spirituelle, en leur disant : « Je suis le pain de vie. » — S. Chrysostome : (hom. 46.) Il se donne le nom de pain de vie, parce qu’il contient le principe de notre vie, de cette vie présente et de la vie future.


S. AUG. (Traité 26.) Mais pour réprimer l’orgueil des Juifs qui étaient fiers de la manne qui avait été donnée à leurs pères, Jésus ajoute : Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et sont morts. » Ce sont véritablement vos pères, et vous leur êtes semblables, ils sont les pères murmurateurs d’enfants imitateurs de leurs murmures, car le plus grand crime que Dieu ait relevé contre ce peuple, ce sont ses murmures contre Dieu. Or, ils sont morts, parce qu’ils ne croyaient que ce qu’ils voyaient, et qu’ils ne croyaient ni ne comprenaient ce qui était invisible à leurs yeux. — S. Chrysostome : (hom. 46.) Ce n’est pas sans dessein que le Sauveur ajoute cette circonstance : « Dans le désert, » il veut leur rappeler indirectement le peu de temps pendant lequel la manne a été donnée à leurs pères, et qu’elle ne les a pas suivis dans la terre promise. Mais les Juifs estimaient encore le miracle de la multiplication des pains comme de beaucoup inférieur au miracle de la manne, parce que la manne semblait descendre du ciel, et que le miracle de la multiplication des pains avait lieu sur la terre ; c’est pourquoi Nôtre-Seigneur ajoute : « Voici le pain descendu du ciel. » — S. AUG. (Traité 26.) Ce pain a été figuré par la manne, il a été figuré par l’autel de Dieu. Départ et d’autre c’étaient des symboles figuratifs ; les signes extérieurs sont différents, l’objet figuré est le même. Entendez l’Apôtre qui vous dit : « Ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle. » (1 Co 10)


S. Chrysostome : (hom. 46.) Nôtre-Seigneur relève ensuite une circonstance qui devait faire sur eux une vive impression, c’est qu’ils ont été bien plus favorisés que leurs pères que la manne n’a pas empêchés de mourir : « Voici le pain qui descend du ciel, pour que celui qui en mange ne meure point. » Il fait ressortir la différence des deux nourritures par la différence des résultats. Le pain dont il parle ici, ce sont les vérités du salut, et la foi que nous devons avoir en lui, ou bien son corps, car toutes ces choses conservent la vie de l’âme.


S. AUG. (Traité 26) Mais est-ce que nous qui mangeons le pain descendu du ciel, nous ne mourrons pas aussi ? Ceux qui ont mangé la manne sont morts comme nous mourrons nous-mêmes un jour de la mort du corps. Mais quand à la mort spirituelle dont leurs pères sont morts, Moïse et un grand nombre d’autres qui ont mangé la manne et qui ont été agréables à Dieu, n’y ont pas été soumis, parce qu’ils ont reçu cette nourriture visible avec des dispositions toutes spirituelles, ils l’ont désirée dans l’esprit, goûtée dans l’esprit, ils en ont été rassasiés dans l’esprit. Encore aujourd’hui nous recevons une nourriture visible, mais autre chose est le sacrement, autre chose est la vertu du sacrement. Combien qui reçoivent ce pain de l’autel, et qui meurent en le recevant ! comme le dit l’Apôtre : « Il mange et boit son jugement. » (1 Co 11) Mangez donc spirituellement ce pain céleste, apportez l’innocence au saint autel. Tous les jours vous péchez, mais que vos péchés ne soient point de ceux qui donnent la mort à l’âme. Avant d’approcher de l’autel, pesez bien ce que vous dites : Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs. Si vous les remettez véritablement, on vous remettra les vôtres. Approchez donc avec confiance, c’est du pain et non du poison qu’on vous présente : « Si quelqu’un mange de ce pain, il ne mourra point. » Mais il s’agit ici de la vertu du sacrement, et non de ce qui est visible dans le sacrement ; de celui qui se nourrit intérieurement de ce pain, et non de celui qui se contente de le manger extérieurement. — ALCUIN. Celui qui mange ce pain ne meurt pas « parce que je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel. » — THEOPHYL. Il est descendu du ciel par son incarnation, il n’a donc point commencé par être homme avant de s’unir à la divinité comme le rêve Nestorius. — S. AUG. (Traité 26.) La manne est aussi descendue du ciel, mais la manne n’était que figurative, et nous avons ici la vérité. Or, ma vie, dit le Sauveur, est pour les hommes une source de vie : « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra non-seulement dans cette vie par la foi et la justice, mais il vivra éternellement. » « Et le pain que je donnerai, est ma chair qui sera livrée pour la vie du monde. » — LA GLOSE. Le Seigneur explique ici dans quel sens il est un véritable pain, ce n’est pas seulement par sa divinité qui donne la nourriture à tout ce qui existe, mais par son humanité qui a été unie au Verbe de Dieu, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Et le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » — Bède : Le Seigneur a donné ce pain lorsqu’il a livré à ses disciples le mystère de son corps et de son sang, et quand il s’est offert lui-même à Dieu son Père sur l’autel de la croix. La vie du monde dont il parle ici ne doit point s’entendre des éléments matériels qui composent le monde, mais de tous ceux que l’on comprend sous le nom de monde. — THEOPHYL. En disant : « Que je donnerai, » il fait ressortir sa puissance et prouve que s’il a été crucifié, ce n’est pas comme étant inférieur à son Père, mais de sa pleine volonté. Car bien que nous disions qu’il a été livré par son Père, cependant il s’est véritablement livré lui-même. Considérez encore que le pain que nous mangeons dans les saints mystères n’est pas seulement la figure de la chair de Jésus-Christ, mais qu’il est lui-même la vraie chair de Jésus- Christ. Car il ne dit pas : Le pain que je donnerai est la figure de ma chair, mais : « c’est ma chair. » En vertu de paroles ineffables, ce pain est changé au corps de Jésus-Christ par une bénédiction mystérieuse et par l’habitation de l’Esprit saint dans la chair de Jésus-Christ. Mais pourquoi ne voyons-nous pas cette chair ? Parce que la vue de cette chair nous inspirerait une vive horreur lorsque nous voudrions nous en nourrir. C’est donc pour condescendre à notre faiblesse que cette nourriture spirituelle nous est donnée d’une manière conforme à nos habitudes. Jésus donne sa chair pour la vie du monde, parce que c’est en mourant qu’il a détruit l’empire de la mort. Cette vie du monde, je puis l’entendre de la résurrection, car la mort du Seigneur a été pour tout le genre humain un principe de résurrection. Peut-être aussi peut-on entendre cette vie qui est le fruit de la justification et de la sanctification par l’Esprit ; car bien que tous n’aient pas reçu la vie qui consiste dans la sanctification et dans la participation de l’Esprit saint, cependant le Seigneur s’est livré pour le monde et il a fait ce qui dépendait de lui, pour que le monde tout entier fût sanctifié.


S. AUG. (Traité 26.) Mais comment la chair pourrait-elle comprendre que Nôtre-Seigneur ait donné le nom de pain à sa propre chair ? Les fidèles connaissent le corps de Jésus-Christ, si toutefois ils ne négligent pas de devenir eux-mêmes le corps de Jésus-Christ. Oui, qu’ils fassent partie du corps de Jésus-Christ, s’ils veulent vivre de l’esprit de Jésus-Christ. Est-ce que mon corps peut recevoir le mouvement et la vie de votre esprit ? C’est ce pain dont parle l’Apôtre, lorsqu’il dit : « Nous ne faisons tous qu’un même corps, nous qui mangeons d’un même pain. O sacrement de la piété ! O symbole de l’unité ! O lien de la charité ! Celui qui veut vivre, possède ici une source de vie, qu’il approche, qu’il croie, et qu’il s’incorpore à Jésus-Christ pour recevoir la vie.


Versets. 53-55.


S. AUG. (Traité 26 sur S. Jean.) Les Juifs ne comprenaient pas quel était ce pain d’union, et c’est la raison de leurs disputes : « Les Juifs donc se disputaient entre eux, disant : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Pour ceux au contraire qui se nourrissent de ce pain, ils n’ont point de dispute entre eux, car c’est par la vertu de ce pain que Dieu fait habiter ensemble ceux qui n’ont qu’un même esprit. (Ps 67, 7)


Bède : Les Juifs s’imaginaient que le Seigneur leur partagerait sa chair par morceaux, et la leur donnerait ainsi à manger, ils disputaient donc entre eux, parce qu’ils ne comprenaient point. — S. Chrysostome : (hom. 46.) Ils prétendaient qu’il était impossible qu’il leur donnât ainsi sa chair, et il leur montre que loin d’être impossible, c’est une chose absolument nécessaire : « Et Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, » etc., c’est-à-dire vous ignorez comment ce pain peut vous être donné, et de quelle manière vous devez le manger, et cependant, je vous le déclare, si vous ne mangez ce pain, vous n’aurez point la vie en vous., etc.


Bède : Et pour étendre à tous l’obligation de ce précepte il le généralise en disant : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, » etc. Or, dans la crainte de voir appliquer à la vie présente les effets de la communion à sa chair, il ajoute : « Il a la vie éternelle. » Celui donc, qui ne mange pas sa chair et ne boit pas son sang, demeure privé de cette vie. On peut jouir de la vie présente sans manger ce pain, mais pour la vie éternelle, cela est impossible. Il n’en est pas ainsi de la nourriture que nous prenons pour soutenir la vie du corps, elle est absolument nécessaire à la conservation de cette vie, et cependant elle ne peut la conserver indéfiniment, car il arrive tous les jours qu’un grand nombre de ceux qui l’ont prise meurent par suite de maladie, de vieillesse ou de quelque autre accident. Mais les effets de cette nourriture et de ce breuvage, c’est-à-dire du corps et du sang de Jésus-Christ, sont bien différents ; celui qui ne les reçoit point ne peut avoir la vie, et celui qui les reçoit a nécessairement la vie et la vie éternelle. — THEOPHYL. Car ce n’est pas seulement la chair d’un homme, c’est la chair d’un Dieu, chair qui a la puissance de rendre l’homme tout divin, en l’enivrant de sa divinité.


S. AUG. (de la Cité de Dieu, 21, 19.) Il en est qui s’appuient sur ces paroles pour promettre à ceux qui ont reçu le baptême du Christ, et qui participent à la réception de son corps, qu’ils seront délivrés des supplices éternels, quelle qu’ait été d’ailleurs leur vie. C’est une erreur que l’apôtre saint Paul condamne lorsqu’il dit : « Il est aisé de connaître les œuvres de la chair qui sont la fornication, l’impureté, l’impudicité, la dissolution, etc., dont je vous déclare, comme je vous l’ai déjà dit que ceux qui commettent ces crimes, ne seront point héritiers du royaume de Dieu. (Ga 5) Nous devons donc examiner avec soin dans quel sens il faut entendre les paroles du Sauveur. Celui qui fait partie de l’unité de son corps, c’est-à-dire de cette union étroite des chrétiens membres de ce corps dont les fidèles reçoivent le sacrement dans la sainte communion, mange véritablement le corps et boit.le sang de Jésus-Christ. Par conséquent, les hérétiques et les schismatiques qui sont séparés de l’unité de son corps, peuvent bien recevoir le même sacrement, mais sans aucune utilité pour eux ; je dirai plus, il leur est nuisible et il devient pour eux la cause d’un jugement rigoureux, plutôt qu’un principe de délivrance. Ceux dont les mœurs sont évidemment mauvaises et condamnables et qui par leurs impuretés ou par d’autres actions semblables, c’est-à-dire par l’iniquité de leur vie se séparent de la justice de la vie qui est Jésus-Christ, ne mangent pas véritablement le corps de Jésus-Christ, parce qu’ils ne font point partie de ses membres. Pour ne pas en dire davantage, ils ne peuvent être en même temps les membres de Jésus-Christ et les membres d’une prostituée. (1 Co 6, 15.)


S. AUG. (Traité 26.) Nôtre-Seigneur veut donc que dans cette nourriture et dans ce breuvage, nous voyions la société de son corps et de ses membres, c’est-à-dire l’Église, composée de saints que Dieu a prédestinés, appelés, justifiés, et glorifiés, et de ses fidèles. Le symbole de cette vérité, c’est-à-dire, l’unité du corps et du sang de Jésus-Christ, nous est présenté tous les jours dans certains lieux, à des jours marqués dans d’autres endroits, sur la table du Seigneur, et c’est sur cette table que les fidèles prennent ce sacrement, les uns pour leur vie, les autres pour leur mort. Mais la vérité qui est elle-même figurée par ce sacrement est un principe de vie pour tous, et n’est une cause de mort pour aucun de ceux qui ont le bonheur d’y participer. Comme les Juifs auraient pu croire que la promesse de la vie éternelle faite à ceux qui prendraient cette nourriture et ce breuvage, entraînait l’affranchissement de la mort du corps, Nôtre-Seigneur prévient cette pensée en ajoutant : « Et je le ressusciterai au dernier jour, » c’est-à-dire, que son âme jouira d’abord de la vie éternelle dans le repos que Dieu a préparé aux âmes des saints, et que son corps lui-même ne sera point privé de cette vie éternelle, dont il entrera en possession au dernier jour de la résurrection des morts.


Versets. 56-60.


Bède : Le Sauveur venait de dire précédemment : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; » il montre maintenant quelle distance sépare la nourriture et le breuvage matériel du mystère spirituel de son corps et de son sang : « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage. » — S. Chrysostome : (hom. 46 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur tient ce langage pour fortifier la foi aux enseignements qui précèdent, et bien persuader ceux qui l’écoutent, que ce n’est point ici une parabole et une figure, mais qu’il faut absolument manger le corps du Christ ; ou bien son intention est de nous apprendre que la nourriture véritable est celle qui donne le salut à notre âme.


S. AUG. (Traité 26.) Ou bien encore, ce que les hommes cherchent dans la nourriture et la boisson, c’est d’apaiser leur faim et leur soif, or cet effet ne peut être complètement atteint qu’au moyen de cette nourriture et de ce breuvage, qui communiquent à ceux qui les prennent, l’immortalité et l’incorruptibilité, et les fait entrer dans la société des saints dans laquelle ils jouiront d’une paix absolue et de l’unité la plus parfaite. C’est pour cela que Nôtre-Seigneur nous a donné son corps et son sang sous des symboles qui nous offrent une parfaite image de cette unité. C’est ainsi que le pain résulte de l’assemblage d’un grand nombre de grains de blé, et que le vin est le produit d’un grand nombre de grains de raisin. Le Sauveur explique ensuite ce que c’est que manger sa chair et boire son sang, en ajoutant : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » Manger cette nourriture et boire ce breuvage, c’est donc demeurer en Jésus-Christ, et avoir Jésus-Christ demeurant en soi ; par conséquent, celui qui ne demeure pas en Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ ne demeure pas, ne mange pas sa chair et ne boit point son sang ; mais au contraire il ne mange et ne boit cet auguste mystère que pour son jugement et sa condamnation.


S. Chrysostome : (hom. 47.) On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède : Nôtre-Seigneur avait promis la vie éternelle à ceux qui mangeraient ce pain, il confirme cette promesse par ces paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » — S. AUG. (serm. 2 sur les par. du Seig.) Il en est un grand nombre qui mangent la chair du Sauveur et boivent son sang avec un cœur hypocrite, ou qui après s’en être nourris deviennent des apostats ; peut-on dire d’eux qu’ils demeurent en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ demeure en eux ? Il y a donc une manière particulière de manger cette chair et de boire ce sang pour que nous demeurions en Jésus-Christ et que Jésus-Christ demeure en nous. — S. AUG. (de la Cité de Dieu, 12, 25.) Il faut pour cela ne point participer seulement au sacrement extérieur, mais manger véritablement le corps et boire le sang de Jésus-Christ. — S. Chrysostome : (hom. 47.) Comme je suis vivant, il est évident que celui qui mangera mon corps et boira mon sang, entrera en participation de cette vie, c’est ce que le Sauveur établit en ajoutant : « Comme mon Père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis par mon Père, de même celui qui me mange vivra aussi par moi. » —S. AUG. (serm. 2 sur les par. du Seig.) C’est-à-dire, je vis comme mon Père ; il ajoute, par mon Père, pour établir sa génération et prouver indirectement que le Père était le principe de son existence. La vie qu’il promet par ces paroles : « Celui qui me mange vivra par moi, » n’est point cette vie ordinaire et commune même aux infidèles qui ne se nourrissent pas de la chair du Sauveur, mais cette vie spirituelle qui a seule quelque prix aux yeux de Dieu. La résurrection dont il parle n’est pas non plus la résurrection commune à tous les hommes, mais la résurrection glorieuse qui sera suivie des récompenses éternelles.


S. AUG. (Tr. 26 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur ne dit point : Comme je me nourris de mon Père et que je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi, parce qu’en effet, l’union étroite qui existe entre le Père et le Fils ne donne pas au Fils un degré supérieur de bonté, comme la participation que nous avons au Fils par l’union étroite avec son corps et avec son sang, nous rend évidemment meilleurs. Si donc Nôtre-Seigneur s’exprime de la sorte : « Je vis par mon Père, » parce qu’il vient du Père, son égalité avec le Père n’en souffre en aucune manière. Et cependant en ajoutant : « Et celui qui me mange vivra par moi, » il ne veut pas établir une parfaite égalité avec lui, mais simplement exprimer la grâce, bienfait du médiateur. Or si nous entendons ces paroles : « Je vis par mon Père ; » dans le sens de ces autres paroles : « Mon Père est plus grand que moi ; » ces autres paroles : « Comme mon Père m’a envoyé, » etc., reviennent à celles-ci : L’anéantissement qui a été la suite de mon incarnation, a eu pour fin de me faire vivre à cause de mon Père, c’est-à-dire, de lui rapporter toute ma vie comme à celui qui était plus grand que moi, et la participation à la nourriture que je donne fait que chacun vit à cause de moi.


S. HIL. (de la Trin., 8) Il ne reste donc aucun moyen de douter de la vérité de la chair et du sang de Jésus-Christ, la déclaration du Sauveur aussi bien que notre foi, concourent à établir que c’est véritablement sa chair et véritablement son sang ; et le principe de notre vie, c’est que nous possédons dans notre nature Jésus-Christ, qui demeure en nous par le moyen de sa chair, et qui nous donne la vie aux mêmes conditions qu’il vit lui-même par son Père. Si donc nous avons la vie par lui en vertu de sa chair, c’est-à-dire, en participant à la nature de sa chair, comment n’aurait-il pas naturellement en lui son Père selon l’esprit, puisqu’il ne vit que par son Père ? Or, il vit par son Père, parce que sa naissance ne lui a pas donné une nature différente de celle de son Père.


S. AUG. (Traité 26.) Or, ce pain est descendu ciel afin que nous puissions recevoir la vie en le mangeant, nous qui de nous-mêmes ne pouvions prétendre à la vie éternelle : « C’est ici, dit Nôtre-Seigneur, le pain qui est descendu du ciel. » — S. HIL. (de la Trin., 10) Il se donne ici le nom de pain, et il déclare que ce pain est sa chair, pour prévenir la pensée que la puissance et la nature du Verbe aient éprouvé quelque amoindrissement par leur union avec la chair, car par-là même que ce pain descend du ciel, il prouve clairement que son corps n’est point le produit d’une conception ordinaire, mais qu’il a une origine divine. Et comme il nous déclare que ce pain c’est lui-même, il prouve par-là que le Verbe s’est uni à un corps véritable. — THEOPHYL Ce n’est pas Dieu seul que nous mangeons dans ce sacrement, puisqu’il est impalpable et incorporel ; ce n’est pas non plus la chair d’un simple mortel qui ne nous servirait de rien. Mais comme Dieu s’est uni notre chair, sa chair est un principe de vie ; ce n’est pas qu’elle ait été transformée et qu’elle soit devenue la nature de Dieu, mais de même que le fer embrasé conserve sa nature du fer, et possède en même temps la propriété du feu, ainsi la chair du Seigneur est devenue une. chair vivifiante comme étant la chair du Verbe de Dieu.


Bède : Pour montrer la distance qui sépare l’ombre de la lumière, la figure de la vérité, il ajoute : « Ce n’est pas comme vos pères, qui ont mangé la manne et qui sont morts. » — S. AUG. (Tr. 26.) Cette mort doit être entendue de la mort éternelle, car ceux mêmes qui mangent le corps du Christ, ne sont pas exempts de la mort du corps, mais ils reçoivent en échange la vie éternelle, parce que Jésus-Christ est la vie éternelle. — S. Chrysostome : (hom. 47 sur S. Jean.) Dieu a bien pu sans moisson, sans provision de blé et sans le secours d’autres aliments, leur conserver la vie pendant quarante ans, combien plus facilement pourrait-il le faire’ à l’aide de cette nourriture spirituelle dont la manne était la figure ? Le Sauveur fait souvent des promesses de vie, parce que rien n’est plus agréable aux hommes ; dans l’Ancien Testament, Dieu promettait une longue vie, maintenant Jésus-Christ nous promet une vie qui ne doit point avoir de fin. Il nous fait voir en même temps qu’il a révoqué la sentence qui nous livrait à la mort en punition de nos péchés, et qu’il l’a remplacée par la promesse de la vie éternelle : Jésus dit ces choses dans la synagogue, lorsqu’il enseignait à Capharnaüm, où il avait opéré un grand nombre de miracles. Il enseignait dans la synagogue et dans le temple pour attirer le peuple à lui et lui prouver qu’il n’était pas en opposition avec Dieu le Père.


Bède : Dans le sens mystique, Capharnaüm dont le nom signifie très-belle campagne représente le monde, comme la synagogue est la figure du peuple juif, et le Sauveur nous apprend ici qu’en apparaissant au monde dans le mystère de son incarnation il a enseigné au peuple juif un grand nombre de vérités que ce peuple a comprises.


Versets. 61-72.


S. AUG. (Traité 27 sur S. Jean.) Les Juifs ne crurent pas que ces paroles de Jésus renfermaient de sublimes vérités, et recouvraient un grand mystère de grâce, ils les entendirent à leur manière, dans un sens tout naturel, et comme si Jésus devait leur partager et leur distribuer par morceaux la chair dont le Verbe s’était revêtu : « Plusieurs donc, non point de ses ennemis, mais de ses disciples, l’entendant, dirent : Ces paroles sont dures. » — S. Chrysostome : (hom. 47.) C’est-à-dire qu’elles étaient difficiles à comprendre, et dépassaient la portée de leur intelligence. Ils s’imaginaient que le Sauveur tenait un langage bien supérieur à sa puissance, et ils se disaient : « Qui peut l’écouter ? » cherchant par là à justifier leur conduite inexcusable. — S. AUG. (Traité 27.) Mais si les disciples de Jésus trouvèrent ces paroles dures, que durent en penser ses ennemis ? Et cependant il fallait leur enseigner cette vérité bien que tons ne dussent pas la comprendre ; le secret de Dieu doit exciter l’attention et ne point soulever d’opposition. — THEOPHYL. Par ces disciples qui murmuraient, il ne faut point comprendre ceux qui étaient réellement et véritablement ses disciples, mais ceux qui paraissaient extérieurement prendre part à ses enseignements, car parmi ses véritables disciples, il se trouvait un certain nombre d’hommes qui passaient pour ses disciples, uniquement parce qu’on les voyait depuis longtemps avec eux. — S. AUG. (Traité 27.) Ils faisaient cette réflexion entre eux, de manière à ne pas être entendus, mais Jésus qui connaissait les pensées les pins intimes de leur cœur les entendait en lui-même : « Or Jésus connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit : Cela vous scandalise ? » — ALCUIN. C’est-à-dire ce que je viens de vous enseigner, la nécessité de manger ma chair et de boire mon sang.


S. Chrysostome : (hom. 47.) Une des preuves de sa divinité, c’était de révéler publiquement le secret des cœurs. Il ajoute : « Donc, quand vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ? » Suppléez : Que direz-vous ? C’est la réflexion qu’il avait déjà faite à Nathanaël : « Parce que je vous ai dit : Je vous ai vu sous le figuier, vous croyez ; vous serez témoin de plus grandes choses. » Nôtre-Seigneur n’ajoute pas ici difficultés sur difficultés, mais il veut les attirer par la grandeur et le nombre des vérités sublimes qu’il leur enseigne. S’il leur avait dit simplement tout d’abord qu’il était descendu du ciel, sans rien ajouter de plus, il aurait augmenté le scandale de ceux qui l’écoutaient ; il suit donc une marche toute différente, il déclare que sa chair est la vie du monde, que de même qu’il a été envoyé par son Père vivant, il vit aussi par son Père, et c’est alors qu’il ajoute qu’il est descendu du ciel pour faire disparaître toute espèce, de doute. Ce n’est donc point pour scandaliser ses disciples, c’est au contraire pour détruire le scandale que ses paroles avaient fait naître qu’il s’exprime de la sorte. Tant qu’ils ne voyaient en lui que le Fils de Joseph, ses paroles n’avaient pour eux aucune autorité ; ceux au contraire qui croiraient qu’il était descendu du ciel, et qu’il devait y remonter, prêteraient une attention plus grande à ses enseignements. — S. AUG. (Traité 27.) Ou bien encore, il résout la difficulté qui les troublait ; ils s’imaginaient qu’il donnerait son corps par morceaux, et il leur dit qu’il remontera tout entier dans le ciel : « Que sera-ce donc lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ? » Certes vous comprendrez alors qu’il ne donne pas son corps de la manière que vous pensez et qu’on ne peut consumer par la bouche le mystère de sa grâce. Le Christ n’a commencé à être le Fils de l’homme que sur la terre par sa naissance de la Vierge Marie, lorsqu’il se fut revêtu d’une chair mortelle ; pourquoi donc s’exprime-t-il de la sorte : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ? » C’est qu’il voulait nous faire comprendre que le Christ Dieu et homme tout à la fois, ne forme qu’une seule personne et non pas deux, et que l’objet de notre Foi doit être non pas la quaternité, mais la Trinité. Le Fils de l’homme était donc dans le ciel, comme le Fils de Dieu était sur la terre. Il était sur la terre le Fils de Dieu dans la chair qu’il s’était unie, il était le Fils de l’homme dans le ciel par suite de l’unité de personne. — THEOPHYL. N’allez pas croire pour cela que le corps de Jésus-Christ soit descendu du ciel comme l’enseigne l’hérésie de Marcion et d’Apollinaire, le Fils de Dieu et le Fils de l’homme ne sont qu’une seule et même personne.


S. Chrysostome : (hom. 47.) Nôtre-Seigneur donne encore une autre solution : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. » Voici le véritable sens de ces paroles : Il faut entendre spirituellement ce que je viens de dire de moi, si vous prenez mes paroles dans un sens charnel, vous n’en retirerez aucune utilité. Or entendre ces paroles dans un sens charnel, c’est ne voir que ce qui frappe les yeux sans aller au delà. Ce n’est pas ainsi qu’il en faut juger, il faut considérer les mystères avec les yeux intérieurs et les entendre toujours spirituellement. C’était au contraire les entendre dans un sens charnel, que de formuler ce doute. Comment pourra-t-il nous donner sa chair à manger ? Quoi donc, est-ce qu’il ne nous donne pas sa véritable chair ? Sans aucun doute, il nous la donne ; si donc il déclare que la chair ne sert de rien, il ne veut point parler de sa chair, mais de ceux qui donnaient à ses paroles une interprétation toute charnelle. — S. AUG. (Traité 27.) Ou bien encore, la chair ne sert de rien, dans le sens des Capharnaïtes qui s’imaginaient que cette chair serait comme la chair d’un cadavre qu’on démembre ou qu’on vend au marché, et ne comprenaient pas que cette chair était remplie de l’esprit de Dieu et de la vie delà grâce. Quel esprit s’unisse à la chair, alors la chair est d’une grande utilité. Car si la chair ne servait de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. C’est donc à l’esprit qu’il faut rapporter ce qui a été opéré par la chair pour notre salut.— S. AUG. (de la Cité de Dieu, 10, 24.) Ce n’est point évidemment par elle-même que la chair purifie noire âme, mais parle Verbe qui s’en est revêtu, et qui étant le principe de toutes choses, s’est uni à la fois à une âme et à un corps pour purifier l’âme et la chair de ceux qui croiraient en lui. C’est donc l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien, de la manière qu’ils l’entendaient, ce n’est pas ainsi que je la donne à manger, et ce n’est pas dans ce sens tout charnel que nous devons goûter cette chair. Aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » — S. Chrysostome : (hom. 47.) C’est-à-dire elles sont toute spirituelles, elles n’ont rien de charnel, elles ne sont point soumises aux effets naturels, et sont eu dehors de toute nécessité terrestre et de toutes les lois d’ici bas. — S. AUG. (Traité 27 sur S. Jean.) Si vous entendez ces paroles spirituellement, elles sont esprit et vie pour vous, si vous les entendez dans un sens charnel, elles sont encore esprit et vie, mais non point pour vous. Nous avons dit précédemment que la fin que s’est proposée Nôtre-Seigneur en nous donnant sa chair à manger et son sang à boire c’est que nous, demeurions en lui et qu’il demeure en nous ; or, la charité seule peut produire cet effet, et la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné. (Rm 5) C’est donc l’esprit qui vivifie.


S. Chrysostome : (hom. 47.) Après avoir signalé cette interprétation charnelle et grossière, Nôtre-Seigneur ajoute : « Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient point. » En disant : « Quelques-uns, il excepte ses disciples, en même temps qu’il prouve sa puissance divine en révélant le secret des cœurs. — S. AUG. (Traité 27 sur S. Jean.) Il ne dit pas : Il en est parmi vous qui ne comprennent pas, mais il indique la cause de leur défaut d’intelligence, car le prophète a dit : « Si vous ne commencez par croire, vous ne comprendrez point. » Comment celui qui résiste peut-il être vivifié ? Il est l’ennemi du rayon de lumière qui veut le pénétrer, il en détourne les yeux, il lui ferme son âme. « Qu’ils croient donc et qu’ils ouvrent leur âme, et ils seront comblés de lumière. — S. Chrysostome : (hom. 47) Et remarquez que ce n’est point après leurs murmures et le scandale qu’ils ont pris des paroles du Sauveur, qu’il a connu les dispositions de leur cœur, car l’Evangéliste prend soin d’ajouter : « Jésus savait, dès le commencement, qui étaient ceux qui ne croyaient point. » — THEOPHYL. Il nous apprend ainsi qu’avant même la création du monde, il connaissait toutes choses, ce qui était une preuve évidente de sa divinité.


S. AUG. (Traité 27) Après avoir fait la distinction de ceux qui croient d’avec les incrédules, Nôtre-Seigneur remonte à la cause pour laquelle ils ne croient point : « C’est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, s’il ne lui est donné par mon Père. » — S. Chrysostome : (hom. 47) C’est-à-dire je ne suis ni troublé ni surpris de ce que quelques-uns ne croient point, car je connais ceux à qui mon Père a fait cette grâce. Il s’exprime ainsi pour leur prouver qu’il ne cherchait en aucune façon la gloire qu’ils pouvaient lui donner, et pour les bien convaincre que son Père n’était pas Joseph, mais Dieu lui-même. — S. AUG. (Traité 27.) La foi est donc un don de Dieu, et un don d’une grande importance. Or, si ce don est aussi grand et aussi précieux, réjouissez-vous d’avoir la foi, mais n’en concevez pas d’orgueil, « car qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? » (l Co 4) — S. AUG. (de la prédest. des saints, chap. 9) Que ce don de la foi soit accordé aux uns et refusé aux autres, c’est ce qu’on ne peut nier sans se mettre en opposition avec les témoignages les plus incontestables de la sainte Ecriture. Le chrétien ne doit pas s’étonner que ce don ne soit pas accordé à tous, dès lors qu’il croit que le péché d’un seul a été le juste sujet de la condamnation de tous les hommes, à ce point qu’on ne pourrait adresser à Dieu aucun juste reproche quand même un seul homme n’échapperait pas à cette sentence de mort. C’est donc par l’effet d’une grâce tout à fait extraordinaire qu’un grand nombre sont arrachés à la damnation. Mais pourquoi l’un est-il plutôt sauvé que l’autre ? c’est là un effet des jugements incompréhensibles de Dieu et de ses voies impénétrables. (Rm 11, 33.)


« De ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent et ne marchaient plus dans sa compagnie. » — S. Chrysostome : (hom. 47.) L’Evangéliste ne dit pas précisément qu’ils l’abandonnèrent, mais qu’ils marchèrent en arrière, c’est-à-dire, qu’ils cessèrent de suivre les enseignements du Sauveur avec de bonnes dispositions et qu’ils perdirent la foi qu’ils avaient pu avoir auparavant. — S. AUG. (Traité 27 sur S, Jean.) Ils perdirent la vie en se séparant du corps, parce que peut-être ils n’en firent jamais partie, et ils doivent être rangés parmi les incrédules, bien qu’ils parussent être du nombre des disciples de Jésus. Ce fut en grand nombre qu’ils se retirèrent de Jésus-Christ pour marcher à la suite de Satan, comme l’Apôtre le dit de certaines femmes de son temps : « Déjà quelques-unes se sont égarées pour suivre Satan. » Quant à Pierre, Nôtre-Seigneur ne le repousse point en le renvoyant à la suite de Satan, mais il lui commande seulement d’aller derrière lui.


S. Chrysostome : (hom. 46 sur S. Jean.) On demandera peut-être quelle utilité pouvaient avoir ces discours, puisqu’ils étaient bien plutôt un sujet de scandale que d’édification. Nous répondons qu’ils avaient une immense utilité. Les Juifs recherchaient avec empressement la nourriture du corps, ils rappelaient le souvenir de la manne donnée à leurs pères, Notre-Seigneur leur apprend donc que ce n’étaient là que des figures, et il leur suggère l’idée de la nourriture spirituelle. Il n’y avait là aucune raison pour eux de se scandaliser, et ils devaient se contenter de l’interroger. La cause de leur scandale doit donc être tout entière attribuée à leurs mauvaises dispositions plutôt qu’à l’obscurité de la doctrine du Sauveur. — S. AUG. (Traité 27.) Peut-être aussi Dieu permit-il ce scandale pour notre consolation ; il arrive en effet quelquefois qu’un homme dit la vérité sans parvenir à se faire comprendre, ceux qui l’entendent se scandalisent et se retirent ; cet homme regrette alors d’avoir fait connaître la vérité, et il se dit : Je n’aurais pas dû parler de la sorte. C’est ce qui arrive ici à notre Sauveur, il fait connaître la vérité, et il perd un grand nombre de disciples ; cependant il ne s’en trouble point, parce qu’il savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croiraient point. Si donc nous sommes soumis à la même épreuve, n’en soyons point troublés, cherchons notre consolation en Nôtre-Seigneur, cependant que la prudence dirige toutes nos paroles.


Bède : Notre-Seigneur savait parfaitement si les autres disciples avaient l’intention de s’en aller ; cependant il les interroge pour faire ressortir leur foi et la proposer comme modèle aux autres : « Jésus dit donc aux douze : Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? » — S. Chrysostome : (hom. 47.) C’est en effet le moyen le plus convenable pour les attirer à lui. S’il leur avait prodigué les éloges, ils y eussent été par trop sensibles, et se seraient persuadés qu’en restant fidèles à Jésus-Christ, ils lui rendaient un grand service. Il se les attache donc bien plus fortement, en leur montrant qu’il n’a que faire de leur obéissance et de les voir marcher à sa suite. Toutefois il ne leur dit pas : Allez-vous en, (ce qui eût été les renvoyer,) mais il leur demande s’ils veulent s’en aller, il leur donne toute liberté, il ne veut pas qu’un certain sentiment de pudeur les retienne à sa suite, le suivre par nécessité est pour lui comme s’ils l’abandonnaient. Or, Pierre qui aimait ses frères et professait un ardent amour pour le Sauveur, répond pour tout le collège apostolique : « Mais Simon Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? » — S. AUG. (Traité 21) Il semble dire : Est-ce que vous nous renvoyez ? Donnez-nous donc un autre à qui nous puissions aller, si nous venons à vous quitter. — S. Chrysostome : (hom. 47.) Ces paroles montrent le grand amour des vrais disciples de Jésus pour leur divin Maître ; ils le mettaient dans leur esprit et dans leur cœur bien au-dessus de leurs pères et de leurs mères. Et s’il parlait ainsi, ce n’est point dans la crainte que personne ne voulût les recevoir, après qu’ils auraient quitté Jésus, c’est pourquoi il ajoute : « Vous avez les paroles de la vie éternelle. » Il montre ainsi qu’il se rappelle les paroles du Seigneur : « Je le ressusciterai au dernier jour ; » et encore : « Il aura la vie éternelle. » Les Juifs disaient : « C’est le fils de Joseph, » Pierre, au contraire, s’écrie : « Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. — S. AUG. (Traité 27.) Nous avons cru pour connaître, car si nous avions voulu connaître avant de croire, nous n’aurions été capables ni de connaître, ni de croire. Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, c’est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que c’est vous-même que vous nous donnez dans votre chair et dans votre sang.


S. Chrysostome : (hom. 47.) Pierre venait de dire : « Et nous avons cru. » Nôtre-Seigneur excepte Judas du nombre des croyants : « Jésus leur répondit : Ne vous ai-je pas choisis tous les douze ? Et cependant parmi vous il y a un démon, » c’est-à-dire, ne croyez point, parce que vous vous êtes rangés à ma suite, que je m’abstienne de reprendre ceux qui sont mauvais. Mais pourquoi les disciples restent-ils ici dans le silence, eux qui plus tard diront en tremblant : « Est-ce moi, Seigneur ? » Jésus n’avait pas encore dit à Pierre : « Retire-toi de moi, Satan. » (Mt 16) Ces paroles ne lui inspirent donc aucune crainte. D’ailleurs Nôtre-Seigneur ne dit pas : Un de vous me trahira, mais : « Un de vous est un démon. » Ils ne comprenaient donc pas la portée de cette expression et n’y voyaient qu’une parole de blâme tombant sur les mauvaises dispositions de l’un d’eux. Les incrédules font ici à Jésus-Christ un reproche insensé, car le choix qu’il fait d’un homme ne lui impose aucune violence, aucune nécessité, et notre salut comme notre perte sont subordonnés à notre volonté.


Bède : On peut dire encore que le Sauveur s’est proposé des fins différentes dans la vocation de Judas et dans celle des onze autres Apôtres. Il a choisi les onze pour les faire persévérer dans la dignité d’Apôtres ; il a choisi Judas pour que sa trahison fût l’occasion du salut du genre humain. — S. AUG. (Traité 27.) Judas a été choisi pour devenir l’instrument d’un grand bien qu’il ne voulait pas et qu’il ne connaissait même pas ; car de même que les impies font servir au mal les œuvres bonnes de Dieu, Dieu au contraire sait faire servir au bien les actions coupables des hommes. Quoi de pire que Judas ? et cependant le Seigneur a su tirer le bien du crime qu’il a commis, et il a souffert d’être trahi par lui pour nous racheter. On peut encore entendre autrement ces paroles : « Je Vous ai choisis au nombre de douze, » dans ce sens que c’est le nombre consacré de ceux qui devaient annoncer aux quatre points du monde le mystère de la Trinité ; or, ce nombre n’a perdu ni sa gloire ni son caractère sacré, parce que l’un d’entre eux s’est perdu, puisqu’un autre lui a succédé.


S. GREG. (Moral., 13, 12.) Lorsque Notre-Seigneur dit d’un de ses disciples livré au mal : « L’un de vous est un démon, » il donne le nom du chef à un de ses membres, comme l’Evangéliste l’explique en ajoutant : « Il parlait de Judas Iscariote, fils de Simon, car c’était lui qui devait le trahir, quoiqu’il fût un des douze. » — S. Chrysostome : (hom. 47.) Admirez la sagesse de Jésus-Christ, il ne fait point connaître ce disciple infidèle, de peur que perdant toute retenue, il ne lui fît une guerre ouverte ; il ne veut point non plus que ses dispositions restent entièrement cachées, ce qui, en l’affranchissant de toute crainte, l’aurait rendu plus audacieux dans l’exécution de son crime.