Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 7

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Chapitre 6 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean Chapitre 8


CHAPITRE VII


Versets. 1-8.


S. AUG. (Traité 28 sur S. Jean.) Les fidèles disciples de Jésus-Christ devaient dans la suite chercher dans des retraites cachées un asile contre la fureur de leurs persécuteurs, et c’est pour justifier cette fuite prudente, que Nôtre-Seigneur veut donner dans le chef l’exemple que devaient un jour suivre les membres : « Après cela, Jésus parcourut la Galilée, car il ne voulait point aller en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir. » — Bède : La liaison que ces paroles : « Après cela, » semblent établir entre ce chapitre et le précédent, n’est pas tellement étroite, qu’on ne puisse supposer dans l’intervalle on grand nombre d’événements intermédiaires. Or, la Judée et la Galilée sont des provinces de la Palestine, la Judée tire son nom de la tribu de Juda, et cependant ce nom de Judée ne fut pas seulement donné à la contrée occupée par la tribu de Juda, mais à celle qui était échue à la tribu de Benjamin, parce que c’est de la Judée que les rois tiraient leur origine. La Galilée, au contraire, fut ainsi appelée de la blancheur du teint qui distingue ses habitants, car le mot grec γάλα, signifie lait en latin.


S. AUG. (Traité 28.) L’Evangéliste s’exprime ici comme si Nôtre-Soigneur ne pouvait parcourir la Judée sans être mis à mort par les Juifs. Il manifesta, lorsqu’il le voulut, la puissance divine qui était en lui, mais il n’avait point perdu cette puissance, parce qu’il voulait servir d’exemple à notre faiblesse. — S. Chrysostome : (hom. 48.) Disons encore que Nôtre-Seigneur faisait paraître en lui tour à tour les caractères de sa divinité et de son humanité, il fuyait ses persécuteurs en tant qu’homme, et il se manifestait à eux comme Dieu, puisqu’il était à la fois l’un et l’autre.


THEOPHYL. Il se retire pour le moment dans la Galilée, parce que le temps de sa passion n’était pas encore venu. Il regardait donc comme inutile de demeurer au milieu de ses ennemis, pour ne point augmenter la haine qu’ils avaient contre lui. L’Evangéliste nous fait connaître ensuite à quelle époque de l’année on se trouvait alors : « Or, la fête des Juifs, dite Scénopégie ou des Tabernacles, était proche. »


S. AUG. (Traité 28.) Ceux qui ont lu les saintes Ecritures savent ce que c’est que cette fête des Tabernacles. Pendant cette fête, les Juifs se construisaient des tentes semblables à celles que leurs pères avaient habitées, en traversant le désert après leur sortie d’Égypte. Ils célébraient cette fête en souvenir des bienfaits du Seigneur, eux qui bientôt devaient, mettre à mort le Seigneur. L’Evangéliste appelle cette fête un jour de fête bien qu’elle durât, non pas un jour seulement, mais sept jours consécutifs.


S. Chrysostome : (hom. 48.) Nous avons ici une preuve que l’Evangéliste passe sous silence un temps assez long de la vie du Sauveur. Lorsqu’on effet, Nôtre-Seigneur s’assit sur la montagne, on était près de la fête de Pâques, ici c’est la fête des Tabernacles qui était proche, et saint Jean ne mentionne d’autre fait dans les cinq mois intermédiaires entre ces deux fêtes, que le miracle de la multiplication des pains, et le discours que le Sauveur fit à ceux qu’il avait miraculeusement nourris. Il faut en conclure que les Evangélistes ne pouvaient raconter tous les miracles que le Seigneur ne cessait de faire, non plus que tous ses discours, mais qu’ils s’attachaient de préférence à ce qui était, de la part des Juifs, l’objet d’une dispute ou d’une contradiction quelconque, comme nous le voyons ici. — THEOPHYL. Ses frères, voyant qu’il n’était pas disposé à aller à Jérusalem, lui dirent : « Quittez ce pays et allez en Judée. » — Bède : C’est-à-dire, vous faites des miracles devant un petit nombre de témoins, allez dans la ville royale où se trouvent les princes de la nation, pour recueillir la gloire qu’ils ne peuvent manquer d’accorder à l’auteur de si grands prodiges. Comme tous les disciples de Jésus ne marchaient pas à sa suite, et qu’il en était un grand nombre dans la Judée, ils ajoutent : « Afin que vos disciples voient eux aussi les œuvres que vous faites. » — THEOPHYL. C’est-à-dire la multitude qui s’empresse autour de vous, car ils ne veulent point parler ici des douze, mais de ceux qui accompagnaient ordinairement le Sauveur.


S. AUG. (Traité 28.) Par les frères du Seigneur, vous ne devez entendre que les parents de Marie, et non aucun autre fils né de son sein ; car de même que ni avant ni après la mort du Sauveur aucun corps ne fut placé dans le sépulcre où avait été déposé son corps sacré, ainsi le sein virginal ne porta aucun autre enfant soit avant soit après la naissance de Jésus : Les œuvres du Seigneur n’étaient point cachées pour les disciples du Seigneur, mais elles demeuraient voilées pour ceux dont il est ici question. Aussi écoutez leur langage : « Afin que vos disciples eux aussi voient les œuvres que vous faites. » C’est le langage de la prudence de la chair au Verbe qui est fait chair ; ils ajoutent : « Car personne n’agit en secret, lorsqu’il désire être connu. » c’est-à-dire, vous opérez des prodiges, faites-les en présence des hommes pour recueillir leurs louanges. En lui parlant de la sorte, ils semblaient épouser les intérêts de sa gloire ; mais comme ils recherchaient une gloire tout humaine, ils ne croyaient pas en lui : « Car ses frères mêmes, dit l’Evangéliste, ne croyaient pas en lui. » Ils étaient unis à Jésus-Christ par les liens du sang, mais cette parenté fut pour eux un obstacle volontaire qui les empêcha de croire en lui.


S. Chrysostome : (hom. 48.) C’est une chose digne d’admiration de voir que les Evangélistes, dans leur amour pour la vérité, n’ont pas craint de raconter les faits qui paraissaient les plus défavorables à leur Maître, et se sont même attaché à en conserver le souvenir. En effet, l’incrédulité de ses frères ne paraissait pas fort honorable pour le Sauveur. Le langage qu’ils lui tiennent parait inspiré par l’amitié, mais il est empreint d’un profond sentiment d’aigreur, et ils l’accusent à la fois de timidité et d’amour de la vaine gloire : « Personne, disent-ils, n’agit en secret. » Voilà l’accusation de crainte et de timidité, et en même temps l’expression d’an doute sur la vérité de ses miracles. Ils ajoutent : « Lorsqu’il désire d’être connu, » voilà le reproche d’aimer la vaine gloire. Cependant Jésus leur répond avec douceur, et nous enseigne par sa conduite à ne point nous irriter des conseils qui peuvent nous être donnés par des hommes peu estimables. Mais Jésus leur dit : « Mon temps n’est pas encore venu, pour vous votre temps est toujours prêt. »


Bède : Ces paroles pourraient paraître contraires à ce que dit l’Apôtre : « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; » etc. (Ga 4) il faut donc les rapporter non pas au temps de la naissance du Sauveur, mais à celui où il devait être glorifié. — S. AUG. (Traité 28.) Ils lui donnent le conseil de rechercher la gloire, obéissant en cela à des inspirations mondaines et terrestres, et ne pouvant souffrir que le Sauveur restât dans l’obscurité et l’oubli. Mais Jésus veut au contraire frayer par l’humilité le chemin qui conduit à la gloire : « Il leur dit donc : Mon temps (c’est-à-dire le temps de ma gloire, où je viendrai juger le monde avec majesté), n’est pas encore venu, mais votre temps (c’est-à-dire le temps de la gloire du monde), est toujours prêt. » Puisque nous sommes le corps du Seigneur, lorsque les partisans du monde nous insultent, répondons-leur : « Votre temps est toujours prêt, notre temps n’est pas encore arrivé ; » notre patrie est sur les hauteurs, le chemin qui nous y conduit est humble : celui qui refuse de suivre le chemin, c’est en vain qu’il cherche la patrie.


S. Chrysostome : (hom. 48.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur fait allusion aux dispositions secrètes de ceux qui lui tenaient ce langage. Peut-être avaient-ils l’intention de le trahir et de le livrer aux Juifs ; il leur dit donc : « Mon temps n’est pas encore venu (c’est-à-dire le temps de ma croix et de ma mort) ; mais votre temps est toujours prêt, car vous êtes bien toujours au milieu des Juifs, » mais ils ne vous mettront point à mort, puisque vous partagez leurs sentiments. C’est pourquoi il ajoute : « Le monde ne saurait vous haïr, mais il me hait, parce que je rends de lui le témoignage que ses œuvres sont mauvaises. » C’est-à-dire, comment voulez-vous que le monde haïsse ceux qui n’ont point d’autres volontés que les siennes, et obéissent aux mêmes inclinations ? Pour moi, au contraire, il me hait, parce que je le reprends de ses vices. Je suis si loin de rechercher la gloire des hommes, que je me fais un devoir de leur adresser de sévères reproches, bien que je sache qu’ils en concevront une haine violente, et qu’ils chercheront à me faire mourir. Nous avons ici une preuve que la cause de la haine des Juifs contre le Sauveur, n’était point la transgression du sabbat, mais les reproches publics qu’il leur adressait.


THEOPHYL. On peut dire encore que le Seigneur fait ici deux réponses aux deux accusations dont il était l’objet, on l’accusait de se laisser dominer par la crainte, et il répond en disant qu’il censure publiquement les œuvres du monde, c’est-à-dire les œuvres des mondains, ce qui n’est point le fait d’un homme accessible à la crainte. Il répond au reproche de vaine gloire, en les envoyant eux-mêmes à la fête : « Pour vous, allez à cette fête. » S’il avait été l’esclave de la vaine gloire, il les eût retenus près de lui, car ceux qui sont dominés par cette passion aiment à se voir environnés d’un grand nombre de personnes. — S. Chrysostome : (hom. 48.) Il s’exprime de la sorte, pour leur montrer que son intention n’est pas de les flatter, et qu’il leur laisse accomplir les observances légales. — S. AUG. Ou bien : « vous allez à cette fête où vous cherchez la gloire humaine, où vous voulez augmenter les joies de la chair au lieu de penser aux joies éternelles. Pour moi, je n’y vais point, parce que mon temps n’est pas encore accompli. » — S. Chrysostome : (hom. 48.) C’est-à-dire, je n’y vais point avec vous, parce que mon temps n’est pas encore accompli, car ce n’était qu’à la fête de Pâque suivante qu’il devait être crucifié. — S. AUG. (Traité 28.) Ou bien encore, mon temps, c’est-à-dire le temps de ma gloire n’est pas encore venu, ce sera là mon véritable jour de fête, non pas une fête passagère et transitoire comme les fêtes d’ici-bas, mais une fête qui durera éternellement ; ce sera la fête et la joie sans fin, l’éternité sans travail, la sérénité sans nuages.


Versets. 9-13.


THEOPHYL. Le Seigneur ayant déclaré qu’il n’irait pas à la fête avec ses frères, refuse tout d’abord d’y aller pour ne point s’exposer à la colère des Juifs qui avaient juré sa perte : « Ayant dit ces choses, il demeura en Galilée. » Et il s’y rendit ensuite lui-même : « Et lorsque ses frères furent partis, il alla aussi lui-même à la fête. » — S. AUG. (hom. 28.) Il n’y est point conduit par un vain désir de gloire humaine, il n’a d’autre but que de leur donner de salutaires enseignements, et de leur rappeler la pensée de la fête éternelle. — S. Chrysostome : (hom. 48 et 49 sur S. Jean.) Ou bien, il se rend à cette fête, non pour souffrir, mais pour instruire. Il y vient secrètement, il aurait pu sans doute s’y rendre publiquement, et maîtriser les efforts désordonnés de leur colère, comme il le fit souvent dans d’autres circonstances, mais il ne voulait pas faire un usage continuel de sa puissance, pour ne pas dévoiler sa divinité d’une manière trop éclatante, pour rendre plus certain le mystère de son incarnation, et nous enseigner la pratique de la vertu. C’est donc pour nous apprendre ce que nous devons faire, à nous, qui ne pouvons arrêter les efforts de nos persécuteurs, qu’il se rend secrètement à cette fête. L’Evangéliste ne dit pas : En secret, mais : « Comme en secret, » pour nous montrer qu’il agissait ici par un dessein tout particulier de sa Providence. En effet, s’il avait toujours agi comme Dieu, comment pourrions-nous savoir ce que nous devons faire, lorsque nous sommes aux prises avec les dangers ? — S. AUG. (Traité 28.) Ou bien encore, il monte secrètement, parce qu’il ne cherche pas la faveur des hommes, et ne prend point plaisir à se voir entouré du glorieux cortège de la multitude qui aurait marché à sa suite. Bède : Dans le sens mystique, nous voyons ici que pendant que des hommes charnels cherchent avec empressement la gloire humaine, le Seigneur reste dans la Galilée, dont le nom signifie transmigration, c’est-à-dire qu’il demeure dans ses membres qui passent des vices aux vertus, et font de grands progrès dans la perfection. Le Seigneur se rend lui-même à Jérusalem, parce que les membres du Christ cherchent non pas la gloire de cette vie ; mais celle de la vie éternelle. Mais il s’y rend en secret, parce que toute sa gloire vient de l’intérieur (Ps 44), c’est-à-dire, d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère. (1 Tm 1, 5) — S. AUG. (Traité 28.) On peut dire encore qu’en se rendant comme en secret à cette fête, Jésus a voulu nous donner une leçon mystérieuse. Toutes les lois et les prescriptions imposées au peuple ancien, et par conséquent la fête des Tabernacles, étaient la figure des choses futures ; or, tout ce qui était pour eux figure, est devenu pour nous une réalité. Jésus se rend donc à cette fête comme en secret, pour figurer qu’il demeurait comme voilé. Au jour même de la fête, le Sauveur demeura caché, parce que ce jour de fête figurait l’exil des membres de Jésus-Christ. N’est-ce pas, en effet, habiter comme dans des tentes, que de regarder cette vie comme un pèlerinage et un exil ? Or, la Scénopégie était la fête des Tabernacles ou des tentes.


« Les Juifs donc le cherchaient pendant la fête, et disaient : Où est-il ? » — S. Chrysostome : (hom. 49.) La haine et l’aversion qu’ils ont pour lui les empêchent même de prononcer sou nom. « Où est-il ? » Quel grand respect pour la fête, quel esprit de religion ! ils veulent profiter de cette solennité pour se saisir frauduleusement du Sauveur.


« Et il y avait une grande rumeur dans le peuple à son sujet. » — S. AUG. (Traité 28.) Cette rumeur était produite par la diversité des opinions que l’Evangéliste nous fait connaître : « Les uns disaient, c’est un homme de bien ; non, disaient les autres, il séduit la foule. » Ainsi qu’un homme se distingue par quelque mérite extraordinaire, tel est le jugement qu’on portera de lui ; les uns diront : C’est un homme de bien ; les autres : Il séduit le peuple. Mais quelle consolation pour un chrétien, de penser que ce qu’on dit de lui on l’a dit auparavant de Jésus-Christ ! En effet, s’ils donnent au mot séduire le sens de tromper, il est évident que Jésus-Christ n’est pas un séducteur ; mais si séduire, c’est simplement amener quelqu’un par la persuasion à son sentiment, il faut pour apprécier cette action, examiner d’où l’on part et où l’on arrive. Celui qui entraîne du bien au mal est un mauvais séducteur ; celui qui ramène du mal au bien est un bon séducteur, et plût à Dieu qu’on nous appelle et que nous soyons en effet des séducteurs de cette sorte. — S. Chrysostome : (hom. 49.) A mon avis, c’était le peuple qui le proclamait un homme de bien, tandis que l’opinion défavorable était celle des chefs du peuple et des prêtres, comme le prouve d’ailleurs leur manière de s’exprimer, car ils ne disent pas : Il nous séduit, mais : « Il séduit la foule. »


« Cependant personne ne parlait ouvertement en sa faveur par crainte des Juifs. » C’était surtout ceux qui disaient : « C’est un homme de bien, » plutôt que ceux qui le traitaient de séducteur ; ces derniers s’exprimaient plus ouvertement, tandis que les autres ne disaient qu’à voix basse : « C’est un homme de bien. » — S. Chrysostome : (hom. 49.) Voyez la corruption des chefs de la nation, et la timidité du peuple qui leur est soumis ; il a des idées plus droites, et il n’ose les manifester, ce qui est un des caractères de la multitude.


Versets. 14-19.


S. Chrysostome : (hom. 49.) Nôtre-Seigneur, en ne se rendant pas à la fête dans les premiers jours, mais vers le milieu de la fête, comme l’Evangéliste le remarque, voulait par ce retard rendre les Juifs plus attentifs à sa doctrine. En effet, ceux qui l’avaient cherché dans les premiers jours, en le voyant tout à coup sous leurs yeux, quelles que fussent d’ailleurs leurs dispositions, qu’ils le considérassent comme un homme de bien ou comme un séducteur, étaient naturellement portés à donner une plus grande attention à ses enseignements, les uns pour admirer sa doctrine, et en profiter, les autres pour le surprendre et se saisir de sa personne. — THEOPHYL. Dans les premiers jours de la fête, l’attention était presque tout entière à la solennité elle-même ; mais dans les jours suivants, les esprits étaient plus disposés à écouter attentivement le Sauveur. — S. AUG. (Traité 28.) Cette fête, comme le récit le donne à entendre, se célébrait durant plusieurs jours ; voilà pourquoi l’Evangéliste dit : « Vers le milieu de la fête, » c’est-à-dire, lorsqu’il restait encore autant de jours qu’il s’en était écoulé. Nôtre-Seigneur agit de la sorte pour tenir la parole qu’il a donnée : « Je ne vais point à ce jour de fête que vous m’indiquez, » c’est-à-dire le premier ou le second, mais il se rend à Jérusalem vers le milieu de la fête. — S. AUG. (Quest. sur le Nouv. et l’Anc. Test., quest. 78.) Jésus se rendit alors à Jérusalem, moins pour la solennité que pour manifester sa divine lumière. Ses parents s’y rendirent pour y jouir des plaisirs de cette fête, mais le vrai jour de fête pour Jésus-Christ, fut celui où il racheta le monde par sa passion.


S. AUG. (Traité 29) Voilà celui qui avait voulu d’abord se couvrir des voiles de l’obscurité qui enseigne, et parle en public, et personne ne s’empare de lui, car s’il a voulu rester caché, c’est pour notre instruction, et s’il se manifeste, c’est pour donner des preuves de sa puissance. — S. Chrysostome : (hom. 49.) Quel était le sujet de son enseignement ? L’Evangéliste n’en dit rien, il rapporte seulement qu’il instruisait d’une manière admirable, car son enseignement-avait un tel caractère d’autorité, que ceux mêmes qui l’accusaient de séduire le peuple étaient complètement changés et dans un profond étonnement : « Et les Juifs étonnés disaient : Comment sait-il les Ecritures, puisqu’il ne les a pas apprises ? » Voyez comme leur étonnement est plein de malice ; l’Evangéliste ne nous dit pas en effet que ce fut sa doctrine qui excitât leur étonnement, c’était une autre cause, le désir de savoir comment il pouvait avoir tant de science. — S. AUG. (Traité 28.) Tous sans doute partageaient cet étonnement, mais tous ne se convertissaient pas. Et d’où venait donc cet étonnement ? C’est qu’un grand nombre d’entre eux connaissaient le lieu de sa naissance et le genre de son éducation. Ils ne l’avaient jamais vu apprendre les lettres, et ils l’entendaient cependant discuter la loi, citer les textes de la loi, ce qu’on ne peut faire sans avoir lu la loi, que personne ne peut lire avant d’avoir fait des études littéraires, et c’est ce qui causait leur étonnement.


S. Chrysostome : (hom. 49.) Cette incertitude et ce doute devaient leur faire conclure que la science du Sauveur n’était pas d’origine humaine, mais qu’elle était divine. Ils ne vont pas au delà de l’étonnement, parce qu’ils ne veulent pas tirer cette conclusion. Nôtre-Seigneur va donc s’en charger : « Jésus lui répondit : Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. » — S. AUG. (Traité 29) Il semble y avoir une contradiction dans ces paroles : « Ma doctrine n’est pas la mienne, mais la doctrine de celui qui m’a envoyé. » S’il avait dit : Cette doctrine n’est pas la mienne, il n’y aurait eu aucune difficulté. Quelle est donc la doctrine du Père, si ce n’est le Verbe du Père ? Jésus-Christ est donc la doctrine du Père, s’il est le Verbe du Père. Mais comme le Verbe ou la parole doivent nécessairement avoir un auteur, Nôtre-Seigneur s’identifie avec sa doctrine, et déclare cependant qu’elle n’est pas de lui, parce qu’il est le Verbe du Père. Qu’y a-t-il de plus à vous que vous-même ? Et qu’y a-t-il de moins à vous que vous-même, si vous tenez d’un antre tout ce que vous avez ? En un mot, voici ce que le Sauveur a voulu dire : « Ma doctrine n’est pas de moi. » Ce qui revient à cette proposition : Je ne viens pas de moi-même. » Ces paroles renversent l’hérésie des Sabelliens, qui ont osé avancer que le Fils était le même que le Père, et qu’il y avait deux noms pour exprimer une seule chose. — S. Chrysostome : (hom. 49.) Ou bien encore, il dit : « Ma doctrine, » parce qu’il l’avait enseignée, et il déclare qu’elle n’est pas de lui, parce que c’était la doctrine du Père. Mais si tout ce qui appartient au Père lui appartient également, dès lors que cette doctrine est la doctrine du Père, elle devrait être la sienne ? Sans doute, mais en disant : « Elle n’est pas la mienne. » Il affirme énergiquement que son Père et lui n’ont qu’une seule et même doctrine ; comme s’il disait : Il n’y a aucune différence entre la doctrine de mon Père et la mienne ; et dans mes paroles comme dans mes actions, je fais en sorte qu’on ne remarque rien qui soit contraire, soit aux paroles, soit à la manière d’agir de mon Père. — S. AUG. (De la Trin., 1, 12.) Ou bien encore, il dit qu’elle est sa doctrine dans un sens, et qu’elle ne l’est pas dans un autre sens ; si on le considère comme Dieu, c’est sa doctrine ; si on le considère comme homme, elle n’est plus sa doctrine, mais celle de son Père. — S. AUG. (Traité 29.) Si l’intelligence dé ces paroles laisse encore à désirera quelques-uns, qu’ils écoutent le conseil que leur donne le Sauveur : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu. » Mais, que signifient ces paroles : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu ? » C’est-à-dire, s’il veut croire en Jésus-Christ, car il a dit lui-même précédemment : « L’œuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé ; » or, qui ne sait qu’accomplir la volonté de Dieu, c’est faire son œuvre ? De même encore, connaître c’est comprendre. Ne cherchez donc pas à comprendre pour arriver à la foi, mais commencez par croire pour arriver à l’intelligence, car si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. (Is 5, 9, selon la vers. des Sept.) — S. Chrysostome : (hom. 49.) Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles : Bannissez de vos cœurs la colère, l’envie, la haine que vous nourrissez injustement contre moi, et rien alors ne vous empêchera de connaître que mes paroles sont-les paroles mêmes de Dieu. Il apporte ensuite une autre preuve non moins forte qu’il puise pour notre instruction dans la conduite ordinaire des hommes : « Celui qui parle de soi-même cherche sa propre gloire, » c’est-à-dire, celui qui veut établir une doctrine qui lui est personnelle, n’a point d’autre but que d’acquérir de la gloire. Si donc je cherche la gloire de celui qui m’a envoyé, pour quelle raison voudrais-je vous enseigner une doctrine étrangère ? c’est le sens des paroles qui suivent : « Mais qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé est digne de foi, et il n’y a point en lui d’imposture. » — THEOPHYL. C’est-à-dire, je suis digne de foi, parce que ma doctrine est l’expression de la vérité, il n’y a point en moi d’imposture, parce que je ne cherche pas à usurper la gloire d’autrui. — S. AUG. (Traité 29.) Celui qui cherche sa propre gloire est un Antéchrist. Nôtre-Seigneur nous a donné un grand exemple d’humilité, lorsque s’étant rendu semblable à nous par ce qui a paru de lui au dehors, il a cherché non point sa gloire, mais celle de son Père ; pour vous, au contraire, faites-vous quelque bonne action, vous n’y cherchez que votre gloire ; faites-vous le mal, vous le rejetez injustement sur Dieu. — S. Chrysostome : (hom. 49.) Remarquez donc qu’une des causes de ce langage si humble dans la bouche du Sauveur, c’est de bien persuader les Juifs qu’il ne désire ni la gloire, ni la puissance ; c’est aussi de s’accommoder à la faiblesse de ses auditeurs, et enfin d’enseigner aux hommes la fuite de l’orgueil et la pratique de l’humilité dans les pensées comme dans les paroles.


Versets. 20-24.


S. Chrysostome : (hom. 49 sur S. Jean.) Les Juifs formulaient deux accusations contre Jésus-Christ, l’une qu’il violait le sabbat, l’autre qu’il appelait Dieu son Père, et se faisait ainsi l’égal de Dieu. Il confirme cette dernière proposition en montrant qu’il n’est nullement opposé à Dieu, et qu’il enseigne la même doctrine. Quant à la violation du sabbat, voici comment il y répond : « Est-ce que Moïse ne vous a pas donné la loi ? et personne de vous n’accomplit la loi, » paroles dont voici le sens : La loi dit : Vous ne tuerez pas, et cependant vous vous rendez coupables de meurtre, comme il le leur reproche ouvertement : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? » c’est-à-dire, supposons que j’aie violé la loi en guérissant cet homme, au moins cette transgression a-t-elle eu pour objet de le sauver ; vous, au contraire, vous violez le sabbat pour commettre le mal ; je vous récuse donc pour juges dans cette question. Il leur oppose donc deux moyens de défense, et en leur reprochant de chercher à le mettre à mort, et en leur prouvant que le meurtre qu’ils méditent, les rend indignes de se constituer les juges d’un autre. — S. AUG. (Traité 30.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur leur parle de la sorte, parce que s’ils observaient la loi, ils auraient trouvé et reconnu Jésus-Christ dans les Ecritures, et ne chercheraient point à le mettre à mort, alors qu’il est au milieu d’eux. La réponse que fait la foule au Sauveur, lui est inspirée non par le désir de la paix, mais par un esprit de désordre : « Le peuple lui répondit : Vous êtes possédé du démon, qui cherche à vous mettre à mort ? » Ils accusent d’être possédé du démon celui qui chassait les démons. Mais le Seigneur, sans se troubler, et avec ce calme que donne la vérité, ne leur rend pas injure pour injure, et leur fait une réponse pleine de modération. — Bède : Il nous donne ici un exemple de la patience avec laquelle nous devons supporter les fausses accusations dont nous sommes victimes, sans faire connaître la vérité qui peut nous justifier, et en nous contentant de donner de salutaires avis : « Jésus répliqua et leur dit : J’ai fait une seule œuvre (le jour du sabbat), et vous en êtes tous surpris. » — S. AUG. (Traité 29.) C’est-à-dire, que serait-ce s’il vous était donné de voir toutes mes œuvres ? Ses œuvres, c’était tout ce qu’ils voyaient dans le monde, mais ils ne voyaient pas celui qui a fait toutes choses. Il a fait une seule œuvre sous leurs yeux, il a guéri un homme le jour du sabbat, et ils en sont tous surpris, comme si tout malade, guéri le jour du sabbat, pouvait l’être par un autre que celui dont ils se sont scandalisés, parce qu’il avait rendu la santé à un homme le jour du sabbat. — S. Chrysostome : (hom. 49.) « Vous êtes surpris, étonnés, » c’est-à-dire, vous êtes en proie au trouble, à l’agitation. Voyez avec quelle prudence il raisonne contre eux en s’appuyant sur la loi même. Il veut leur prouver qu’en guérissant cet homme, il n’a point transgressé la loi, car il est beaucoup d’autres points plus importants que le précepte du sabbat, et dont l’observation accomplit la loi, loin de la violer. Il ajoute donc : « Cependant Moïse vous a donné la circoncision (bien qu’elle soit non de Moïse, mais des patriarches), et vous la pratiquez le jour du sabbat. » — S. AUG. (Traité 29.) Comme s’il leur disait : Vous avez bien fait en recevant la circoncision, non point parce qu’elle vient de Moïse, mais des patriarches. Ce fut, en effet, Abraham qui, le premier, reçut du Seigneur le précepte de la circoncision : « Et vous pratiquez la circoncision le jour même du sabbat. » Vous êtes convaincus par Moïse lui-même, la loi vous fait un devoir de circoncire les enfante le huitième jour, elle vous oblige également à vous abstenir d’œuvre servile le septième jour. Si le huitième jour qui suit la naissance d’un enfant, tombe justement le septième jour de la semaine, vous ne laissez pas de le circoncire, parce que la circoncision est un moyen de salut, et qu’il n’est pas défendu aux hommes de travailler à leur salut le jour du sabbat. — ALCUIN. La circoncision a été établie pour trois raisons, la première pour être un signe de la grande foi d’Abraham ; la seconde pour être un signe distinctif entre les Juifs et les autres nations ; la troisième, afin que la circoncision qui était faite sur l’organe de la virilité, rappelât l’obligation d’observer la chasteté du corps et de l’âme. La circoncision conférait alors la même grâce que le baptême confère aujourd’hui, avec cette différence que la porte du ciel n’était pas encore ouverte. Nôtre-Seigneur tire donc la conclusion des propositions qui précèdent : « Or, si un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat, pour ne pas violer la loi de Moïse, comment vous indignez-vous contre moi, parce que le jour du sabbat, j’ai rendu un homme sain dans tout son corps ? » — S. Chrysostome : C’est-à-dire, violer la loi du sabbat pour donner la circoncision, c’est observer la loi ; c’est ainsi que j’ai moi-même observé la loi en guérissant un homme le jour du sabbat ; et vous qui n’êtes point des législateurs, vous défendez la loi outre mesure. Moïse, au contraire, ordonne de transgresser la loi pour observer un précepte qui ne vient pas de la loi, mais qui a été donné aux patriarches. En disant : « J’ai rendu un homme sain tout entier, » il montre que la circoncision ne rendait l’homme sain qu’en partie.


S. AUG. (Traité 30.) Peut-être encore cette circoncision était la figure du Seigneur, car qu’est-ce que la circoncision, sinon le dépouillement de la chair ? Elle signifiait donc que le cœur était dépouillé de toutes les convoitises charnelles. Et ce n’est pas sans raison que la circoncision était opérée sur le membre qui sert à la génération, « car c’est par un seul homme que le péché est entré dans le monde. » (Rm 5) Tout homme naît avec le prépuce de sa chair, parce qu’il naît avec le vice qu’il tire de son origine, et c’est par Jésus-Christ seul, que Dieu le purifie, soit de ce vice originel, soit de ceux qu’il ajoute volontairement par une vie criminelle. La circoncision s’opérait avec des couteaux de pierre, et la pierre est la figure de Jésus-Christ. La circoncision avait lien le huitième jour, parce que c’est après le septième jour de la semaine que Nôtre-Seigneur est ressuscité le dimanche. C’est cette même résurrection qui nous circoncit, c’est-à-dire qui nous dépouille de tous les désirs charnels. Comprenez donc que cette circoncision était la figure de cette bonne œuvre, par laquelle j’ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat, je l’ai guéri pour rendre la santé à son corps, et sa foi lui a procuré la santé de l’âme. La loi vous interdit les œuvres serviles le jour du sabbat. Est-ce donc une œuvre servile que de guérir un homme le jour du sabbat ? Vous mangez et vous buvez le jour du sabbat, parce que le soin de votre santé l’exige, et vous prouvez ainsi que ce qui est nécessaire à la conservation de la santé n’est nullement défendu le jour du sabbat.


S. Chrysostome : (hom. 49.) Nôtre-Seigneur ne dit pas : J’ai fait une œuvre plus grande que la circoncision, il se contente d’exposer le fait, et leur en laisse l’appréciation : « Ne jugez pas selon l’apparence, mais jugez selon la justice. » C’est-à-dire, vous avez pour Moïse une plus grande estime que pour moi, mais ce n’est point sur l’importance des personnes que vous devez appuyer votre jugement, c’est sur la nature même des choses ; car c’est là juger selon la justice. Or, personne n’a accusé Moïse d’avoir ordonné que le précepte d’observer le jour du sabbat, le céderait au précepte de la circoncision qui avait été établi en dehors de la loi. Moïse doit donc être plus digne de foi à vos yeux, lui qui vous commande de violer la loi pour observer un commandement établi antérieurement à la loi.


S. AUG. (Traité 30.) La recommandation que fait ici Nôtre-Seigneur, de ne point juger d’après les personnes, est très-difficile à observer en ce monde. Cet avertissement qu’il donne aux Juifs, il nous le donne à nous-mêmes. C’est pour nous que toute parole importante, tombée des lèvres du Sauveur, a été écrite, qu’elle est conservée, et qu’elle est répétée. Le Seigneur est dans les cieux, mais il continue d’être la vérité sur la terre : le corps qu’il a ressuscité peut n’être que dans un seul lien, mais sa vérité est répandue par toute la terre. Quel est donc celui qui ne juge point sur l’apparence et d’après les personnes ? Celui qui a pour tous les hommes une même charité. Ce n’est pas que nous ayons à craindre de faire acception de personnes, lorsque nous rendons aux hommes les honneurs qui sont dus à leur position. Ainsi, par exemple, un père est en litige avec son fils, nous ne rendons pas au fils un honneur égal à celui du père, nous lui faisons simplement justice, si sa cause est bonne. Egalons le père au fils dans la vérité, et de cette manière nous rendrons à chacun l’honneur qui lui est dû, sans sacrifier les droits de la justice et de l’équité.


Versets. 25-30.


S. AUG. (Traité 31 sur S. Jean.) L’Evangéliste nous a dit précédemment que Nôtre-Seigneur se rendit à cette fête comme en secret, non pas dans la crainte qu’on se saisit de sa personne, lui qui, par sa puissance, était à l’abri de toute violence, mais pour figurer qu’il était comme caché dans ce jour de fête célébré par les Juifs, et qu’elle renfermait son mystère. Il fait maintenant éclater son pouvoir qu’on regardait comme de la timidité, et il parle publiquement au milieu de la fête, de manière que le peuple en est tout étonné : « Alors quelques-uns de Jérusalem commencèrent à dire, » etc. Ils connaissaient avec quelle méchanceté on cherchait à s’emparer de lui, et ils s’étonnaient de la puissance qui le dérobait à la violence de ses ennemis. — S CHRYS. (hom. 50.) L’Evangéliste dit : « Quelques-uns de Jérusalem, » parce qu’en effet, c’étaient ceux sous les yeux desquels il avait opéré ses plus grands miracles, qui se conduisaient de la manière la plus misérable, et qui, témoins d’une des plus grandes preuves de sa divinité, laissaient toute liberté aux chefs corrompus de leur nation, pour l’accomplissement de leurs projets. Quelle plus grande preuve, en effet, de la puissance divine du Sauveur, que de voir ces hommes ivres de fureur, et qui cherchaient à le mettre à mort, s’arrêter tout à coup et laisser tomber leur colère, alors qu’il était en leur pouvoir ?


S. AUG. (Traité 31.) Le peuple qui ne comprenait point parfaitement encore la puissance du Sauveur, attribua cette modération des chefs de la nation à la connaissance qu’ils avaient que Jésus était le Christ : « Les princes du peuple, dirent-ils, auraient-ils reconnu qu’il est vraiment le Christ ? » — S. Chrysostome : (hom. 50.) Cependant loin de partager ce sentiment qu’ils prêtent aux princes du peuple, ils émettent leur opinion personnelle aussi fausse qu’insensée : « Celui-ci, cependant, nous savons d’où il est, mais quand le Christ viendra, personne ne saura d’où il est. » — S. AUG. (Traité 30.) Cette opinion ne s’était point produite sans fondement parmi les Juifs. Les Ecritures ont prédit que le Christ serait appelé Nazaréen ; (Mt 2) elles ont donc annoncé le lieu d’où il viendrait. Les Juifs, interrogés par Hérode, lui ont répondu qu’il devait naître à Bethléem, ville de Juda, et ont cité à l’appui un témoignage prophétique. D’où pouvait donc venir cette opinion parmi les Juifs, que lorsque le Christ viendrait, personne ne saurait d’où il viendrait ? C’est que les Ecritures avaient exprimé ces deux vérités, elles avaient prédit d’où il viendrait comme homme, mais en tant que Dieu, son avènement restait caché aux impies, et ne se dévoilait qu’aux âmes pieuses. Ce qui avait donné lieu à cette opinion parmi les Juifs, c’était cette prophétie d’Isaïe : « Qui racontera sa génération ? » (Is 8) Nôtre-Seigneur répond en affirmant les deux choses, et qu’ils savaient d’où il était, et qu’ils ne le savaient pas : « Jésus enseignait donc à haute voix dans le temple, disant : Et vous savez qui je suis, et vous savez d’où je suis ; » c’est-à-dire, vous savez d’où je suis, et vous ne le savez pas. Vous savez d’où je suis, Jésus de Nazareth dont vous connaissez les parents, car la seule chose qu’ils ignoraient ici, c’est l’enfantement virginal de sa mère, et sauf cette circonstance, ils connaissaient en Jésus tout ce qui avait rapport à son humanité. C’est donc avec raison qu’il leur dit : « Et vous savez qui je suis, et vous savez d’où je suis, » selon la chair, et cette forme humaine dont je suis revêtu, mais comme Dieu : « Je ne suis pas venu de moi-même, mais celui qui m’a envoyé est véritable. » — S. Chrysostome : (hom. 50.) C’est ainsi qu’il révèle les secrètes pensées de leur cœur : Je ne suis pas, semble-t-il leur dire, du nombre de ceux qui sont venus sans mission comme sans raison, celui qui m’a envoyé est véridique, et s’il est véridique, il m’a envoyé dans la vérité, et par conséquent celui qu’il a envoyé doit être également digne de foi. Il les convainc ensuite par leurs propres paroles. Ils disaient : « Lorsque le Christ sera venu, personne ne saura d’où il vient, » et il leur prouve qu’il est véritablement le Christ, parce qu’il vient du Père qu’ils ne connaissaient pas, comme il le leur reproche : « Et vous ne le connaissez pas. »


S. HIL. (de la Trin., 6) Est-ce que tout homme, bien qu’il ait reçu de Dieu une naissance qu’on peut appeler charnelle, ne vient pas de Dieu, selon l’opinion commune ? Comment donc le Sauveur peut-il nier que les Juifs sachent ce qu’il est, ou bien d’où il vient, s’il n’a ici dans l’esprit l’auteur même de sa nature ? Il fait voir la nature d’où il provient, en affirmant qu’ils ignorent d’où il vient. On ne peut ignorer, en effet, d’où vient ce qui est tiré du néant, car par là même qu’où sait que cette chose a été tirée du néant, on n’ignore pas le principe de son existence. Mais pour le Sauveur, ils ignorent ce qu’il est, parce qu’ils ignorent d’où il vient. Ce n’est point reconnaître le Fils, que de nier sa naissance éternelle, et on ne reconnaît point sa naissance quand on croit qu’il a été tiré du néant.

S. CHRYS (hom. 50) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur veut parler ici de l’ignorance qui se traduit par les œuvres, et dont saint Paul a dit : « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs œuvres. (Tt 1, 16.) Remarquez que le Sauveur les confond de deux manières : premièrement, il révèle an grand jour ce qu’ils n’osaient dire qu’en secret, et en second lieu il les enseigne et les confond à haute voix pour les couvrir de honte.


S. AUG. (Traité 31) Enfin, il leur indique le moyen qu’ils doivent prendre pour savoir ce qu’il est et d’où il vient : « Moi je le connais, dit-il (celui qui m’a envoyé), c’est donc à moi qu’il faut vous adresser pour le connaître vous-mêmes ; » car personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. (Mt 11) Et si je dis que je ne le connais point, je serai semblable à vous, c’est-à-dire un menteur. — S. Chrysostome : (hom. 50.) Or, cela est impossible, celui qui m’a envoyé est véridique, il est donc nécessaire que son envoyé soit également véridique et digne de foi ; partout il s’attribue exclusivement la connaissance du Père, parce qu’il vient du Père. C’est pour cela qu’il ajoute : « Moi je le connais, parce que je suis de lui. » — S. HIL. (de la Trin., 6) Je me demande si ce qui vient du Père, dans le sens du Sauveur, a le caractère de création ou de génération. Si c’est une création, toutes les choses créées viennent de Dieu, et comment se fait-il que toutes ces choses ne connaissent point le Père, alors que le Fils affirme qu’il le connaît, par cela seul qu’il vient de lui ? Si, au contraire, la connaissance du Père est le privilège spécial et réservé de ce qui vient de lui, comment ce qui vient de lui pourrait-il n’être pas le vrai Fils de Dieu ayant avec lui une même nature ? Le privilège de la connaissance vient donc ici du privilège de la génération, mais de peur que l’hérésie n’interprète ces paroles : « Parce que je suis de lui, » de son avènement temporel, il ajoute : « Et il m’a envoyé. » Il conserve ainsi l’ordre des mystères que nous révèle l’Evangile, il proclame à la fois sa naissance et sa mission. — S. AUG. (Traité 31.) Je suis de lui, parce que je suis le Fils qui vient du Père, mais en tant que vous me voyez revêtu d’un corps mortel, c’est lui qui m’a envoyé, paroles où il faut voir non la diversité de nature, mais l’autorité de celui qui a engendré.


S. Chrysostome : (hom. 50.) Les Juifs furent irrités de ce que le Sauveur leur reprochait de ne point connaître le Père, alors qu’ils faisaient semblant d’avoir cette connaissance : « Ils cherchaient donc à le prendre, » etc. Voyez comme leur fureur se trouve invisiblement enchaînée. Cependant l’Evangéliste, pour parler un langage plus rapproché de nos idées et plus conforme à l’humilité du Sauveur, et confirmer la foi à son incarnation, ne dit pas qu’il les retint par une puissance invisible, mais a parce que, dit-il, son heure n’était pas encore venue. » — S. AUG. (Traité 30.) C’est-à-dire, parce qu’il ne le voulait pas, car le Seigneur n’a pas été soumis au destin à sa naissance ; vous-même n’y avez pas été soumis, combien moins celui par lequel vous avez été fait ? Si votre heure n’est autre que sa volonté, que sera son heure si ce n’est cette même volonté ? L’heure dont il est ici question n’est donc pas celle où il serait forcé de mourir, mais où il daignerait se soumettre à la mort.


Versets. 31-36.

S. AUG. (Traité 31 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur sauvait de préférence les pauvres et les humbles : « Beaucoup d’entre le peuple crurent en lui, » etc. Le peuple, en effet, reconnut- aussitôt ses infirmités, et embrassa sans retard les moyens de guérison qui lui étaient offerts. — S. Chrysostome : (hom. 50.) Cependant sa foi n’était pas encore pure, et son langage était bien le langage vulgaire de la multitude : « Et ils disaient : Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que celui-ci ? » Ce langage, en effet : « Lorsque le Christ viendra, » n’indiquait pas qu’ils croyaient bien fermement que Jésus fut le Christ ; ou bien si l’on veut, c’était dans leur esprit une espèce de preuve qu’il le fût, comme s’ils disaient : Lorsque le Christ viendra, sera-t-il supérieur à celui-ci, et fera-t-il un plus grand nombre de miracles ? Le peuple, en effet, se laissé bien plus facilement gagner par l’éclat des miracles que par l’excellence de la doctrine. — S. AUG. (Traité 3l.) Ou bien ils veulent dire : S’il ne peut y avoir deux christs, celui-ci doit nécessairement l’être. Mais les princes du peuple, loin de partager ce sentiment, se livraient aux transports d’une fureur insensée. Non-seulement ils refusaient de reconnaître le médecin, mais ils voulaient le mettre à mort : « Les pharisiens entendirent que le peuple murmurait ainsi à son sujet, et ils envoyèrent des gardes pour le prendre. » — S. Chrysostome : (hom. 50.) Bien des fois précédemment, il leur avait annoncé sa doctrine, et jamais ils ne s’étaient portés à cette extrémité. Ce qui les blessait au vif, c’est que le peuple glorifiait Jésus comme le Christ ; la violation du sabbat n’était que le prétexte qu’ils mettaient en avant. Ils n’osent cependant eux-mêmes s’emparer de sa personne, dans la crainte du danger qu’ils pourraient courir, et ils délèguent ce soin à leurs gardes, comme étant habitués à braver les dangers.


S. AUG. (Traité 31) Comme ils ne pouvaient se saisir du Sauveur contre sa volonté, leur mission n’eut d’autre effet que de les rendre témoins de ses enseignements : « Jésus donc leur dit : Je suis encore avec vous un peu de temps. » — S. Chrysostome : (hom. 50.) Ces paroles respirent une profonde humilité, ne semble-t-il pas leur dire : Pourquoi vous empresser de me mettre à mort ? attendez un peu de temps. — S. AUG. (Traité 31.) Ce que vous voulez faire actuellement vous le ferez, mais pas aujourd’hui, parce que je ne le veux pas, il me faut auparavant remplir l’objet de ma mission, et parvenir ainsi au temps de ma passion. — S. Chrysostome : (hom. 50.) Il calmait ainsi la fureur des plus audacieux, et excitait vivement l’attention de la partie du peuple plus zélée pour l’entendre, eu lui annonçant qu’il lui restait peu de temps pour profiter de ses enseignements. Remarquez qu’il ne dit pas : Je suis, mais : « Je suis avec vous, » c’est-à-dire, bien que vous me persécutiez, je ne cesserai de m’occuper de vos intérêts et de vous prodiguer les enseignements qui peuvent vous conduire au salut. Ces paroles qu’il ajoute : « Je m’en vais à celui qui m’a envoyé, » suffisaient pour les remplir d’effroi. — THEOPHYL. Il s’en allait à son Père, comme pour les accuser ; car en couvrant d’outrages l’envoyé, nul doute qu’ils n’aient également outragé celui qui l’a envoyé. — Bède : « Je m’en vais à celui qui m’a envoyé, » c’est-à-dire, je remonte vers mon Père qui m’a commandé de m’incarner pour votre salut ; il dit qu’il s’en va vers celui dont il ne s’est jamais séparé.


S. Chrysostome : (hom. 50.) Il leur fait connaître ensuite le besoin qu’ils auraient de lui, en ajoutant : « Vous me chercherez et vous ne me trouverez point. » Mais où donc les Juifs l’ont-ils cherché ? Saint Luc (Lc 23) nous rapporte que les femmes le suivaient eu pleurant et en se lamentant. Il est vraisemblable qu’un grand nombre d’autres furent tourmentés du même désir, et qu’au moment surtout du siège et de la prise de Jérusalem, ils se souvinrent de Jésus-Christ, de ses miracles, et qu’ils recherchèrent sa présence. — S. AUG. (Traité 31.) Ou bien encore, le Sauveur prédit ici sa résurrection, parce que les Juifs devaient le chercher alors dans les sentiments de la plus vive componction. Ils refusèrent de le reconnaître, alors qu’il était au milieu d’eux, et ils le cherchèrent lorsqu’ils virent que la multitude croyait en lui, et un grand nombre, pénétrés de repentir, s’écrièrent : « Que ferons-nous ? » Ils virent le Christ expirer, victime de leur haine impie et criminelle, et ils crurent au Christ qui leur accordait le pardon de leurs crimes ; ils ne désespérèrent de leur salut que jusqu’au moment où ils consentirent à boire le sang qu’ils avaient répandu.


S. Chrysostome : (hom. 50.) Le Sauveur ne veut pas laisser croire qu’il sortira de ce monde par la mort, suivant les règles ordinaires, et il ajoute : « Et où je suis, vous ne pouvez venir. » S’il demeurait au sein de la mort, ils pourraient aller le rejoindre, car c’est vers ce terme que nous nous dirigeons tous. — S. AUG. (Traité 31.) Il ne dit pas : Où je serai, mais : « Où je suis, » car le Christ n’a jamais quitté le lieu où il retournait, et il y est retourné sans nous abandonner ; Jésus eu tant que revêtu d’une chair visible était sur la terre ; mais par son invisible majesté, il était à la fois dans le ciel et sur la terre. Il ne dit pas non plus : Vous ne pourrez pas, mais : « Vous ne pouvez pas venir, » car l’état où ils se trouvaient ne leur permettait pas de le suivre alors ; mais pour vous bien convaincre qu’il m voulait point par ces paroles, les jeter dans le désespoir, nous lui voyons tenir à peu près le même langage à ses disciples : « Vous ne pouvez venir là où je vais, » et il en explique le sens à Pierre, lorsqu’il lui dit : « Vous ne pouvez maintenant me suivre où je vais, mais vous me suivrez un jour. » (Jn 13, 36.)


S. Chrysostome : (hom. 50.) En s’exprimant de la sorte, Jésus veut les attirer à lui, le peu de temps qu’il devait passer avec eux, le désir qu’ils devaient éprouver de le revoir après qu’il les aurait quittés, l’impossibilité pour eux de le retrouver, étaient des raisons bien suffisantes pour leur persuader de venir à lui. En leur disant d’ailleurs : « Je vais à celui qui m’a envoyé, » il fait voir qu’il n’a rien à redouter de leurs embûches, et que sa passion est tout à fait volontaire. Cependant les Juifs furent impressionnés de ces paroles, et ils se demandent entre eux où il devait aller, question qui ne peut guère s’expliquer, s’ils désiraient être délivrés de lui : « Les Juifs dirent donc entre eux, où doit-il aller, que nous ne le trouverons pas ? » Doit-il aller chez les nations dispersées, et enseigner les Gentils ? C’est ainsi que les Juifs appelaient les nations par un sentiment de mépris pour elles, et dans la haute idée qu’ils avaient d’eux-mêmes, parce que les nations étaient dispersées par tout l’univers et peu unies entre elles. Mais cette dénomination injurieuse pesa plus tard sur les Juifs euxmêmes, qui furent dispersés par toute la terre. Autrefois, toute la nation ne formait qu’un seul corps, mais au temps de Jésus-Christ, les Juifs étaient disséminés parmi toutes les nations, le Sauveur n’aurait donc pas dit : « Vous ne pouvez venir là où je vais, » si par ces mots, il eut voulu entendre les Gentils. — S. AUG. (Traité 31.) Ces paroles : « Où je vais, » signifiaient le sein du Père. C’est ce qu’ils ne comprirent en aucune façon, et cependant, à l’occasion de ces paroles, ils prédiront notre salut en annonçant que le Sauveur irait vers les Gentils, non par sa présence corporelle, mais cependant par ses pieds, car ce sont ses propres membres qu’il a envoyés pour nous mettre nous-mêmes au rang de ses membres.


S. Chrysostome : (hom. 50.) Leur intention n’est pas de dire qu’il doit aller vers les nations pour leur causer du mal, mais pour les enseigner. Déjà en effet, leur colère s’était calmée, et ils avaient ajouté foi à ses paroles, car s’ils n’y avaient point cru, ils ne se seraient pas fait cette question : « Qu’est-ce que cette parole qu’il a dite : « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez point, et là où je vais, vous ne pouvez venir ? »


Versets. 37-39.


S. Chrysostome : (hom. 51 sur S. Jean.) Au moment où la fête étant terminée ils allaient retourner chez eux, Notre-Seigneur leur donne pour le voyage la nourriture du salut : « Le dernier jour de la fête, qui en est le plus solennel, » etc. — S. AUG. (Traité 32) C’est en ce jour qu’avait lieu la fête de la Scénopégie, c’est-à-dire de la construction des tentes. — S. Chrysostome : (hom. 51.) Cette fête, comme nous l’avons vu, durait sept jours, le premier jour et le dernier étaient les plus solennels, comme l’Evangéliste nous l’apprend, lorsqu’il dit : « Le dernier jour de la fête, qui en est le plus solennel ; » les jours intermédiaires étaient surtout consacrés aux délassements. Le Sauveur s’est donc abstenu de leur parler le premier jour et les jours suivants, parce que ses enseignements eussent été perdus pour des cens livrés aux divertissements et aux plaisirs, il élève la voix à cause du grand concours de peuple qui se pressait autour de lui. — THEOPHYL. Il élève la voix pour se faire entendre, leur inspirer de la confiance, et montrer qu’il ne craint personne.


S. Chrysostome : (hom. 51.) Notre-Seigneur crie à haute voix : « Si quelqu’un a soif, » c’est-à-dire, je n’attire personne par nécessité ou par violence, je n’appelle que celui qui éprouve un vif désir de se rendre à mon appel. — S. AUG. (Traité 32.) Il y a une soif intérieure, parce qu’il y a un homme intérieur. Il est certain d’ailleurs que l’homme intérieur est l’objet d’un plus grand amour que l’homme extérieur. Si donc nous éprouvons cette soif, approchons, non avec les pieds du corps, mais avec les affections de l’âme, non pas en marchant, mais en aimant. — S. Chrysostome : (hom. 51) Il leur fait comprendre qu’il s’agit ici d’une boisson intellectuelle par les paroles qui suivent : « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive, comme dit l’Ecriture, couleront de son sein. » Mais où donc l’Ecriture parle-t-elle de la sorte ? nulle part. Comment donc expliquer cette citation du Sauveur ? Il faut séparer de cette manière les deux membres de la proposition : « Celui qui croit en moi, » comme dit l’Ecriture, et ajouter comme venant du Sauveur : « Des fleuves d’eau vive couleront de son sein. » Nôtre-Seigneur leur apprend qu’il faut avoir des idées plus droites, et croire en lui bien plus sur le témoignage des Ecritures que sur celui des miracles. C’est pourquoi il les avait renvoyés précédemment aux Ecritures, on leur disant : « Approfondissez les Ecritures. » — S. JER. (Prol. de la Genèse.) On peut dire encore que ce témoignage est emprunté au livre des Proverbes, où nous lisons : « Que tes eaux jaillissent au dehors, et que tes eaux coulent sur les places publiques. » (Pr 5, 16.) — S. AUG. (Traité 32.) Le sein de l’homme intérieur, c’est la conscience de son cœur. Lorsque la conscience a bu cette divine liqueur, elle est purifiée et reprend une nouvelle vie, et en puisant de nouveau de cette eau, elle devient elle-même une source d’eau vive. Or, quelle est cette source, ou bien quel est ce fleuve qui coule du sein de l’homme intérieur ? C’est la bonté qui le porte à se consacrer aux intérêts du prochain. Celui qui boit de cette eau est celui qui croit au Seigneur, mais s’il pense que cette eau qui lui est donnée, n’est que pour lui seul, l’eau vive ne coulera point de son sein ; si, au contraire, il prodigue à son prochain les soins empressés de la charité, cette source intérieure ne tarit point, parce qu’elle coule au dehors. — S. GREG. (sur Ezéch.) Lorsque les paroles sacrées de la prédication évangélique coulent de l’âme des fidèles, ce sont comme autant de fleuves d’eau vive qui sortent de leur âme. Les entrailles, qu’est-ce autre chose que ce qu’il y a de plus intime dans l’âme, c’est-à-dire l’intention droite, les saints désirs, l’humilité envers Dieu et la volonté d’être utile au prochain ? — S. Chrysostome : (hom. 51) Il dit « des fleuves » et non un fleuve, pour exprimer sous cette image l’abondance et la fécondité de la grâce ; ce sont « des fleuves d’eau vive, » et qui ne cesse d’agir. En effet, lorsque la grâce de l’Esprit entre dans une âme et s’y affermit, elle coule plus abondamment que toutes les sources, elle ne tarit point, ni ne se dessèche ni ne s’arrête, comme on peut s’en convaincre en considérant la sagesse d’Etienne, la parole éloquente de Pierre, la fécondité abondante des discours de Paul ; rien ne les arrêtait ; mais semblables à des fleuves au cours rapide, ils entraînaient tout avec eux.


S. AUG. (Traité 32.) L’Evangéliste explique ensuite quel était ce breuvage que le Seigneur les invitait à venir boire : « Il disait cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » Quel est cet esprit, si ce n’est l’Esprit saint ? car tout homme a en lui-même son propre esprit. — ALCUIN. Le Sauveur avait promis avant son ascension l’Esprit saint à ses Apôtres, et il le leur envoya après l’ascension sous la forme de langues de feu, c’est pour cela que l’Evangéliste dit : « L’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » — S. AUG. (Traité 32.) Cet esprit était donc l’Esprit de Dieu, mais il n’était pas encore dans ceux qui croyaient en Jésus-Christ, car le Seigneur avait résolu de ne leur donner l’Esprit saint qu’après sa résurrection : « L’Esprit n’avait pas encore été donné, » parce que Jésus-Christ n’était pas encore glorifié. — S. Chrysostome : (hom. 51.) Les Apôtres chassaient d’abord les démons, non par la vertu de l’Esprit-Saint, mais par la puissance qu’ils avaient reçue de Jésus-Christ. En effet, lorsqu’il leur donnait leur mission, on ne lit pas qu’il leur donna l’Esprit saint, mais le pouvoir de chasser les démons. Quant aux prophètes, tous reconnaissent que l’Esprit saint leur était donne, mais cette grâce avait cessé de se répandre sur la terre. — S. AUG. (de la Trin., 4, 20.) Mais comment est-il dit de Jean-Baptiste : « Il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère ? » Comment Zacharie est-il inspiré par ce divin Esprit pour prédire la mission future du Précurseur ? Comment Marie elle-même est remplie de l’Esprit saint pour annoncer les destinées de son divin Fils, aussi bien que Siméon et Anne pour proclamer la grandeur de Jésus-Christ dès son berceau. La seule explication qu’on puisse donner des paroles de l’Evangéliste, c’est que l’Esprit saint devait être donné après la glorification de Jésus-Christ, comme il ne l’avait jamais été auparavant, c’est-à-dire que l’effusion de ce divin Esprit devait avoir un caractère d’efficacité qu’elle n’avait jamais été précédemment. En effet, nous ne lisons nulle part que sous l’action de l’Esprit saint qui descendait en eux, les hommes aient parlé des langues qu’ils ne connaissaient pas, comme il arriva lors de la descente de l’Esprit saint, dont l’avènement devait être démontré par des prodiges extérieurs et sensibles.


S. AUG. (Traité 32.) Mais comment se fait-il que l’Esprit saint qui est encore actuellement reçu par les fidèles, ne donne à personne de parler les langues de tous les peuples ? C’est que l’Église parle elle-même la langue de toutes les nations ; et on ne peut recevoir l’Esprit saint qu’autant qu’on est dans l’Église. Si vous aimez l’unité, tout ce que possède chacun de vos frères est à vous. Bannissez l’envie de votre cœur, et ce que j’ai vous appartient. L’envie sépare, la charité unit ; ayez la charité, et vous posséderez tout avec elle, et au contraire, tout ce que vous pourrez avoir sans elle, ne vous servira de rien. Or, la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné. (Rm 5) Mais pourquoi le Sauveur n’a-t-il voulu donner le Saint-Esprit qu’après sa résurrection ? C’est pour nous apprendre qu’après cette résurrection spirituelle, notre charité doit être ardente, nous séparer entièrement de l’amour du siècle, et se diriger toute entière vers Dieu, car celui qui nous a dit : « Celui qui croit en moi, qu’il vienne et qu’il boive, et des fleuves d’eau vive couleront de son sein, » nous a promis la vie éternelle où nous serons délivrés de tout danger, et affranchis de la crainte de la mort. C’est donc à raison de ces magnifiques promesses qu’il a faites à ceux que l’Esprit saint embraserait des feux de la charité, que le Sauveur n’a point voulu donner ce divin Esprit avant d’être glorifié, pour nous donner dans son corps ressuscité, un modèle de la vie que nous n’avons pas encore maintenant, mais dont nous espérons jouir après notre résurrection.


S. AUG. (cont. Faust., 32, 17.) Si donc la raison pour laquelle le Saint-Esprit n’était pas donné, c’est que Jésus n’était pas encore glorifié, il devait l’envoyer aussitôt qu’il serait glorifié. Les Cataphrygiens ont prétendu que c’est sur eux que le Saint-Esprit est descendu en vertu de cette promesse, et sont tombés par là dans l’hérésie. Les Manichéens affirment aussi que la promesse du Sauveur d’envoyer l’Esprit saint s’est accomplie dans Manès et dans leur secte, comme si ce divin Esprit n’avait pas été donné auparavant. — S. Chrysostome : ( hom. 51.) Ou bien encore, cette gloire dont parle ici Jésus, c’est sa croix. Nous étions les ennemis de Dieu, et comme ce sont nos amis et non pas nos ennemis que nous comblons de nos dons, il était nécessaire que le Sauveur offrit à Dieu la victime d’expiation, qu’il détruisît les inimitiés dans sa chair, et que devenus ainsi les amis de Dieu, nous fussions capables de recevoir ses dons.


Versets. 40-53.


S. AUG. (Traité 33 sur S. Jean.) Lorsque le Seigneur eut invité ceux qui croyaient en lui, à venir s’abreuver aux sources de l’Esprit saint, le peuple fut divisé à son sujet : « Dès ce moment, parmi cette multitude qui avait entendu ses paroles, quelques-uns disaient : Celui-ci est vraiment le prophète. » — THEOPHYL. C’est-à-dire, le prophète que l’on attendait. Les autres, au contraire, c’est-à-dire le peuple, disaient : C’est le Christ. — ALCUIN. Ils avaient déjà commencé à puiser à cette source spirituelle, ils n’étaient plus tourmentés par la soif de l’infidélité, tandis que les autres demeuraient dans la sécheresse de leur incrédulité : « Mais, disaient les autres, est-ce que le Christ viendra de la Galilée ? L’Ecriture ne dit-elle pas que c’est de la race de David et de la petite ville de Bethléem, où naquit David, que le Christ doit venir ? » Ils connaissaient donc les prophéties qui avaient le Christ pour objet, mais ils ne savaient pas qu’elles avaient leur accomplissement en Jésus, ils savaient qu’il avait été élevé à Nazareth, mais ils ne songeaient pas à s’informer du lieu de sa naissance, et ils ne croyaient pas que la prophétie qu’ils avaient sous les yeux était accomplie en lui. — S. Chrysostome : (hom. 51) Admettons toutefois qu’ils ignoraient le lieu de sa naissance, pouvaient-ils ignorer également la race d’où il sortait, sa naissance de la maison et de la famille de David ? Pourquoi donc cette réflexion : « Est-ce que le Christ ne doit pas sortir de la race de David ? » Mais c’est justement cette circonstance qu’ils voulaient cacher, en alléguant son éducation à Nazareth, et toutes leurs paroles sont inspirées par une profonde malice. Aussi voyez, ils ne viennent pas trouver Jésus pour lui faire cette observation : Les Ecritures disent que le Christ doit sortir de Bethléem, comment se fait-il que vous venez de la Galilée ? Non encore une fois, et la malignité seule conduit leur langue et dicte leurs paroles. Comme ils ne prêtaient aucune attention aux enseignements du Sauveur et qu’ils n’avaient aucun désir de s’instruire, Jésus-Christ ne leur fit aucune réponse, tandis qu’il avait donné les plus grands éloges à Nathanaël, qui lui disait : « Est-ce qu’il peut venir quelque chose de bon de Nazareth ? » (Jn 1) Parce qu’il était un vrai Israélite, qu’il cherchait la vérité et qu’il était instruit à fond dans la science des Ecritures de 1’ancionne loi.


« Le peuple était donc partagé à son sujet. » — THEOPHYL. Ce n’étaient pas les princes du peuple, ils étaient trop bien d’accord pour ne pas le reconnaître comme le Christ. Ceux dont la malice était moins profonde, se contentaient d’attaquer par leurs paroles la gloire du Sauveur, mais ceux dont la méchanceté était extrême, désiraient vivement se saisir de sa personne, et c’est de ces derniers dont l’Evangéliste ajoute : « Quelques-uns d’entre eux voulaient le prendre. » — S. Chrysostome : (hom. 51.) L’Evangéliste fait cette remarque, pour montrer qu’ils ne manifestaient dans leur langage ni le désir de chercher la vérité, ni le désir de la dire : « Mais personne ne mit la main sur lui. » — ALCUIN. C’est-à-dire qu’ils eu furent empêchés par celui qui avait la puissance de réprimer leurs efforts. — S. Chrysostome : (hom. 51.) Cette seule circonstance aurait dû suffire pour leur inspirer un profond repentir, ils n’en firent rien. Tel est le caractère propre de la méchanceté, elle ne veut céder à personne, et n’a qu’une chose en vue, c’est de mettre à mort celui à qui elle tend des embûches.


S. AUG. (Traité 33.) Ceux qui avaient été envoyés pour se saisir de Jésus, revinrent sans s’être souillés de ce crime et remplis d’admiration : « Lors donc que les gardes revinrent vers les pontifes et les pharisiens, ceux-ci leur dirent : Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ? » — ALCUIN. Ils n’ont pu eux-mêmes se saisir de sa personne lorsqu’ils ont voulu le lapider, et ils reprochent à leurs émissaires de ne l’avoir point amené. — S. Chrysostome : (hom. 52.) Les pharisiens et les scribes, témoins des miracles de Jésus, et versés dans la science des Ecritures, n’en tirent aucun profit ; leurs gardes, qui n’ont en aucun de ces avantages, sont gagnés par un seul des discours du Sauveur ; ils étaient envoyés pour le charger de chaînes, et ils reviennent enchaînés par l’admiration dont ils sont remplis. Et ils ne disent pas : Nous n’avons pu nous saisir de sa personne à cause de la foule, mais ils proclament hautement la sagesse de Jésus-Christ : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme. » — S. AUG. (Traité 33.) Or, il parlait de la sorte, parce qu’il était Dieu et homme tout ensemble. — S. Chrysostome : (hom. 52.) Nous ne devons pas seulement admirer la prudence de ces hommes qui, sans avoir besoin de miracles, se laissent gagner par l’attrait de la doctrine du Sauveur (en effet, ils ne disent pas : Jamais homme n’a fait de tels miracles, ils disent : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme, ») mais encore leur courage, la liberté avec laquelle ils s’expliquent de la sorte devant les pharisiens qui étaient les ennemis de Jésus-Christ. Le Sauveur cependant ne leur avait point parlé longuement, mais lorsque l’âme n’est pas viciée, elle n’a pas besoin de longs discours.


S. AUG. (Traité 33.) Mais les pharisiens ne se rendirent point à leur témoignage : « Les pharisiens leur répliquèrent : Avez-vous été séduits, vous aussi ? » C’est-à-dire, nous voyons que vous avez trouvé un véritable charme dans ses discours. — ALCUIN. Et en effet, ils avaient été heureusement séduits, parce qu’ils avaient renoncé au malheur de l’incrédulité pour embrasser la foi. — S. Chrysostome : (hom. 52.) Voyez quel raisonnement insensé et pitoyable leur font les pharisiens : « Est-il quelqu’un d’entre les chefs du peuple ou d’entre les pharisiens qui aient cru en lui ? Pour cette populace qui ne connaît point la loi, ce sont des gens maudits. » Mais c’est justement le plus grand chef d’accusation contre eux, que la foule ait cru en Jésus-Christ, tandis qu’ils ont eux-mêmes refusé de croire. — S. AUG. (Traité 33.) Ceux qui n’avaient point la connaissance de la loi, croyaient en celui qui avait donné la loi, et les docteurs de la loi ne craignaient pas de condamner l’auteur même de la loi, accomplissant ainsi ces paroles du Seigneur : « Je suis venu en ce monde pour le jugement, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » (Jn 9, 39.) — S. Chrysostome : (hom. 52.) Comment peut-on appeler maudits ceux qui se laissent persuader par la loi (ou qui obéissent à la loi) ? Les maudits sont bien plutôt ceux qui, comme vous, n’observent pas la loi. — THEOPHYL. Les pharisiens gardent quelque modération et quelque douceur dans leur réponse à ceux qu’ils avaient envoyés, dans la crainte de les voir se séparer complètement d’eux pour s’attacher à Jésus-Christ.


S. Chrysostome : (hom. 52.) Ils venaient d’objecter qu’aucun des princes du peuple n’avait cru en Jésus, raison dont l’Evangéliste fait voir la fausseté, en ajoutant : « Nicodème, l’un d’entre eux, celui qui était venu de nuit trouver Jésus, leur dit : » — S. AUG. (Traité 33.) Il n’était pas incrédule mais timide dans sa foi, c’est pour cela qu’il était venu de nuit trouver la lumière ; il voulait être éclairé, mais il craignait d’être connu. Il répondit donc aux Juifs : « Notre loi condamne-t-elle un homme sans l’avoir entendu et sans avoir instruit sa cause ? Il espérait que si les pharisiens consentaient seulement à l’entendre patiemment, ils éprouveraient la même impression que ceux qu’ils avaient envoyés pour se saisir de lui, et qui aimèrent mieux croire en lui ; mais ces hommes, profondément pervers, voulaient condamner avant de connaître. — S. AUG. (de la Cité de Dieu, 22, 1.) Nicodème appelle la loi de Dieu, « notre loi, » parce que Dieu l’a donnée aux hommes.


S. Chrysostome : (hom. 52.) Nicodème leur prouve donc à la fois qu’ils ne connaissent point la loi et qu’ils ne l’observent point. Mais les pharisiens, au lieu de montrer, comme ils auraient dû le faire, qu’ils avaient eu raison d’envoyer se saisir de la personne de Jésus, se laissent aller aux propos injurieux et outrageants : « Ils lui répondirent : Est-ce que vous êtes aussi Galiléen ? »— S. AUG. (Tr. 33.) C’est-à-dire, séduit par le Galiléen, car le Sauveur était appelé Galiléen, parce que ses parents habitaient Nazareth ; je dis ses parents du côté de Marie et non du côté d’un père qu’il n’eut point sur la terre. — S. Chrysostome : (hom. 52.) Ils ajoutent ce reproche blessant pour Nicodème, d’ignorer les Ecritures : « Examinez les Ecritures, lui disent-ils, et vous verrez que de la Galilée il ne sort point de prophète ; » absolument comme s’ils lui disaient : Allez et instruisez-vous. — ALCUIN. Leur attention ne se portait que sur le lieu où il passait sa vie, et non sur le lieu de sa naissance, c’est pourquoi ils refusaient de le reconnaître, non-seulement pour le Messie, mais pour un simple prophète. » — S. AUG. (Traité 33.) La Galilée ne voit point sortir de prophète de son sein, mais elle a vu s’élever au milieu d’elle le Seigneur, des prophètes.


« Et il s’en retournèrent, chacun eu sa maison. — ALCUIN. Ils retournèrent dans la maison de leur incrédulité et de leur impiété, sans avoir rien fait, vides de foi et sans aucun résultat utile pour le salut de leurs âmes.