Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 9

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Chapitre 8 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean Chapitre 10


CHAPITRE IX


Versets. 1-7


S. Chrysostome : (hom. 56 sur S. Jean.) Comme les Juifs n’avaient pu comprendre la hauteur des enseignements de Jésus-Christ, en sortant du temple, il guérit un aveugle. Il veut en se dérobant à leurs regards apaiser leur fureur, et en même temps amollir leur dureté par le miracle qu’il va faire et confirmer la vérité de ses paroles : « Et comme Jésus passait, Jésus vit un homme qui était aveugle de naissance, » etc. Remarquons qu’en sortant du temple, il a le dessein formel d’opérer une œuvre qui fit connaître sa divinité, car c’est lui qui vit l’aveugle, ce ne fut point l’aveugle qui vint le trouver, et il le considéra avec tant d’intérêt, que ses disciples le remarquèrent et lui firent cette question : « Maître, est-ce cet homme qui a péché ou ses parents ? » — S. AUG. (Traité 44 sur S. Jean). Rabbi veut dire maître, ils lui donnent le nom de maître, parce qu’ils voulaient apprendre de lui ce qu’ils ignoraient ; et ils proposent cette question au Seigneur comme à leur maître. — THEOPHYL. Cette question paraît fautive de la part des Apôtres, qui n’admettaient pas cette opinion ridicule des Gentils, que l’âme avait péché dans un autre monde où elle avait vécu auparavant ; mais en y réfléchissant de plus près, cette question n’est pas aussi simple qu’elle le parait. — S. Chrysostome : (hom. 56.) Ils furent amenés en effet à lui faire cette question, parce qu’en guérissant le paralytique, Jésus lui avait dit : « Voilà que vous êtes guéri, ne péchez plus davantage. » (Jean, 5) Et dans la pensée que ses péchés avaient été la cause de sa paralysie, ils demandent si cet aveugle ne s’est pas rendu aussi coupable de péché, ce qu’on ne pouvait ni dire ni supposer, puisqu’il était aveugle de naissance ; ou bien ses parents, ce qui n’était pas plus raisonnable, car le fils ne porte pas le péché du père.


« Jésus répondit : Ce n’est point qu’il ait péché, ni ses parents. — S. AUG. Est-ce donc qu’il était né sans la faute ORIGinelle ou qu’il n’y avait ajouté par la suite aucune faute volontaire ? Non, sans doute, ses parents aussi bien que lui étaient coupables, mais ce n’est pas à cause du péché qu’ils avaient commis que cet homme était né aveugle. Nôtre-Seigneur en donne la véritable cause, lorsqu’il ajoute : « C’est afin, dit-il, que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. » — S. Chrysostome : (hom. 56.) On ne peut conclure de ces paroles que les autres aveugles le sont devenus en punition des péchés de leurs parents, car il n’arrive pas qu’un homme soit puni pour le péché d’un autre. Ces paroles du Sauveur : « Afin que la gloire de Dieu soit manifestée, » doivent s’entendre de sa propre gloire et non de celle du Père, dont la manifestation avait déjà eu lieu. Mais cet homme souffrait-il donc injustement ? Non, et je réponds que la cécité fut pour lui un bienfait, car il lui dut de voir des yeux de l’âme. Il est évident que celui qui avait tiré cet homme du néant pour lui donner l’être, avait aussi le pouvoir de l’affranchir de toute infirmité. On peut dire du reste avec quelques-uns, que la particule ut n’exprime pas ici la cause, mais plutôt la conséquence. Comme dans cette autre phrase : « La loi est survenue, ut abundaret delictum, en sorte que le péché a abondé ; » (Rm 5, 20) de même ici, la conséquence de la guérison de cet aveugle et de toutes les autres maladies qui accablent l’infirmité humaine, a été la manifestation de sa puissance.


S. GREG. (1 Moral. ou Préf. sur Job.) Il y a des châtiments que Dieu inflige aux pécheurs sans qu’il y ait pour lui de retour possible ; il en est d’autres qui le frappent afin de le rendre meilleur ; il en est d’autres encore qui ont pour fin, non point de punir les fautes passées, mais de prévenir les fautes à venir ; d’autres enfin qui n’ont pour but ni de punir les péchés passés, ni de prévenir ceux que l’on peut commettre dans l’avenir, mais de faire connaître d’une manière plus éclatante et aimer plus ardemment la puissance de celui qui sauve par le salut inespéré qui suit immédiatement le châtiment.


S. Chrysostome : (hom. 56.) Nôtre-Seigneur vient de dire, en parlant de lui-même : « Afin que la gloire de Dieu soit manifestée, » il ajoute : « Il faut, pendant qu’il est jour, que je fasse les œuvres de celui qui m’a envoyé, » c’est-à-dire, il faut que je me manifeste moi-même, et que je fasse les œuvres propres à me manifester, les mêmes que celles que fait mon Père. — Bède : Lorsque le Fils affirme qu’il fait les œuvres de son Père, il prouve ainsi que ses œuvres sont les mêmes que celles de son Père, c’est-à-dire, guérir ce qui est infirme, fortifier ce qui est faible, éclairer tous les hommes. — S. AUG. En disant : « Les œuvres de celui qui m’a envoyé, » il renvoie toute la gloire à celui de qui il vient, car le Père a un Fils qui vient de lui, et il n’a pas lui-même de Père de qui il vienne.


S. Chrysostome : (hom. 56.) Il ajoute : « Pendant qu’il est jour, » c’est-à-dire, il me faut agir tandis qu’il est permis aux hommes de croire en moi, ou bien tant que dure cette vie, et les paroles qui suivent viennent à l’appui de cette explication : « La nuit vient, où personne ne peut agir. » Cette nuit dont il a été dit : « Jetez-le dans les ténèbres extérieures. » (Mt 22) La nuit sera donc le temps où personne ne peut plus travailler et où l’on recevra la récompense de sou travail. Tandis que vous vivez, faites donc ce que vous devez faire, car au delà de cette vie, ni la foi n’est possible, ni les travaux, ni le repentir.


S. AUG. Mais si nous prenons soin de travailler pendant cette vie, c’est vraiment le jour, c’est le Christ. Aussi Nôtre-Seigneur ajoute-t-il : « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Il est donc lui-même le jour ; ce jour qui se mesure sur la révolution du soleil compte un petit nombre d’heures, mais le jour de la présence de Jésus-Christ s’étend jusqu’à la consommation des siècles, comme il le déclare lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles. »


S. Chrysostome : (hom. 56.) C’est par des œuvres que le Sauveur veut confirmer la vérité de ce qu’il vient de dire, l’Evangéliste ajoute donc : « Après avoir parlé ainsi, il cracha à terre, et ayant fait de la boue avec sa salive, il l’étendit sur les yeux de l’aveugle. Celui qui a tiré du néant et appelé à l’être des créatures beaucoup plus importantes, eût bien pu donner des yeux à cet aveugle, sans une matière préexistante ; mais il a voulu nous enseigner qu’il était le Créateur, qui au commencement s’est servi de bouc pour créer l’homme. (hom. 57.) Il ne se sert pas d’eau, mais de salive pour faire cette boue, pour vous empêcher d’attribuer rien à la vertu de la fontaine, et vous apprendre que c’est la vertu de sa bouche qui a fait et ouvert les yeux de cet aveugle, et il lui ordonne ensuite de les laver pour que la guérison ne soit point non plus rapportée à une vertu secrète de la terre : « Et il lui dit : Allez vous laver dans la piscine de Siloë (mot qui veut dire envoyé), » pour vous apprendre que je n’ai pas besoin de boue pour faire des yeux. La piscine de Siloë tirait toute sa vertu de Jésus-Christ qui opérait toutes les guérisons qui s’y faisaient, et c’est pour cela que l’Evangéliste donne la signification de ce nom en ajoutant : « Qui signifie envoyé, » et il vous apprend par là que c’est Jésus-Christ qui a guéri cet aveugle. De même, en effet, que l’Apôtre nous dit : « La pierre c’était le Christ, » ainsi la piscine de Siloë, alimentée par un cours d’eau qui coulait soudainement à certains intervalles, nous figurait secrètement que Jésus-Christ se manifeste souvent contre toute espérance. Mais pourquoi donc ne lui commande-t-il pas de se laver immédiatement sans aller à la piscine de Siloë ? C’est pour mieux confondre l’impudence des Juifs. Il était bon, en effet, que tous le vissent se diriger vers cette piscine, ayant les yeux couverts de boue. Jésus voulait d’ailleurs montrer en l’envoyant à cette piscine, qu’il n’est opposé ni à la loi, ni à l’Ancien Testament. Il n’était point d’ailleurs à craindre qu’on attribuât la gloire de cette guérison à la piscine de Siloë, car beaucoup s’y lavaient les yeux sans obtenir une grâce aussi importante. Il voulait encore faire éclater la foi de cet aveugle, qui ne cherche pas à contredire le Sauveur, qui ne se dit pas en lui-même : La boue d’ordinaire est bien plus propre à faire perdre la vue qu’à la rendre, je me suis lavé plusieurs fois dans la piscine de Siloë, je n’en ai éprouvé aucun soulagement, si cette eau avait quelque efficacité, elle m’eût guéri sur-le-champ, il obéit avec simplicité : « Il y alla, se lava et revint voyant clair. » (hom. 56.) C’est donc ainsi qu’il manifesta sa gloire, car ce n’est pas une faible gloire que de passer pour le créateur de toutes choses ; la foi que l’on donnait à cette grande vérité en faisait accepter d’autres moins importantes. L’homme, en effet est la première et la plus honorable de toutes les créatures ; et de tous ses membres, l’œil est le plus digne d’honneur, car c’est lui qui gouverne le corps, lui qui est le plus bel ornement du visage, ce qu’est le soleil dans l’univers, l’œil l’est dans le corps de l’homme, c’est pour cela qu’il occupe la partie la plus élevée et qu’il y est placé comme sur son trône. — THEOPHYLACTE. Il en est qui pensent que cette boue ne fut pas lavée, mais qu’elle servit à former les yeux de cet aveugle.


Bède : Dans le sens allégorique, nous voyons ici que le Sauveur, chassé du cœur des Juifs, se dirige aussitôt vers les Gentils. Son passage, le chemin qu’il fait, c’est sa descente du ciel sur la terre. Il vit cet aveugle, lorsqu’il abaissa les regards de sa miséricorde sur le genre humain. — S. AUG. Cet aveugle, en effet, c’est le genre humain tout entier qui a été frappé de cécité par le péché du premier homme, dont nous tirons tous notre ORIGine ; il est donc aveugle de naissance. Le Seigneur laisse tomber à terre un peu de salive, et la mélangeant avec la poussière du chemin, il en fait de la boue, parce que le Verbe s’est fait chair, et il étend cette boue sur les yeux de l’aveugle. Lorsque ses yeux étaient ainsi couverts, il ne voyait pas encore, parce que le Seigneur ne fit de lui qu’un catéchumène, lorsqu’il lui couvrit ainsi les yeux. Il l’envoie à la piscine de Siloë, car c’est en Jésus-Christ qu’il a été baptisé, et c’est alors que le Sauveur lui donna l’usage de la vue. L’Evangéliste nous donne la signification du nom de cette piscine, qui veut dire envoyé, et, en effet, si le Fils de Dieu n’avait été envoyé sur la terre, personne d’entre nous n’eût été délivré de son iniquité. — S. GREG. (Moral., 8, 12 ou 18.) Ou bien encore, la salive figure la saveur de la contemplation intime. Elle descend de la tête dans la bouche, parce qu’elle part des splendeurs de Dieu, qu’elle nous fait goûter par les douceurs de la révélation alors que nous sommes encore dans cette vie. Nôtre-Seigneur mêle sa salive à la terre, et donne ainsi à cet aveugle l’usage de la vue, parce que c’est en mêlant la contemplation de la vérité à nos pensées charnelles, que la grâce céleste répand sa lumière dans notre âme, et délivre notre intelligence de la cécité ORIGinelle dont elle a été frappée dans le premier homme.


Versets. 8-17.


S. Chrysostome : (hom. 57.) L’étrangeté de ce miracle le rendait plus difficile à croire, et c’est en effet ce qui arrive : « Les gens du voisinage, dit l’Evangéliste, et ceux qui l’avaient vu auparavant demander l’aumône, disaient : N’est-ce pas là celui qui était assis et mendiait ? » Admirable condescendance de la clémence de Dieu ! Le Sauveur guérissait avec une grande bonté les pauvres mendiants, et il ferme ainsi la bouche aux Juifs, en jugeant dignes de ses bienfaits les hommes obscurs et inconnus de préférence aux personnages illustres ou distingués par leurs talents ou leurs dignités, car il était venu pour le salut de tous les hommes : « Les uns disaient : C’est lui. » Comme cet aveugle avait une longue route à parcourir et que leur attention était excitée par la singularité de ce miracle dont ils avaient été les témoins, ils ne pouvaient pas dire : Ce n’est point lui. « D’autres cependant, poursuit l’Evangéliste, disaient : Point du tout, mais il lui ressemble. » — S. AUG. (Traité 44.) En effet, ses yeux ouverts avaient changé sa physionomie : « Mais lui disait : C’est moi, » c’est la voix de la reconnaissance qui veut se mettre à couvert du reproche d’ingratitude. — S. Chrysostome : (hom. 57.) Il ne rougit pas de son premier état, il ne redoute point la colère du peuple, et il n’hésite pas à se montrer en public pour faire connaître son bienfaiteur : « Ils lui disaient donc : Comment vos yeux se sont-ils ouverts ? » De quelle manière fût-il guéri, nous ne le savons pas, il ne le savait pas lui-même, il savait seulement qu’il était guéri sans pouvoir comprendre comment cela s’était fait : « Il répondit : Cet homme qu’on appelle Jésus, a fait de la boue et l’a étendue sur mes yeux. » Voyez comme il s’attache à ne dire que la vérité. Il ne dit pas comment Jésus a fait cette boue, parce qu’il ne le savait pas, qu’il avait craché à terre, tandis que le sens du toucher lui fit connaître qu’il avait étendu de la boue sur ses yeux : « Et il m’a dit : « Allez à la piscine de Siloë et vous y lavez. » Il put encore certifier ce fait par le sens de l’ouïe, car il reconnut la voix de Jésus, dont il avait entendu la discussion avec ses disciples. Et comme il s’était préparé à une seule chose, c’est-à-dire, à faire avec docilité tout ce qui lui serait commandé, il ajoute : « J’y ai été, je me suis lavé et je vois. »


S. AUG. (Traité 44.) Le voici devenu prédicateur de la grâce, il évangélise et confesse Jésus-Christ. Mais tandis que cette aveugle confesse ainsi la vérité, le cœur des impies se resserrait, parce qu’ils n’avaient pas dans le cœur les yeux qui brillaient sur sa figure : « Et ils lui dirent : Où est cet homme ? » — S. gIlrys. (hom. 57.) Ils lui faisaient cette question dans le dessein qu’ils avaient formé de mettre Jésus à mort, car déjà ils avaient conspiré contre lui. Mais Jésus ne restait pas auprès de ceux qu’il avait guéris, parce qu’il ne cherchait ni la gloire ni l’ostentation, il se retirait aussitôt qu’il avait opéré un miracle de ce genre, pour éloigner tout soupçon de fraude on de concert, car comment ceux qui ne le connaissaient pas auraient-ils déclaré dans son intérêt, que leur guérison venait de lui ? « Et il répondit : Je ne sais. » En faisant cette réponse, il est semblable au catéchumène, qui n’a reçu que l’onction, et qui n’est pas encore éclairé, il prêche et il ne connaît pas encore ce qu’il annonce. — Bède : Il est donc en cela la figure des catéchumènes qui ont bien la foi eu Jésus-Christ, mais qui ne le connaissent pas encore parfaitement, parce qu’ils ne sont pas encore purifiés.


C’étaient aux pharisiens qu’il appartenait d’approuver ou de blâmer cette œuvre. — S. Chrysostome : Les Juifs donc, en demandant où était Jésus, avaient le dessein de le conduire aux pharisiens, mais n’ayant pu le trouver, ils leur amènent l’aveugle : « Alors ils amenèrent aux pharisiens celui qui avait été aveugle, pour le presser par de nouvelles et plus vives questions. » C’est pour cela que l’Evangéliste fait cette remarque : « Or, c’était le jour du sabbat que Jésus détrempa ainsi de la terre, » etc. Il voulait ainsi nous faire connaître les mauvaises dispositions du leur âme, et la cause pour laquelle ils le cherchaient, c’est-à-dire, pour trouver l’occasion de la perdre, et détruire l’impression produite par ce miracle par la prétendue violation de la loi, ce qui ressort évidemment des questions qu’ils lui adressent : « Les pharisiens lui demandèrent donc aussi comment il avait recouvré la vue. » Voyez comment l’aveugle répond sans se troubler ; quand le peuple l’interrogeait, il n’avait aucun danger à craindre, il ne fallait pas un grand courage pour dire la vérité ; mais ce qui est vraiment admirable, c’est que bien qu’ayant tout à craindre de la haine des pharisiens, il ne songe ni à nier le fait, ni à dire le contraire de ce qu’il a déclaré précédemment : « Il leur dit : Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois. » Il abrège ici sa réponse, parce qu’il parle à des hommes qui connaissaient déjà le fait. Il ne leur dit pas le nom de celui qui lui a donné cet ordre, il ne rapporte pas les paroles que Jésus lui a adressées : « Allez, et lavez-vous ; » il va tout de suite au fait : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois. » Ils éprouvèrent donc le contraire de ce qu’ils espéraient, ils l’amenèrent dans l’intention de lui faire nier le fait de sa guérison, et ils en acquirent une certitude beaucoup plus grande.


« Sur cela, quelques-uns des pharisiens disaient, » etc. — S. AUG. Ce n’étaient pas tous, mais quelques-uns seulement, car déjà il y en avait parmi eux qui recevaient l’onction. Ceux donc qui ne voyaient pas encore et qui n’avaient pas reçu la grâce de l’onction, disaient : « Cet homme n’est point de Dieu, puisqu’il n’observe point le sabbat. » Au contraire, il en était le plus fidèle observateur, lui qui était sans péché, car l’observation spirituelle du sabbat, c’est de n’avoir aucun péché, et c’est l’avertissement que Dieu nous donne quand il nous recommande l’observation de la loi du sabbat : « Vous ne ferez aucune œuvre servile. » Qu’est-ce qu’un œuvre servile ? le Seigneur lui-même vous l’apprend : « Tout homme qui commet le péché est esclave du péché ; » (Jn 7) or, les pharisiens tout en observant extérieurement la loi du sabbat, la violaient spirituellement.


S. Chrysostome : Ils passent malicieusement sous silence le fait de la guérison, et ne mettent en avant que la prétendue violation du sabbat. Ainsi, ils ne disent pas : Il guérit le jour du sabbat, mais : « Il transgresse la loi du sabbat. » D’autres disaient : « Comment un pécheur peut-il faire de tels prodiges ? » Vous voyez qu’ils sont vivement impressionnés par ce miracle, mais leurs dispositions étaient imparfaites, car ils auraient dû plutôt chercher à prouver qu’il n’y avait point ici transgression de la loi du sabbat. Mais ils ne croyaient pas encore qu’il était Dieu, et ne pouvaient répondre que c’est le maître du sabbat qui avait opéré ce miracle. Nul d’entre eux n’osait déclarer ouvertement ce qu’il aurait voulu dire, ils tenaient un langage ambigu, les uns, parce qu’ils n’osaient parler librement, les autres par amour du pouvoir : « Et ils étaient divisés entre eux. » Cette division avait lieu dans le peuple et avait gagné jusqu’aux chefs du peuple. — S. AUG. Jésus-Christ était le jour qui sépare la lumière des ténèbres.


S. Chrysostome : Ceux qui avaient osé dire : Un pécheur ne peut faire de tels prodiges, voulant fermer la bouche à leurs contradicteurs, fout avancer au milieu d’eux celui qui avait éprouvé les heureux effets de la puissance de Jésus-Christ, pour éviter tout reproche de flatterie : « Ils dirent donc de nouveau à l’aveugle : Et vous, que dites-vous de celui qui vous a ouvert les yeux ? » — THEOPHYL. Voyez comme leur question est pleine de bienveillance ; ils ne lui demandent pas : Que dites-vous de celui qui n’observe pas la loi du sabbat ? Ils ne rappellent que le miracle qu’il a opéré, mais : « Comment vous a-t-il ouvert les yeux ? » Ils semblent exciter le zèle de cet homme, et lui dire : Il est votre bienfaiteur, et c’est un devoir pour vous de proclamer ses bienfaits. — S. AUG. Ou bien peut-être ils cherchaient une occasion de calomnier cet homme et de le chasser de la synagogue, mais il continua de dire avec courage tout ce qu’il pensait : « Il répondit : C’est un prophète. » Il avait déjà reçu l’onction du cœur, mais il ne reconnaît pas encore Jésus pour le Fils de Dieu. Cependant il ne ment pas, car Nôtre-Seigneur a dit, en parlant de lui-même : « Aucun prophète n’est sans honneur, si ce n’est dans sa patrie. » (Lc 4)


Versets. 18-23.


S. Chrysostome : (hom. 58.) Les pharisiens n’ayant pu intimider cet homme, et voyant qu’il proclamait en toute liberté le nom de son bienfaiteur, crurent qu’ils pourraient détruire la vérité du miracle au moyen de ses parents ; c’est ce que signifient ces paroles de l’Evangéliste : « Mais les Juifs ne voulurent pas croire qu’il eût été aveugle et qu’il eût recouvré la vue, jusqu’à ce qu’ils eussent fait venir les parents de celui qui voyait. » — S. AUG. C’est-à-dire, de celui qui avait été aveugle et qui avait recouvré la vue. — S. Chrysostome : (hom. 58.) Mais telle est la nature de la vérité, qu’elle puise une force plus grande dans les difficultés qu’on lui suscite. Le mensonge se détruit par lui-même, et les moyens qu’il prend pour détruire la vérité, ne servent qu’à la rendre plus éclatante ; c’est ce que nous voyons arriver ici. On aurait pu dire que le témoignage des voisins n’était pas bien certain, que la ressemblance avait pu les tromper ; on fait donc venir les parents, qui connaissaient leur fils mieux que personne ne pouvait le connaître : « Et ils leur demandèrent : Est-ce là votre fils, que vous dites être né aveugle ? » Ils ne disent pas : Qui était autrefois aveugle, mais : « Que vous dites être né aveugle ? » O hommes pervers et dignes d’exécration ! Quel est le père qui voudrait faire un tel mensonge à l’égard de son fils ? Il n’y a qu’une chose qu’ils ne disent pas, c’est que ce sont eux-mêmes qui l’ont rendu aveugle. Ils s’efforcent donc de leur faire nier sa guérison par ces deux questions : « Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle ? » et : « Comment donc voit-il maintenant ? » — THEOPHYL. C’est-à-dire qu’ils voudraient révoquer en doute l’un des deux faits, ou il est faux qu’il voie maintenant, ou il n’a pas été précédemment aveugle. Mais comme on ne peut nier qu’il voie maintenant, il est donc faux qu’il fût aveugle, comme vous l’avancez.


S. Chrysostome : (hom. 58.) Sur trois questions qui leur sont faites, s’il est leur fils, s’il était aveugle, et comment il se fait qu’il voie maintenant, ils répondent à deux : « Ses parents leur répondirent : Nous savons que c’est là notre fils, et qu’il est né aveugle. » Quant à la troisième, ils l’éludent, en disant : « Mais comment il voit maintenant, et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons. » C’est pour le plus grand triomphe de la vérité que nul autre que celui qui a été guéri, et qui était bien digne de foi, atteste le miracle dont il est l’objet. « Interrogez-le, disent ses parents, il a de l’âge, qu’il parle de ce qui le concerne. » — S. AUG. C’est-à-dire, on pourrait nous forcer de parler pour un enfant, parce qu’il ne pourrait parler pour lui-même : nous l’avons connu aveugle de naissance, mais ayant l’usage de la parole.


S. cIlrys. (hom. 58.) Quelle ingratitude dans les parents de cet homme, qui n’osent dire ce qu’ils savent très-bien, par la crainte qu’ils ont des Juifs ! « Ils parlèrent ainsi, dit l’Evangéliste, parce qu’ils craignaient les Juifs. » Il nous fait connaître en même temps la pensée des Juifs et leur dessein : « Car, ajoute-t-il, les Juifs étaient convenus entre eux que quiconque reconnaîtrait Jésus pour le Christ, serait chassé de la synagogue. » — S. AUG. Ce n’était plus, du reste, un mal que d’être chassé de la synagogue ; car, si l’on était chassé par les Juifs, on était reçu par Jésus-Christ.


C’est pourquoi ses parents dirent : « Il a de l’âge, interrogez-le, » — ALCUIN. L’Evangéliste nous donne ici une preuve que, ce n’est point l’ignorance, mais la crainte qui leur a dicté cette réponse. — THEOPHYL. Ils sont plus timides que leur enfant, qui se montre le témoin intrépide de la vérité, parce que Dieu avait éclairé les yeux de son âme.


Versets. 24-34. S. Chrysostome : (hom. 58 sur S. Jean.) Les parents ayant renvoyé les pharisiens à celui-là même qui avait été guéri, ils l’appelèrent une seconde fois, comme le dit l’Evangéliste : « Ils appelèrent donc de nouveau l’homme qui avait été aveugle. » Ils ne lui dirent pas ouvertement : Niez que Jésus-Christ vous ait guéri ; mais ils veulent l’y amener indirectement, sous prétexte de religion : « Rendez gloire à Dieu, » lui dirent-ils ; c’est-à-dire, avouez que Jésus ne vous a rien fait. — S. AUG. (Traité 47.) Niez le bienfait que vous avez reçu ; ce qui n’est point rendre gloire à Dieu, mais se rendre coupable de blasphème envers lui. — ALCUIN. Mais ils voulaient qu’il rendit gloire à Dieu à leur façon, c’est-à-dire en reconnaissant que Jésus-Christ était un pécheur : « Nous savons, disent-ils, que cet homme est un pécheur. » — S. Chrysostome : (hom. 58.) Pourquoi donc ne lui avez-vous point prouvé qu’il était un pécheur lorsqu’il vous a fait ce défi : « Qui de vous me convaincra de péché ? »


ALCUIN. Cet homme, qui ne voulait ni donner lieu à la calomnie, ni cacher la vérité, ne dit pas : Je sais qu’il est juste, mais il leur dit : « S’il est pécheur, je n’en sais rien. » — S. Chrysostome : Comment celui qui avait reconnu précédemment que Jésus était un prophète, peut-il dire maintenant : « S’il est un pécheur, je ne sais ? » Est-ce qu’il se laisse influencer par la crainte ? Non ; mais il veut justifier Jésus-Christ contre ses accusateurs par le témoignage du miracle lui-même, et rendre ses paroles dignes de foi par le bienfait qu’il a reçu : « Je sais seulement que j’étais aveugle, et qu’à présent je vois. » C’est-à-dire, je ne m’explique point sur cette question s’il est pécheur ou non, mais je dis ce que je sais à n’en pouvoir douter. Les pharisiens ne pouvant détruire la vérité du fait miraculeux, reviennent à leurs premières questions, et s’informent de nouveau de la manière dont cette guérison a eu lieu, semblables à des chiens qui cherchent sans discontinuer leur proie, tantôt d’un côté tantôt d’un autre : « Sur quoi ils lui dirent : Que vous a-t-il fait ? Comment vous a-t-il ouvert les yeux ? » C’est-à-dire, est-ce au moyen de quelque prestige ? Ainsi ils ne lui disent pas : Comment avez-vous vu ? mais : « Comment vous a-t-il ouvert les yeux ? » pour lui offrir l’occasion de calomnier le miracle opéré par Jésus. Tant que les éclaircissements avaient été nécessaires, l’aveugle s’était expliqué avec modération ; mais comme la vérité est désormais triomphante, il leur parle avec une généreuse liberté : « Il leur répondit : Je vous l’ai déjà dit, et vous l’avez entendu, pourquoi voulez-vous l’entendre encore ? » C’est-à-dire : Vous ne tenez aucun cas de ce que je vous ai dit, je ne répondrai donc plus à des questions qui n’ont aucun but, et que vous faites non pour apprendre, mais pour trouver dans mes réponses un sujet de critique ou d’accusation. Il ajoute : « Est-ce que, vous aussi, vous voulez devenir ses disciples ? » — S. AUG. Que veulent dire ces paroles : « Est-ce que vous aussi ? » Quant à moi, je suis déjà son disciple, voulez-vous aussi le devenir ? Je vois, mais je jouis sans envie du bienfait de la vue. C’est avec cette noble fermeté que cet homme, autrefois aveugle, et qui ne peut plus supporter les aveugles, condamne la dureté opiniâtre des Juifs. — S. Chrysostome : (hom. 58.) Voyez à la fois la force de la vérité, et la faiblesse du mensonge. La vérité rend les hommes illustres et les couvre de gloire, quelque méprisés qu’ils soient d’ailleurs ; et le mensonge, eût-il pour organe les puissants du monde, dévoile toute leur faiblesse.


« Ils le maudirent alors et lui dirent : Sois son disciple, toi. » Que cette malédiction soit sur nous et sur nos enfants, car elle n’existe que dans leur cœur, et non dans leurs paroles : « Pour nous, ajoutent-ils, nous sommes disciples de Moïse ; nous savons que Dieu a parlé à Moïse. » Plût à Dieu que vous sachiez que Dieu a parlé à Moise, vous sauriez également alors que Moïse a prédit l’avènement d’un Dieu ; puisque c’est le Seigneur lui-même qui vous dit : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi ; car il a parlé de moi dans ses écrits. » Ainsi vous vous faites gloire de suivre le serviteur, et vous tournez le dos au Maître ? Car vous ajoutez : « Mais celui-ci, nous ne savons d’où il est » — S. Chrysostome : (hom. 58.) C’est-à-dire que ce que vous voyez de vos yeux vous paraît moins véritable que ce que vous avez entendu dire ; en effet ce que vous dites savoir, vous le tenez de vos ancêtres. Mais n’est-il pas bien plus digne de foi, celui qui vous a prouvé qu’il venait de Dieu par des miracles, dont vous n’avez pas seulement entendu parler, mais que vous avez vus de vos propres yeux ? C’est ce que leur répond cet homme : « Il est vraiment surprenant que vous ne sachiez pas d’où il est, et qu’il m’ait ouvert les yeux. » Il ne cesse de leur rappeler ce miracle, parce qu’ils ne pouvaient en contester la réalité, et qu’il portait avec lui sa conviction ; et comme ils avaient déclaré qu’un pécheur ne pouvait opérer de semblables prodiges, il s’appuie sur cet aveu, et leur remet en mémoire leurs propres paroles : « Nous savons, leur dit-il, que Dieu n’exauce point les pécheurs ; » c’est-à-dire, vous et moi nous sommes d’accord sur ce point.


S. AUG. Il parle ici comme un homme qui n’a pas encore reçu l’onction, car Dieu exauce les pécheurs ; et, s’il ne les exauçait pas, c’est donc en vain que le publicain lui aurait fait cette prière : « Seigneur, soyez-moi propice, à moi, qui ne suis qu’un pécheur. » Mais au contraire il mérita, par cette confession, d’être justifié, comme l’aveugle mérita que la lumière lui fût rendue. — THEOPHYL. Ou bien encore on peut dire que Dieu n’exauce point les pécheurs, en ce sens qu’il ne leur accorde pas le pouvoir de faire des miracles, mais lorsqu’ils implorent le pardon de leurs fautes, ils passent de l’état de pécheurs à celui de pénitents.


S. Chrysostome : (hom. 58.) Et, remarquez que les paroles qui précèdent : « S’il est un pécheur, je ne sais, » n’expriment pas un doute de la part de cet homme ; car ici, non-seulement il le justifie de tout péché, mais il montre combien il est agréable à Dieu. « Mais celui qui l’honore, et fait sa volonté, c’est celui-là qu’il exauce ; » ainsi il ne suffît pas de connaître Dieu, il faut encore accomplir sa volonté. « Voyez encore comme il relève le miracle dont il vient d’être l’objet : « Jamais on n’a ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né. » C’est-à-dire : Si vous reconnaissez que Dieu n’exauce point les pécheurs, et que cet homme cependant ait fait un miracle comme jamais aucun homme n’en a fait, il est évident que la puissance en vertu de laquelle il a fait ce miracle est supérieure à toute puissance humaine : « Si cet homme n’était pas de Dieu, ajouta-t-il, il ne pourrait rien faire. » — S. AUG. Il ne pourrait rien faire avec liberté, avec constance, avec vérité ; car, comment les choses que le Seigneur a faites auraient-elles pu exister si Dieu lui-même n’en était l’auteur ? et comment ses disciples pourraient-ils opérer de semblables prodiges, si le Seigneur lui-même n’habitait en eux pour les revêtir de sa puissance ?


S. Chrysostome : Cet homme a donc confessé la vérité sans la moindre crainte, et cependant au lieu d’admirer sa noble fermeté, les pharisiens le condamnent, « Ils lui répondirent : Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes ! » Que veulent dire ces mots : « Tout entier ? » Avec les yeux fermés ; mais celui qui lui a ouvert les yeux l’a guéri aussi tout entier. — S. Chrysostome : (hom. 58.) Ou bien ces paroles : « Tout entier, » signifient : Vous êtes dans le péché depuis vos premières années. Ils lui reprochent donc sa cécité, comme la suite et la punition de ses péchés, ce qui était dénué de fondement. Tant qu’ils ont espéré qu’il nierait cette guérison miraculeuse, ils l’ont juge digne de foi ; maintenant ils le repoussent loin d’eux. « Et ils le chassèrent dehors. » — S. AUG. Ils l’avaient eux-mêmes établi comme maître, ils l’avaient interrogé à plusieurs reprises, comme pour s’instruire, et après qu’il leur a enseigné la vérité, ils le chassèrent avec une superbe ingratitude. — Bède : C’est, en effet, la coutume des grands, de dédaigner de rien apprendre de la bouche de leurs inférieurs.


Versets. 35-41. S. Chrysostome : (hom. 59 sur S. Jean.) Dieu se plaît à honorer surtout ceux qui sont couverts d’outrages pour avoir rendu témoignage à la vérité et confessé Jésus-Christ. C’est ce qui se vérifie dans cet aveugle. Les Juifs le chassent du temple, et le Maître du temple le rencontre, et l’accueille avec bonté, comme le président des combats accueille celui qui a courageusement combattu et mérité la couronne. « Jésus apprit qu’ils l’avaient ainsi chassé ; et, l’ayant rencontré, il lui dit : Croyez-vous au Fils de Dieu ? » Le récit de l’Evangéliste nous fait voir que Jésus était venu exprès pour lui parler. Or, il l’interroge, non pour apprendre ce qu’il ignorait, mais pour se faire connaître à lui, et lui montrer la grande estime qu’il fait de sa foi ; et il semble lui dire : Ce peuple m’a outragé, mais peu m’importe ; je n’ai à cœur qu’une seule chose, c’est de vous inspirer la foi : mieux vaut un homme faisant la volonté de Dieu, que dix mille impies.


S. HIL. (de la Trinité, 6) Si une foi telle quelle en Jésus-Christ devait être regardée comme une foi consommée, le Sauveur aurait dit à cet homme : Croyez-vous en Jésus-Christ ? Mais comme presque tous les hérétiques devaient avoir ce nom à la bouche et confesser le Christ, tout en niant qu’il était le Fils de Dieu, Jésus demande à cet homme de croire ce qui est le signe caractéristique du Christ, c’est-à-dire, de croire qu’il est Fils de Dieu. Que servirait-il de croire au Fils de Dieu, si l’objet de la foi n’était qu’une créature ? La foi qui nous est demandée, c’est la foi en Jésus-Christ, non comme créature de Dieu, mais comme Fils de Dieu.


S. Chrysostome : (hom. 59.) Cet homme ne connaissait pas encore Jésus-Christ, il était aveugle avant que Jésus l’eût rencontré pour la première fois ; et après sa guérison, il avait été entraîné de tous côtés par les Juifs. « Il répondit : Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? » C’est là l’expression d’un vif et ardent désir. Il ne connaît point celui dont il a pris et soutenu la défense avec tant de force et de chaleur, preuve de son grand amour pour la vérité. Le Seigneur ne lui a point encore dit expressément : « C’est moi qui vous ai guéri ; » mais il le lui fait connaître équivalemment en lui disant : « Vous l’avez vu, et c’est lui-même qui vous parle. » — THEOPHYL. Il s’exprime ainsi pour rappeler à cet homme sa guérison, parce que c’est de lui qu’il avait reçu la faculté de voir. Remarquez que celui qui lui parle est à la fois le Fils de Marie et le Fils de Dieu, et il n’y a point en lui deux personnes, suivant l’erreur de Nestorius ; « et c’est lui-même qui vous parle, » lui dit le Sauveur.


S. AUG. (Traité 44) Nôtre-Seigneur lave et purifie maintenant la face de son cœur, et après que son cœur est purifié, ainsi que sa conscience, il le reconnaît non comme Fils de l’homme, ce qu’il croyait déjà auparavant, mais comme Fils de Dieu, revêtu d’une chair mortelle : « Et il lui dit : Je crois, Seigneur. » C’est peu de croire ; voulez-vous voir tout ce que sa foi découvre en lui ? « Et, se jetant à ses pieds, il l’adora. » — Bède : Cet exemple nous apprend qu’on ne doit point prier Dieu la tète haute, mais implorer sa miséricorde la face prosternée contre terre. — S. Chrysostome : ( hom. 59. ) Par son attitude autant que par son langage, cet homme révèle la puissance divine de Jésus ; le Seigneur, de son côté, donne une nouvelle ardeur à sa foi, et rend ceux qui le suivent plus attentifs : « Alors Jésus dit : Je suis venu dans ce monde pour exercer le jugement. » — S. AUG. Jésus était le jour, qui sépare la lumière des ténèbres, et il ajoute justement : « Afin que ceux qui ne voient pas voient, » parce qu’il délivre des ténèbres. Mais que signifient les paroles qui suivent : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles ? » La suite nous en donne le véritable sens : «

Quelques-uns, d’entre les pharisiens qui étaient-là, ayant entendu ces paroles, lui dirent : « Sommes-nous donc aussi des aveugles ? » Car cette parole : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles, » les avait vivement touchés. « Jésus leur répondit : Si vous étiez aveugles, vous n’auriez point de péché ; » c’est-à-dire, si vous reconnaissiez que vous êtes des aveugles, vous auriez recours au médecin. « Mais maintenant vous dites : Nous voyons, votre péché demeure. » En effet, en prétendant que vous voyez, vous n’avez nul souci de chercher le médecin, et vous demeurez dans votre aveuglement ; c’est ce qu’il vient de leur prédira, en leur disant : « Je suis venu pour que ceux qui ne voient point voient, » (c’est-à-dire, ceux qui reconnaissent qu’ils ne voient point, et cherchent un médecin, pour qu’il leur rende la vue,) « et que ceux qui voient deviennent aveugles. » (C’est-à-dire, afin que ceux qui s’imaginent qu’ils voient et ne cherchent pas le médecin, demeurent dans leur aveuglement.) C’est cette distinction qu’il appelle jugement, lorsqu’il dit : « Je suis venu dans le monde pour exercer le jugement, » et il ne veut point dire qu’il vienne exercer sur le monde ce jugement qui doit n’avoir lieu qu’à la fin des siècles, pour les vivants et les morts.


S. Chrysostome : (hom. 59.) Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles : « Je suis venu pour le jugement ; » c’est-à-dire, pour augmenter la rigueur du supplice qui vous est réservé ; et il montre aussi que ceux qui l’ont condamné, seront eux-mêmes l’objet d’une sévère condamnation. Les paroles suivantes : « Afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles, » doivent être entendues dans le même sens que ces autres de saint Paul : « Que les Gentils qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice, et la justice qui vient de la foi de Jésus-Christ ; et qu’Israël, au contraire, qui recherchait la loi de la justice, n’est point parvenu à la loi de la justice. » (Rm 9, 30-31.) — THEOPHYL. Nôtre-Seigneur semble dire : Celui qui était aveugle dès sa naissance voit maintenant, et ceux qui paraissent avoir l’usage de la vue, sont aveugles dans leur intelligence. — S. Chrysostome : (hom. 59.) Il y a, en effet, deux manières de voir, comme deux manières d’être aveugle, l’une extérieure, l’autre intérieure ; or, les Juifs n’avaient de désirs que pour les choses sensibles, et de mépris que pour la cécité extérieure ; Jésus leur déclare donc qu’il vaudrait mieux pour eux être aveugles, que de voir de la sorte : « Si vous étiez aveugles, leur dit-il, vous n’auriez point de péché, » et votre châtiment serait moins rigoureux ; « mais maintenant vous dites : Nous voyons. » — THEOPHYL. Vous ne voulez faire nulle attention au miracle opéré en faveur de cet aveugle, vous êtes donc indigne de pardon, puisque la vue de tels prodiges n’est point capable de vous attirer à la foi.


S. Chrysostome : (hom. 59.) Il leur montre ainsi que ce qu’ils regardaient comme un titre de gloire, sera pour eux une cause de châtiment, et en même temps il console de sa cécité extérieure cet homme qui avait été aveugle de naissance. Ce n’est pas sans raison que l’Evangéliste nous fait remarquer que quelques-uns d’entre les pharisiens qui étaient là entendirent ces paroles ; il veut nous rappeler que ce sont les mêmes qui avaient d’abord résisté à Jésus-Christ, et avaient voulu ensuite le lapider ; ils étaient de ceux qui suivaient le Sauveur comme par manière d’acquit, et à la première occasion se déclaraient contre lui.— THEOPHYL. Ou bien encore, si vous étiez aveugles, c’est-à-dire si vous ignoriez les Ecritures, votre péché serait moins grand, parce qu’il aurait l’ignorance pour excuse ; mais maintenant, que vous vous donnez comme des sages et des hommes versés dans la loi, vous vous condamnez vous-mêmes.