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Exploration du Mékong/06

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EXPLORATION
DU MÉKONG

VI.
LA CHINE OCCIDENTALE[1]

La Chine ! ce mot seul éveille l’idée d’un peuple qui a triomphé de l’espace par l’étendue de son empire, du temps par sa durée, — d’une nation immuable dans ses usages comme dans ses maximes, et qui, malgré les révolutions qui l’agitent et les invasions qui la pénètrent, oppose au cours des événemens et des idées une sorte de pétrification colossale. Emprisonnée dans les mailles d’un idiome qui subordonne l’intelligence à la mémoire et dans un réseau d’institutions qui règlent jusqu’aux attitudes du corps, la Chine a pourtant devancé l’Europe dans la vie sociale, dans les sciences et dans les arts ; mais les inventions les plus fécondes y sont demeurées stériles, comme si la Providence avait voulu faire passer brusquement cette race d’une adolescence hâtive à une décrépitude sans remède. Maître de la moitié de l’Asie, ce peuple pourrait encore réunir des armées aussi nombreuses que celles de Gengis-khan ; mais ses soldats s’enfuient devant une poignée d’Européens après avoir agité de loin, comme une impuissante menace, ces monstres de carton dont l’image fantastique s’étale sur nos écrans et nos tapisseries : pays étrange, plein de contrastes et de mystères, où la grandeur s’associe au grotesque, et où des magots justement fiers des quarante siècles de leur histoire semblent nous contempler du haut d’un paravent comme du sommet d’une pyramide.

Visiter ce sphinx dans son domaine le plus reculé, telle était l’espérance qui nous avait si longtemps soutenus et que nous étions au moment de voir se réaliser. Nous nous trouvions en effet sur cette extrême frontière de Chine qu’aucun Européen n’avait encore traversée. Nous n’abordions pas le Céleste-Empire par ce littoral si facilement accessible, mais où le voyageur trouve encore plus l’Europe que la Chine elle-même ; nous étions à 800 lieues des somptueux hôtels de Shang-haï et de cette protection consulaire qui étend jusqu’aux confins de la terre habitable l’ombre de la patrie. Nous arrivions épuisés de ressources, sans chaussures, presque sans vêtemens, dans des contrées où l’estime du prestige extérieur avait survécu aux horreurs de la guerre civile ; mais, tout en craignant de compromettre notre dignité aux yeux de mandarins qui pourraient juger de notre rang par notre habit, nous avions la ferme résolution de profiter des prescriptions impératives de nos passeports pour assurer notre sécurité et faire respecter nos personnes. Les lettres signées par le régent de l’empire nous ont en effet mieux couverts que le plus brillant costume officiel ne l’aurait pu faire, même aux yeux du plus formaliste de tous les peuples. Les représentans du gouvernement chinois n’ont pas justifié envers nous leur vieille réputation de perfidie, d’où l’on peut conclure que c’est à leur impuissance et non à leur hostilité qu’il faut imputer les misères, les périls essuyés par les membres de la commission pendant la dernière partie du voyage.

On se souvient peut-être que le roi laotien de Sien-hong, hésitant à nous laisser continuer notre route, avait envoyé le mandarin chinois en résidence auprès de lui prendre les instructions du gouverneur de Muong-la. Or la ville que nous avions devant les yeux n’était autre que Muong-la elle-même, et les mauvais desseins dont on avait un moment voulu nous intimider n’avaient pas tenu devant la fermeté de notre attitude. Les ordres de l’empereur des Birmans ne pouvaient plus désormais nous atteindre ; nous avions glissé entre les mains de ses agens au Laos et franchi la frontière méridionale de la province de Yunan, la plus inconnue de l’empire du milieu. Muong-la est appelés Seumao par les Chinois ; c’est, si je ne m’abuse, cette même ville qu’un Anglais a proposé de réunir à Rangoun par un chemin de fer, afin de faire dériver vers un port des Indes britanniques tout le courant commercial de la Chine occidentale. Au lendemain de l’inauguration du canal de Suez, à la veille de l’ouverture du Mont-Cenis, en présence surtout de cette colossale entreprise qui a joint, malgré les Montagnes-Rocheuses, New-York à San-Francisco, on ne saurait plus assigner de limites à la puissance de l’homme. Si la race anglo-saxonne voulait appliquer un jour à l’exécution d’une telle œuvre les ressources dont elle dispose et la persévérance qui la caractérise, elle parviendrait sans doute à triompher de tous les obstacles ; mais j’ose affirmer qu’elle ne songera de longtemps à l’entreprendre. Sans énumérer ici les difficultés de toute nature qu’il faudrait vaincre avant de joindre par un railway les montagnes du Yunan et les plages du golfe de Martaban, il me suffira de dire que les sommes immenses qui seraient englouties dans ce travail demeureraient une dépense perdue, si l’ordre de choses inauguré en 1855 par la révolte des musulmans prévalait définitivement, car un état fondé sur le triomphe du fanatisme mahométan laisserait une pareille entreprise sans avenir et sans garantie. Les preuves ne manqueront pas, au cours de ce récit, à l’appui de cette assertion. Nous étions à peine entrés en Chine, que déjà de tous côtés des ruines attristaient nos regards. Le fléau dont nous avions vu les. traces, surtout dans la dernière province du Laos, avait encore plus cruellement sévi dans cette partie du Yunan, et les villages abandonnés ou détruits devenaient plus nombreux à mesure que nous approchions de la ville.

Des routes dallées se croisaient dans les rizières : nous en suivîmes une jusqu’à un pont en pierre semblable à celui dont la vue nous avait causé tant de plaisir à Muong-long, puis nous entrâmes dans les faubourgs. Des femmes se pressaient au seuil des portes pour nous voir passer, des enfans s’échappaient de l’école, suivis de leur pédagogue portant encore à la main une longue gaule et sur le nez des lunettes à verres ronds, et les groupes formés devant les affiches collées sur les murailles interrompaient leur lecture. Des gardes armés nous attendaient ; ils nous saluèrent poliment en nous invitant à les suivre. Notre escorte, qui augmentait à chaque pas, ne tarda point à comprendre la population entière de Seumao. Nous longeâmes l’enceinte de cette ville, puis, tournant à droite, nous arrivâmes, après dix minutes de marche, dans la pagode où nous devions loger. L’étroite cour étant déjà envahie, les soldats eurent de la peine à nous frayer un passage à travers les rangs pressés de la multitude ; il y avait du monde jusque sur les toits. La pagode, vaste édifice rectangulaire complètement ouvert du côté de la cour intérieure, fut en un instant inondée par la foule, malgré les efforts de policemen armés de bâtons. Ceux-ci, impuissans à contenir ce flot débordé, prirent le parti de lui céder en nous recommandant de bien surveiller nos bagages. Habitué depuis de longs mois aux vastes horizons, aux solitudes sans bornes, je me sentais étourdi par cette fourmilière humaine entassée dans un espace resserré. Je croyais avoir sous les yeux une de ces estampes si répandues en Europe ; je retrouvais les courbes des toits, tous les détails connus de l’architecture chinoise, et, si j’ose le dire, le style même des physionomies.

Un mouvement se fait dans la cour, la masse compacte des curieux s’ouvre et se referme. C’est un mandarin précédé de soldats en habits rouges qui vient officiellement nous souhaiter la bienvenue. Son chaperon à bords relevés est orné d’une tige garnie à la base de floches en soie et surmontée d’un globule bleu. Il s’incline avec grâce, nous annonce que nous étions depuis fort longtemps attendus, et que l’on commençait à désespérer de nous voir. Il nous fait apporter du riz, de la viande de porc, et s’informe de nos besoins. Malgré la présence du fonctionnaire, le public nous serre de près. Des agens avec leur bâton font reculer les plus audacieux, et deux de nos Annamites, placés en sentinelle, refoulent les curieux dans la cour, et débarrassent au moins notre domicile. Ce n’est qu’à la nuit tombante que nous pouvons procéder à notre installation, à l’abri des regards importuns. Notre pagode se compose de trois murs en briques blanchies à la chaux ; le quatrième côté, ouvert, comme je l’ai dit, est soutenu par de belles colonnes en bois. Notre ancienne connaissance, le bouddha du Cambodge et du Laos, aux traits allongés, aux oreilles pendantes, à la pose contemplative et béate, disparaît et fait place à deux personnages de grandeur naturelle. Au-dessus de ceux-ci, une femme semble planer, assise sur un nuage. Des trois grandes religions répandues dans la Chine, sans compter l’islamisme, celle de Confucius semble seule demeurée pure de tout alliage mythologique ou superstitieux. Les classes lettrées, qui sont les seules à professer cette doctrine, s’inquiètent bien moins d’y chercher des notions religieuses, qu’elles n’y trouveraient guère d’ailleurs, qu’un cours de philosophie positive et de morale pratique. Hormis la tablette de Confucius, qui figure dans les temples élevés en son honneur et dans toutes les écoles, ce culte est sans image, comme il est sans symboles et sans prêtres. Les croyances bouddhiques au contraire, introduites en Chine au Ier siècle de notre ère, sous le règne de Ming-ti, passèrent bientôt de la cour du roi de Tchou, prince vassal de l’empire, dans le cœur des petits, des misérables et des souffrans. Flattés, mais non pleinement satisfaits par l’anathème que jetait le bouddhisme à l’activité et à la vie, ces déshérités de toute espérance greffèrent sur les dogmes de Fô les superstitions qui, en l’absence d’une foi raisonnée et de doctrines philosophiques, croissent si facilement dans les ténèbres de l’âme humaine. Les temples, les images se multiplièrent à l’infini ; mais aujourd’hui les bonzes chinois, race tombée dans l’ignorance et l’abjection, sont le plus souvent incapables de donner la raison des croyances qu’ils professent par nécessité et des symboles qu’ils vénèrent par habitude. Enfin Lao-tseu, né à la fin du VIIe siècle avant Jésus-Christ, paraît avoir joué, contrairement à Confucius, son contemporain, le rôle d’un révélateur inspiré. S’élevant au-dessus de l’horizon social, dépassant les bornes de la tradition nationale et dédaignant la philosophie, il prétendit conduire ses disciples jusque sur les sommets d’une cosmogonie à laquelle on ne saurait refuser un caractère de grandeur. Il enseigna la raison suprême préexistante au chaos, et « rattacha la chaîne des êtres à celui qu’il appelle un, puis à deux, puis à trois, qui, dit-il, ont fait toutes choses[2]. » Ce qu’il y a de plus clair dans son livre, dit Abel Rémusat, c’est qu’un être trine a formé l’univers. Est-ce là, comme quelques-uns l’affirment, une doctrine empruntée aux Juifs par Lao-tseu dans un voyage qu’il aurait fait en Occident, ou bien, comme d’autres le prétendent, un souvenir de l’ancienne divinité trine des Indiens ? Je n’ai pas ici à le rechercher. J’ai voulu seulement indiquer les trois espèces de temples dans lesquels nous étions désormais appelés à nous établir, et rendre hommage à Lao-tseu, qui nous fournissait notre premier gîte sur le territoire chinois. La doctrine de ce dernier, défigurée par ses sectateurs, est devenue absolument méconnaissable aujourd’hui. Ses temples, comme ceux de Fô, sont peuplés de statues grotesques et grimaçantes, objets de raillerie pour la classe éclairée, qui poursuit les images catholiques elles-mêmes de ses haines iconoclastes. Dans la pagode que nous occupions, il y a, je l’ai dit, un groupe formé de deux hommes qui semblent dominés par une femme élevée au-dessus d’eux ; ce groupe me fait souvenir de cette parole de Lao-tseu, que « tous les êtres reposent sur le principe féminin. » Une petite lampe, posée sur une table, brûle constamment devant la vierge, et trois cassolettes sont sans cesse alimentées de parfums. Un vieux prêtre et deux respectables prêtresses suffisent aux soins du sanctuaire. Jamais vestales ne furent plus accommodantes. Le feu sacré nous sert à allumer nos cigarettes ; les tables sont chargées de mille objets profanes, et nous y prenons nos repas. Le drapeau français planté au haut du perron, les armes fixées aux colonnes, les nattes étendues sur le sol pour nous servir de lit, enfin aucun des mille détails de notre vie quotidienne ne paraît gêner nos vénérables hôtesses, qui viennent régulièrement chaque jour saluer les idoles. Après avoir examiné l’huile de la lampe et la sciure de bois odoriférant, elles frappent trois coups sur un petit timbre et se prosternent plusieurs fois. Ce sont là, avec une pieuse lecture à certains jours du mois, tous les devoirs du culte. Aussi paraissent-elles heureuses, ces bonnes vieilles ; elles jouissent de leur vie tranquille, et ne se refusent pas à l’occasion quelques douceurs. Elles se sont, par exemple, acheté deux cercueils comfortables, preuve évidente qu’elles ne sont point arrivées à un complet renoncement. En Europe, les trappistes creusent eux-mêmes leur fosse, et il n’y a pas d’ennemi des couvens qui ait songé à leur reprocher cet exercice comme une pratique épicurienne. En Chine au contraire, se donner d’avance un cercueil, c’est un luxe auquel tout le monde ne saurait aspirer ; ce sont meubles qui coûtent fort cher, surtout lorsqu’ils portent la marque du faiseur en renom.

Un matin, des gardes du palais viennent remettre à M. de Lagrée la carte de visite du gouverneur. Quelques caractères chinois sur un morceau de papier rouge signifient, paraît-il, que l’on nous recevra volontiers ; telle est du moins l’explication qui nous est donnée par un d’entre nous, qui, lors de la prise de Pékin, avait fait partie de l’escadre de l’amiral Charner. C’est un des avantages de la centralisation puissante dont la Chine a donné l’exemple à l’Europe de permettre au voyageur qui a passé un mois dans le Petcheli de n’être pas dépaysé dans le Yunan, à l’autre extrémité de l’empire.

Pour gagner la salle des audiences publiques, il nous faut passer par une porte formée d’une voûte assez haute que couronnent deux toits recourbés, entre lesquels est ménagée la place de deux postes militaires superposés. Le gouverneur nous attend dans une pièce située au fond de trois cours. Son excellence porte au chapeau un globule de corail ; mais c’est un mandarin militaire, et cela diminue notre respect. Nous savons qu’en Chine le cedant arma togœ est poussé fort loin ; le dernier des lettrés professe en effet poulie plus grand général un dédain que la prudence ne lui permet pas toujours de témoigner, mais que les préjugés de ses compatriotes l’autorisent à entretenir. Du reste, les mandarins lettrés ne seraient pas mieux à leur place dans la province de Yunan qu’un professeur de l’université dans une ville assiégée. Le costume de notre hôte est le classique costume chinois : camail fourré, longue robe en soie, queue magnifique ; il a les traits gros, les yeux proéminens, une physionomie plus ouverte que fine, mais qui respire tout à la fois la force et la bienveillance. Il voudrait bien y joindre un certain air de majesté, mais il y réussit assez mal. Il parle peu, fume sa pipe, et demeure impassible jusqu’au moment où M. de Lagrée lui offre un revolver. Sitôt qu’il eut compris le mécanisme de cette arme, ses yeux pétillèrent comme ceux d’un coursier sentant la poudre ; il s’élança de son siège, oublieux de sa dignité, et les six balles qu’il tira coup sur coup auraient certainement mis à mal plusieurs de ses administrés, si l’on n’avait à propos détourné son bras. La salle d’audience était en effet envahie par une foule bruyante, qui nous coudoyait, interrompait la conversation par des éclats de rire, et coupait impitoyablement la parole au gouverneur lui-même.

Celui-ci paraissait animé pour nous des meilleures intentions, quoiqu’il manifestât certaines inquiétudes sur le but de notre voyage. On eût dit qu’il craignait une entente secrète entre nous et les musulmans. Il nous apprit d’ailleurs que toute la partie occidentale de la province où coule le Mékong, qu’il appelle Kioulang-kiang (fleuve aux Neuf-Dragons), était aux mains de ces ennemis de l’empire. L’expérience que nous venions de faire en pénétrant sans passeports chez les Laotiens, tributaires de la Birmanie, nous avait servi de leçon, et nous n’étions pas disposés à courir au-devant de nouveaux périls. M. de Lagrée jugea la situation d’un coup d’œil. Renonçant, non sans de vifs regrets, à suivre le cours du Mékong, il se détermina, pour deux raisons, à se diriger vers l’est. D’abord il était convaincu que pénétrer à l’improviste dans un pays désorganisé, sillonné par des bandes sans discipline et sans chef, enivrées de meurtre et de pillage, c’était tout à la fois s’exposer à des chances fâcheuses et se rendre suspect aux autorités fidèles de Seumao. D’un autre côté, en présence du développement certain que l’avenir réserve à notre établissement colonial en Cochinchine, il ne parut pas inutile à M. de Lagrée d’explorer la zone arrosée par le Sonkoï. Ce fleuve, mal connu à cette hauteur, prend sa source au nord-ouest du Yunan et se jette à la mer dans le golfe du Tonkin, où notre pavillon peut se ménager un accès facile. Le bassin du Mékong fut donc abandonné pour celui du Sonkoï, et l’intérêt purement géographique pour un intérêt politique de premier ordre. Cette détermination, prise sur-le-champ et annoncée séance tenante au gouverneur, parut causer à celui-ci une satisfaction si vive que, sortant de sa réserve diplomatique, il fit preuve aussitôt d’une franchise expansive. Il nous promit une escorte, mais il ajouta qu’il fallait se hâter de partir, car la guerre, un instant suspendue, était à la veille de recommencer plus acharnée que jamais, et le chemin que nous allions suivre n’était séparé que par trois jours de marche des armées musulmanes qui, chassées de Seumao, se disposaient à revenir à la charge. Cette malheureuse ville gardera longtemps le souvenir des combats livrés dans ses murs. En dehors de son enceinte, les faubourgs et les villages de la banlieue, qui renfermaient une population d’au moins 30,000 âmes, ont été détruits ; il ne reste pas une maison sur vingt. Les vainqueurs semblent s’être acharnés surtout contre les pagodes ; les unes n’ont pas conservé pierre sur pierre, d’autres ont été transformées en étables, toutes sont dégradées ; autels à terre, statues sans tête, ornemens en pièces, tels sont les signes trop connus de cette horrible forme de guerre civile appelée guerre de religion. Je ne parle pas des populations massacrées, parce que rien ne laisse moins de trace sur la terre que l’homme lui-même : la plus chétive de ses œuvres atteste son existence par des débris ; de lui, il ne demeure rien. On s’occupait du reste activement de réparer les murailles de la ville, et de creuser autour un large fossé ; sur la plate-forme, on accumulait de distance en distance des pierres destinées à lapider l’ennemi, et l’on faisait tous les jours l’exercice à feu. Les armes de siège sont des tubes en fer gros et longs, moitié couleuvrines, moitié fusils. Un soldat sert d’affût, un second pointe, et le troisième, qui a en main la mèche allumée, met le feu. Tout se préparait donc pour un prochain assaut. Les murs nous ont paru de force à le soutenir ; ils sont épais, construits en belles briques et en grès ; les portes, doublées de fer, résisteront, si elles ne sont pas battues par une artillerie trop redoutable. Quant aux fautes contre l’art qu’a illustré Vauban, la forme mauvaise de l’enceinte, l’absence de bastions, de plongées d’escarpe et de contrescarpe, il ne m’appartient pas d’en parler. Le cabinet du gouverneur ressemble à la tente d’un général d’armée : à chaque instant, des courriers y arrivent, des estafettes en sont expédiés ; lui-même déploie une activité surprenante, peut-être même l’assurance que lui donne son revolver va-t-elle le décider à prendre l’offensive. Il a reçu d’ailleurs de Birmanie une certaine quantité d’armes européennes, parmi lesquelles se trouve un fusil de munition russe, pris probablement à Sébastopol par les Anglais.

Des files nombreuses de chevaux et de mulets entrent incessamment dans la ville, apportant du coton, du bois à brûler, et surtout du riz qu’on emmagasine, en prévision d’un siège, dans des greniers d’abondance. La classe riche a complètement déserté cette cité menacée, les gros négocians ont pris la fuite ; il n’y reste qu’un peuple de marchands, de fonctionnaires et de soldats. Cordonniers, épiciers, pharmaciens, tailleurs, débitans d’opium, petits artisans de toute espèce bravent les chances de la guerre pour gagner quelques milliers de sapèques. C’est une bonne fortune pour nous, et, tandis que nous mettons à nos pieds des chaussures indigènes, les hommes de notre escorte nous taillent dans du drap venu de Birmanie des vêtemens de forme européenne, car nous sommes jaloux d’affirmer notre nationalité par la coupe de nos habits et de nos cheveux. Nos fournisseurs chinois n’y contredisent pas d’ailleurs ; il leur suffit qu’argent et sapèques soient de bon aloi. En attendant notre départ, je visitai les boutiques, où je restais parfois des heures entières, heureux de voir fonctionner tant de métiers divers, dont aucun n’existe dans le Laos, et qui sont un des signes de la vie en société. Souvent aussi, quand je me promenais dans la ville, des bourgeois m’invitaient à entrer chez eux pour y prendre une tasse de thé, offre qui est en Chine, comme celle du café dans le Levant, le début de toutes les conversations. Les mandarins me saluaient en s’inclinant à la manière des dames européennes, car un Chinois bien élevé ne se découvre jamais. Nous recevions aussi des visites nombreuses. Notre interprète, en mêlant au langage de la dernière province laotienne un petit nombre de mots chinois, réussissait encore à se faire comprendre ; mais les bruits qui circulaient l’avaient tellement effrayé qu’il n’osa pas nous accompagner plus avant dans notre voyage. Nous n’avions certes jamais compté ni sur son courage, facilement ébranlé par la seule apparence du péril, ni sur son dévoûment, qui n’était pas plus à l’épreuve d’une barre d’argent que d’un sourire de femme ; mais son esprit ingénieux et souple se serait insensiblement plié à des usages nouveaux comme à une langue nouvelle. Il était en mesure de toujours se faire entendre au moins des gens du peuple, immense avantage dont, après son départ, nous sentîmes tout le prix. En effet, les voyageurs qui abordent aux rivages de la Chine s’assurent d’un interprète avant de se hasarder dans les provinces de l’intérieur, ou se font au moins un vocabulaire de tous les mots essentiels. Nous étions au contraire jetés sans livres aux frontières les plus reculées du grand empire, séparés par un mur d’airain d’une société exigeante et raffinée, incapables de rien saisir même du sens littéral des discours mandariniques, et à plus forte raison de deviner ce que voulaient cacher sous leurs métaphores et leurs amplifications des hommes accoutumés à n’user de la parole que pour déguiser leur pensée. M. de Lagrée lutta contre cette difficulté nouvelle et très sérieuse avec l’énergie dont il avait déjà fait preuve, et parvint à en triompher. Caractère résolu, mais âme sympathique et tendre, il avait toujours su s’attacher les jeunes gens. Pendant qu’il représentait au Cambodge le gouverneur de la Cochinchine, il aimait à s’entourer des élèves de la mission catholique ; plusieurs devinrent ses serviteurs, et ne trompèrent jamais son affection confiante. Il agit de même en Chine. Dès les premiers jours, de notre arrivée à Seumao, ses manières bienveillantes attirèrent vers lui un jeune Chinois sans famille et sans ressources, comme il y en a tant dans cette province désolée ; il en fit son professeur. A force de travail, de patience et de douceur, le maître et le disciple s’accoutumèrent l’un à l’autre et finirent par se comprendre. Dans les cas difficiles, nous avions recours à l’un de nos Annamites, qui avait appris à écrire comme on l’apprenait dans son pays avant l’établissement des écoles françaises et la substitution de l’alphabet européen à l’écriture idéographique. Il connaissait un certain nombre des caractères chinois le plus ordinairement employés. Si un Annamite et un Chinois ne peuvent s’entendre lorsqu’ils causent, ils n’en sont pas moins en mesure de communiquer facilement par écrit. Pour tous deux en effet, ces signes, aujourd’hui si compliqués, qui n’étaient à l’origine que la représentation même des objets, ont une signification identique.

La veille du jour fixé pour notre départ, un message du gouverneur vint prier le chef de l’expédition d’attendre jusqu’au surlendemain. Habitué à ces lenteurs, M. de Lagrée employa le même moyen qu’au Laos, et simula une grande colère. Après de longues explications, nous comprîmes enfin que c’était là, de la part du mandarin, une démarche toute courtoise, une formule de politesse obligée. Il était de bon goût de se montrer chagrin de notre départ et d’essayer de gagner au moins vingt-quatre heures. Si le désir de nous retenir plus longtemps chez elles, désir exprimé d’une façon si inattendue par les autorités, n’était de la part de celles-ci qu’un raffinement d’urbanité, la population était animée par un sentiment bien plus sincère. Pendant toute la durée de notre séjour à Seumao, la cour de notre pagode n’avait pas cessé d’être encombrée d’infirmes, de malades, de blessés, auxquels le docteur Joubert distribuait libéralement des remèdes, des conseils et des soins. Là comme partout, la maladie était la triste compagne de la misère, les ulcères se montraient surtout sous les haillons, et notre établissement n’était pas à certaines heures sans quelque analogie avec la Cour des Miracles. Un employé du palais qui s’était échappé au moment de recevoir une correction pour quelque peccadille avait été poursuivi par les soldats, forcé comme un lièvre et littéralement haché tandis qu’il gisait à terre, épuisé et sans défense. Couvert de plaies profondes, il fut laissé pour mort. Nous l’avions recueilli, et des pansemens répétés améliorèrent bientôt son état. Devant ce prodige de la chirurgie européenne, la joie des parens du malade ne fut égalée que par leur reconnaissance. Notre réputation était faite quand il fallut partir, et nous eûmes la satisfaction de laisser derrière nous bien des regrets et des sympathies.

Les porteurs de nos bagages sont de pauvres diables qui n’ont pas pu, en finançant avec le chef chargé de nous conduire, échapper à cette dure corvée. Le commandant de l’escorte est un mandarin d’ordre inférieur, bien nourri, coiffé d’un large chapeau de paille aux bords retombans, mollement assis sur de nombreux coussins et le talon dans les étriers. Ce guerrier est une sorte de Sancho Pança à cheval. Quant à nous, nous ne sommes pas assez riches pour nous payer cette monture. Devant lui, marchent plusieurs bannières rouges ; derrière, quelques soldats ayant, les uns une lance sur l’épaule, les autres un fusil en bandoulière. Ceux-ci approchaient de temps en temps la mèche fumante du bassinet rempli de poudre, comme des hommes qui ont l’ordre de ne rien négliger pour effrayer l’ennemi. Il paraît que nous étions fort exposés à rencontrer des bandes ; aussi chargeâmes-nous nos armes, car notre escorte chinoise ne nous inspirait qu’une assez faible confiance. Après être sortis de la ville par la porte de l’est, nous suivîmes un chemin qui serpentait entre des monticules couverts de tombeaux. Pas un nuage ne flottait entre nos regards et l’azur profond du ciel ; une herbe rare et grillée recouvrait les légères ondulations du sol ; quelques arbres survivaient auprès d’un mur rouge ou d’un pignon blanc, dont les couleurs scintillantes attiraient invinciblement les yeux. Nous aurions pu nous croire transportés dans les champs de la Provence.

Au lieu des étroits talus qui servaient de chemin au Laos pour traverser les rizières, nous trouvions ici une route dallée qui ne finissait même pas au pied des montagnes. Elle y pénétrait en conservant une largueur variable entre 1 et 3 mètres ; cela rappelle les voies romaines. De distance en distance, quand les pentes sont trop raides, quelques marches d’escalier facilitent l’ascension. Nous passons la nuit dans une pagode abandonnée, au pied d’une statue monstrueuse, toute mutilée et le ventre ouvert. En effet, le trésor des pagodes étant souvent caché dans le corps des statues, les mécréans ne se gênent pas pour leur faire subir ce traitement impie. Quand nous nous remettons en route, les nuages enveloppent encore le sommet des montagnes, et le soleil levant éprouve quelque peine à faire dans leur masse noire une trouée lumineuse. Nous apercevons des villages détruits et des pans de mur qui n’abritent plus personne ; pas une maison n’est debout, pas un hectare n’est en culture. Les interruptions dans le dallage de la route deviennent fréquentes et rendent la marche difficile. Parmi les énormes blocs de pierre qui constituent le pavé, les uns sont demeurés à la place qu’ils occupent depuis des siècles, les autres se sont enfoncés dans la terre ou bien ont roulé dans les ravins. C’est que le temps de ces magnifiques travaux est passé ; la machine administrative, jadis si bien montée, se détraque ; l’empire est menacé d’une dissolution générale ; le gouvernement n’a plus ni l’argent ni le loisir nécessaires à l’entretien de ces grandes œuvres exécutées jadis par des empereurs tout-puissans dont elles honorent encore le règne. Plus de vingt-deux siècles avant l’ère chrétienne, Chun, simple laboureur associé par Yao à l’empire, avait commencé d’opposer des digues aux eaux des fleuves extravasées sur les campagnes, et Yu, élevé sur le trône, comme Chun l’avait été lui-même, en considération de ses services et de sa valeur personnelle, acheva cette colossale entreprise. L’an 214 avant Jésus-Christ, Chi-hoang-ti jeta les fondemens de cette muraille fameuse dont la construction occupa pendant dix années plusieurs millions d’hommes, et que le père Amiot considère comme un monument éternel de la puissance des Chinois. C’est encore à Chi-hoang-ti qu’il faut rapporter l’honneur d’avoir fait exécuter ces routes qui, après avoir sillonné d’abord le Ghensi et le Chansi, se multiplièrent plus tard et enveloppèrent enfin toute la Chine dans un immense réseau. Chaque fois qu’une province était conquise, c’était par de semblables bienfaits qu’on s’efforçait de l’attacher à l’empire. — Moraliser par des lois meilleures, enrichir par de grands ouvrages d’intérêt public les peuples innombrables successivement groupés autour du noyau originaire des cent familles, telle a été la méthode suivie par les souverains chinois ; c’est ainsi qu’ils ont cimenté cette gigantesque unité dont l’enfantement exigea tant de siècles. Le Yunan lui-même, perdu et reconquis si souvent que l’on pourrait le considérer comme une simple colonie militaire, n’a pas été oublié par le pouvoir impérial, et les travaux d’art qui y ont été prodigués empruntent à l’âpre grandeur des paysages qui les encadrent un caractère particulier. Aujourd’hui les routes se dégradent, les ponts s’écroulent, et le désert se fait autour des ruines accumulées. Je n’avais jamais imaginé pareille désolation. Tout étrangers que nous sommes, nous nous sentons envahis par la tristesse, et nous suivons en silence les sinuosités de ce chemin où la mort a passé.

Tout à coup, dans une étroite vallée, des maisons nombreuses apparaissent, s’étageant sur les deux versants des montagnes. Une longue file de chevaux et de mulets, le bruit d’une chute d’eau, de noirs tourbillons de fumée, une forte odeur de charbon de terre et ce bourdonnement particulier aux villes manufacturières nous arrachent à notre mélancolie. Nous rencontrons enfin une ville sortie de ses ruines ; en vain les musulmans l’ont détruite pour la plus grande gloire du prophète. L’énergie des populations a prévalu, la vie a triomphé de la mort, et l’activité industrielle a lutté pendant trois ans contre le désespoir et la misère. C’est qu’on ne saurait emporter en fuyant les sources de richesses cachées dans ce sol privilégié, et l’ennemi lui-même n’a pu les tarir. Celui-ci a brûlé des maisons, renversé des pagodes ; mais il n’a pas comblé les puits de sel, épuisé les gisemens de combustible, détruit les forêts de pins. Une population de travailleurs chinois exploite avec intelligence les ressources de tout genre qui abondent dans cet étroit espace. Si leurs méthodes ne sont point encore parfaites, elles sont au moins très ingénieuses. Ces puits s’enfoncent obliquement jusqu’à une profondeur de 80 mètres dans la terre, soutenue de distance en distance par des cadres en bois. Une grande pompe envoie de l’air aux ouvriers qui sont au fond du puits, et une série de petites pompes, dont chacune est manœuvrée par un homme, fait monter l’eau salée par un conduit en bambou qui la déverse dans un grand réservoir, d’où on l’amène dans les chaudières. Celles-ci, au nombre de 25 ou 30 sur une seule ligne, sont chauffées au moyen du bois et de l’anthracite. La gueule flambante des fourneaux charme les yeux du voyageur, qui arrive brusquement dans ce lieu favorisé après avoir traversé des pays barbares ou dévastés. Nous avons pu voir une quantité considérable de blocs de sel ainsi obtenus par l’évaporation, emmagasinés et prêts à recevoir l’estampille du mandarin percepteur des droits. Parvenus au dernier étage de cette petite ville bâtie en amphithéâtre, dans un enfoncement où n’arrive ni bruit ni exhalaison, la pagode, adossée à la montagne et ombragée par de beaux arbres, nous apparaît tout éclatante de couleurs et baignée dans un bassin demi-circulaire que couvrent des nénuphars en fleurs. Les pagodes chinoises, dont l’architecture est d’ailleurs fort connue en Europe, ne ressemblent en rien aux temples bouddhistes du Laos que nous avons habités si longtemps. Bien qu’elles occupent souvent une superficie considérable, elles n’ont pas ces formes à la fois amples et sublimes qui donnent à certains sanctuaires de l’Indo-Chine, comme à ceux de l’Inde, une si imposante majesté. Elles manquent de cette unité grandiose, noble signe de l’architecture sacrée qui, sans exclure la richesse d’une ornementation souvent luxuriante, révèle le sentiment profond d’où les œuvres inspirées par la foi semblent jaillir tout d’une pièce. Elles ne connaissent ni ces élancemens vers le ciel qui sont dans l’Europe germanique comme une image de la prière, ni ce développement harmonieux des lignes architectoniques qui témoignent, chez les populations grecques, d’une si sereine vision de l’idéal et du divin. Ces pagodes se composent d’une longue suite de sanctuaires et de réduits reliés les uns aux autres par des terrasses et des galeries. Tout cet ensemble est écrasé et paraît raser le sol. On dirait que les temples redoutent de s’approcher des nuages, à l’instar des croyances chinoises elles-mêmes, qui craignent par-dessus tout de s’égarer dans l’abstraction. Nous nous y trouvons d’ailleurs fort à l’aise, ainsi que les hommes de notre escorte, et nous avons regretté souvent les pagodes dans les lieux où la guerre a laissé subsister quelques hôtelleries.

La seconde ville de Chine où nous ayons résidé s’appelle Poheul. Il faut traverser, pour s’y rendre, des forêts de plus exploitées sans méthode et sans mesure par de nombreux bûcherons qui auront bientôt détruit cette richesse forestière. Poheul est moins bien située que Seumao. Construite dans une vallée étroite, deux hautes montagnes l’enserrent et l’écrasent. Sur les sommets, un pavillon à plusieurs étages et une tour isolée produisent un effet bizarre. Ces sortes de tour, dont la plus célèbre se voyait à Nankin, sont souvent placées en Chine aux approches des villes de quelque importance. Elles paraissent se rattacher à un souvenir religieux. « Selon les traditions indiennes, lorsque le Bouddha mourut, on brûla son corps, ensuite on forma huit parts de ses ossemens, qu’on enferma en autant d’urnes pour être déposées dans des tours à huit étages ; de là vient, dit-on, l’origine de ces tours si communes dans les pays ou le bouddhisme a pénétré[3]. » Ces montagnes sont d’ailleurs assez pittoresques : aux grandes rayures noires et blanches de la roche calcaire se mêlent les raquettes vertes d’un arbrisseau qui enfonce ses racines dans la pierre. La ville de Poheul a été éprouvée par la guerre plus encore que Seumao. Une seule rue est habitée. On avait commencé à creuser un fossé de quelques mètres autour des murailles, mais cette œuvre de défense a été abandonnée. Poheul semble résignée à son sort, et les musulmans, qui l’ont déjà prise une fois, la trouveront tout ouverte le jour où ils se croiront en mesure d’achever la conquête de la province. Cette ville, presque déserte aujourd’hui, et qui a renoncé au rôle périlleux de place de guerre, reste un centre administratif important. Depuis deux cents ans environ, elle a été élevée au rang de fou[4], et le mandarin qui y réside a conscience de sa dignité. Il n’avait envoyé personne pour nous recevoir officiellement ; M. de Lagrée lui en fait témoigner quelque surprise, et des personnages décorés de globules de toutes nuances accourent aussitôt et s’offrent à nous conduire au palais préfectoral. La foule nous suit, mais on ne la laisse pas pénétrer, comme à Seumao, dans la cour du yamen. La conférence en est moins bruyante et plus digne. Le gouverneur est le type du mandarin chinois tel que le représentent toutes nos caricatures, gros et court, un œil à demi fermé et quelques poils longs au menton. Il désirerait nous voir partir pour Yunan-sen, ville capitale de la province, le plus promptement possible, en évitant de passer par Lingan, car il ne se rend pas compte des motifs qui nous poussent à étudier la région du sud-est au lieu de marcher avec célérité vers le nord. Des étrangers qui s’attardent dans le Yunan, alors qu’il achèterait lui-même fort cher la faveur de quitter cette province, ne peuvent manquer de lui être suspects. En effet, les mandarins dans ce pays sont si peu rassurés, qu’ils préfèrent à l’administration d’une préfecture au Yunan un simple canton au Set-chuen. Ayant, pour la plupart, renvoyé leurs familles et mis leur fortune en sûreté, ils se considèrent comme campés sur un sol exposé aux incursions de l’ennemi, et maudissent l’ambition imprévoyante qui les a conduits dans ce poste dangereux.

Durant tout notre séjour, un grand nombre des principaux nabi-tans, en habits de fête, n’ont pas cessé de prier à haute voix sur le seuil de leur porte, devant une cassolette allumée, en s’accompagnant de battemens monotones sur un timbre sonore et sur un morceau de bois creux ayant la forme d’un poisson replié en rond. C’étaient des membres de la société des nénuphars, sorte de franc-maçonnerie dont le but avoué est de répandre des livres de morale, mais qui poursuit en secret d’autres desseins. Les Pe-lien-kiao ou nénuphars blancs, car il existe également des sectes qui arborent d’autres couleurs, attendent un grand conquérant qui doit « subjuguer tout l’univers. Ils se distribuent entre eux les principaux emplois de l’état dans l’espérance que l’un d’eux montera un jour sur le trône, et qu’alors ils posséderont réellement ces dignités dont ils ne jouissent qu’en idée[5]. » C’est à eux que l’empereur Yong-tching comparait les chrétiens, lorsqu’il résolut en 1723 de proscrire les missionnaires. Quels que soient les principes sur lesquels elle repose, toute société constituée est assurée d’avoir toujours des ennemis dans son sein. Le despotisme réunit contre lui les hommes jaloux de leur dignité ; sous un gouvernement libre, on voit se former la ligue méprisable des envieux et des impuissans. La Chine n’a pas seulement devancé l’Europe dans la philosophie, dans les sciences et dans les arts ; elle a fait aussi avant nous l’expérience des bouleversemens politiques. Nous étions encore en pleine féodalité lorsqu’un hardi novateur essaya d’opérer une révolution sociale dans le Céleste-Empire. On dirait que l’esprit humain livré à lui-même est condamné à tourner éternellement dans le même cercle. Au IIe siècle de notre ère, vers la fin de la dynastie des Han, un grand nombre de mandarins furent mis à mort sous l’inculpation du crime de société secrète. Au XIe siècle, sous les Song, le programme dont Ouang-ngan-ché commença l’application tendait à donner la propriété exclusive du sol à l’état, qui distribuait les semences, désignait les cultures diverses que devait recevoir le sol suivant ses qualités différentes, fixait des tarifs, et supprimait par ces moyens radicaux le prolétariat et la misère, deux problèmes dont la solution nous tourmente encore. L’empire fut profondément troublé par ces utopies dangereuses qui aggravèrent les maux qu’elles prétendaient guérir. La secte actuelle des nénuphars n’a jamais jeté un pareil éclat ; mais elle méritait d’être signalée comme une des nombreuses manifestations de cet esprit de révolte persistant, toujours prêt à inscrire sur son drapeau de séduisantes devises. C’est ainsi que les Taïpings, dont le but véritable est le pillage, se sont soulevés au nom de l’indépendance nationale, et se disent appelés à renverser la dynastie des Tartares mandchous, comme celle des Mongols a été détrônée il y a cinq cents ans par un bonze défroqué.

M. de Lagrée, avant de s’éloigner davantage du Mékong en s’avançant vers l’est, désirait faire reconnaître encore une fois ce fleuve, qui coule à l’ouest de Poheul. Le mandarin s’étant opposé à ce désir sous prétexte qu’il aurait fallu, pour, le réaliser, passer fort près d’un camp de musulmans, rien ne nous retenait plus dans cette ville, célèbre seulement par le thé très estimé que produit son territoire. Nous annonçâmes l’intention de partir, et tout fut promptement préparé. Les montagnes s’élèvent, et la pluie rend les chemins très glissants. Nous allons de faux pas en faux pas, escaladant des pentes raides et comme enduites de verglas, jusqu’à un grand village où l’exploitation du sel se fait encore sur une échelle considérable. Les puits d’où l’on retire cette denrée précieuse, qui fournit au trésor des revenus considérables, sont très communs en Chine, spécialement dans les provinces du nord et de l’ouest. Le mandarin qui administre ce district nous comble de présens : sel, viande de porc, chapons, sacs de riz. Si ce subordonné se montre plus généreux que son chef, le préfet de Poheul, c’est que le mandarin militaire qui commande notre escorte est chargé de lui transmettre des ordres dans ce sens, et il ne s’en fait pas faute, car, outre qu’il profite lui-même de la libéralité forcée de nos hôtes, il espère que son zèle lui vaudra un cadeau plus fort lorsqu’il se séparera de nous.

Notre horizon est constamment borné par de hautes montagnes dénudées. Des ravins et des éboulemens sillonnent leurs masses noirâtres par des traînées de terre rouge ; on dirait les muscles sanglans de gigantesques écorchés. Du haut d’un sommet élevé de 1560 mètres au-dessus du niveau de la mer, nous voyons à nos pieds une vallée profonde, dans laquelle il faut descendre par un sentier à pic. Entre deux rives de sable blanc, le Papen-kiang roule ses eaux troublées, qui vont grossir le Sonkoï et se perdre dans le golfe de Tonkin. Nous allons quitter le bassin du Mékong.

Parmi les émotions d’un voyage comme le nôtre, il faut compter celles qu’on éprouve en franchissant la ligne qui sépare le domaine des grands fleuves. Sur la limite de deux bassins, un seul pas semble vous faire avancer autant que huit jours de marche. La vie paraît animer les eaux plus que les autres forces de la nature, et c’est à cela sans doute qu’elles doivent leur attrait si puissant et si mystérieux. J’aimais à me dire, en traversant le plus petit affluent du Mékong, que ses eaux, mêlées aux flots du grand fleuve, refléteraient plus loin le drapeau français, et quand à la direction des torrens on put juger qu’ils portaient le tribut de leurs eaux à un autre maître, je crus voir se rompre les derniers liens qui m’unissaient depuis vingt mois à un ami. Des villages existaient naguère dans cette gorge, et leurs ruines animent encore le paysage. Nous suivons longtemps le Papen-kiang, que nous traversons enfin à la tombée de la nuit. Nos Chinois lancent leurs chevaux dans le courant, pendant que d’autres poussent de grands cris sur la rive opposée pour indiquer aux bêtes, accoutumées à ce manège, l’endroit où elles doivent se diriger. Au-delà de cette forte rivière, nous ne voyons pas sans déplaisir notre route se confondre avec le lit d’un torrent sinueux. Au Laos, où les ponts sont considérés comme un luxe inutile, nous étions résignés d’avance à entrer dans toutes les mares du chemin. Depuis notre entrée en Chine, ce n’est plus qu’un accident, et nous le supportons avec impatience, comme si nous commencions à nous amollir. Voici de nouveau de vastes forêts de pins, sombre cadre où se détache de loin en loin une maison en briques rouges restée debout, et qui semble solliciter le pinceau de quelque aquarelliste. Il n’y a plus rien de tropical dans la nature. L’aspect du pays devient rude et sévère, les montagnes se montrent de tous les côtés, et quelques-unes ont la tête perdue dans les nuages. La route dallée est tellement dégradée que, loin de nous servir, elle ajoute plutôt aux difficultés de notre marche. Le sel, que l’on vient chercher de fort loin, donne lieu à un grand mouvement de voyageurs et de bêtes de somme. Cette denrée de nécessité première maintient seule encore dans cette région l’activité commerciale, et de nombreuses caravanes bravent pour la transporter les périls de la route. Nous atteignons, après une longue ascension, un plateau élevé où les villages sont nombreux, sur une terre qui n’est plus en friche. Des champs,de riz et de blé noir nourrissent une population considérable groupée autour de Taquan, bourgade importante et station obligée sur la route de Poheul à Talan.

Quatre ou cinq cents soldats qui s’y étaient arrêtés signalaient leur présence par le bruit habituel aux armées chinoises en campagne. Pétards, coups de fusil, gongs de bronze, cornets de cuivre, cris gutturaux, saluent notre arrivée. En temps de paix, les voyages des mandarins sont une charge qui pèse lourdement sur les populations ; mais, quand il s’agit pour un pays de fournir des soldats et de subvenir à leur approvisionnement comme à leur transport, cela devient un véritable fléau. Ces guerriers vivent de maraude et commencent par piller les villages qu’ils sont chargés de défendre. Le détachement concentré à Talan allait rejoindre le vaillant gouverneur de Seumao. Notre petit mandarin, dont le chapeau était orné d’une queue de renard, qui, sur sa tête, pouvait passer pour un emblème, paraissait charmé que le soin de nous conduire l’éloignât du théâtre de la guerre. Il grossissait notre importance pour augmenter la sienne, et aussi, je l’ai dit, dans l’espoir que les bons traitemens qu’il nous valait lui profiteraient à lui-même. Stimulé par lui, un globule bleu qui résidait à Talan nous accable de prévenances, de visites gracieuses et de quartiers de porc. Le jour de notre départ, ce fonctionnaire nous devance à notre insu, et nous le rencontrons, non sans surprise, à cinq cents pas du village, assis au milieu d’un champ sur un fauteuil rouge et entouré de sa garde. Il se lève à notre approche, nous salue et nous fait brûler de la poudre aux oreilles. Tant d’honneurs nous gonflaient ; nous rougissions de notre misère, honteux de ne pouvoir reconnaître ces nobles procédés que par l’offre d’un mirliton ou d’une petite cuillère en ruolz.

A mesure que nous avançons vers l’est, les plaies faites au pays par la guerre semblent devenir moins profondes. Les ruines sont plus rares, les cultures le disputent aux bois de pins. Les villages apparaissent de nouveau à toutes les hauteurs, mais avec des tons plus gris, moins éclatans que ceux des villages chinois proprement dits. Ils sont peuplés de montagnards qui rappellent, par plusieurs parties de leurs costumes, certains indigènes de la frontière septentrionale du Laos, dont ils semblent se rapprocher également par les traits généraux du visage. La population du Yunan se compose d’ailleurs d’élémens si nombreux, si différens et si mobiles, qu’elle échappe à l’analyse. Il faudrait, pour s’en rendre bien compte, séjourner longtemps dans cette province, la plus intéressante peut-être de tout l’empire, et faire des mœurs et du langage des diverses tribus dites sauvages, l’objet spécial de ses études. Telle ne saurait être ma prétention. Je vais me borner, afin de n’avoir plus à revenir sur ce sujet, à mettre en ordre les notes que j’ai pu recueillir en passant.

Le Yunan est une des dernières provinces qui ait été rattachée à l’unité chinoise. Dans le IIIe siècle avant Jésus-Christ, époque que l’on peut appeler récente, puisque le grand empire avait déjà deux mille ans d’existence historique, cette contrée, divisée entre plusieurs souverains indépendans qui n’étaient autre chose que des chefs de tribus, était comprise sous la dénomination générale et vague de pays des barbares de l’ouest, et se trouvait au-delà des frontières de la Chine, qui, sous les Tsin, ne dépassaient pas du côté du nord-ouest le fleuve Leao-ho. Les premiers empereurs de la dynastie des Han diminuèrent encore l’étendue de leur territoire, et, sur la’partie de leur domaine qu’ils abandonnaient, se fonda le royaume de Tchao-sien, où les Chinois, dans les temps difficiles, trouvaient un asile assuré. Han-ou-ti, sixième empereur de la dynastie des Han, mit fin à cet état de choses en s’emparant du pays de Tchao-sien, qu’il divisa en quatre provinces dépendantes de la Chine. En même temps il réduisit les deux rois de Lao-chin et de Mimo, dont les terres étaient situées-en partie dans le Set-chuen et en partie dans le Yunan actuels, et conquit la principauté de Tien, qui correspond à la ville de Yunan-sen et à ses dépendances. Toutes les provinces de la Chine ont, à divers degrés, passé par ce travail de lente agglomération, dont il me suffit d’avoir donné un exemple. Sous l’influence des révoltes intérieures ou des nécessités politiques, elles ont toutes subi, avant de s’asseoir dans les limites qu’elles occupent aujourd’hui, des remaniemens fréquens, scrupuleusement consignés dans les longues annales auxquelles je demande la permission de renvoyer le lecteur. Mais ce qui caractérise plusieurs provinces de l’empire, surtout sur les frontières occidentales, c’est l’existence de certaines races singulièrement vivaces, demeurées distinctes en dépit de la conquête et de l’annexion, et dont la langue, les coutumes et même parfois l’autonomie politique ont échappé, au moins dans quelque mesure, aux mortelles étreintes d’une centralisation puissante. Le Yunan mérite, à ce point de vue, une attention particulière. Appuyé au massif de l’Hymalaya, il participe au caractère sauvage de cette âpre nature, qui interdit la mollesse à ses enfans et les protège en même temps par le rempart de ses montagnes. Il faut distinguer parmi les diverses tribus celles qui, se donnant encore le nom de Tou-kia (autochthones), ont sans doute originairement possédé le sol et celles qui descendent d’émigrans volontaires venus plus tard dans le pays, de déportés, ou de soldats ayant renoncé à leurs foyers. Des premiers occupans de ce vaste territoire qui porte aujourd’hui le nom de Yunan, les plus nombreux sont les Lolos et les Pai-y. Les Lolos se divisent en Lolos noirs, Lolos blancs, Lolos rouges et Lolos de rizières. C’est sur la couleur de leurs vêtemens et non sur celle de leur peau que se fondent les trois premières qualifications. La quatrième se comprend d’elle-même. Les empereurs se sont attaché ces peuples en reconnaissant à leurs chefs le rang de mandarins chinois et en leur donnant l’investiture de leurs terres. Les Lolos sont aujourd’hui encore soumis à une sorte d’organisation féodale. Ils ont un chef de leur race qu’ils nomment Toussen, mais on n’aperçoit guère ce qu’ils y gagnent, car ce dernier, ne relevant que du vice-roi de la province, exerce sur ses sujets un pouvoir despotique. Timides, paresseux, intempérans, ceux-ci fuient l’étranger, laissent à leurs femmes le soin de cultiver leurs champs, et cherchent le bonheur dans l’ivresse. Les Pai-y, séparés des Chinois comme les Lolos par leur langage, et même, paraît-il, par les caractères de leur écriture, se rapprochent des populations du sud-ouest, et paraissent tenir de près à la race laotienne. Le gouvernement chinois a également respecté leurs usages.

Au premier rang des tribus qui descendent d’émigrés venus des autres parties de l’empire se placent les Penti-jen ; ceux-ci ont perdu au contact des Lolos la supériorité intellectuelle qu’une civilisation plus avancée leur donnait primitivement sur ces indigènes. Les Min-kias, répandus surtout dans l’ouest du Yunan, placent leur berceau dans la province de Nankin. Anciens soldats demeurés aux lieux où les avait appelés la guerre, ils y fondèrent une colonie relativement policée et même lettrée, qui avait une langue à elle, riche de monumens littéraires ; mais l’empereur de la Chine ne put tolérer longtemps un pareil signe d’indépendance, et donna l’ordre de brûler tous les livres des Min-kias. Les despotes, non moins sévères pour un livre que pour un complot, ont toujours poursuivi la pensée. C’est ainsi que le rude guerrier qui, 250 ans avant notre ère, inaugura la dynastie des Tsin, outré des résistances qu’il rencontrait chez les lettrés, des critiques qu’ils infligeaient à ses actes, fit incendier, pour fermer la bouche à ses censeurs, tous les livres d’histoire et de morale, et, des diverses sortes de caractères chinois alors usités dans l’empire, ne laissa subsister que le genre appelé li-chou, dont on se sert aujourd’hui[6]. C’est ainsi encore que les Tartares d’Europe s’efforcent de proscrire la langue polonaise en contraignant les enfans des vaincus à parler russe dans leurs écoles. Il faut dire cependant, pour être juste, que Tsin-chi-hoang-ti, qu’on peut appeler le principal fondateur de l’unité chinoise, ne s’inspira pas exclusivement, dans cet acte rigoureux de destruction, d’un sentiment de colère ou d’orgueil ; il agit plutôt en politique : il voulut sans doute effacer d’un seul coup l’histoire, toujours si puissants sur les imaginations, et anéantir les titres sur lesquels les princes feudataires vaincus auraient pu fonder leurs droits et perpétuer leurs prétentions.

Les Lolos, les Pai-y, les Penti et les Min-kias ne sont pas les seuls à vivre au milieu des Chinois du Yunan sans se confondre avec eux, comme les Khas au milieu des Laotiens ; mais je ne pousserai pas plus loin cette énumération. On dit, sans qu’il m’ait été possible de m’en assurer, qu’au point de vue de l’intelligence la gradation est encore bien marquée entre les différens habitans de cette contrée. Les missionnaires n’hésitent pas à placer les sauvages au dernier degré de l’échelle ; après eux viendraient les métis, issus de Chinois et d’indigènes, enfin les Chinois qui ont, à diverses époques, afflué au Yunan des provinces voisines et surtout du Set-chuen. La multiplicité des races amène ici, on le conçoit, une grande variété de costumes, et ce n’est guère que dans les rues des villes que nous trouvons une foule vraiment chinoise par son aspect et par ses allures.

Au passage d’une large rivière, nous rencontrons une caravane composée de plus de cent bêtes, qui toutes se jettent courageusement à la nage. Les eaux se hérissent de longues oreilles, et l’écho redit les protestations retentissantes des ânes et des mulets. A peine nos porteurs avaient-ils fourni l’étape pour laquelle ils avaient été requis, qu’ils retournent chez eux au pas de course ; ils ne nous ont pas même laissé le temps de les payer, car depuis que nous avons quitté les possessions birmanes, — depuis Sien-hong, — nos bagages sont transportés par des corvéables auxquels, d’après l’usage, aucune rémunération n’est due pour leur peine. Le mandarin envoyé de Talan au-devant de nous arrive précédé par des bannières de toutes les couleurs. Ses soldats ne se lassent pas de battre sur deux gongs de timbre différent, qui produisent l’effet de deux cloches sonnant un glas funèbre. Cette musique était destinée à nous entraîner pour nous rendre moins pénible l’ascension d’une montagne fort raide qui nous séparait de la vallée de Talan. Le plus petit personnage a son cheval ou même son palanquin ; notre pauvreté nous force, nous, à marcher constamment à pied en dépit de nos chaussures incommodes et au grand préjudice de notre dignité. Malgré les accidens de terrain, le pays voisin de Talan est très cultivé. Les rizières, disposées en amphithéâtre, couvrent les montagnes de gradins demi-circulaires. Elles dominent parfois une vallée spacieuse, et rappellent ces théâtres antiques d’où l’œil du spectateur pouvait plonger sur un horizon sans limites. Les maisons, aux teintes grises et à rangs pressés, donneraient à Talan l’aspect d’une ville européenne, si les toits superposés d’une vaste pagode n’empêchaient l’imagination de s’égarer loin de la Chine. Notre escorte fait le plus de bruit possible, et la population tout entière, avertie de notre arrivée, se précipite sur notre passage ; elle envahirait même la cour de la pagode où l’on nous conduit, si deux de nos hommes, placés en sentinelle, n’arrêtaient les curieux à l’entrée de la seconde cour, tandis que nous nous établissons dans la partie la plus reculée de l’édifice. Là, il n’y a plus sur les autels ni dieux ventrus, ni monstres grimaçans, il y a seulement des tablettes couvertes de caractères et enveloppées d’un voile léger de fumée odorante. C’est la salle des ancêtres. Au seuil de ce sanctuaire, nu comme une mosquée ou comme un temple luthérien, viennent expirer tous les bruits du dehors. L’esprit des morts, planant au-dessus de nos têtes, nous remplit de respect pour le grand homme qui a placé la vénération des aïeux à la base de sa doctrine. N’ayant pu s’élever, par la conception nette de l’existence de l’âme personnelle et immortelle, jusqu’au dogme consolant de la communion des vivans et des morts, il disputa au moins ceux-ci au néant en faisant honorer leur mémoire. Les cérémonies faites par les Chinois devant les tablettes de leurs ancêtres furent, on le sait, l’un des deux points qui donnèrent lieu à ces tristes controverses d’où sortit la ruine des missions catholiques, si florissantes dans le Céleste-Empire pendant le XVIIe siècle et une partie du XVIIIe.

Les dominicains, qui étaient encore à cette époque, au sein de l’église catholique, les défenseurs les plus intolérans d’une étroite orthodoxie, accusèrent les jésuites d’autoriser chez les chrétiens des pratiques qui n’étaient pas seulement politiques et civiles, mais qui, ayant surtout le caractère d’observances religieuses, étaient par là même entachées d’idolâtrie. Alors qu’il eût été certainement possible d’arriver à une interprétation qui, sans rien sacrifier des principes[7], aurait sauvegardé de précieux intérêts, les rivalités personnelles envenimèrent et passionnèrent le débat. Sans parler de la conduite du cardinal de Tournon, dont les procédés « rappelaient l’humeur despotique d’un pacha turc plutôt que l’esprit paternel d’un légat apostolique[8], » sans revenir sur la regrettable indiscrétion de l’évêque de Pékin, qui ralluma des querelles presque assoupies, je dirai, en abritant d’ailleurs mon incompétence derrière un écrivain[9] peu suspect de favoriser ce que le saint-siège a condamné, que, dans cette affaire, où l’église perdit un des plus beaux fleurons de sa couronne, « les jésuites ont fait pour la nation chinoise comme saint Paul pour les Athéniens, comme les pères de l’église pour toute la gentilité, » tandis que les dominicains ont sacrifié l’esprit à la lettre, et porté au christianisme naissant de ces vastes contrées un coup dont il ne s’est plus relevé.

Lorsque l’on parcourt un pays qui a servi de théâtre aux événemens connus de l’histoire, l’imagination y replace volontiers les grands hommes qui y ont vécu, et, mêlant ainsi l’émotion des souvenirs aux charmes de la nature, rend la jouissance du voyageur plus complète et plus vive. Cette satisfaction m’avait manqué dans le Laos, un pays qui n’a pas d’histoire, et elle m’aurait aussi fait défaut sur la terre de Chine, dont j’ignorais les annales, si je n’avais pu reporter ma pensée vers ce temps où une pléiade de religieux héroïques méritaient par leurs travaux la reconnaissance de l’église et du monde savant. En apercevant dans la pagode de Talan ces tablettes des ancêtres, je ne pouvais songer sans amertume qu’elles avaient été l’écueil sur lequel s’étaient brisées tant d’espérances. La curiosité des Chinois interrompit bientôt ces douloureux retours vers le passé. Ceux-ci, nonobstant nos factionnaires, se glissaient par les crevasses des murs quand ils ne pouvaient pas les escalader ; il est vrai qu’en notre qualité de mandarins nous avions le droit d’user du pied et du bâton sans que la populace le trouvât mauvais, et, grâce à ce moyen, les promenades en ville nous furent possibles. Talan, que de piètres fortifications en terre n’avaient pas empêchée de tomber, comme Seumao et Poheul, aux mains des musulmans, avait été moins maltraitée par eux, parce qu’elle n’a pas la même importance commerciale. Les maisons bordent les rues sans que l’on aperçoive de lacunes ; les marchands ouvrent dès le matin leur comptoir, et il y a grande affluence au marché. Là, parmi de nombreux échantillons de races sauvages, certaines femmes ont attiré surtout notre attention. Vêtues d’un costume pittoresque qui faisait admirablement valoir leurs formes vigoureuses autant qu’élégantes, les traits accentués, le nez presque grec, elles formaient un agréable contraste avec la Chinoise pâle, maladive, habillée d’une sorte de sac, et sautillant, les bras écartés, sur deux imperceptibles moignons. Les habitans de Talan n’ont pas laissé cependant d’être profondément atteints par l’effroyable crise que traverse cette partie de l’empire. Les choses nécessaires à la vie y atteignent des prix très élevés, et les pommes de terre, peu estimées des Chinois, sont presque le seul légume accessible aux pauvres. Nos finances n’auraient pas résisté à un long séjour dans cette zone désolée, si nous avions dû tout acheter au prix du pays ; par bonheur, grâce aux rapports excellens que nous entretenions avec les autorités, les cadeaux suffirent amplement à nous nourrir.

Nous étions entrés enfin en pleine saison tempérée, et le mois de novembre se présentait avec les couleurs qu’il arbore dans nos climats. Le ciel gris était un peu pluvieux, le soleil ne perçait plus les nuages, et le thermomètre, à midi, ne dépassait pas 13 degrés centigrades. Cela eût été fort agréable, si nous avions eu les moyens de nous garantir de l’humidité ; mais, couchés sur le carreau des pagodes ouvertes à tous les vents, sans matelas, abrités seulement par une couverture légère, nous souffrions comme souffrent en France les pauvres honteux. Talan est pourtant située fort près du tropique ; mais l’élévation de la vallée au-dessus du niveau de la mer nous valait cette température relativement sévère.

Il y a longtemps qu’on a signalé les immenses richesses minérales renfermées dans les montagnes du Yunan. Autour de Talan, dans un rayon peu étendu, il existe des gisemens nombreux. A Sio, point situé sur la route directe de Yunan-sen, le fer est très abondant. A 16 kilomètres de la ville, on trouve de l’or. Les mines qui le renferment, abandonnées à l’industrie privée, sont exploitées par des misérables qui grelottent sur la montagne où ils ont établi leur campement ; ils creusent au hasard et extraient l’or de la roche en broyant celle-ci et en soumettant à un lavage la poussière produite par cette opération. — Ce travail paraît rapporter d’assez minces profits, et il n’est guère possible d’apprécier ce que pourrait tirer de ce gisement l’intelligence européenne. Pendant longtemps, les lois de l’empire ont interdit de rechercher et d’ouvrir les mines de métaux précieux, de peur que l’attrait d’une fortune rapide ne détournât le peuple des travaux agricoles. Le désir de préserver leurs sujets des atteintes de la fièvre de l’or fait honneur aux empereurs philosophes qui s’en sont inspirés. Cependant, aujourd’hui que la Chine est à la veille d’entrer dans le concert commercial du monde, on peut regretter que la plus grande partie de ses richesses métalliques soient encore inconnues, ou demeurent inutiles. Ainsi que leurs collègues ont toujours fait depuis notre entrée en Chine, les mandarins de Talan ne veulent pas nous laisser partir sans escorte. Nous longeons extérieurement l’enceinte de la ville ; les femmes étonnées suspendent, afin de nous regarder, les soins de leur toilette ; les gamins nous suivent de loin en poussant des cris, mais sans oser nous approcher. Nous n’avions pas encore dépassé la dernière maison de la ville que déjà nous étions dans la montagne. Sur le bord du chemin, une tête humaine proprement ajustée dans une cage en bois enrayait le vice en rassurant la vertu. La montagne aux mines d’or nous apparut dans le lointain, hautaine comme une parvenue fière de sa richesse et nue comme si elle dédaignait les vains ornemens. Un ruisseau qui en sort et que nous eûmes à traverser roule dans ses eaux des paillettes recueillies par les habitans du village où nous prenons quelque repos. Bien que nous soyons accoutumés à exercer pendant les haltes une certaine surveillance sur nos porteurs de bagage, un d’eux avait trouvé le moyen, en s’abritant derrière une natte, d’allumer sa pipe d’opium.

Quand on lui remit son fardeau sur l’épaule, il vacilla comme un homme ivre et refusa d’avancer. Les menaces le trouvaient indifférent, les coups le faisaient gémir, rien ne l’arrachait à son engourdissement. Je ne crois pas qu’il ait jamais existé dans le monde un fléau plus terrible que l’opium. L’alcool employé par les Européens pour détruire les sauvages, la peste qui ravage un pays, ne sauraient lui être comparés. Il exerce sur tous un attrait invincible ; le plus pauvre mendiant fumera avant de songer à manger, et, chose effrayante, une fois l’habitude prise, on devient fatalement la proie du poison. Un grand nombre de Chinois sont venus nous demander des remèdes contre une tentation à laquelle ils succombent toujours, même en la maudissant. Le seul remède serait l’énergie, capable de braver les souffrances qu’entraîne pour un fumeur la privation de sa pipe, et c’est à la vigueur morale, encore plus peut-être qu’à la force physique, que l’opium commence par s’attaquer.

Ce n’était plus qu’aux approches des villages que nous retrouvions la route dallée ; elle nous faisait connaître, quand elle reparaissait, que le lieu de la halte n’était plus éloigné, et nous y aspirions ardemment d’ordinaire, car nos étapes étaient fortes, et nos marches très pénibles dans ce pays accidenté. Les talus entrelacés des rizières formaient des courbes ou des zig-zags capricieux ; on eût dit de vastes parterres. Ailleurs, une montagne tout entière était mise en culture de la base au sommet, et l’eau, s’épanchant de gradins en gradins, donnait l’idée d’une gigantesque cascade. Des nuages gris et bas laissaient tomber une pluie fine et pénétrante qui nous glaçait jusqu’à la moelle des os. Le froid, dans un pays où les habitans ne font rien pour le combattre, est un ennemi cruel ; il faisait éclore la fièvre aussi sûrement que le soleil. Le bois était difficile à obtenir, et quand nous étions parvenus à arracher aux indigènes les élémens d’un feu maigre et fumeux, nous étendions nos nattes autour, puis nous parlions de la France, des soirées d’hiver, de tout ce qui fait battre le cœur et courir plus vite le sang dans les veines.

Parmi les travaux d’intérêt public dont les empereurs ont couvert la Chine, les ponts ne sont pas les moins remarquables. En arrivant près d’un de ces solides chemins de pierre hardiment jetés pardessus les torrens, nous avons pu constater les difficultés dont la persévérance des Chinois a dû triompher parfois pour les construire. Des tables de marbre blanc, debout auprès du pont, en racontaient l’histoire ; on aurait mis, d’après les inscriptions, neuf années à le faire, les eaux emportant en hiver le travail accompli l’été. Sur l’autre rive du torrent, une montagne couverte de bois propices aux embuscades se dressait à pic. Des ruines grises mêlées aux rochers ajoutaient quelque chose de sinistre au caractère de cette nature sauvage. Nos soldats formèrent leurs rangs, nous renouvelâmes nous-mêmes l’amorce de nos armés, car des bandits infestaient les environs et s’abattaient, souvent sur les caravanes. Peu de jours avant notre passage, deux cents chevaux ou mulets étaient devenus leur proie après que les conducteurs eurent été vaincus dans une lutte sanglante. Les guerriers indigènes qui nous faisaient ce récit, rassurés par notre présence, avaient l’air si vaillans qu’il n’y avait pas à compter sur les bandits. En effet, nous avons gravi pendant deux heures une pente si escarpée, qu’une poignée d’hommes résolus, cachés sur les hauteurs, pourrait y arrêter une armée, et l’ennemi n’a pas paru. La route, creusée en corniche au flanc des montagnes, était suspendue au-dessus de gorges profondes et resserrées ; nous cheminions à travers le brouillard, retrouvant jusque dans la végétation l’aspect sévère des régions septentrionales ; mais le Yunan est, sous ce rapport, le pays des plus surprenans contrastes. Au sortir d’un col étroit, la vue d’une plaine immense traversée par un grand fleuve nous ravit d’admiration. Le soleil, déchirant le rideau des brumes, inondait de clartés un des plus beaux paysages qu’il soit possible de rêver. Deux plans de montagnes hautes et arides, avec ces teintes grises et chaudes particulières à l’Orient, limitaient l’horizon devant nous ; des ravins dessinés régulièrement par les eaux marquaient ces colosses de rides profondes où la roche se montrait à nu, comme la charpente osseuse d’un géant ; le Sonkoï roulait tout auprès ses eaux jaunes entre deux rives de sable blanc ; la ville de Yuen-kiang, assise au bord du fleuve, était entourée de riz à demi coupés, de bois d’aréquiers, de champs de cannes à sucre, qui donnaient à la plaine une incroyable richesse de nuances admirablement fondues et comme noyées dans des flots de lumière. Nous fûmes longtemps à descendre jusqu’à la chaussée, qui nous conduisit aux portes de la ville. Là, tous les mandarins nous attendaient en habits de cérémonie. Des bannières de toutes les couleurs flottaient au vent, le bruit des pétards et des coups de fusils se mêlait au son des gongs de bronze et aux notes lugubres d’une longue trompette en cuivre assez semblable à celle dont useront, s’il faut s’en rapporter à Michel-Ange, les anges de service au jour du dernier jugement. On ne nous avait jamais fait une réception aussi solennelle ; il fallait porter haut la tête et toiser la populace pour lui imposer des sentimens de respect, car nous étions dans un pitoyable équipage.

La température s’était élevée, il nous semblait que nous étions descendus dans une région privilégiée, séparée du reste du monde. C’était l’effet de nos courses fatigantes à travers les montagnes, c’était ce que j’appellerai l’enivrement du soleil et de la plaine. Nous avions tout à souhait dans cette oasis, jusqu’à de la paille pour dormir. Non contens de s’être transportés au-devant de nous, les mandarins voulurent encore nous faire les premières visites. Ils arrivèrent précédés, suivant l’usage, de soldats portant ces papiers rouges où sont inscrits les noms et qualités de leurs maîtres, et suivis de valets conduisant un porc, un bouc, des chapons, et chargés en outre de ballots de thé et d’oranges mandarines. Quand nous allons rendre sa visite au gouverneur, celui-ci nous fait le plus cordial accueil. Il nous présente son fils, marmot encore à la mamelle, et nous dit que c’est son seul enfant. Nous savons qu’il en a plusieurs autres, mais ce sont des filles, et cela ne compte pas dans le Céleste-Empire. Il possède une foule d’objets européens qui enlèvent toute valeur aux modestes présens que nous nous disposions à lui faire. Montres, pendules, pistolets, stéréoscopes, tout cela paraît être de provenance anglaise, car les photographies représentent des courtisanes peu vêtues, au teint clair, aux cheveux rouges, qui révèlent leur origine. Le commerce n’a pas de pruderie, même dans la prude Angleterre.

L’enceinte de la ville est grande, mais de vastes espaces restent vides, envahis par les broussailles ou cultivés en légumes. Le marché est considérable, les magasins sont nombreux. On découvre cependant bientôt à Yuen-kiang, malgré certaines apparences de prospérité, des signes de deuil et de misère. Les épidémies y sont en permanence, une sorte de choléra le dépeuple. A chaque instant, je voyais un cercueil porté par quatre hommes traverser les rues eu. envoyant au ciel un peu de fumée qui s’exhalait de baguettes parfumées placées sur le couvercle. Le pays est en outre infesté de bandits contre lesquels rien ne garantit la sécurité publique. On se borne à des mesures particulières que les mandarins prennent suivant les cas et sous leur propre responsabilité. Quant à la police, elle n’agit sérieusement que lorsque la victime d’un vol ou d’un assassinat a une certaine importance sociale. Les riches se font escorter par des soldats lorsqu’ils voyagent, ou s’arment eux-mêmes, ainsi que leurs serviteurs ; mais les misérables deviennent la proie des brigands. Un pauvre Lolo des montagnes, qui était venu nous vendre des pommes de terre, regagnait son village, emportant avec joie ses sapèques. Il fut complètement dépouillé, et nous le vîmes revenir, la poitrine perforée d’un coup de lance, pour demander des soins que la gravité de sa blessure rendit inutiles.

Le gouverneur de Yuen-kiang se montrant plein d’aménité et de confiance expansive, nous essayâmes d’utiliser cette dernière disposition, bien rare chez les Chinois ; mais ses idées étaient confuses et ses renseignemens incomplets. Nous en profitâmes néanmoins pour aller étudier sur place une exploitation de minerai de cuivre qui se faisait à cinq jours de marche de Yunan-sen, à Sin-long-chan, village considérable entouré de murailles et construit dans une sorte de col arrondi entre les montagnes qui le dominent. C’est de ces montagnes que l’on extrait le cuivre, elles sont percées de cavités profondes où le mineur a poursuivi les filons : mais on paraît avoir abandonné les recherches dans les environs immédiats du village, dont les rues sont encore pavées de scories. Ce n’est qu’à trois lieues de Sin-long-chan que les travaux continuent ; encore ne nous a-t-on montré qu’un établissement sans importance fait par des gens pauvres, aussi incapables de concevoir que d’appliquer une méthode sérieuse. Nous avons pu voir des monceaux de minerai qui attendaient un traitement insuffisant auprès d’un haut-fourneau rudimentaire. — Ce minerai semble très riche et répandu sur une étendue considérable ; la terre qui le recouvre est d’un rouge foncé et tachetée d’ombres mouvantes par des plus clair-semés. Nous savions, et nous avons pu d’ailleurs le constater depuis, que le cuivre figurait au premier rang des richesses minérales du Yu-nan, la province de l’empire la mieux dotée sous ce rapport. Avant les troubles actuels, elle expédiait annuellement au trésor de Pékin des lingots de cuivre brut pour une valeur de près d’un million de francs. Si abondantes que puissent devenir un jour, dans d’autres conditions, les mines de Sin-long-chan, elles ne sauraient être comparées par exemple à celles de Sin-kaï-tseu, d’où l’on extrait du plomb argentifère. Situées à six lieues de Coqui, près du fou de Tchao-tong, à l’extrémité nord-ouest de la province, ces mines, qui.sont au-dessous du niveau de la rivière voisine, occupaient pendant la paix 1,200 ouvriers, rien que pour épuiser l’eau. L’argent étant très commun sur les lieux, on jouait beaucoup, et l’on arrêtait les voyageurs au passage. Quand on les avait adroitement dépouillés, on les contraignait, pour se libérer, à travailler à la mine au prix de 40 sapèques par jour. Les vivres leur étant vendus fort cher, on était ainsi maître d’eux pendant fort longtemps. Bien qu’il ne m’appartienne pas de faire l’exposé complet de la minéralogie du Yunan, — cette tâche est réservée à M. le docteur Joubert, — je ne puis abandonner ce sujet sans signaler encore les mines de zinc, d’étain et d’argent qui existent sur le plateau de Tong-tchouan, celles de fer, de cuivre rouge et de cuivre blanc (pe-tong) exploitées près de Hoéli-tcheou. Le pays est presque entièrement déboisé, mais les forêts ensevelies suppléent aux forêts détruites, et le charbon de terre, partout prodigué, se rencontre souvent près des mines, dont il décuple la valeur.

Puisque je décris en la traversant la partie de l’empire la plus féconde en richesses métallurgiques, je me trouve naturellement conduit à expliquer brièvement le système monétaire des Chinois. Civilisés et formant une société fortement constituée neuf cents ans après le déluge, ceux-ci étaient en possession déjà d’un signe généralement adopté qui représentait la valeur des choses et facilitait les échanges. C’est à Hoang-ti, un des six successeurs de Fo-hi[10], premier souverain de l’empire, que remonte l’honneur d’avoir créé la monnaie. Il en fit fabriquer en fer, métal que nous avons vu rendre encore des services de ce genre dans certaines parties du Laos. Depuis, la monnaie a varié bien souvent quant à sa forme et à sa substance : les coquilles ont été employées aussi bien que la terre cuite et le papier ; mais aujourd’hui et depuis longtemps c’est sur la sapèque de cuivre que repose tout l’édifice. Tandis que l’argent, exclusivement considéré comme marchandise, demeure en lingots dont le titre est très variable, la monnaie de cuivre est fabriquée par l’état et marquée à son coin. Les mines de cuivre sont les seules dont le monopole appartienne à l’empereur, et celui-ci, muni du droit exclusif de battre monnaie et d’exploiter la matière première, peut, au moyen de ce double privilège, faire hausser ou descendre à son gré la valeur des sapèques par rapport au métal dont elles sont fabriquées, en en faisant fondre une certaine quantité ou en activant au contraire le travail des mines. « Il y eut même un temps, dit le père Duhalde, où le cuivre manqua de telle sorte que l’empereur fit détruire près de quatorze cents temples de Fô et fondre toutes les idoles de cuivre pour en tirer de la monnaie. D’autres fois il y eut de sévères défenses à tous les particuliers de garder chez soi des vases ou d’autres ustensiles de cuivre, et on les obligeait de les livrer au lieu où l’on faisait la monnaie. » Le gouvernement a tellement abusé de son droit de monnayage au moment où, de leur côté, les Européens exportaient des ligatures de sapèques, que, lorsque la guerre civile est survenue et a tari dans le Yunan les sources principales de l’approvisionnement du cuivre, les mines exploitées n’ont plus suffi à faire face aux besoins. Alors il a fallu tolérer un fort alliage, pour lequel on emploie surtout le zinc. Ces petites pièces de monnaie sont rondes et percées d’un trou central qui permet de les enfiler les unes aux autres ; il en faut mille pour faire une ligature. Les dimensions en varient d’ailleurs d’une province à l’autre, et ne sont même pas toujours identiques dans deux arrondissemens limitrophes. Notre premier soin en arrivant dans un lieu de halte était toujours de nous informer du taux auquel nous trouverions à vendre notre argent sur la place. Faire de la monnaie, c’est là une opération plus compliquée en Chine qu’en Europe, car on ne peut changer 8 francs sans ployer sous le poids de 1 kilogramme au moins de cuivre monnayé. Les piastres mexicaines étaient ordinairement reçues avec faveur, et nous avions échangé l’or en barre et en feuilles que nous avions fait prendre à Bangkok contre des lingots d’argent pesant 1 once chinoise et valant environ 8 fr. Ces lingots sont connus par les Européens sous le nom de tael. Représentant sous un mince volume une valeur assez forte, ils remplacent avantageusement dans les transactions importantes la sapèque de cuivre, dont le mérite principal est de permettre ce que l’abbé Huc appelait avec raison le commerce des infiniment petits. L’argent n’étant d’ailleurs, quels que soient les services qu’il rende dans les marchés, autre chose qu’une denrée, chacun le divise selon ses besoins ; aussi n’y a-t-il pas de Chinois qui ne porte sur lui une balance proprement enfermée dans un étui. Dans les magasins bien achalandés, on coupe ainsi chaque jour à coups de marteau une grande quantité d’argent, et les parcelles qui s’échappent, confondues avec la poussière de la boutique, sont balayées le soir dans la rue et glanées par les mendians.

Si insuffisantes que fussent les notions géographiques du mandarin de Yuen-kiang, M. de Lagrée ne négligeait pas de l’interroger. Son expérience lui avait appris à ne dédaigner aucune source d’informations. Que de fois, durant notre voyage, un renseignement d’abord obscur ne s’était-il pas soudainement éclairé à la lumière d’une observation postérieure ! La commission n’était point dépourvue d’ailleurs de documens scientifiques d’une valeur très sérieuse, et nous étions heureux d’y rattacher le nom de Français illustres et dévoués. C’est, comme personne ne l’ignore, par l’admiration qu’excitèrent leurs travaux que les jésuites admis à la cour de Pékin acquirent et conservèrent la faveur de l’empereur Kang-hi. Ils dressèrent, province par province, toute la carte de l’empire, en sorte que la position des villes principales s’est trouvée très exactement déterminée. J’ajoute, d’après la déclaration même des missionnaires de cette époque, qu’antérieurement à leur arrivée en Chine, les Chinois avaient fait d’assez grands efforts pour se rendre compte de la configuration topographique de leur pays. Le père Amiot affirme que « le chapitre Yu-koung du Chou-king, qui est peut-être le plus ancien monument de géographie existant dans le monde, le Pentateuque excepté, contient une description géographique de la Chine du temps de Yao et de Chun, » c’est-à-dire remontant à plus de 2000 ans avant notre ère. Le savant missionnaire dit en outre que la géographie faite sous la dynastie des Ming a servi de base à l’Atlas sinensis de Martini, qui « n’en est que la réduction et la traduction. » Nous avons pu voir nous-mêmes chez le gouverneur de Yuen-kiang un curieux spécimen des cartes chinoises. L’auteur, préoccupé surtout de la symétrie, avait également et partout parsemé son œuvre de montagnes uniformément représentées par un pain de sucre colorié en vert. Qu’il voulût tracer un ruisseau ou indiquer le lit d’un fleuve, il donnait une largeur égale à chaque cours d’eau en ayant soin de les faire tous communiquer entre eux. La position relative des villes ne manquait pas d’ailleurs d’une certaine exactitude, et cela s’explique, car les Chinois, qui ont connu la boussole avant nous, savent fort bien s’orienter. Leur mesure de distance, qu’ils appellent li, correspond au dixième de notre lieue terrestre. Notre ami le mandarin répondait à nos questions en ayant sous les yeux cette carte, qui lui était familière, mais qui avait l’inconvénient d’entretenir dans son cerveau sur l’orographie et l’hydrographie du Yunan les idées les plus saugrenues. Il nous confirma toutefois que le fleuve qui baigne les murs de la, ville se jette à la mer après avoir traversé le Tongkin. Compris entre le bassin du Yang-tse-kiang et celui du Mékong, il prend sa source dans une de ces ramifications méridionales de l’Himalaya qui donnent également naissance au Ménam et à la rivière de Canton. Il coule, du nord-ouest au sud-est, porte encore à Yuen-kiang le nom de Hoti-kiang, et ne reçoit celui de Sonkoï que non loin des frontières tonkinoises. De Yuen-kiang au niveau de la mer, le baromètre, n’accuse qu’une différence de hauteur de 400 mètres, ce qui, sur une telle distance, permet de supposer au Sonkoï un cours peu accidenté. Nous avons remarqué cependant l’existence de plusieurs rapides, et nos renseignemens constatent celle d’une véritable cataracte infranchissable pour les barques chargées. Cet obstacle se rencontre sur le territoire du Yunan ; mais à partir du premier marché annamite, lequel ne serait éloigné de Manko, le dernier marché chinois, que de trois jours de marche, les marchandises se rendraient en seize jours, par la voie fluviale, à Ketcho, capitale du Tongkin, sans avoir à subir aucun transbordement. Quoiqu’il y ait un banc à chacune des trois, embouchures du Sonkoï, celles que les Annamites appellent Meign-shoon et Bien-shoon offrent aux bâtimens dont le tirant d’eau ne dépasse pas 3m,50 ou 4 mètres un port accessible et parfaitement à l’abri de tous les vents.

Il se faisait avant la guerre, entre le Yunan et le Tongkin, un commerce très considérable, qui semble avoir été surtout alimenté par les métaux. Une grande partie du zinc qui sert à fabriquer les sapèques de l’empire d’Annam était apportée par caravanes jusqu’au premier marché tonkinois, où les Chinois recevaient de l’argent en échange. Ces relations nécessaires et fréquentes n’avaient cependant pas entièrement effacé le souvenir dès luttes ardentes qui, à d’autres époques, ont agité les deux contrées voisines. Au IXe siècle de notre ère, les tribus barbares du Yunan méridional se soulevèrent en même temps que celles du Tongkin contre l’autorité des empereurs de Chine. Les historiens annamites qui rapportent ce fait affirment même qu’à cette époque une portion du Yunan faisait partie du territoire tonkinois, et qu’elle n’en fut détachée que lorsque l’empereur de la Chine eut accepté pour gendre le chef des tribus révoltées[11]. Il est encore interdit aux Annamites de pénétrer dans le Yunan. L’existence sur les frontières de cette province d’un grand nombre de sauvages mal soumis, dont des souvenirs confus entretiennent peut-être les espérances, explique jusqu’à un certain point cette mesure ; mais, ainsi qu’on a pu le pressentir déjà, ce n’est plus là qu’est le danger pour la Chine. Au moment où le Yunan tout entier menace d’échapper à ses lois, ce n’est pas contre des empiétemens auxquels Tu-Duc ne saurait songer qu’il importe à la cour de Pékin de se prémunir. Si mes renseignemens ne me trompent pas, ce serait plutôt le souverain de l’empire d’Annam qui se montrerait inquiet des flots d’émigrans chinois qui, rejetés de leur pays par les troubles, auraient suivi la vallée du Sonkoï pour s’établir dans le nord du Tongkin. La forte position prise par la France à l’extrémité méridionale de la péninsule indo-chinoise nous impose le devoir de ne pas demeurer indifférens aux graves événemens qui éveillent, pour des raisons diverses, les craintes des deux souverains asiatiques, et notre rôle naturel à Pékin comme à Hué consiste à abaisser, dans l’intérêt de toute l’Europe commerciale, les vieilles barrières qui séparent les populations.

On n’a peut-être pas oublié que le dessein de relier les provinces occidentales de la Chine à notre établissement annamite fut un des motifs qui déterminèrent en 1866 l’amiral de La Grandière à proposer à M. de Chasseloup-Laubat, alors ministre de la marine, de faire explorer le Mékong. On a pu voir également, dès les premières pages de ce récit, qu’au-delà des frontières du royaume protégé du Cambodge, le fleuve cessait d’être praticable à la navigation à vapeur. Les illusions qui nous restaient encore après cette pénible constatation se sont peu à peu dissipées, et l’intérêt de notre voyage a fini par se trouver concentré sur des questions d’un ordre purement géographique. L’heureux hasard qui nous a contraints d’abandonner la vallée du Mékong élargissait donc notre horizon, trop borné jusque-là par des études spéciales, et ce fut avec joie que nous nous trouvâmes dans le cas, en imprimant à nos recherches une direction nouvelle, de confirmer dans une voie depuis longtemps entrevue par leur sagacité les hommes qui présidaient aux destinés de notre jeune colonie. Cette communication si ardemment désirée et cherchée, ce déversoir par où devra un jour s’écouler dans un port français le trop-plein des richesses de la Chine occidentale, c’est du Sonkoï et non pas du Mékong qu’il faut l’attendre. C’est là une vérité désormais hors de doute, et qu’imposerait certainement à tous les esprits l’exploration complète du fleuve du Tongkin. Il s’agit pour le moment de rétablir le courant commercial qui existait autrefois entre deux pays qui l’un et l’autre, bien qu’à des degrés divers, souffrent de l’interruption du trafic. Il serait assurément plus habile de faire servir à la reprise et au développement de ces utiles relations ces nombreux Chinois qui ont, en masses compactes, quitté leur patrie, déchirée par la guerre civile, que de se montrer à leur égard tracassier et défiant. C’est pourtant de ces sentimens hostiles, fondés sur des rancunes invétérées plutôt que sur des appréhensions sérieuses, que s’inspire, dit-on, Tu-Duc pour repousser les victimes de l’anarchie chinoise. Le temps n’est plus où l’Empire-Céleste, à l’apogée de sa puissance, forçait tous les états voisins à graviter dans son orbite. Il traverse lui-même une crise trop générale et trop formidable pour que son ingérence dans les affaires annamites puisse être à redouter. Voilà ce qu’il importe de comprendre, afin d’abaisser les barrières artificielles élevées entre le Yunan et le Tongkin par la politique ou la fiscalité ; mais voilà malheureusement ce qu’il sera difficile de faire entendre à notre allié tant que notre influence ne sera pas en mesure, de combattre jusque dans ses conseils le parti des lettrés, intraitable ennemi des idées européennes. Un protectorat exercé directement comme au Cambodge ou tout au moins une complète liberté commerciale obtenue dans les ports du Tongkin et garantie par l’installation à Hué d’un représentant officiel relevant du gouverneur de la Cochinchine, on ne voit pas d’autre moyen pour sortir de l’impasse où nous acculeraient une timidité sans excuse aussi bien que des scrupules par trop naïfs. Lorsque l’on observe attentivement les efforts persévérans que fait incessamment l’Angleterre pour attirer sur ses marchés de l’Inde ou de la Birmanie le commerce de la Chine occidentale, on demeure confondu de notre indifférence à profiter d’une situation exceptionnelle et de circonstances qui ne seront pas toujours aussi opportunes. Arriver les premiers et créer aux négocians des habitudes, c’est là un avantage plus précieux encore en Orient qu’en Europe, et que la guerre actuelle semble nous offrir à un degré inespéré. Cette guerre obstrue en effet les anciens débouchés par où s’écoulaient les produits du Yunan dans la vallée de l’Irawady, et oppose des obstacles nouveaux à l’ouverture de ce passage cherché par les Anglais entre l’Inde et la Chine avec plus d’obstination que de bonheur. Si l’on songe qu’il s’agit de diriger vers une terre française les produits d’une vaste région qui comprend, sans mentionner le Laos septentrional, quatre des plus riches provinces de la Chine, et d’ouvrir en retour à notre industrie nationale des marchés où les consommateurs se comptent par millions, on accordera certes qu’un tel résultat vaudrait bien pour nous une peine égale à celle que nos rivaux se donnent pour l’obtenir. Est-ce au moment où, par une heureuse fortune, il dépendrait de nous de les devancer, qu’il conviendrait de s’arrêter devant les susceptibilités d’un despote qui ne conçoit pas la liberté du commerce sans l’occupation du territoire, et repousse nos négocians comme s’ils étaient les avant-coureurs de nos soldats ? Quand on se décide à faire une guerre de conquête, c’est apparemment qu’on accepte d’avance les conséquences du succès, et l’ouverture du Tongkin est une suite nécessaire de notre établissement dans les six provinces de la Basse-Cochinchine. Cette partie de l’empire annamite paraît être un des pays les plus riches du monde ; on recueille annuellement une double récolte dans ses plaines, cultivées par une race laborieuse ; ses montagnes, qui seraient pour les Européens habitant Saigon ce que sont pour les Anglais fixés dans l’Inde certaines régions himalayennes, un lieu de repos et de refuge contre les chaleurs tropicales, abondent en gisemens métalliques ; enfin l’influence des missionnaires, si faible au Cambodge, nulle au Laos, à peine sensible en Chine, se traduit là par un nombre toujours croissant de conversions au christianisme. Les supputations les mieux fondées font monter à quatre ou cinq cent mille le nombre des chrétiens répartis entre les deux vicariats apostoliques du Tonkin. Si l’expérience démontre qu’il ne faut pas se fier sans réserve au dévoûment des convertis pour les intérêts européens, il ne serait pas sage cependant de dédaigner absolument un pareil point d’appui.

Explorer le Sonkoï, que nous n’avons pu qu’entrevoir, — encourager entre l’embouchure de ce fleuve et Saigon le cabotage indigène, déjà plein d’activité dans ces parages, — exercer sur la volonté rebelle de l’empereur Tu-Duc une légitime pression, — obtenir de ce prince un traité qui pourvoirait à nos intérêts politiques et commerciaux, — saisir enfin l’occasion d’opposer un éclatant démenti à ceux qui nous accusent d’impuissance en matière coloniale, voilà ce qu’il faut avoir le courage d’entreprendre avec cette confiance qui assure le succès. Tels étaient les vœux que j’aimais à former lorsque dans la plaine de Yuen-kiang je suivais par la pensée dans son cours, aujourd’hui inutile, le beau fleuve qui coulait à mes pieds, et telle est aussi l’espérance qu’il ne me sera pas interdit d’exprimer lorsque, rentré dans ma patrie, je trouve la France si forte et l’heure si propice.


L.-M. DE CARNE.

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1869.
  2. Abel Rémusat.
  3. L’abbé Huc.
  4. Le territoire d’une province chinoise se divise en un certain nombre de fou, de tcheou et de hien, qui tous ont un chef-lieu fortifié. L’assimilation qu’on établit souvent entre ces divisions administratives et les nôtres (département, arrondissement, canton), n’est pas d’une exactitude rigoureuse. Les fonctionnaires résidant aux tcheou, ordinairement soumis, il est vrai, à celui d’un fou, dépendent cependant parfois directement de l’administration provinciale.
  5. Histoire générale de la Chine, traduite du tong-kien-kang-moa par le père de Mailla, t. XI.
  6. Gauhil.
  7. Ce qui le prouve, c’est le mandement dans lequel le cardinal Charles-Ambroise de Mezza-Barba, tout en exhortant les missionnaires à l’observation de la bulle de Clément XI, précise et réunit en huit articles les adoucissemens qui y sont contenus.
  8. Rohrbacher, Histoire universelle de l’église catholique, t. XXVI.
  9. Ibidem.
  10. A partir de Fo-hi jusqu’à l’empereur Yao, la chronologie chinoise manque de certitude. Les savans reconnaissent qu’il a régné le premier sur ses compatriotes, mais ne s’accordent ni sur la date de son règne ni sur la durée de celui de ses successeurs. Ce n’est qu’à partir de Yao, 2357 avant Jésus-Christ, que commencent véritablement les annales, qui ont dès lors tous les caractères de l’authenticité et de l’exactitude historiques. — Voyez le père Duhalde.
  11. Notes historiques sur la nation annamite, par le père Legrand de la Liraie, imprimées à Saïgon.