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Exposition du système du monde/Livre quatrième

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Duprat (p. 178-287).


LIVRE QUATRIÈME


de la théorie de la pesanteur universelle.


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Opinionum commenta dolet dies, naturæ judicia confirmat.
Cic. de Nat. Dcor.


Après avoir exposé dans les livres précédens, les loix des mouvemens célestes, et celles de l’action des causes motrices ; il nous reste à les comparer, pour connoître les forces qui animent les corps du systême solaire, et pour nous élever sans hypothèse et par des raisonnemens géométriques, au principe général de la pesanteur dont elles dérivent. C’est dans l’espace céleste, que les loix de la mécanique s’observent avec le plus de précision : tant de circonstances en compliquent les résultats sur la terre, qu’il est difficile de les démêler, et plus difficile encore de les assujétir au calcul. Mais les corps du systême solaire, séparés par d'immenses distances, et soumis à l’action d’une force principale dont il est aisé de calculer les effets, ne sont troublés dans leurs mouvemens respectifs, que par des forces assez petites pour que l’on ait pu embrasser dans des formules générales, tous les changemens que la suite des temps a produits et doit amener dans ce systême. Il ne s’agit point ici de causes vagues, impossibles à soumettre à l'analyse, et que l’imagination modifie à son gré, pour expliquer les phénomènes. La loi de la pesanteur universelle a le précieux avantage de pouvoir être réduite au calcul, et d’offrir dans la comparaison de ses résultats aux observations, le plus sûr moyen d’en constater l’existence. On verra que cette grande loi de la nature représente tous les phénomènes célestes, jusque dans leurs plus petits détails ; qu’il n’y a pas une seule de leurs inégalités, qui n’en découle avec une précision admirable ; et qu’elle a donné la cause de plusieurs mouvemens singuliers, entrevus par les astronomes, mais qui, trop compliqués ou trop lents, n’auroient pu être déterminés par l’observation, qu’après un grand nombre de siècles. Ainsi, loin d’avoir à craindre que de nouveaux phénomènes viennent à la détruire ; on peut être assuré d’avance, qu’ils ne feront que la confirmer de plus en plus, et l’on doit la regarder comme une source de découvertes aussi certaines, que si elles étoient immédiatement observées. La plus profonde géométrie a été indispensable pour en établir les diverses théories : je les ai rassemblées dans mon traité de mécanique céleste : je me bornerai ici, à présenter les principaux résultats de cet ouvrage, en indiquant la route que les géomètres ont suivie pour y parvenir, et en essayant d’en faire sentir les raisons, autant que cela se peut sans le secours de l’analyse.


CHAPITRE PREMIER.


Du principe de la pesanteur universelle.


Parmi les phénomènes du systême solaire, le mouvement elliptique des planètes et des comètes, semble le plus propre à nous conduire à la loi générale des forces dont il est animé. L'observation a fait connoître que les aires tracées par les rayons vecteurs des planètes et des comètes, autour du soleil, sont proportionnelles aux temps ; or on a vu dans le second chapitre du livre précédent, qu’il faut pour cela, que la force qui détourne sans cesse, chacun de ces corps, de la ligne droite, soit dirigée constamment vers l'origine des rayons vecteurs ; la tendance des planètes et des comètes vers le soleil, est donc une suite nécessaire de la proportionnalité des aires décrites par les rayons vecteurs, aux temps employés à les décrire.

Pour déterminer la loi de cette tendance ; supposons les planètes mues dans des orbes circulaires, ce qui s’éloigne peu de la vérité. Les quarrés de leurs vîtesses réelles, sont alors proportionnels aux quarrés des rayons de ces orbes, divisés par les quarrés des temps de leurs révolutions ; mais par les loix de Kepler, les quarrés de ces temps sont entr’eux comme les cubes des mêmes rayons ; les quarrés des vîtesses sont donc réciproques à ces rayons. On a vu précédemment, que les forces centrales de plusieurs corps mus circulairement, sont comme les quarrés des vîtesses, divisés par les rayons des circonférences décrites ; les tendances des planètes vers le soleil, sont donc réciproques aux quarrés des rayons de leurs orbes supposés circulaires. Cette hypothèse, il est vrai, n’est pas rigoureuse ; mais le rapport constant des quarrés des temps des révolutions des planètes, aux cubes des grands axes de leurs orbes, étant indépendant des excentricités ; il est naturel de penser qu’il subsisteroit encore, dans le cas où ces orbes seroient circulaires. Ainsi, la loi de la pesanteur vers le soleil, réciproque au quarré des distances, est clairement indiquée par ce rapport.

L’analogie nous porte à croire que cette loi qui s’étend d’une planète à l’autre, a également lieu pour la même planète, dans ses diverses distances au soleil : son mouvement elliptique ne laisse aucun doute à cet égard. Pour le faire voir, suivons ce mouvement, en faisant partir la planète, du périhélie. Sa vîtesse est alors à son maximum , et sa tendance à s’éloigner du soleil, l’emportant sur sa pesanteur vers cet astre, son rayon vecteur augmente et forme des angles obtus avec la direction de son mouvement ; la pesanteur vers le soleil, décomposée suivant cette direction, diminue donc de plus en plus la vîtesse, jusqu’à ce que la planète ait atteint son aphélie. A ce point, le rayon vecteur redevient perpendiculaire à la courbe ; la vîtesse est à son minimum , et la tendance à s’éloigner du soleil, étant moindre que la pesanteur solaire, la planète s’en rapproche en décrivant la seconde partie de son ellipse. Dans cette partie, sa pesanteur vers le soleil, accroît sa vîtesse, comme auparavant elle l’avoit diminuée ; la planète se retrouve au périhélie avec sa vîtesse primitive, et recommence une nouvelle révolution semblable à la précédente. Maintenant, la courbure de l’ellipse étant la même au périhélie et à l’aphélie, les rayons osculateurs y sont les mêmes, et par conséquent, les forces centrifuges dans ces deux points, sont entr’elles comme les quarrés des vîtesses. Les secteurs décrits pendant le même temps, étant égaux ; les vîtesses périhélie et aphélie, sont réciproquement comme les distances correspondantes de la planète au soleil ; les quarrés de ces vîtesses sont donc réciproques aux quarrés des mêmes distances ; or, au périhélie et à l’aphélie, les forces centrifuges dans les circonférences osculatrices, sont évidemment égales aux pesanteurs de la planète vers le soleil ; ces pesanteurs sont donc en raison inverse du quarré des distances à cet astre.

Ainsi, les théorêmes d’Huyghens sur la force centrifuge, suffisoient pour reconnoître la loi de la tendance des planètes vers le soleil ; car il est très-vraisemblable qu’une loi qui a lieu d’une planète à l’autre, et qui se vérifie pour chaque planète, au périhélie et à l’aphélie, s’étend à tous les points des orbes planétaires, et généralement à toutes les distances du soleil. Mais pour l’établir d’une manière incontestable, il falloit avoir l’expression générale de la force qui, dirigée vers le foyer d’une ellipse, la fait décrire à un projectile. Newton trouva qu’en effet, cette force est réciproque au quarré du rayon vecteur. Il falloit encore démontrer rigoureusement que la pesanteur vers le soleil, ne varie d’une planète à l’autre, qu’à raison de la distance à cet astre. Ce grand géomètre fit voir que cela suit de la loi des quarrés des temps des révolutions, proportionnels aux cubes des grands axes des orbites. En supposant donc toutes les planètes en repos à la même distance du soleil, et abandonnées à leur pesanteur vers son centre ; elles descendroient de la même hauteur, en temps égal ; résultat que l’on doit étendre aux comètes, quoique les grands axes de leurs orbes soient inconnus ; car on a vu dans le second livre, que la grandeur des aires décrites par leurs rayons vecteurs, suppose la loi des quarrés des temps de leurs révolutions, proportionnels aux cubes de ces axes.

L’analyse qui dans ses généralités, embrasse tout ce qui peut résulter d’une loi donnée, nous montre que non-seulement l'ellipse, mais toute section conique, peut être décrite en vertu de la force qui retient les planètes dans leurs orbes ; une comète peut donc se mouvoir dans une hyperbole ; mais alors, elle ne seroit visible qu’une fois, et après son apparition, elle s’éloigneroit au- delà des limites du systême solaire, et s’approcheroit de nouveaux soleils pour s’en éloigner encore, en parcourant ainsi, les divers systêmes répandus dans l’immensité des cieux. Il est probable, vu l'infinie variété de la nature, qu’il existe des corps semblables. Leurs apparitions doivent être fort rares, et nous ne devons observer le plus souvent, que des comètes qui, mues dans des orbes rentrans, reviennent à des intervalles plus ou moins longs, dans les régions de l’espace, voisines du soleil.

Les satellites tendent pareillement vers cet astre. Si la lune n'étoit pas soumise à son action ; au lieu de décrire un orbe presque circulaire autour de la terre, elle finiroit bientôt par l’abandonner ; et si ce satellite et ceux de Jupiter n’étoient pas sollicités vers le soleil, suivant la même loi que les planètes ; il en résulteroit dans leurs mouvemens, des inégalités sensibles que l’observation ne fait point appercevoir. Les comètes, les planètes et les satellites sont donc assujétis à la même loi de pesanteur vers cet astre. En même temps que les satellites se meuvent autour de leur planète, le systême entier de la planète et de ses satellites, est emporté d’un mouvement commun, dans l’espace, et retenu par la même force, autour du soleil : ainsi le mouvement relatif de la planète et de ses satellites, est à-peu-près le même que si la planète étoit en repos, et n’éprouvoit aucune action étrangère.

Nous voilà donc conduits sans aucune hypothèse, et par une suite nécessaire des loix des mouvemens célestes, à regarder le centre du soleil, comme le foyer d’une force qui s’étend indéfiniment dans l’espace, en diminuant en raison du quarré des distances, et qui attire tous les corps compris dans sa sphère d’activité. Chacune des loix de Kepler, nous découvre une propriété de cette force attractive ; la loi des aires proportionnelles aux temps, nous montre qu’elle est constamment dirigée vers le centre du soleil ; la figure elliptique des orbes planétaires nous prouve que cette force diminue, comme le quarré de la distance augmente ; enfin, la loi des quarrés des temps des révolutions, proportionnels aux cubes des grands axes des orbites, nous apprend que la pesanteur de tous les corps, vers le soleil, est la même, à distances égales. Nous nommerons cette pesanteur, attraction solaire, quand nous la considérerons relativement au centre du soleil, vers lequel elle est dirigée ; car sans en connoître la cause, nous pouvons, par un de ces concepts dont les géomètres font souvent usage, supposer cette force produite par un pouvoir attractif qui réside dans le soleil.

Les erreurs dont les observations sont susceptibles, et les petites altérations du mouvement elliptique des planètes, laissant un peu d’incertitude sur les résultats que nous venons de tirer des loix de ce mouvement ; on peut douter que la pesanteur solaire diminue exactement en raison inverse du quarré des distances. Mais pour peu qu’elle s’écartât de cette loi ; la différence seroit très- sensible sur les mouvemens des périhélies des orbes planétaires. Le périhélie de l’orbe terrestre auroit un mouvement annuel de 200 secondes, si l’on augmentoit seulement d’un dix millième, la puissance de la distance à laquelle la pesanteur solaire est réciproquement proportionnelle : ce mouvement n’est que de 36, 4 secondes, suivant les observations, et nous en verrons ci-après, la cause ; la loi de la pesanteur réciproque au quarré des distances, est donc au moins, extrêmement approchée, et sa grande simplicité doit la faire admettre, tant que les observations ne forceront pas de l’abandonner. Sans doute, il ne faut pas mesurer la simplicité des loix de la nature, par notre facilité à les concevoir ; mais lorsque celles qui nous paroissent les plus simples, s’accordent parfaitement avec tous les phénomènes

nous sommes bien fondés à les regarder comme étant rigoureuses. La pesanteur des satellites vers le centre de leur planète, est un résultat nécessaire de la proportionnalité des aires décrites par leurs rayons vecteurs, aux temps ; et la loi de la diminution de cette force, en raison du quarré des distances, est indiquée par l’ellipticité de leurs orbes. Cette ellipticité est peu sensible dans les orbes des satellites de jupiter, de saturne et d’uranus ; ce qui rend la loi de la diminution de la pesanteur, difficile à constater par le mouvement de chaque satellite : mais le rapport constant des quarrés des temps de leurs révolutions, aux cubes des grands axes de leurs orbes, l’indique avec évidence, en nous montrant que d’un satellite à l’autre, la pesanteur vers la planète, est réciproque au quarré des distances à son centre. Cette preuve nous manque pour la terre qui n’a qu’un satellite

on peut y suppléer par les considérations suivantes. La pesanteur s’étend au sommet des plus hautes montagnes, et le peu de diminution qu’elle y éprouve, ne permet pas de douter qu’à des hauteurs beaucoup plus grandes, son action seroit encore sensible. N’est-il pas naturel de l’étendre jusqu’à la lune, et de penser que la force qui retient cet astre dans son orbite, est sa pesanteur vers la terre ; de même que la pesanteur solaire retient les planètes dans leurs orbes respectifs ? En effet, ces deux forces paroissent être de la même nature. Elles pénètrent, l’une et l'autre, les parties intimes de la matière, et les animent de la même vîtesse ; car on vient de voir que la pesanteur solaire sollicite également tous les corps placés à la même distance du soleil ; comme la pesanteur terrestre les fait tomber dans le vide, de la même hauteur, en temps égal. Un projectile lancé horizontalement avec force, d’une grande hauteur, retombe au loin sur la terre, en décrivant une courbe sensiblement parabolique. Il retomberoit plus loin, si sa vitesse de projection étoit plus considérable, et en la supposant d'environ sept mille mètres dans une seconde, le projectile, sans la résistance de l’atmosphère, ne retomberoit point, et circuleroit comme un satellite autour de la terre. Pour former la lune, de ce projectile ; il ne faut que l’élever à la même hauteur que cet astre, et lui donner le même mouvement de projection. Mais ce qui achève de démontrer l’identité de la tendance de la lune vers la terre, avec la pesanteur ; c’est qu’il suffit pour avoir cette tendance, de diminuer la pesanteur terrestre, suivant la loi générale de la variation de la force attractive des corps célestes. Entrons dans les détails convenables à l’importance de cet objet . La force qui écarte à chaque instant la lune, de la tangente de son orbite, lui fait parcourir dans une seconde, un espace égal au sinus verse de l’arc qu’elle décrit dans le même temps ; puisque ce sinus est la quantité dont la lune, à la fin de la seconde, s'est éloignée de la direction qu’elle avoit au commencement. On peut le déterminer par la distance de la lune à la terre, que la parallaxe lunaire donne en parties du rayon terrestre ; mais pour avoir un résultat indépendant des inégalités du mouvement de la lune, il faut prendre pour sa parallaxe moyenne, la partie de cette parallaxe, qui est indépendante de ces inégalités. Cette partie relative au rayon mené du centre de gravité de la terre, à sa surface, sur le parallèle dont le quarré du sinus de latitude est 1 sur 3, égale suivant les observations, 10541 secondes. Nous choisissons ce parallèle ; parce que l’attraction de la terre sur les points correspondans de sa surface, est à très-peu près comme à la distance de la lune, égale à la masse de la terre, divisée par le quarré de la distance à son centre de gravité. Le rayon mené d’un point de ce parallèle, au centre de gravité de la terre, est de 6369374 mètres ; il est facile d’en conclure que la force qui sollicite la lune vers la terre, la fait tomber dans une seconde, de 0 me, 00101727. On verra ci-après, que l’action du soleil diminue la pesanteur lunaire, de sa 358 ème partie ; il faut donc augmenter d’un 358 ème, la hauteur précédente, pour la rendre indépendante de l’action du soleil, et alors elle devient 0 me, 00102011. Mais dans son mouvement relatif autour de la terre, la lune est sollicitée par une force égale à la somme des masses de la terre et de la lune, divisée par le quarré de leur distance mutuelle : ainsi pour avoir la hauteur dont la lune tomberoit dans une seconde, par l’action seule de la terre, il faut diminuer l’espace précédent, dans le rapport de la masse de la terre, à la somme des masses de la terre et de la lune ; or les phénomènes du flux et du reflux de la mer m’ont donné la masse de la lune, égale à 1 sur 58, 7 de celle de la terre ; en multipliant donc cet espace par 58, 7 sur 59, 7, on aura 0 me, 00100300 pour la hauteur dont l’attraction de la terre fait tomber la lune, pendant une seconde. Comparons cette hauteur, à celle qui résulte des observations du pendule. Sur le parallèle que nous considérons, la hauteur dont la pesanteur fait tomber les corps dans la première seconde est, par le chapitre xii du premier livre, égale à 3 me, 65706 : mais sur ce parallèle, l’attraction de la terre est plus petite que la gravité, des deux tiers de la force centrifuge due au mouvement de rotation à l’équateur, et cette force est 1 sur 288 de la pesanteur ; il faut donc augmenter l’espace précédent, de sa 432 ème partie, pour avoir l’espace dû à l’action seule de la terre, qui sur ce parallèle, est égale à sa masse divisée par le quarré du rayon terrestre ; on aura ainsi, 3 me, 6 6553, pour cet espace. à la distance de la lune, il doit être diminué dans le rapport du quarré du rayon du sphéroïde terrestre, au quarré de la distance de cet astre ; et il est visible qu’il suffit pour cela, de le multiplier par le quarré du sinus de la parallaxe lunaire ou de 10541 secondes, on aura donc 0 me, 00100483, pour la hauteur dont la lune doit tomber dans une seconde, par l’attraction de la terre. Cette hauteur donnée par les expériences du pendule, diffère peu de celle qui résulte de l’observation directe de la parallaxe ; et pour les faire coïncider, il suffit de diminuer de 6 secondes, la parallaxe lunaire, et de la réduire à 10535 secondes. Telle est donc la parallaxe qui résulte de la théorie de la pesanteur, et qui ne diffère pas d’un 1600 ème, de la parallaxe observée à laquelle je la crois préférable, vu l’exactitude des élémens qui servent à la déterminer. Il suffiroit de diminuer un peu la masse de la lune, pour avoir par la théorie de la pesanteur, la même parallaxe que suivant les observations ; mais tous les phénomènes des marées concourent à donner à cette masse, la valeur dont nous venons de faire usage. Quoi qu’il en soit, la petite différence des deux parallaxes est dans les limites des erreurs des observations et des élémens employés dans le calcul ; il est donc certain que la force principale qui retient la lune dans son orbite, est la pesanteur terrestre affoiblie en raison du quarré de la distance. Ainsi, la loi de la diminution de la pesanteur, qui pour les planètes accompagnées de plusieurs satellites, est prouvée par la comparaison de la durée de leurs révolutions, et de leurs distances, est démontrée pour la lune, par la comparaison de son mouvement avec celui des projectiles à la surface de la terre. Déjà les observations du pendule faites au sommet des montagnes, indiquoient cette diminution de la pesanteur terrestre ; mais elles étoient insuffisantes pour en découvrir la loi, à cause du peu de hauteur des montagnes les plus élevées, par rapport au rayon de la terre ; il falloit un astre éloigné de nous, comme la lune, pour rendre cette loi très-sensible, et pour nous convaincre que la pesanteur sur la terre, n’est qu’un cas particulier d’une force répandue dans tout l’univers. Chaque phénomène éclaire d’une lumière nouvelle, les loix de la nature, et les confirme : c’est ainsi que la comparaison des expériences sur la pesanteur, avec le mouvement lunaire, nous montre clairement que l’on doit fixer l’origine des distances, au centre de gravité du soleil et des planètes, dans le calcul de leurs forces attractives ; car il est visible que cela a lieu pour la terre dont la force attractive est de la même nature que celles des planètes et du soleil. Le soleil et les planètes accompagnées de satellites, étant doués d’une force attractive réciproque au quarré des distances ; une forte analogie nous porte à étendre cette propriété, aux autres planètes. La sphéricité commune à tous ces corps, indique évidemment que leurs molécules sont réunies autour de leurs centres de gravité, par une force qui, à distances égales, les sollicite également vers ces points ; mais la considération suivante ne laisse aucun doute à cet égard. On a vu que si les planètes et les comètes étoient placées à la même distance du soleil, leurs poids vers cet astre, seroient proportionnels à leurs masses ; or c’est une loi générale de la nature, que la réaction est égale et contraire à l’action ; tous ces corps réagissent donc sur le soleil, et l’attirent en raison de leurs masses, et par conséquent, ils sont doués d’une force attractive proportionnelle aux masses, et réciproque au quarré des distances. Par le même principe, les satellites attirent les planètes et le soleil suivant la même loi ; cette propriété attractive est donc commune à tous les corps célestes. Elle ne trouble point le mouvement elliptique d’une planète autour du soleil, lorsque l’on ne considère que leur action mutuelle. En effet, le mouvement relatif des corps d’un systême, ne change point, en leur donnant une vîtesse commune ; en imprimant donc en sens contraire au soleil et à la planète, le mouvement du premier de ces deux corps, et l’action qu’il éprouve de la part du second, le soleil pourra être regardé comme immobile ; mais alors, la planète sera sollicitée vers lui, par une force réciproque au quarré des distances, et proportionnelle à la somme de leurs masses ; son mouvement autour du soleil sera donc elliptique, et l’on voit par le même raisonnement, qu’il le seroit encore, en supposant le systême de la planète et du soleil, emporté d’un mouvement commun dans l’espace. Il est pareillement visible que le mouvement elliptique d’un satellite n’est point troublé par le mouvement de translation de sa planète, et qu’il ne le seroit point par l’action du soleil, si cette action étoit exactement la même sur la planète et sur le satellite. Cependant, l’action d’une planète sur le soleil influe sur la durée de sa révolution qui devient plus courte, quand la planète est plus considérable ; en sorte que le rapport du quarré du temps de sa révolution, au cube du grand axe de son orbite, dépend de sa masse. Mais puisque ce rapport est à très-peu près le même pour toutes les planètes ; leurs masses doivent être fort petites, eu égard à celle du soleil ; ce qui est également vrai pour les satellites comparés à leur planète principale : c’est ce que confirment les volumes de ces différens corps. La propriété attractive des corps célestes, ne leur appartient pas seulement en masse, mais elle est propre à chacune de leurs molécules. Si le soleil n’agissoit que sur le centre de la terre, sans attirer particulièrement chacune de ses parties ; il en résulteroit dans l’océan, des oscillations incomparablement plus grandes, et très-différentes de celles que l’on y observe ; la pesanteur de la terre vers le soleil est donc le résultat des pesanteurs de toutes ses molécules qui, par conséquent, attirent le soleil, en raison de leurs masses respectives. D’ailleurs, chaque corps sur la terre pèse vers son centre, proportionnellement à sa masse ; il réagit donc sur elle, et l’attire suivant le même rapport. Si cela n’étoit pas, et si une partie quelconque de la terre, quelque petite qu’on la suppose, n’attiroit pas l’autre partie, comme elle en est attirée ; le centre de gravité de la terre seroit mu dans l’espace, en vertu de la pesanteur ; ce qui est inadmissible. Les phénomènes célestes comparés aux loix du mouvement, nous conduisent donc à ce grand principe de la nature, savoir, que toutes les molécules de la matière s’attirent mutuellement, en raison des masses, et réciproquement au quarré des distances . Déjà l’on entrevoit dans cette gravitation universelle, la cause des perturbations que les corps célestes éprouvent ; car les planètes et les comètes étant soumises à leur action réciproque, elles doivent s’écarter un peu des loix du mouvement elliptique, qu’elles suivroient exactement, si elles n’obéissoient qu’à l’action du soleil. Les satellites troublés dans leurs mouvemens autour de leurs planètes, par leur attraction mutuelle et par celle du soleil, s’écartent pareillement de ces loix. On voit encore que les molécules de chaque corps céleste, réunies par leur attraction, doivent former une masse à-peu-près sphérique, et que la résultante de leur action à la surface du corps, doit y produire tous les phénomènes de la pesanteur. On voit pareillement que le mouvement de rotation des corps célestes, doit altérer un peu la sphéricité de leur figure, et l’applatir aux pôles ; et qu’alors la résultante de leurs actions mutuelles , ne passant point exactement par leurs centres de gravité, elle doit produire dans leurs axes de rotation, des mouvemens semblables à ceux que l’observation y fait appercevoir. Enfin, on entrevoit que les molécules de l’océan, inégalement attirées par le soleil et la lune, doivent avoir un mouvement d’oscillation pareil au flux et au reflux de la mer. Mais il convient de développer ces divers effets du principe général de la pesanteur, pour lui donner toute la certitude dont les vérités physiques sont susceptibles.


CHAPITRE II.


Des masses des planètes, et de la pesanteur à leur surface.


Il semble au premier coup-d’œil, impossible de déterminer les masses respectives du soleil et des planètes, et de mesurer la hauteur dont la pesanteur fait tomber, dans un temps donné, les corps à leur surface. Mais l’enchaînement des vérités les unes aux autres, conduit à des résultats qui paroissoient inaccessibles, quand le principe dont ils dépendent, étoit inconnu. Ainsi, la mesure de l’intensité de la pesanteur sur les planètes, est devenue possible par la découverte de la gravitation universelle.

Reprenons les théorêmes sur la force centrifuge, exposés dans le livre précédent. Il en résulte que la pesanteur d’un satellite vers sa planète, est à la pesanteur de la terre vers le soleil, comme le rayon moyen de l’orbe du satellite, divisé par le quarré du temps de sa révolution sydérale, est à la moyenne distance de la terre au soleil, divisée par le quarré d’une année sydérale. Pour ramener ces pesanteurs, à la même distance des corps qui les produisent ; il faut les multiplier respectivement, par les quarrés des rayons des orbes qu’elles font décrire ; et comme à distances égales, les masses sont proportionnelles à leurs attractions ; la masse de la planète est à celle du soleil, comme le cube du rayon moyen de l’orbe du satellite, divisé par le quarré du temps de sa révolution sydérale, est au cube de la distance moyenne de la terre au soleil, divisé par le quarré de l’année sydérale.

Appliquons ce résultat à Jupiter. Pour cela, nous observerons que le rayon moyen de l’orbe du quatrième satellite, sous-tend à la moyenne distance de Jupiter au soleil, un angle de 1530″,86 secondes. Vu de la distance moyenne de la terre au soleil, ce rayon paroîtroit sous un angle de 7964″,75 secondes ; le rayon du cercle renferme 636619″,8 secondes ; ainsi les rayons moyens de l’orbe du quatrième satellite et de l’orbe terrestre, sont dans le rapport de ces deux derniers nombres. La durée de la révolution sydérale du quatrième satellite, est de 16, 6890 jours, et l’année sydérale est de 365, 2564 jours. En partant de ces données, on trouve 1 sur 1066, 08 pour la masse de jupiter, celle du soleil étant représentée par l’unité. Il faut pour plus d'exactitude, augmenter d’une unité, le dénominateur de cette fraction ; parce que la force qui retient jupiter dans son orbite relative autour du soleil, est la somme des attractions du soleil et de jupiter ; la masse de cette planète est donc 1 sur 1067, 08. J’ai déterminé par le même procédé, les masses de saturne et d’uranus. Celle de la terre peut être calculée de la même manière ; mais la méthode suivante est encore plus précise. Si l’on prend pour unité, la moyenne distance de la terre au soleil ; l’arc décrit par la terre, dans une seconde de temps, sera le rapport de la circonférence au rayon, divisé par le nombre des secondes de l’année sydérale, ou par 36525638, 4 secondes. En divisant le quarré de cet arc, par le diamètre, on aura 1479565 sur 10 puissance 20 pour son sinus verse ; c’est la quantité dont la terre tombe vers le soleil, pendant une seconde, en vertu de son mouvement relatif autour de cet astre. On a vu dans le chapitre précédent, que sur le parallèle terrestre dont le quarré du sinus de latitude est 1 sur 3, l’attraction de la terre fait tomber les corps dans une seconde, de 3 me, 66553. Pour réduire cette attraction, à la distance moyenne de la terre au soleil, il faut la multiplier par le quarré du sinus de la parallaxe solaire, et diviser le produit, par le nombre de mètres que renferme cette distance ; or le rayon terrestre, sur le parallèle que nous considérons, est de 6369374 mètres ; en divisant donc ce nombre, par le sinus de la parallaxe solaire ou de 27, 2 heures, on aura le rayon moyen de l’orbe terrestre, exprimé en mètres. Il suit de-là, que l’effet de l’attraction de la terre, à la distance moyenne de cette planète au soleil, est égal au produit de la fraction 3, 66553 sur 6369374, par le cube du sinus de 27, 2 secondes ; il est par conséquent égal à 4, 48855 sur 10 puissance 20. En retranchant cette fraction, de 1479565 sur 10 puissance 20 ; on aura 1479560, 5 sur 10 puissance 20 pour l’effet de l’attraction du soleil, à la même distance. Les masses du soleil et de la terre sont donc dans le rapport des nombres 1479560, 5 et 4, 48855 ; d’où il suit que la masse de la terre est 1 sur 329630. Si la parallaxe du soleil est un peu différente de celle que nous avons admise ; la valeur de la masse de la terre doit varier comme le cube de cette parallaxe, comparé à celui de 27, 2 secondes. Les valeurs suivantes des masses des planètes qui n’ont point de satellites, ont été déterminées par les changemens séculaires que l’action de ces corps produit dans les élémens du systême solaire. J’ai conclu les masses de vénus et de mars, de la diminution séculaire de l’obliquité de l’écliptique, supposée de 154, 3 secondes, et de l’accélération du moyen mouvement de la lune, en la fixant à 34, 36 secondes, pour le premier siècle, à partir de 1700. La masse de mercure a été déterminée par son volume, et en supposant les densités de cette planète et de la terre, réciproques à leurs moyennes distances au soleil ; hypothèse, à la vérité, fort précaire ; mais qui satisfait assez exactement aux densités respectives de la terre, de jupiter et de saturne. Il faudra rectifier toutes ces valeurs, quand le temps aura fait mieux connoître les variations séculaires des mouvemens et des orbes célestes. Les masses des planètes accompagnées de satellites, doivent être encore rectifiées par des observations très-précises de la plus grande élongation des satellites à leurs planètes, sans négliger la considération de l’ellipticité de leurs orbes. Masses des planètes, celle du soleil étant prise pour unité. Mercure : 1 sur 2025810 vénus : 1 sur 383137 la terre : 1 sur 329630 mars : 1 sur 1846082 jupiter : 1 sur 1067, 09 saturne : 1 sur 3359, 40 uranus : 1 sur 19504 les densités des corps sont proportionnelles aux masses divisées par les volumes, et quand les corps sont à-peu-près sphériques, leurs volumes sont comme les cubes de leurs rayons ; les densités sont donc alors comme les masses divisées par les cubes des rayons : mais pour plus d’exactitude, il faut prendre pour le rayon d' une planète, celui qui correspond au parallèle dont le quarré du sinus de latitude est 1 sur 3, et qui égale le tiers de la somme du rayon du pôle, ajouté au diamètre de l’équateur. On trouve ainsi, qu’en prenant pour unité, la moyenne densité du soleil ; celles de la terre, de jupiter, de saturne et d’uranus, sont 3, 9395 ; 0, 8601 ; 0, 495 1 ; 1, 1376. Nous devons observer que les erreurs des mesures des diamètres apparens des planètes, et l’irradiation dont nous n' avons point tenu compte par la difficulté de l’apprécier, peuvent influer très-sensiblement sur ces résultats. Nous observerons encore que la valeur précédente de la densité de la terre, est indépendante de la parallaxe solaire ; car sa masse et son volume comparés au soleil, croissent l’un et l’autre, comme le cube de cette parallaxe. Les mesures des plus grandes élongations des satellites à leurs planètes, et celles des diamètres planétaires, méritent particulièrement l’attention des observateurs ; puisque de-là dépend la connoissance des masses et des densités des planètes. Newton a proposé un moyen fort simple pour dépouiller les diamètres apparens, de l' effet de l’irradiation : il consiste à observer pendant la nuit, la lumière d’une lampe à travers une ouverture placée à une grande distance , et assez petite pour ne laisser voir qu’une partie de la lampe. On diminue la vivacité de la lumière et l’on s’éloigne de l' ouverture, jusqu’à ce qu’elle paroisse exactement de la même grandeur et du même éclat que la planète. Le rapport de l’ouverture apparente à sa distance à l’observateur, fera connoître avec beaucoup de précision, le diamètre de cette planète. On pourroit représenter ainsi les apparences de l’anneau de saturne, et mesurer les dimensions de ses anneaux intérieur et extérieur, sur lesquelles l'irradiation laisse une grande incertitude. Pour avoir l’intensité de la pesanteur, à la surface du soleil et des planètes ; considérons que si jupiter et la terre étoient exactement sphériques et privés de leurs mouvemens de rotation, les pesanteurs à leur équateur, seroient proportionnelles aux masses de ces corps, divisées par les quarrés de leurs diamètres ; or à la moyenne distance du soleil à la terre, le diamètre de l’équateur de jupiter est de 626, 26 secondes, et celui de l’équateur de la terre est de 54, 5 secondes ; en représentant donc par l’unité, le poids d’un corps à l'équateur terrestre, le poids de ce corps transporté à l’équateur de jupiter seroit 2, 509 : mais il faut diminuer ce poids d’environ un neuvième, pour avoir égard aux effets des forces centrifuges dues à la rotation de ces planètes. Le même corps pèseroit 27, 65, à l’équateur du soleil ; et les graves y parcourent cent mètres, dans la première seconde de leur chute.

Chapitre iii.[modifier]

des perturbations du mouvement elliptique des planètes.

si les planètes n’obéissoient qu’à l’action du soleil, elles décriroient autour de lui, des orbes elliptiques ; mais elles agissent les unes sur les autres ; elles agissent également sur le soleil, et de ces attractions diverses, il résulte dans leurs mouvemens elliptiques, des perturbations que les observations font entrevoir, et qu’il est nécessaire de déterminer, pour avoir des tables exactes des mouvemens planétaires. La solution rigoureuse de ce problême, surpasse les moyens actuels de l’analyse, et nous sommes forcés de recourir aux approximations. Heureusement, la petitesse des masses des planètes, eu égard à celle du soleil, et le peu d’excentricité et d’inclinaison de leurs orbites, donnent de grandes facilités pour cet objet. Il reste encore très-compliqué, et l’analyse la plus délicate et la plus épineuse est indispensable, pour démêler dans le nombre infini des inégalités auxquelles les planètes sont assujetties, celles qui sont sensibles, et pour assigner leurs valeurs. Les perturbations du mouvement elliptique des planètes, peuvent être partagées en deux classes très-distinctes ; les unes affectent les élémens du mouvement elliptique, elles croissent avec une extrême lenteur ; on les a nommées inégalités séculaires . Les autres dépendent de la configuration des planètes, soit entr’elles, soit à l’égard de leurs nœuds et de leurs périhélies, et se rétablissent toutes les fois que ces configurations redeviennent les mêmes ; elles ont été nommées inégalités périodiques , pour les distinguer des inégalités séculaires qui sont également périodiques, mais dont les périodes beaucoup plus longues sont indépendantes de la configuration mutuelle des planètes. La manière la plus simple d’envisager ces diverses perturbations , consiste à imaginer une planète mue conformément aux loix du mouvement elliptique, sur une ellipse dont les élémens varient par des nuances insensibles ; et à concevoir en même temps, que la vraie planète oscille autour de cette planète fictive, dans un très-petit orbe dont la nature dépend de ses inégalités périodiques. Ainsi, ses inégalités séculaires sont représentées par celles de la planète fictive, et ses inégalités périodiques sont représentées par son mouvement autour de la même planète. Considérons d’abord les inégalités séculaires qui, en se développant avec les siècles, doivent changer à la longue, la forme et la position de tous les orbes planétaires. La plus importante de ces inégalités est celle qui peut affecter les moyens mouvemens des planètes. En comparant entr’elles, les observations faites depuis le renouvellement de l’astronomie ; le mouvement de jupiter a paru plus rapide, et celui de saturne, plus lent que par la comparaison de ces mêmes observations, aux observations anciennes. Les astronomes en ont conclu que le premier de ces mouvemens s’accélère, tandis que le second se ralentit de siècle en siècle ; et pour avoir égard à ces changemens, ils ont introduit dans les tables de ces planètes, deux équations séculaires croissantes comme les quarrés des temps, l'une additive au mouvement de jupiter, et l’autre soustractive de celui de saturne. Suivant halley, l’équation séculaire de jupiter est de 106, 02 secondes pour le premier siècle, à partir de 1700 ; l'équation correspondante de saturne est de 256, 94 secondes. Il étoit naturel d’en chercher la cause dans l’action mutuelle de ces deux planètes les plus considérables de notre systême. Euler qui s’en occupa le premier, trouva une équation séculaire égale pour ces deux planètes, et additive à leurs moyens mouvemens ; ce qui répugne aux observations. Lagrange obtint ensuite des résultats qui leur sont plus conformes : d’autres géomètres trouvèrent d’autres équations. Frappé de ces différences, j’examinai de nouveau cet objet, en apportant le plus grand soin à sa discussion, et je parvins à la véritable expression analytique de l’inégalité séculaire du moyen mouvement des planètes. En y substituant les valeurs numériques relatives à jupiter et à saturne, je fus surpris de voir qu’elle devenoit nulle. Je soupçonnai que cela n’étoit point particulier à ces planètes, et que si l’on mettoit cette expression, sous la forme la plus simple dont elle étoit susceptible, en réduisant au plus petit nombre, les diverses quantités qu’elle renferme, au moyen des relations qui existent entr’elles ; tous ses termes se détruiroient d’eux-mêmes. Le calcul confirma ce soupçon, et m’apprit qu’en général, les moyens mouvemens des planètes et leurs distances moyennes au soleil, sont invariables, du moins, quand on néglige les quatrièmes puissances des excentricités et des inclinaisons des orbites, et les quarrés des masses perturbatrices, ce qui est plus que suffisant pour les besoins actuels de l’astronomie. Lagrange a depuis, confirmé ce résultat , en faisant voir par une très-belle méthode, qu’il a lieu en ayant même égard aux puissances et aux produits d’un ordre quelconque, des excentricités et des inclinaisons. Ainsi, les variations observées dans les moyens mouvemens de jupiter et de saturne, ne dépendent point de leurs inégalités séculaires. La constance des moyens mouvemens des planètes et des grands axes de leurs orbites, est un des phénomènes les plus remarquables du systême du monde. Tous les autres élémens des ellipses planétaires sont variables ; ces ellipses s’approchent ou s’éloignent insensiblement de la forme circulaire ; leurs inclinaisons sur un plan fixe et sur l’écliptique, augmentent ou diminuent ; leurs périhélies et leurs nœuds sont en mouvement. Ces variations produites par l’action mutuelle des planètes, s’exécutent avec tant de lenteur, que pendant plusieurs siècles, elles sont à-peu-près proportionnelles aux temps. Déjà, les observations les ont fait appercevoir ; on a vu dans le premier livre, que le périhélie de l’orbe terrestre a un mouvement annuel direct, de 36, 7 secondes, et que son inclinaison à l’équateur diminue, chaque année, de 154, 3 secondes. Euler a développé, le premier, la cause de cette diminution que toutes les planètes concourent maintenant à produire, par la situation respective des plans de leurs orbes. Les observations anciennes ne sont pas assez précises, et les observations modernes sont trop rapprochées, pour fixer les quantités de ces grands changemens ; cependant, elles se réunissent à prouver leur existence, et à faire voir que leur marche est la même que celle qui dérive de la théorie de la pesanteur. On pourroit donc, au moyen de cette théorie, devancer les observations, et assigner les vraies valeurs des inégalités séculaires des planètes, si l’on avoit exactement leurs masses ; mais nous ne connoissons encore que celles des planètes accompagnées de satellites ; les autres ne seront bien déterminées, que lorsque la suite des temps aura suffisamment développé ces inégalités, pour en conclure avec précision la grandeur de ces masses. Alors, on pourra remonter par la pensée, aux changemens successifs que le systême planétaire a éprouvés ; on pourra prévoir ceux que les siècles à venir offriront aux observateurs ; et le géomètre embrassera d'un coup-d’oeil, dans ses formules, tous les états passés et futurs de ce systême. Le tableau du chapitre v du second livre, renferme les variations séculaires qui résultent des valeurs assignées précédemment aux masses des planètes. Ici, se présentent plusieurs questions intéressantes. Les ellipses planétaires ont-elles toujours été et seront-elles toujours, à-peu-près circulaires ? Quelques-unes des planètes n’ont-elles pas été originairement des comètes dont les orbes ont peu à peu approché du cercle, par l’attraction des autres planètes ? La diminution de l’obliquité de l’écliptique, continuera-t-elle au point de faire coïncider l’écliptique avec l’équateur, ce qui produiroit l’égalité constante des jours et des nuits, sur toute la terre. L’analyse répond à ces questions, d’une manière satisfaisante. Je suis parvenu à démontrer que, quelles que soient les masses des planètes, par cela seul qu’elles se meuvent toutes dans le même sens, et dans des orbes peu excentriques et peu inclinés les uns aux autres ; leurs inégalités séculaires sont périodiques et renfermées dans d'étroites limites, en sorte que le systême planétaire ne fait qu’osciller autour d’un état moyen dont il ne s’écarte jamais que d’une très-petite quantité. Les ellipses des planètes ont donc toujours été et seront toujours, presque circulaires ; d’où il suit qu’aucune planète n’a été primitivement une comète, du moins, si l’on n’a égard qu’à l’action mutuelle des corps du systême planétaire. L’écliptique ne coïncidera jamais avec l’équateur, et l’étendue entière des variations de son inclinaison, ne peut pas excéder trois degrés. Les mouvemens des orbes planétaires et des étoiles, embarrasseront, un jour, les astronomes, lorsqu’ils chercheront à comparer des observations précises, éloignées par de longs intervalles de temps. Déjà, cet embarras commence à se faire sentir ; il est donc intéressant de pouvoir retrouver au milieu de tous ces changemens, un plan invariable ou qui conserve toujours, une situation parallèle. Nous avons exposé à la fin du livre précédent, un moyen simple pour déterminer un plan semblable, dans le mouvement d’un systême de corps qui ne sont soumis qu’à leur action mutuelle : ce moyen appliqué au systême solaire, donne la règle suivante. Si à un instant quelconque, et sur un plan passant par le centre du soleil, on mène des droites, aux nœuds ascendans des orbes planétaires rapportés à ce dernier plan ; si l’on prend sur ces droites, à partir du centre du soleil, des lignes égales aux tangentes des inclinaisons des orbes, sur ce plan ; si l’on suppose ensuite, aux extrémités de ces lignes, des masses proportionnelles aux masses des planètes, multipliées respectivement par les racines quarrées des paramètres des orbes, et par les cosinus de leurs inclinaisons ; enfin, si l’on détermine le centre de gravité de ce nouveau systême de masses ; la droite menée du centre du soleil, à ce point, sera la tangente de l’inclinaison du plan invariable, sur le plan donné

et

en la prolongeant au-delà de ce point, jusqu’au ciel, elle y marquera la position de son nœud ascendant. Quels que soient les changemens que la suite des siècles amène dans les orbes planétaires, et le plan auquel on les rapporte ; le plan déterminé par cette règle, conservera toujours une situation parallèle. Sa position dépend, à la vérité, des masses des planètes ; mais celles qui sont accompagnées de satellites, ont le plus d'influence sur cette position, et les masses des autres planètes seront bientôt, suffisamment connues, pour la fixer avec exactitude. En adoptant les valeurs précédentes des masses des planètes, et celles des élémens de leurs orbes, que renferme le tableau du chapitre v du second livre ; on trouve que la longitude du nœud ascendant du plan invariable, étoit de 114, 3877 degrés, au commencement de 1750, et que son inclinaison à l’écliptique, étoit de 1, 7719 degré, à la même époque. Nous faisons abstraction des comètes qui, cependant, doivent entrer dans la détermination de ce plan invariable ; puisqu' elles font partie du systême solaire. Il seroit facile d’y avoir égard par la règle précédente, si leurs masses et les élémens de leurs orbes étoient connus. Mais dans l’ignorance où nous sommes sur ces objets, nous supposons les masses des comètes, assez petites pour que leur action sur le systême planétaire, soit insensible ; et cela paroît fort vraisemblable, puisque la théorie de l’attraction mutuelle des planètes suffit pour représenter toutes les inégalités observées dans leurs mouvemens. Au reste, si l’action des comètes est sensible à la longue, elle doit principalement altérer la position du plan que nous supposons invariable ; et sous ce nouveau point de vue, la considération de ce plan sera encore utile, si l’on parvient à reconnoître ses variations, ce qui présentera de grandes difficultés. La théorie des inégalités séculaires et périodiques du mouvement des planètes, fondée sur la loi de la pesanteur universelle, a donné aux tables astronomiques, une précision qui prouve la justesse et l’utilité de cette théorie. Par son moyen, les tables solaires qui s’écartoient de deux minutes au moins, des observations, ont acquis l’exactitude des observations mêmes. C’est sur-tout dans les mouvemens de jupiter et de saturne, que ces inégalités sont sensibles : elles s’y présentent sous une forme si compliquée, et la durée de leurs périodes est si considérable, qu’il eût fallu plusieurs siècles, pour en déterminer les loix par les seules observations que sur ce point, la théorie a devancées. Après avoir reconnu l’invariabilité des moyens mouvemens planétaires ; je soupçonnai que les altérations observées dans ceux de jupiter et de saturne, venoient de l’action des comètes. Lalande avoit remarqué dans le mouvement de saturne, des irrégularités qui ne paroissoient pas dépendre de l’action de jupiter ; il trouvoit ses retours à l’équinoxe du printemps, plus prompts dans ce siècle, que ses retours à l’équinoxe d’automne, quoique les positions de jupiter et de saturne, soit entr’eux, soit à l’égard de leurs périhélies, fussent à-peu-près les mêmes. Lambert avoit encore observé que le moyen mouvement de saturne, qui paroissoit se ralentir de siècle en siècle, par la comparaison des observations modernes aux anciennes, sembloit au contraire, s’accélérer, par la comparaison des observations modernes entr’elles ; tandis que le moyen mouvement de jupiter, offroit des phénomènes opposés. Tout cela portoit à croire que des causes indépendantes de l’action de jupiter et de saturne, avoient altéré leurs mouvemens. Mais en y réfléchissant davantage, la marche des variations observées dans les moyens mouvemens de ces deux planètes, me parut si bien d’accord avec leur attraction mutuelle ; que je ne balançai point à rejeter l’hypothèse de toute action étrangère. C’est un résultat remarquable de l’action réciproque des planètes, que si l’on n’a égard qu’aux inégalités qui ont de très- longues périodes, la somme des masses de chaque planète, divisées respectivement par les grands axes de leurs orbes considérés comme des ellipses variables, est toujours, à très-peu près constante. De- là il suit que les quarrés des moyens mouvemens étant réciproques aux cubes de ces axes ; si le mouvement de saturne se ralentit par l'action de jupiter, celui de jupiter doit s’accélérer par l’action de saturne, ce qui est conforme à ce que l’on observe. Je voyois de plus, que le rapport de ces variations étoit le même que suivant le théorême précédent. En supposant avec halley, le retardement de saturne de 256, 94 secondes pour le premier siècle, à partir de 1 700 ; l’accélération correspondante de jupiter seroit de 109, 80 secondes, et halley avoit trouvé 106, 02 secondes par les observations. Il étoit donc fort probable que les variations observées dans les moyens mouvemens de jupiter et de saturne, sont un effet de leur action mutuelle ; et puisqu’il est certain que cette action ne peut y produire aucunes inégalités, soit constamment croissantes, soit périodiques, mais d’une période indépendante de la configuration de ces planètes, et qu’elle n’y cause que des inégalités relatives à cette configuration ; il étoit naturel de penser qu’il existe dans leur théorie, une inégalité considérable de ce genre, dont la période est fort longue, et d’où naissent ces variations. Les inégalités de cette espèce, quoique très-petites et presque insensibles dans les équations différentielles, augmentent considérablement par les intégrations, et peuvent acquérir de grandes valeurs, dans l’expression de la longitude des planètes. Il me fut aisé de reconnoître l’existence de semblables inégalités, dans les équati ons différentielles des mouvemens de jupiter et de saturne. Ces mouvemens approchent beaucoup d’être commensurables ; et cinq fois le moyen mouvement de saturne, est à très-peu près égal à deux fois celui de jupiter. De-là je conclus que les termes qui ont pour argument, cinq fois la longitude moyenne de saturne, moins deux fois celle de jupiter, pouvoient devenir très- sensibles par les intégrations, quoiqu’ils fussent multipliés par les cubes et les produits de trois dimensions, des excentricités et des inclinaisons des orbites. Je regardai conséquemment ces termes, comme une cause fort vraisemblable des variations observées dans les moyens mouvemens de ces planètes. La probabilité de cette cause, et l’importance de l’objet, me déterminèrent à entreprendre le calcul pénible, nécessaire pour m’en assurer. Le résultat de ce calcul confirma pleinement ma conjecture, en me faisant voir, 1. Qu’il existe dans la théorie de saturne, une grande inégalité de 9024, 7 secondes dans son maximum , et dont la période est de 917 ans trois quarts ; 2. Que le mouvement de jupiter est soumis à une inégalité correspondante, dont la période et la loi sont les mêmes, mais qui, affectée d’un signe contraire, ne s’élève qu’à 3856, 5 secondes. C’est à ces deux inégalités auparavant inconnues, que l’on doit rapporter le ralentissement apparent de saturne, et l'accélération apparente de jupiter. Ces phénomènes ont atteint leur maximum

vers 1560 : depuis cette époque, les moyens mouvemens apparens de ces deux planètes, se sont rapprochés de leurs véritables moyens mouvemens, et ils leur ont été égaux, en 1790. Voilà pourquoi halley, en comparant les observations modernes aux anciennes, trouva le moyen mouvement de saturne, plus lent, et celui de jupiter, plus rapide, que par la comparaison des observations modernes entr’elles ; au lieu que ces dernières ont indiqué à lambert, une accélération dans le mouvement de saturne, et un retardement dans celui de jupiter ; et il est remarquable que les quantités de ces phénomènes, déduites des seules observations par halley et lambert, sont à très-peu près celles qui résultent des deux grandes inégalités dont je viens de parler. Si l’astronomie eût été renouvelée quatre siècles et demi plus tard, les observations auroient présenté des phénomènes contraires ; les moyens mouvemens que l’astronomie d’un peuple assigne à jupiter et à saturne, peuvent donc nous éclairer sur le temps où elle a été fondée. On trouve ainsi, que les indiens ont déterminé les moyens mouvemens de ces planètes, dans la partie de la période des inégalités précédentes , où le moyen mouvement de saturne étoit le plus lent, et celui de jupiter, le plus rapide. Deux de leurs principales époques astronomiques dont l’une remonte à l’an 3102 avant l’ère chrétienne, et dont l’autre se rapporte à l’an 1491, remplissent à-peu-près cette condition. Le rapport presque commensurable des mouvemens de jupiter et de saturne, donne naissance à d’autres inégalités très-sensibles. La plus considérable affecte le mouvement de saturne ; elle se confondroit avec l’équation du centre, si le double du moyen mouvement de jupiter, étoit exactement égal à cinq fois celui de saturne. C’est d’elle que vient en grande partie, la différence observée dans ce siècle, entre les durées des retours de saturne aux équinoxes du printemps et d’automne. En général, lorsque j’eus reconnu ces diverses inégalités, et déterminé avec plus de soin qu’on ne l'avoit fait encore, celles que l’on avoit déjà soumises au calcul ; je vis tous les phénomènes observés dans le mouvement de ces deux planètes, s’adapter naturellement à la théorie : ils sembloient auparavant , faire exception de la loi de la pesanteur universelle ; et ils en sont devenus une des preuves les plus frappantes. Tel a été le sort de cette brillante découverte, que chaque difficulté qui s’est élevée, a été pour elle, le sujet d’un nouveau triomphe ; ce qui est le plus sûr caractère du vrai systême de la nature. Je ne puis m’empêcher ici, de comparer ces effets réels du rapport qui existe entre les moyens mouvemens de jupiter et de saturne, avec ceux que l’astrologie lui avoit attribués. En vertu de ce rapport, si la conjonction des deux planètes arrive au premier point d’aries ; environ vingt ans après, elle a lieu dans le signe du sagittaire, et vingt ans encore après, elle arrive dans le signe du lion. Elle continue d’avoir lieu dans ces trois signes, pendant près de deux cents ans ; ensuite, elle parcourt de la même manière, dans les deux cents années suivantes, les trois signes du taureau, du capricorne et de la vierge ; elle emploie pareillement deux siècles, à parcourir les signes des gémeaux, du verseau et de la balance ; enfin, dans les deux siècles suivans, elle parcourt les signes de l’ecrevisse, des poissons et du scorpion, et recommence après, dans le signe d’aries. De-là se compose une grande année dont chaque saison est de deux siècles. On attribuoit une diverse température, à ces différentes saisons, ainsi qu’aux signes qui leur répondent ; l’ensemble de ces trois signes se nommoit trigone ; le premier trigone étoit celui du feu ; le second, celui de la terre ; le troisième, celui de l’air, et le quatrième, celui de l’eau. On conçoit que l’astrologie a dû faire un grand usage de ces trigones que kepler lui-même a expliqués avec beaucoup de détail, dans plusieurs ouvrages. Mais il est remarquable que la saine astronomie, en faisant disparoître cette influence imaginaire du rapport qu’ont entr’eux, les moyens mouvemens de jupiter et de saturne, ait reconnu dans ce rapport, la source des plus grandes perturbations du systême planétaire. La planète uranus, quoique nouvellement découverte, offre déjà des indices incontestables des perturbations qu’elle éprouve par l’action de jupiter et de saturne. Les loix du mouvement elliptique ne satisfont point exactement à ses positions observées, et pour les représenter, il faut avoir égard à ses perturbations. Leur théorie, par un accord très-remarquable, la place dans les années 1769, 1756, et 1690, aux mêmes points du ciel, où Le Monnier, Mayer et Flamsteed avoient déterminé la position de trois étoiles que l’on ne retrouve plus aujourd’hui ; ce qui ne laisse aucun doute sur l’identité de ces astres, avec la nouvelle planète. Chapitre iv. des perturbations du mouvement elliptique des comètes.

l’action des planètes produit dans le mouvement des comètes, des inégalités principalement sensibles dans les intervalles de leurs retours au périhélie. Halley ayant remarqué que les élémens des orbites des comètes observées en 1531, 1607, et 1682, étoient à fort peu près les mêmes, en conclut qu’ils appartenoient à la même comète qui, dans l’espace de 151 ans, avoit fait deux révolutions. à la vérité, la durée de sa révolution, a été de treize mois plus longue de 1531 à 1607, que de 1607 à 1682 ; mais ce grand astronome crut avec raison, que l’attraction des planètes, et principalement, celle de jupiter et de saturne, avoit pu occasionner cette différence ; et d’après une estime vague de cette action, pendant le cours de la période suivante, il jugea qu’elle devoit retarder le prochain retour de la comète, et il le fixa à la fin de 1758, ou au commencement de 1759. Cette annonce étoit trop importante par elle-même, elle étoit liée trop intimement à la théorie de la pesanteur universelle dont les géomètres, vers le milieu de ce siècle, s’occupoient à étendre les applications ; pour ne pas exciter la curiosité de tous ceux qui s’intéressoient au progrès des sciences. Dès l’année 1757, les astronomes cherchèrent cette comète, et clairaut qui l’un des premiers avoit résolu le problême des trois corps, appliqua sa solution, à la détermination des inégalités que la comète avoit éprouvées par l’action de jupiter et de saturne. Le 14 novembre 1758, il annonça à l’académie des sciences, que la durée du retour de la comète à son périhélie, seroit d’environ 618 jours plus longue dans la période actuelle, que dans la précédente, et qu’en conséquence, la comète passeroit à son périhélie, vers le milieu d’avril 1759. Il observa en même temps, que les petites quantités négligées dans ses approximations, pouvoient avancer ou reculer ce terme, d’un mois ; il remarqua d’ailleurs, " qu’un corps qui passe dans des régions aussi éloignées, et qui échappe à nos yeux pendant des intervalles aussi longs, pourroit être soumis à des forces totalement inconnues, telles que l’action des autres comètes, ou même de quelque planète toujours trop distante du soleil pour être jamais apperçue " . Le géomètre eut la satisfaction de voir sa prédiction accomplie. La comète passa au périhélie, le 12 Mars 1759, dans les limites des erreurs dont il croyoit son résultat susceptible. Après une nouvelle révision de ses calculs, clairaut a fixé depuis, ce passage au 4 avril, et il l’auroit avancé jusqu’au 25 Mars, c’est-à-dire à treize jours seulement de distance de l’observation, s’il eût employé la masse de saturne donnée dans le second chapitre. Cette différence paroîtra bien petite, si l’on considère le grand nombre des quantités négligées, et l’influence qu’a pu avoir la planète uranus dont l'existence au temps de clairaut, étoit inconnue. Remarquons à l’avantage des progrès de l’esprit humain, que cette comète qui dans ce siècle, a excité le plus vif intérêt parmi les géomètres et les astronomes, avoit été vue d’une manière bien différente, quatre révolutions auparavant, en 1456. La longue queue qu’elle traînoit après elle, répandit la terreur dans l’europe déjà consternée des succès rapides des turcs qui venoient de détruire l’empire grec : le pape callixte ordonna à ce sujet, une prière par laquelle on conjuroit la comète et les turcs. Dans ces temps d’ignorance, on étoit loin de penser que le seul moyen de connoître la nature, est de l’interroger par l’observation et le calcul. Suivant que les phénomènes arrivoient et se succédoient avec régularité, ou sans ordre apparent ; on les faisoit dépendre des causes finales, ou du hasard ; et lorsqu’ils offroient quelque chose d'extraordinaire, et sembloient contrarier l’ordre naturel, on les regardoit comme autant de signes de la colère céleste. Mais ces causes imaginaires ont été successivement reculées avec les bornes de nos connoissances, et disparoissent entièrement devant la saine philosophie qui ne voit en elles, que l’expression de l’ignorance où nous sommes, des véritables causes. Aux frayeurs qu’inspiroit alors l’apparition des comètes, a succédé la crainte que dans le grand nombre de celles qui traversent dans tous les sens le systême planétaire, l’une d’elles bouleverse la terre. Elles passent si rapidement près de nous, que les effets de leur attraction ne sont point à redouter : ce n’est qu’en choquant la terre, qu’elles peuvent y produire de funestes ravages. Mais ce choc, quoique possible, est si peu vraisemblable dans le cours d' un siècle ; il faudroit un hasard si extraordinaire, pour la rencontre de deux corps aussi petits relativement à l’immensité de l'espace dans lequel ils se meuvent ; que l’on ne peut concevoir à cet égard, aucune crainte raisonnable. Cependant, la petite probabilité d'une pareille rencontre, peut en s’accumulant pendant une longue suite de siècles, devenir très-grande. Il est facile de se représenter les effets de ce choc sur la terre. L’axe et le mouvement de rotation changés ; les mers abandonnant leur ancienne position, pour se précipiter vers le nouvel équateur ; une grande partie des hommes et des animaux, noyée dans ce déluge universel, ou détruite par la violente secousse imprimée au globe terrestre ; des espèces entières anéanties ; tous les monumens de l’industrie humaine, renversés ; tels sont les désastres que le choc d’une comète a dû produire. On voit alors, pourquoi l’océan a recouvert de hautes montagnes sur lesquelles il a laissé des marques incontestables de son séjour ; on voit comment les animaux et les plantes du midi, ont pu exister dans les climats du nord où l’on retrouve leurs dépouilles et leurs empreintes ; enfin, on explique la nouveauté du monde moral dont les monumens ne remontent guère, au-delà de trois mille ans. L’espèce humaine réduite à un très-petit nombre d’individus et à l’état le plus déplorable, uniquement occupée pendant très-long-temps, du soin de se conserver, a dû perdre entièrement le souvenir des sciences et des arts ; et quand les progrès de la civilisation en ont fait sentir de nouveau, les besoins ; il a fallu tout recommencer, comme si les hommes eussent été placés nouvellement sur la terre. Quoi qu’il en soit de cette cause assignée par quelques philosophes, à ces phénomènes ; je le repète, on doit être parfaitement rassuré sur un aussi terrible événement, pendant le court intervalle de la vie. Mais l’homme est tellement disposé à recevoir l’impression de la crainte, que l’on a vu en 1773, la plus vive frayeur se répandre dans paris, et de-là se communiquer à toute la france, sur la simple annonce d’un mémoire dans lequel lalande déterminoit celles des comètes observées, qui peuvent le plus approcher de la terre ; tant il est vrai que les erreurs, les superstitions, les vaines terreurs, et tous les maux qu’entraîne l’ignorance, se reproduiroient promptement, si la lumière des sciences venoit à s’éteindre. L’action des comètes sur le systême solaire a été jusqu’à présent insensible ; ce qui paroît indiquer que leurs masses sont très-peu considérables : il est possible cependant que les petites erreurs de nos meilleures tables en dépendent. Une théorie exacte des perturbations des planètes, comparée à des observations très-précises, peut seule éclairer ce point important du systême du monde.

Chapitre v.[modifier]

des perturbations du mouvement de la lune.

la lune est à-la-fois, attirée par le soleil et par la terre ; mais son mouvement autour de la terre, n’est troublé que par la différence des actions du soleil sur ces deux corps. Si le soleil étoit à une distance infinie, il agiroit sur eux, également et suivant des droites parallèles ; leur mouvement relatif ne seroit donc point troublé par cette action qui leur seroit commune. Mais sa distance, quoique très-grande par rapport à celle de la lune, ne peut pas être supposée infinie : la lune est alternativement plus près et plus loin du soleil, que la terre, et la droite qui joint son centre à celui du soleil, forme des angles plus ou moins aigus avec le rayon vecteur terrestre. Ainsi, le soleil agit inégalement et suivant des directions différentes, sur la terre et sur la lune ; et de cette diversité d’actions, il doit résulter dans le mouvement lunaire, des inégalités dépendantes des positions respectives de la lune et du soleil. Pour les déterminer, il faut considérer à-la-fois, l’action mutuelle et les mouvemens de ces trois corps, le soleil, la terre et la lune. C’est en cela que consiste le fameux problême des trois corps, dont la solution rigoureuse surpasse les forces de l’analyse, mais que la proximité de la lune eu égard à sa distance au soleil, et la petitesse de sa masse par rapport à celle de la terre, permettent de résoudre par approximation. Cependant, l’analyse la plus délicate est nécessaire pour démêler tous les termes dont l’influence est sensible : les premiers pas que l’on a faits dans cette analyse, en sont la preuve. Euler, clairaut et dalembert qui résolurent les premiers, et à-peu-près dans le même temps, le problême des trois corps, s’accordèrent à trouver par la théorie de la pesanteur, le mouvement du périgée lunaire, de moitié plus petit que suivant les observations. Clairaut en conclut que la loi de l’attraction n’est pas aussi simple qu’on l’avoit cru jusqu’alors, et qu’elle est composée de deux parties dont la première réciproque au quarré de la distance , est seule sensible aux grandes distances des planètes au soleil, et dont la seconde croissant dans un plus grand rapport, quand la distance diminue, devient sensible à la distance de la lune à la terre. Cette conclusion fut vivement attaquée par buffon : il se fondoit sur ce que les loix primordiales de la nature, devant être les plus simples, elles ne peuvent dépendre que d’un module, et leur expression ne peut renfermer qu’un seul terme. Cette considération doit nous porter sans doute, à ne compliquer la loi de l'attraction, que dans un besoin extrême ; mais l’ignorance où nous sommes, de la nature de cette force, ne permet pas de prononcer avec assurance, sur la simplicité de son expression. Quoi qu’il en soit, le métaphysicien eut raison, cette fois, vis-à-vis du géomètre qui reconnut lui-même son erreur, et fit l’importante remarque, qu’en poussant plus loin l’approximation, la loi de la pesanteur réciproque au quarré des distances, donne le mouvement du périgée lunaire, exactement conforme aux observations ; ce qui a été confirmé depuis, par tous ceux qui se sont occupés de cet objet. Il n’est pas possible sans le secours de l’analyse, de faire sentir les rapports de toutes les inégalités du mouvement de la lune, à l’action du soleil combinée avec celle de la terre sur ce satellite. Nous observerons que la théorie de la pesanteur universelle a non-seulement expliqué les mouvemens du nœud et du périgée de l’orbe lunaire, et les trois grandes inégalités désignées par les noms de variation , d’ évection

et d’ équation annuelle , et que les astronomes avoient déjà reconnues ; mais qu’elle en a fait connoître un grand nombre d’autres moins considérables, qu’il eût été presque impossible de démêler et de fixer par les seules observations. Plus cette théorie a été perfectionnée ; plus les tables de la lune ont acquis d’exactitude : cet astre jadis si rebelle, s’en écarte très-peu maintenant ; mais pour leur donner la précision qui leur manque encore, il faudra des recherches au moins aussi étendues que celles qui ont été faites

car en tout genre, les premiers pas pour arriver à une découverte , et les derniers pour la conduire à sa perfection, sont les plus difficiles. Cependant, on peut sans analyse, rendre raison de l’équation annuelle de la lune et de son équation séculaire. Je m’arrêterai d’autant plus volontiers à exposer les causes de ces équations, que l’on en verra naître les plus grandes inégalités de la lune, que la suite des siècles doit développer aux observateurs, et qui, jusqu’à présent, ont été peu sensibles. Dans ses conjonctions avec le soleil, la lune en est plus près que la terre, et en éprouve une action plus considérable ; la différence des attractions du soleil sur ces deux corps, tend donc alors à diminuer la pesanteur de la lune vers la terre. Pareillement, dans les oppositions de la lune au soleil, ce satellite plus éloigné du soleil que la terre, en est plus foiblement attiré ; la différence des actions du soleil, tend donc encore à diminuer la pesanteur de la lune. Dans ces deux cas, cette diminution est à très-peu près la même, et égale à deux fois le produit de la masse du soleil, par le quotient du rayon de l’orbe lunaire, divisé par le cube de la distance du soleil à la terre. Dans les quadratures, l’action du soleil sur la lune , décomposée suivant le rayon de l’orbe lunaire, tend à augmenter la pesanteur de la lune vers la terre ; mais l’accroissement de sa pesanteur n’est que la moitié de la diminution qu’elle éprouve dans les sysigies. Ainsi, de toutes les actions du soleil sur la lune, dans le cours de sa révolution synodique, il résulte une force moyenne dirigée suivant le rayon vecteur lunaire, qui diminue la pesanteur de ce satellite, et qui est égale à la moitié du produit de la masse du soleil, par le quotient du rayon de l’orbe lunaire, divisé par le cube de la distance du soleil à la terre. Pour avoir le rapport de ce produit, à la pesanteur de la lune ; nous observerons que cette pesanteur qui la retient dans son orbite, est à très-peu près égale à la somme des masses de la terre et de la lune, divisée par le quarré de leur distance mutuelle ; et que la force qui retient la terre dans son orbite, égale à fort peu près, la masse du soleil, divisée par le quarré de sa distance à la terre. Suivant la théorie des forces centrales, exposée dans le second livre, ces deux forces sont comme les rayons des orbes du soleil et de la lune, divisés respectivement par les quarrés des temps des révolutions de ces astres ; d’où il suit que le produit précédent est à la pesanteur lunaire, comme le quarré du temps de la révolution sydérale de la lune, est au quarré du temps de la révolution sydérale de la terre ; ce produit est donc à fort peu près 1 sur 179 de la pesanteur lunaire qui, par l’action moyenne du soleil, est ainsi diminuée de sa 358 ème partie. En vertu de cette diminution, la lune est soutenue à une plus grande distance de la terre, que si elle étoit abandonnée à l'action entière de sa pesanteur. Le secteur décrit par son rayon vecteur autour de la terre, n’en est point altéré ; puisque la force qui la produit, est dirigée suivant ce rayon. Mais la vîtesse réelle et le mouvement angulaire de cet astre, sont diminués, et il est facile de voir qu’en éloignant la lune, de manière que sa force centrifuge soit égale à sa pesanteur diminuée par l’action du soleil, et que son rayon vecteur décrive le même secteur qu’il eût décrit sans cette action ; ce rayon sera augmenté de sa 358 ème partie, et le mouvement angulaire sera diminué d’un 179 ème. Ces quantités varient réciproquement aux cubes des distances du soleil à la terre. Quand le soleil est périgée, son action devenue plus puissante, dilate l’orbe de la lune ; mais cet orbe se contracte à mesure que le soleil s’avance vers son apogée. La lune décrit donc dans l’espace, une suite d’épicycloïdes dont les centres sont sur l’orbe terrestre, et qui se dilatent ou se resserrent, suivant que la terre s’approche ou s’éloigne du soleil. De-là résulte dans le mouvement lunaire, une équation semblable à l’équation du centre du soleil , avec cette différence, qu’elle ralentit ce mouvement, quand celui du soleil augmente, et qu’elle l’accélère, quand le mouvement du soleil diminue, en sorte que ces deux équations sont affectées d'un signe contraire. Le mouvement angulaire du soleil est, comme on l’a vu dans le premier livre, réciproque au quarré de sa distance ; dans le périgée, cette distance étant d’un soixantième plus petite que sa grandeur moyenne, la vîtesse angulaire est augmentée d’un trentième ; la diminution d’un 179 ème, produite par l’action du soleil, dans le mouvement lunaire, est alors plus grande d’un vingtième ; l’accroissement de cette diminution est donc la 3580 ème partie de ce mouvement ; d’où il suit que l’équation du centre du soleil, est à l’équation annuelle de la lune, comme un trentième du mouvement solaire, est à un 3580 ème du mouvement lunaire, ce qui donne 2398 secondes pour l’équation annuelle. Elle est d'un septième environ, plus petite, suivant les observations : cette différence dépend des quantités négligées dans ce premier calcul. Une cause semblable à celle de l’équation annuelle, produit l’équation séculaire de la lune. Halley a remarqué le premier, cette équation que dunthorne et mayer ont confirmée par une discussion approfondie des observations. Ces deux savans astronomes ont reconnu que le même moyen mouvement de la lune, ne peut pas satisfaire aux observations modernes, et aux éclipses observées par les caldéens et par les arabes. Ils ont essayé de les représenter, en ajoutant aux longitudes moyennes de ce satellite, une quantité proportionnelle au quarré du nombre des siècles écoulés avant ou après 1700. Suivant dunthorne, cette quantité est de 30, 9 secondes pour le premier siècle ; mayer l’a faite de 21, 6 secondes dans ses premières tables de la lune, et l’a portée à 27, 8 secondes dans les dernières. Enfin, lalande par une discussion nouvelle de cet objet, a été conduit à très-peu près au résultat de dunthorne. Les observations arabes dont on a principalement fait usage, sont deux éclipses de soleil et une éclipse de lune, observées au caire par ibn junis, vers la fin du dixième siècle, et depuis longtemps extraites d’un manuscrit de cet astronome, existant dans la bibliothèque de leyde. On avoit élevé des doutes sur la réalité de ces éclipses ; mais la traduction que le citoyen caussin vient de faire, de la partie de ce précieux manuscrit, qui renferme les observations, a dissipé ces doutes ; elle nous a fait de plus connoître vingt-cinq autres éclipses observées par les arabes, et qui confirment l’accélération du moyen mouvement de la lune. Il suffit d’ailleurs pour l’établir, de comparer les observations modernes, à celles des grecs et des caldéens. En effet, delambre et bouvard ont déterminé, au moyen d’un grand nombre d’observations du dernier siècle et de celui-ci, le mouvement séculaire actuel de ce satellite, avec une précision qui ne laisse qu’une très-légère incertitude : ils ne l’ont trouvé que de quatre-vingts secondes environ, plus petit que celui de mayer, tandis que les observations anciennes donnent un mouvement séculaire moindre de six ou sept cents secondes. Le mouvement lunaire s’est donc accéléré depuis les caldéens ; et les observations arabes faites dans l’intervalle qui nous en sépare, venant à l’appui de ce résultat, il est impossible de le révoquer en doute. Maintenant, quelle est la cause de ce phénomène ? La gravitation universelle qui nous a fait si bien connoître les nombreuses inégalités de la lune, rend-elle également raison de son inégalité séculaire ? Ces questions sont d’autant plus intéressantes à résoudre, que si l’on y parvient, on aura la loi des variations séculaires du mouvement de la lune ; car on sent que l’hypothèse d’une accélération proportionnelle au temps, admise par les astronomes, n’est qu’approchée, et ne doit pas s’étendre à un temps illimité. Cet objet a beaucoup exercé les géomètres ; mais leurs recherches pendant long-temps infructueuses, n’ayant fait découvrir, soit dans l’action du soleil et des planètes sur la lune, soit dans les figures non sphériques de ce satellite et de la terre, rien qui puisse altérer sensiblement son moyen mouvement ; quelques-uns avoient pris le parti de rejeter son équation séculaire ; d’autres, pour l'expliquer, avoient eu recours à différens moyens, tels que l’action des comètes, la résistance de l’éther, et la transmission successive de la gravité. Cependant, la correspondance des autres phénomènes célestes avec la théorie de la pesanteur, est si parfaite ; que l’on ne peut voir sans regret, l’équation séculaire de la lune, se refuser à cette théorie, et faire seule, exception d’une loi générale et simple dont la découverte, par la grandeur et la variété des objets qu'elle embrasse, fait tant d’honneur à l’esprit humain. Cette réflexion m’ayant déterminé à considérer de nouveau ce phénomène ; après quelques tentatives, je suis enfin parvenu à découvrir sa cause. l’équation séculaire de la lune est due à l’action du soleil sur ce satellite, combinée avec la variation de l’excentricité de l’orbe terrestre. pour nous former une idée juste de cette cause, rappelons-nous que les élémens de l’orbe de la terre, éprouvent des altérations par l’action des planètes : son grand axe reste toujours le même

mais son excentricité, son inclinaison sur un plan fixe, la position de ses nœuds et de son périhélie, varient sans cesse. Rappelons-nous encore que l’action du soleil sur la lune, diminue d’un 179 ème , sa vîtesse angulaire, et que ce coëfficient numérique varie réciproquement au cube de la distance de la terre au soleil ; or en développant la puissance cubique inverse de cette distance, dans une série ordonnée par rapport aux sinus et aux cosinus du moyen mouvement de la terre, et de ses multiples, le demi-grand axe de l’orbe terrestre, étant pris pour unité ; on trouve que cette série contient un terme égal à trois demi du quarré de l’excentricité de cet orbe ; la diminution de la vîtesse angulaire de la lune, renferme donc un terme égal au 179 ème de cette vîtesse, multiplié par trois demi du quarré de cette excentricité, ou, ce qui revient au même, égal au produit de ce quarré, par la vîtesse angulaire de la lune, divisée par 119, 33. Si l’excentricité de l’orbe terrestre étoit constante, ce terme se confondroit avec la vîtesse moyenne angulaire de la lune

mais sa variation, quoique très-petite, a une influence sensible à la longue, sur le mouvement lunaire. Il est visible qu’il accélère ce mouvement, quand l’excentricité diminue, ce qui a eu lieu depuis les observations anciennes jusqu’à nos jours : cette accélération se changera en retardement, quand l’excentricité parvenue à son minimum , cessera de diminuer, pour commencer à croître. Dans l’intervalle de 1700 à 1800, le quarré de l’excentricité de l’orbe terrestre diminue de 0, 0000015325 ; l’accroissement correspondant de la vîtesse angulaire de la lune, est donc 0, 0000000128425 de cette vîtesse. Cet accroissement ayant lieu successivement, et proportionnellement au temps, son effet sur le mouvement de la lune, est la moitié moindre que si dans tout le cours du siècle, il étoit le même qu’à la fin ; il faut donc pour déterminer cet effet ou l’équation séculaire de la lune, à la fin d’un siècle à partir de 1700, multiplier le mouvement séculaire de la lune, par la moitié du très-petit accroissement de sa vîtesse angulaire ; or dans un siècle, le mouvement de la lune est de 5347405454 secondes ; on aura ainsi 34, 337 secondes pour son équation séculaire. Tant que la diminution du quarré de l’excentricité de l’orbe terrestre pourra être supposée proportionnelle au temps, l'équation séculaire de la lune croîtra sensiblement comme le quarré du temps ; il suffira donc de multiplier 34, 337 secondes, par le quarré du nombre des siècles compris entre 1700, et le temps pour lequel on calcule. Mais j’ai reconnu qu’en remontant aux observations caldéennes, le terme proportionnel au cube du temps, dans l'expression en série, de l’équation séculaire de la lune, devenoit sensible. Ce terme est égal à 0, 13574 secondes, pour le premier siècle : il doit être multiplié par le cube du nombre des siècles, à partir de 170 0, ce produit étant négatif pour les siècles antérieurs à cette époque. L’action moyenne du soleil sur la lune, dépend encore de l’inclinaison de l’orbe lunaire à l’écliptique, et l’on pourroit croire que la position de l’écliptique étant variable, il doit en résulter dans le mouvement de ce satellite, des inégalités semblables à celles que produit la diminution de l’excentricité de l’orbe terrestre. Mais l’orbe lunaire est ramené sans cesse par l’action du soleil, à la même inclinaison sur celui de la terre ; en sorte que les plus grandes et les plus petites déclinaisons de la lune, sont assujetties en vertu des variations séculaires de l’obliquité de l’écliptique, aux mêmes changemens que les déclinaisons du soleil. Cette constance dans l’inclinaison de l’orbe lunaire est confirmée par toutes les observations anciennes et modernes. L’excentricité de cet orbe, et son grand axe n’éprouvent pareillement, qu’une altération insensible, par le changement de l’excentricité de l’orbe terrestre. Il n’en est pas ainsi des variations du mouvement des nœuds et du périgée, auxquelles il devient indispensable d’avoir égard, dans les recherches qui ont pour objet, la perfection de la théorie et des tables de la lune. En soumettant ces variations, à l’analyse ; j’ai reconnu que l’influence des termes dépendans du quarré de la force perturbatrice, et qui, comme on l’a vu, doublent le moyen mouvement du périgée, est plus grande encore sur la variation de ce mouvement. Le résultat de cette épineuse analyse m’a donné une équation séculaire soustractive de la longitude moyenne du périgée, et égale à trente-trois dixièmes de l’équation séculaire du mouvement de la lune ; en sorte que le moyen mouvement du périgée se ralentit, lorsque celui de la lune s’accélère. J’ai trouvé semblablement dans le mouvement des nœuds de l’orbe lunaire, sur l’écliptique vraie, une équation séculaire additive à leur longitude moyenne, et égale à sept dixièmes de l’équation séculaire du moyen mouvement. Ainsi, le mouvement des nœuds se ralentit, comme celui du périgée, quand celui de la lune augmente ; et les équations séculaires de ces trois mouvemens, sont constamment dans le rapport des nombres 7, 33 et 10. Les siècles à venir développeront ces grandes inégalités qui produiront, un jour, des variations au moins égales, au quarantième de la circonférence, dans le mouvement séculaire de la lune, et au douzième de la circonférence dans celui de son périgée. Ces inégalités ne vont pas toujours croissant ; elles sont périodiques comme celles de l’excentricité de l’orbe terrestre, dont elles dépendent, et ne se rétablissent qu’après des millions d’années. Elles doivent altérer à la longue, les périodes imaginées pour embrasser des nombres entiers de révolutions de la lune, par rapport à ses nœuds, à son périgée et au soleil, périodes qui diffèrent sensiblement, dans les diverses parties de l’immense période de l’équation séculaire. La période lunisolaire de six cents ans, a été rigoureuse à une époque à laquelle il seroit facile de remonter par l’analyse, si les masses des planètes étoient bien déterminées ; mais cette détermination si desirable pour la perfection des théories astronomiques, nous manque encore. Heureusement, jupiter dont nous connoissons exactement la masse, est celle des planètes, qui a le plus d'influence sur l’équation séculaire de la lune. Déjà, les observations anciennes, malgré leur imperfection, confirment ces inégalités ; et l’on peut en suivre la marche, soit dans ces observations, soit dans les tables astronomiques qui se sont succédées jusqu’à nos jours. On a vu que les anciennes éclipses avoient fait reconnoître l’accélération du mouvement de la lune, avant que la théorie de la pesanteur en eût développé la cause. En comparant à cette théorie, les observations modernes, et les éclipses observées par les arabes, les grecs et les caldéens ; on trouve entr’elles, un accord qui paroît surprenant, quand on considère l’imperfection des anciennes observations, la manière vague dont elles ont été transmises, et l’incertitude que laisse encore sur les variations de l’excentricité de l’orbe de la terre, celle où nous sommes sur les masses de vénus et de mars. Le développement des équations séculaires de la lune, est une des données les plus propres à déterminer ces masses. Il étoit sur-tout intéressant de vérifier la théorie de la pesanteur, relativement aux équations séculaires du mouvement des nœuds et du périgée de la lune, dont nous lui devons la connoissance. Les astronomes n’ayant point eu égard à ces équations, dans la comparaison des observations modernes aux anciennes, ont dû trouver ces mouvemens trop rapides, de même qu’ils assignoient un moyen mouvement trop petit, à la lune, lorsqu’ils ne tenoient point compte de son équation séculaire : c’est ce que bouvard a confirmé par la comparaison d’un grand nombre d’observations modernes. Plus de cinq cents observations de la hire, flamsteed, bradley et maskeline, disposées de la manière la plus favorable, et discutées avec soin , lui ont appris qu’il faut diminuer d’environ quinze minutes trois quarts, le mouvement séculaire du périgée des tables lunaires insérées dans la troisième édition de l’astronomie de lalande. Ce mouvement ainsi corrigé cesse de représenter les anciennes éclipses qui, par-là, démontrent l’existence de l’équation séculaire du périgée de la lune. Pour reconnoître si la grandeur de cette équation est la même que suivant la loi de la pesanteur universelle, bouvard a d’abord comparé aux tables citées, vingt et une éclipses observées par les grecs et les caldéens, et cette comparaison lui a donné à fort peu près, l’équation séculaire du périgée, égale à trente-trois dixièmes, de celle du moyen mouvement : trente-deux éclipses observées par les arabes, l’ont conduit au même résultat qu’il a encore retrouvé par soixante éclipses observées depuis le renouvellement de l’astronomie en europe, jusqu’au commencement du dernier siècle. Cet accord remarquable entre des résultats tirés d’observations faites à des époques aussi différentes, ne laisse aucun doute sur l’existence et la grandeur de l’équation séculaire du périgée lunaire, et confirme d’une manière incontestable, le rapport de trente-trois à dix, que la théorie de la pesanteur établit entre cette équation et celle du moyen mouvement de la lune. Bouvard a confirmé encore, par la comparaison des mêmes éclipses, l'équation séculaire des nœuds ; et il a trouvé que leur mouvement dans un siècle, donné par les tables citées, doit être diminué de 537 secondes. Les moyens mouvemens et les époques des tables de l’almageste et des arabes, indiquent évidemment ces trois équations séculaires des mouvemens de la lune. Les tables de ptolemée sont le résultat d’immenses calculs faits par cet astronome et par hipparque : le travail d’hipparque ne nous est point parvenu ; nous savons seulement par le témoignage de ptolemée, qu’il avoit mis le plus grand soin à choisir les éclipses les plus avantageuses à la détermination des élémens qu’il cherchoit à connoître. Ptolemée après deux siècles et demi d’observations nouvelles, ne trouva rien à changer au moyen mouvement de la lune, établi par hipparque ; il ne corrigea que très-peu, les mouvemens des nœuds et du périgée ; il y a donc lieu de croire que les élémens des tables lunaires de ptolemée, ont été déterminés par un très-grand nombre d’éclipses dont il n’a rapporté que celles qui lui paroissoient le plus conformes aux résultats moyens qu’hipparque et lui avoient obtenus. Les éclipses ne font bien connoître que le moyen mouvement synodique de la lune, et ses distances à ses nœuds et à son périgée ; on ne peut donc compter que sur ces élémens, dans les tables de l’almageste ; or en remontant à la première époque de ces tables, au moyen des mouvemens déterminés par les seules observations modernes, on ne retrouve point les moyennes distances de la lune, à ses nœuds, à son périgée et au soleil, que ces tables donnent à cette époque : les quantités qu’il faut ajouter à ces distances, sont à fort peu près celles qui résultent des équations séculaires ; les élémens de ces tables confirment donc à-la-fois, l’existence de ces équations, et les valeurs que je leur ai assignées. Les mouvemens de la lune par rapport aux nœuds, au périgée et au soleil, plus lents dans les tables de l’almageste, que de nos jours, indiquent encore dans ces trois mouvemens, une accélération pareillement indiquée soit par les corrections qu’albatenius, huit siècles après ptolemée, fit aux élémens de ces tables, en y comparant un grand nombre d’éclipses observées de son temps, soit par les époques des tables qu’ibn junis construisit vers l’an mil, sur l'ensemble des observations caldéennes, grecques et arabes. Il est remarquable que la diminution de l’excentricité de l'orbe terrestre soit beaucoup plus sensible dans les mouvemens de la lune, que par elle-même. Cette diminution qui depuis l’éclipse la plus ancienne dont nous ayons connoissance, n’a pas altéré de quinze minutes, l’équation du centre du soleil, a produit deux degrés de variation dans la longitude de la lune, et près de neuf degrés de variation dans son anomalie moyenne : on pouvoit à peine, la soupçonner d’après les observations d’hipparque et de ptolemée

celles des arabes l’indiquoient avec beaucoup de vraisemblance ; mais les anciennes éclipses, comparées à la théorie de la pesanteur, ne laissent aucun doute à cet égard. Ici, nous voyons un exemple de la manière dont les phénomènes en se développant, nous éclairent sur leurs véritables causes. Lorsque la seule accélération du moyen mouvement de la lune, étoit connue ; on pouvoit l’attribuer à la résistance de l'éther, ou à la transmission successive de la gravité : mais l’analyse nous montre que ces deux causes ne peuvent produire aucune altération sensible, dans les moyens mouvemens des nœuds et du périgée lunaire ; et cela seul suffiroit pour les exclure, quand même la vraie cause des variations observées dans ces mouvemens, seroit encore ignorée. L’accord de la théorie avec les observations, nous prouve que si les moyens mouvemens de la lune sont altérés par des causes étrangères à la pesanteur universelle ; leur influence est très-petite, et jusqu’à présent insensible. Quelques partisans des causes finales ont imaginé que la lune avoit été donnée à la terre, pour l’éclairer pendant les nuits. Dans ce cas, la nature n’auroit point atteint le but qu’elle se seroit proposé ; puisque souvent nous sommes privés à-la-fois, de la lumière du soleil et de celle de la lune. Pour y parvenir, il eût suffi de mettre à l’origine, la lune en opposition avec le soleil, dans le plan même de l’écliptique, à une distance de la terre, égale à la centième partie de la distance de la terre au soleil ; et de donner à la lune et à la terre, des vîtesses parallèles et proportionnelles à leurs distances à cet astre. Alors, la lune sans cesse en opposition au soleil, eût décrit autour de lui, une ellipse semblable à celle de la terre ; ces deux astres se seroient succédés l’un à l’autre sur l’horizon ; et comme, à cette distance, la lune n’eût point été éclipsée, sa lumière auroit constamment remplacé celle du soleil. D’autres philosophes frappés de l’opinion singulière des arcadiens qui se croyoient plus anciens que la lune, ont pensé que ce satell ite étoit primitivement une comète qui, passant fort près de la terre, avoit été forcée par son attraction, de l’accompagner. Mais en remontant par l’analyse, aux siècles les plus reculés ; on voit toujours la lune se mouvoir dans un orbe presque circulaire, comme les planètes autour du soleil ; ainsi, ni la lune ni aucun satellite n’a été originairement une comète.

Chapitre vi.[modifier]

des perturbations des satellites de jupiter.

les premières inégalités que l’observation a fait connoître dans le mouvement de ces corps, se présentent aussi les premières dans la théorie de leur attraction mutuelle. On a vu dans le second livre, qu’il existe : 1. Dans le mouvement du premier satellite, une équation égale à 5258 secondes multiplié par le sinus du double de l’excès de la longitude moyenne du premier satellite sur celle du second ; 2. Dans le mouvement du second satellite, une équation égale à moins 11923 secondes multiplié par le sinus de l’excès de la longitude du premier satellite sur celle du second ; 3. Dans le mouvement du troisième satellite, une équation égale à moins 827 secondes multiplié par le sinus de l’excès de la longitude du second satellite sur celle du troisième. Non-seulement, la théorie de la pesanteur, donne ces inégalités, comme lagrange et bailli l’ont reconnu les premiers ; elle nous montre de plus ce que les observations indiquoient avec beaucoup de vraisemblance, savoir, que l’inégalité du second satellite est le résultat de deux inégalités dont l’une ayant pour cause l'action du premier satellite, varie comme le sinus de l’excès de la longitude du premier satellite sur celle du second, et dont l’autre produite par l’action du troisième satellite, varie comme le sinus du double de l’excès de la longitude du second satellite sur celle du troisième. Ainsi, le second satellite éprouve de la part du premier, une perturbation semblable à celle qu’il fait éprouver au troisième ; et il éprouve de la part du troisième, une perturbation semblable à celle qu’il fait éprouver au premier. Ces deux inégalités se confondent dans une seule, en vertu des rapports qui existent entre les moyens mouvemens et les longitudes moyennes des trois premiers satellites, et suivant lesquels le moyen mouvement du premier satellite plus deux fois celui du troisième, est égal à trois fois celui du second ; et la longitude moyenne du premier satellite, moins trois fois celle du second, plus deux fois celle du troisième, est constamment égale à la demi-circonférence. Mais ces rapports subsisteront-ils toujours, ou ne sont-ils qu’approchés, et les deux inégalités du second satellite, aujourd’hui confondues, se sépareront-elles dans la suite des temps ? C’est ce que la théorie va nous apprendre. L’approximation avec laquelle les tables donnoient les rapports précédens, me fit soupçonner qu’ils sont rigoureux, et que les petites quantités dont ces tables s’en éloignoient encore, dépendoient des erreurs dont elles étoient susceptibles. Il étoit contre toute vraisemblance, de supposer que le hasard a placé originairement les trois premiers satellites, aux distances et dans les positions convenables à ces rapports, et il étoit extrêmement probable qu'ils sont dus à une cause particulière ; je cherchai donc cette cause dans l’action mutuelle des satellites. L’examen approfondi de cette action me fit voir qu’elle a rendu ces rapports rigoureux ; d’où je conclus qu’en déterminant de nouveau, par la discussion d’un très-grand nombre d’observations éloignées entr’elles, les moyens mouvemens et les longitudes moyennes des trois premiers satellites, on trouveroit qu’ils approchent encore plus de ces rapports auxquels les tables doivent être rigoureusement assujéties. J’ai eu la satisfaction de voir cette conséquence de la théorie, confirmée avec une précision remarquable, par les recherches que delambre vient de faire sur les satellites de jupiter. Il n’est pas nécessaire que ces rapports aient eu lieu exactement à l’origine ; il faut seulement que les mouvemens et les longitudes des trois premiers satellites, s’en soient peu écartés, et alors l’action mutuelle de ces satellites a suffi pour les établir et pour les maintenir en rigueur. Mais la petite différence entr’eux et les rapports primitifs, a donné lieu à une inégalité d’une étendue arbitraire, qui se partage inégalement entre les trois satellites, et que j’ai désignée sous le nom de libration . Les deux constantes arbitraires de cette inégalité, remplacent ce que les deux rapports précédens font disparoître d’arbitraire dans les moyens mouvemens et dans les époques des longitudes moyennes des trois premiers satellites ; car le nombre des arbitraires que renferme la théorie d’un systême de corps, est nécessairement sextuple du nombre de ces corps. La discussion des observations n’ayant point fait reconnoître cette inégalité ; elle doit être fort petite et même insensible. Les rapports précédens subsisteront toujours, quoique les moyens mouvemens des satellites soient assujétis à des équations séculaires analogues à celle du mouvement de la lune. Ils subsisteroient encore, dans le cas même où ces mouvemens seroient altérés par la résistance d’un milieu, ou par d’autres causes dont les effets ne seroient sensibles que dans l’espace d’un siècle. Dans tous ces cas, les équations séculaires de ces mouvemens se coordonnent entre elles, par l’action réciproque des satellites, de manière que l’équation séculaire du premier, plus deux fois celle du troisième, est égale à trois fois celle du second. Ainsi, les trois premiers satellites de jupiter forment un systême de corps liés entr’eux par les rapports et les inégalités précédentes que leur action mutuelle maintiendra sans cesse, à moins qu’une cause étrangère ne vienne déranger brusquement leur position respective. La théorie de la pesanteur m’a fait connoître la cause des variations singulières observées dans l’excentricité de l’orbe du troisième satellite, et dont j’ai parlé dans le second livre. Ces variations dépendent de deux équations du centre très-distinctes, auxquelles son mouvement est soumis, dont l’une se rapporte à un périjove propre à ce satellite, et dont l’autre se rapporte au périjove du quatrième. Les excentricités des orbes des quatre satellites, et leurs périjoves sont liés les uns aux autres, par l’action mutuelle de ces corps, en vertu de laquelle l’excentricité du quatrième satellite se répand sur les trois autres, mais plus foiblement à mesure qu'ils en sont plus éloignés. Elle est très-sensible dans l’orbe du troisième, et en se combinant avec l’excentricité propre à cet orbe, elle produit dans le mouvement du troisième satellite, une équation du centre composée, dont la plus grande valeur varie sans cesse, et qui se rapporte à un périjove dont le mouvement n’est pas uniforme. La longitude du périjove du quatrième satellite étoit de 159, 43 degrés au commencement de 1700, et son mouvement annuel et sydéral est de 7852 secondes : la longitude du périjove propre au troisième satellite étoit de 194, 11 degrés au commencement de 1700, et son mouvement annuel et sydéral est de 29776 secondes. Ces périjoves coïncidoient en 1684, et les deux équations du centre du troisième satellite en formoient une seule égale à leur somme, et dont la plus grande valeur s'élevoit à 2661 secondes. En 1775, ces périjoves ayant eu des situations contraires, les deux équations du centre en formoient une seule égale à leur différence, et dont la valeur n’étoit que de 759 secondes . C’est la raison pour laquelle wargentin a trouvé par la comparaison des observations, l’excentricité de ce satellite, la plus grande vers le commencement de ce siècle, et la plus petite vers 1760. Il avoit d’abord essayé de représenter ces variations, au moyen de deux équations du centre ; mais ignorant que l’une d’elles se rapporte au périjove du quatrième satellite, et leur ayant assigné des valeurs inexactes, il s’est vu forcé de les abandonner, et de recourir à l’hypothèse d’une excentricité variable dont il a déterminé les changemens, par les observations. L’action mutuelle des satellites de jupiter fait varier à chaque instant, la position de leurs orbites : voici ce que la théorie comparée aux observations donne sur cet objet. L’équateur de jupiter est incliné de 34444 secondes, sur l'orbite de cette planète ; la longitude de son nœud ascendant sur cette orbite étoit de 347, 8519 degrés, au commencement de 1700 ; son mouvement annuel et sydéral est d’environ 6 secondes. L’orbe du premier satellite n’est incliné que de 22 secondes sur le plan de l’équateur de jupiter ; ses nœuds sur ce plan, coïncident avec les nœuds du même plan et de l’orbite de jupiter, l’orbe du satellite étant entre ces deux plans. L’orbe du second satellite se meut sur un plan fixe incliné de 221 secondes à l’équateur de jupiter, et qui passe par la ligne des nœuds de cet équateur, entre ce dernier plan et celui de l’orbite de jupiter. L’orbe du satellite est incliné de 5182 secondes à ce plan fixe

et ses

nœuds avec ce plan, ont un mouvement rétrograde dont la valeur annuelle et sydérale est de 13, 3488 degrés, et dont la période est de trente années juliennes. La longitude du nœud ascendant étoit de 179, 5185 degrés en 1700. L’orbe du troisième satellite se meut sur un plan fixe incliné de 1030 secondes à l’équateur de jupiter, et qui passe par la ligne des nœuds de cet équateur, entre ce dernier plan et celui de l’orbite de jupiter. L’orbe du satellite est incliné de 2244 secondes à ce plan fixe, et ses nœuds avec ce plan ont un mouvement rétrograde dont la valeur annuelle et sydérale est de 2, 9149 degrés, et dont la période est de 137 années ; la longitude du nœud ascendant étoit en 1700, de 136, 9630 degrés. Les astronomes qui avoient reconnu le mouvement de ce nœud, par les observations, supposoient les orbes du second et du troisième satellite, en mouvement sur l’équateur même de jupiter ; mais ils étoient forcés par ces observations, de diminuer un peu l'inclinaison de cet équateur sur l’orbite de jupiter, quand ils considéroient le mouvement du troisième satellite. Enfin, l’orbe du quatrième satellite se meut sur un plan fixe incliné de 4630 secondes à l’équateur de jupiter, et qui passe par la ligne des nœuds de cet équateur, entre ce dernier plan et celui de l'orbite de jupiter. L’orbe du satellite est incliné de 2772 secondes à ce plan fixe, et ses nœuds avec ce plan ont un mouvement rétrograde dont la valeur annuelle et sydérale est de 7519 secondes et dont la période est de 532 années ; la longitude du nœud ascendant étoit de 153, 5185 degrés, en 170 0. L’inclinaison de l’orbe du quatrième satellite sur celui de jupiter varie sans cesse, en vertu de ce mouvement ; parvenue à son minimum

vers la fin du dernier siècle, elle a été à-peu-près stationnaire pendant un grand nombre d’années, et les nœuds de l’orbe du satellite avec l’orbite de jupiter, ont eu un mouvement annuel direct, d’environ huit minutes. Cette circonstance que les observations ont fait connoître, a été saisie par les astronomes qui l’ont employée dans les tables de ce satellite ; mais depuis plusieurs années, les observations indiquent dans l’inclinaison de son orbe sur celui de jupiter, un accroissement très-sensible qui, sans le secours de la théorie, eût rendu fort difficile, la formation de ses tables. Il est satisfaisant pour le géomètre, de voir sortir de son analyse, ces phénomènes singuliers que l’observation a fait entrevoir ; mais qui étant le résultat de plusieurs inégalités simples, sont trop compli qués pour que les astronomes en aient pu découvrir les loix . Les différens plans dont nous venons de parler, sur lesquels se meuvent les orbes des satellites, ne sont pas rigoureusement fixes ; le plan de l’équateur de jupiter les entraîne dans son mouvement , de manière que leurs nœuds avec l’orbite de cette planète, étant constamment les mêmes que ceux de son équateur ; leurs inclinaisons sur le plan de cette orbite, sont toujours proportionnelles à celle de l’équateur. Mais tous ces mouvemens sont insensibles depuis la découverte des satellites jusqu’à nos jours. L’orbe de chaque satellite participe un peu du mouvement des orbes voisins ; car tout est lié dans un systême de corps soumis à leur action mutuelle. Les satellites de jupiter forment autour de lui, un systême semblable à celui des planètes autour du soleil ; et comme leurs révolutions sont fort promptes, ils nous ont offert dans le court intervalle de temps écoulé depuis leur découverte, tous les grands changemens qu’une longue suite de siècles doit amener dans le systême planétaire. Ainsi l’accord de la théorie de la pesanteur, avec les variations observées dans les orbes des satellites de jupiter, met hors de doute les variations que cette théorie indique dans les orbes des planètes, et que les plus anciennes observations rendent encore peu sensibles. Cette théorie a banni tout empyrisme, des tables des satellites de jupiter : celles que delambre vient de publier, n’empruntent des observations, que les données indispensables ; elles ont l'avantage de s’étendre à tous les siècles, pourvu que l’on rectifie ces données, à mesure qu’elles seront mieux connues. On conçoit que pour établir la théorie qui a servi de fondement à ces tables, il a fallu connoître d’une manière approchée, les masses des satellites et l'applatissement de jupiter. Cinq données de l’observation sont nécessaires pour déterminer ces cinq inconnues ; celles dont j’ai fait usage, sont les deux inégalités principales du premier et du second satellite ; la période des variations de l’inclinaison de l’orbe du second satellite ; l’équation du centre du troisième satellite, qui se rapporte au périjove du quatrième ; enfin, le mouvement de ce périjove. En prenant pour unité, la masse de jupiter ; celles des satellites, qui résultent des données précédentes, sont : i. Satellite : 0, 0000172011. Ii. Satellite : 0, 0000237103. Iii. Satellite : 0, 0000872128. Iv. Satellite : 0, 0000544681. On rectifiera ces valeurs, quand la suite des temps aura fait mieux connoître les variations séculaires des orbes satellites. Le rapport des deux axes de jupiter, qui résulte des mêmes données, est égal à 0, 93041. Ce rapport a été mesuré plusieurs fois avec beaucoup de précision, et le milieu entre ces mesures est 13 sur 14 ou 0, 929, ce qui ne diffère du résultat précédent, que d’une quantité insensible. Mais en considérant la grande influence de l’applatissement de jupiter, sur le mouvement des nœuds et des périjoves des satellites ; on voit que le rapport des axes de jupiter est donné par les observations des éclipses, plus exactement que par les mesures les plus précises. Au reste, l’accord de ces mesures avec le résultat de la théorie, nous prouve d’une manière sensible, que la pesanteur vers jupiter se compose de toutes les pesanteurs vers chacune de ses molécules ; puisqu’en partant de ce principe, on retrouve l’applatissement observé de jupiter. Les éclipses du premier satellite de jupiter, ont fait découvrir le mouvement successif de la lumière, que le phénomène de l'aberration a donné ensuite avec plus d’exactitude. Il m’a paru que la théorie du mouvement de ce satellite étant aujourd’hui perfectionnée, et les observations de ses éclipses étant devenues très- nombreuses ; leur discussion devoit déterminer la quantité de l’aberration, avec plus de précision encore, que l’observation directe. Delambre a bien voulu entreprendre cette discussion, à ma prière

il a trouvé 62, 5 secondes pour la valeur entière de l'aberration, valeur exactement la même que bradley avoit conclue de ses observations. Il est curieux de voir un aussi parfait accord entre des résultats tirés de méthodes aussi différentes. Il suit de cet accord, que la vîtesse de la lumière est uniforme dans tout l’espace compris par l'orbe terrestre. En effet, la vîtesse de la lumière donnée par l'aberration, est celle qui a lieu sur la circonférence de l’orbe terrestre, et qui en se combinant avec le mouvement de la terre, produit ce phénomène. La vîtesse de la lumière, conclue des éclipses des satellites de jupiter, est déterminée par le temps que la lumière emploie à traverser l’orbe terrestre ; ainsi ces deux vîtesses étant les mêmes, la vîtesse de la lumière est uniforme dans toute la longueur du diamètre de l’orbe de la terre. Il résulte même, de ces éclipses , que cette vîtesse est uniforme dans la longueur du diamètre de l'orbe de jupiter ; car à raison de l’excentricité de cet orbe, l'effet de la variation de ses rayons vecteurs est très-sensible sur les éclipses des satellites, et il est exactement le même que dans l'hypothèse de l’uniformité du mouvement de la lumière. Si la lumière est une émanation des corps lumineux ; l'uniformité de sa vîtesse exige qu’elle soit lancée par chacun d’eux, avec la même force, et que son mouvement ne soit point retardé sensiblement par leur attraction. Si l’on fait consister la lumière, dans les vibrations d’un fluide élastique ; il faut pour l'uniformité de leur vîtesse, supposer la densité du fluide dans toute l’étendue du systême planétaire, proportionnelle à son ressort. Mais la simplicité avec laquelle l’aberration des astres et les phénomènes de la réfraction de la lumière en passant d’un milieu dans un autre, s’expliquent en regardant la lumière comme une émanation des corps lumineux, rend cette hypothèse, très-vraisemblable.

Chapitre vii.[modifier]

de la figure de la terre et des planètes, et de la loi de la pesanteur à leur surface.

nous avons exposé dans le premier livre, ce que les observations ont appris sur la figure de la terre et des planètes : comparons ces résultats, avec ceux de la pesanteur universelle. La gravité vers les planètes, se compose des attractions de toutes leurs molécules. Si leurs masses étoient fluides et sans mouvement de rotation ; leur figure et celles de leurs différentes couches seroient sphériques, les couches les plus voisines du centre étant les plus denses. La pesanteur à la surface extérieure et au-dehors à une distance quelconque, seroit exactement la même que si la masse entière de la planète étoit réunie à son centre de gravité ; propriété remarquable en vertu de laquelle le soleil, les planètes, les comètes et les satellites agissent à très-peu près les uns sur les autres , comme autant de points matériels. à de grandes distances, l’attraction des molécules d’un corps de figure quelconque, les plus éloignées du point attiré, et celle des molécules les plus voisines, se compensent de manière que l'attraction totale est à-peu-près la même, que si ces molécules étoient réunies à leur centre de gravité ; et si l’on considère comme une très-petite quantité du premier ordre, le rapport des dimensions du corps, à sa distance au point attiré ; ce résultat est exact aux quantités près du second ordre. Mais il est rigoureux pour la sphère ; et pour un sphéroïde qui en diffère très-peu, l’erreur est du même ordre que le produit de son excentricité, par le quarré du rapport de son rayon, à sa distance au point qu’il attire. La propriété dont jouit la sphère, d’attirer comme si sa masse étoit réunie à son centre, contribue donc à la simplicité des mouvemens célestes. Elle ne convient pas exclusivement à la loi de la nature ; elle appartient encore à la loi de l’attraction proportionnelle à la simple distance, et elle ne peut convenir qu’aux loix formées par l’addition de ces deux loix simples. Mais de toutes les loix qui rendent la pesanteur nulle à une distance infinie, celle de la nature est la seule dans laquelle la sphère a cette propriété. Suivant cette loi, un corps placé au-dedans d’une couche sphérique, par-tout de la même épaisseur, est également attiré de toutes parts ; en sorte qu’il resteroit en repos au milieu des attractions qu’il éprouve. La même chose a lieu au-dedans d’une couche elliptique dont les surfaces intérieure et extérieure sont semblables et semblablement situées. En supposant donc que les planètes soient des sphères homogènes, la pesanteur dans leur intérieur, diminue comme la distance à leur centre ; car l’enveloppe extérieure au corps attiré, ne contribue point à sa pesanteur qui n’est ainsi produite que par l’attraction d’une sphère d’un rayon égal à la distance de ce corps, au centre de la planète ; or cette attraction est proportionnelle à la masse de la sphère, divisée par le quarré de son rayon, et la masse est comme le cube de ce même rayon ; la pesanteur du corps est donc proportionnelle à ce rayon. Mais les couches des planètes étant probablement plus denses, à mesure qu’elles sont plus près du centre ; la pesanteur au-dedans diminue dans un moindre rapport, que dans le cas de leur homogénéité. Le mouvement de rotation des planètes, les écarte un peu de la figure sphérique : la force centrifuge due à ce mouvement, les renfle à l’équateur et les applatit aux pôles. Considérons d' abord les effets de cet applatissement, dans le cas très-simple où la terre étant une masse fluide homogène, la gravité seroit dirigée vers son centre, et réciproque au quarré de la distance à ce point. Il est facile de prouver qu’alors, le sphéroïde terrestre est un ellipsoïde de révolution ; car si l’on conçoit deux colonnes fluides se communiquant à son centre, et aboutissant, l’une au pôle, et l’autre à un point quelconque de sa surface ; il est clair que ces deux colonnes doivent se faire mutuellement équilibre. La force centrifuge n'altère point le poids de la colonne dirigée au pôle ; elle diminue le poids de l’autre colonne. Cette force est nulle au centre de la terre : à la surface, elle est proportionnelle au rayon du parallèle terrestre , ou à fort peu près, au cosinus de la latitude ; mais elle n’est pas employée toute entière, à diminuer la gravité. Ces deux forces faisant entr’elles, un angle égal à la latitude, la force centrifuge décomposée suivant la direction de la gravité, est affoiblie, dans le rapport du cosinus de cet angle, au rayon ; ainsi, à la surface de la terre, la force centrifuge diminue la gravité, du produit de la force centrifuge à l’équateur, par le quarré du cosinus de la latitude

la

valeur moyenne de cette diminution dans la longueur de la colonne fluide, est donc la moitié de ce produit, et comme la force centrifuge est 1 sur 289 de la gravité à l’équateur ; cette valeur est 1 sur 578 de la gravité multipliée par le quarré du cosinus de la latitude. Il faut pour l’équilibre, que la colonne par sa longueur, compense la diminution de sa pesanteur ; elle doit donc surpasser la colonne du pôle, d’un 578 ème de sa grandeur multipliée par le quarré du même cosinus. Ainsi les accroissemens des rayons terrestres, du pôle à l’équateur, sont proportionnels à ce quarré ; d’où il est facile de conclure que la terre est alors un ellipsoïde de révolution dans lequel l’axe des pôles est à celui de l’équateur, comme 57 7 est à 578. Il est visible que l’équilibre de la masse fluide subsisteroit encore, en supposant qu’une partie vienne à se consolider dans son intérieur ; pourvu que la force de la gravité reste la même. Pour déterminer la loi de la pesanteur à la surface de la terre ; nous observerons que la gravité à un point quelconque de cette surface, est plus petite qu’au pôle, à raison du plus grand éloignement du centre : cette diminution est à très-peu près le double de l’accroissement du rayon terrestre ; elle est donc égale au produit d’un 289 ème de la gravité, par le quarré du cosinus de la latitude. La force centrifuge diminue encore la pesanteur, de la même quantité ; ainsi, par la réunion de ces deux causes, la diminution de la pesanteur du pôle à l’équateur, est égale à 0, 00694 multiplié par le quarré du cosinus de la latitude ; la gravité à l’équateur, étant prise pour unité. On a vu dans le premier livre, que les mesures des degrés des méridiens donnent à la terre, un applatissement plus grand que 1 sur 578 ; et que les mesures du pendule indiquent une diminution dans la pesanteur, des pôles à l’équateur, moindre que 0, 00694, et égale à 0, 00567 ; les mesures des degrés et du pendule concourent donc à faire voir que la gravité n’est pas dirigée vers un seul point ; ce qui confirme à posteriori , ce que nous avons démontré précédemment, savoir, qu’elle se compose des attractions de toutes les molécules de la terre. Dans ce cas, la loi de la gravité dépend de la figure du sphéroïde terrestre, qui dépend elle-même de la loi de la gravité. Cette dépendance mutuelle de deux quantités inconnues, rend très-difficile, la recherche de la figure de la terre. Heureusement, la figure elliptique, la plus simple de toutes les figures rentrantes, après la sphère, satisfait à l’équilibre d’une masse fluide douée d’un mouvement de rotation, et dont toutes les molécules s’attirent réciproquement au quarré des distances. Newton se contenta de le supposer, et en partant de cette hypothèse et de celle de l’homogénéité de la terre, il trouva que les deux axes de cette planète sont entr’eux, comme 229 est à 230. Il est facile d’en conclure la loi de la variation de la pesanteur sur la terre. Pour cela, considérons différens points situés sur un même rayon mené du centre, à la surface d’une masse fluide homogène en équilibre. Toutes les couches elliptiques semblables qui recouvrent l’un quelconque d’entr’eux, ne contribuent point à sa pesanteur ; et la résultante des attractions qu’il éprouve, est uniquement due à l’attraction d’un sphéroïde elliptique semblable au sphéroïde entier, et dont la surface passe par ce point. Les molécules semblables et semblablement placées, de ces deux sphéroïdes, attirent respectivement ce point et le point correspondant de la surface extérieure, proportionnellement aux masses divisées par les quarrés des distances ; les masses sont comme les cubes des dimensions semblables des deux sphéroïdes, et les quarrés des distances sont comme les quarrés des mêmes dimensions ; les attractions des molécules semblables sont donc proportionnelles à ces dimensions ; d’où il suit que les attractions entières des deux sphéroïdes, sont dans le même rapport, et leurs directions sont parallèles. Les forces centrifuges des deux points que nous considérons, sont encore proportionnelles aux mêmes dimensions ; leurs pesanteurs qui sont les résultantes de toutes ces forces, sont donc comme leurs distances au centre de la masse fluide. Maintenant, si l’on conçoit deux colonnes fluides dirigées du centre du sphéroïde, l’une au pôle, et l’autre à un point quelconque de la surface ; il est clair que si le sphéroïde est très-peu applati, les pesanteurs décomposées suivant les directions de ces colonnes , seront à très-peu près les mêmes que les pesanteurs totales ; en partageant donc les longueurs des colonnes, dans le même nombre de parties infiniment petites proportionnelles à ces longueurs, les poids des parties correspondantes seront entr’eux, comme les produits des longueurs des colonnes, par les pesanteurs aux points de la surface, où elles aboutissent ; les poids entiers de ces colonnes fluides seront donc dans le même rapport. Ces poids doivent être égaux pour l’équilibre ; les pesanteurs à la surface, sont par conséquent, réciproques aux longueurs des colonnes. Ainsi, le rayon de l’équateur surpassant d’un 230 ème, celui du pôle ; la pesanteur au pôle doit surpasser d’un 230 ème, la pesanteur à l’équateur. Cela suppose que la figure elliptique satisfait à l’équilibre d' une masse fluide homogène : c’est ce que maclaurin a démontré par une très-belle méthode de laquelle il résulte que l’équilibre est alors rigoureusement possible, et que si l’ellipsoïde est très- peu applati, l’ellipticité est égale à cinq quarts du rapport de la force centrifuge à la pesanteur, à l’équateur. Au même mouvement de rotation, répondent deux figures différentes , d’équilibre ; mais l’équilibre ne peut pas subsister avec tous ces mouvemens. La plus petite durée de rotation d’un fluide homogène en équilibre, de même densité que la moyenne densité de la terre, est de 0, 1009 jour ; et cette limite varie réciproquement comme la racine quarrée de la densité. Quand la rotation est plus rapide, la masse fluide s’applatit à ses pôles ; par-là, sa durée de rotation devient moindre, et tombe dans les limites convenables à l’état d’équilibre : après un grand nombre d’oscillations, le fluide en vertu des frottemens et des résistances qu’il éprouve, se fixe à cet état qui est unique et déterminé par le mouvement primitif : l’axe mené par le centre de gravité de la masse fluide, et par rapport auquel le moment des forces étoit un maximum à l’origine, devient l’axe de rotation. Les résultats précédens fournissent un moyen simple de vérifier l’hypothèse de l’homogénéité de la terre. L’irrégularité des degrés mesurés des méridiens, laisse trop d’incertitude sur l'applatissement de la terre, pour reconnoître s’il est tel, à-peu-près, que l’exige cette hypothèse ; mais l’accroissement assez régulier de la pesanteur, de l’équateur aux pôles, peut nous éclairer sur cet objet. En prenant pour unité, la pesanteur à l’équateur ; son accroissement au pôle est 0, 00435, dans le cas de l’homogénéité de la terre : par les observations du pendule, cet accroissement est 0, 00567 ; la terre n’est donc point homogène. Il est, en effet, naturel de penser que la densité de ses couches augmente de la surface au centre : il est même nécessaire pour la stabilité de l’équilibre des mers, que leur densité soit plus petite que la moyenne densité de la terre

autrement, leurs eaux agitées par les vents et par d’autres causes, sortiroient souvent de leurs limites, pour inonder les continens. L’homogénéité de la terre étant ainsi exclue par les observations ; il faut pour déterminer sa figure, considérer la mer comme recouvrant un noyau dont les couches diminuent de densité, du centre à la surface. Clairaut a démontré dans son bel ouvrage sur la figure de la terre, que l’équilibre est encore possible, en supposant une figure elliptique, à sa surface et aux couches du noyau intérieur. Dans les hypothèses les plus vraisemblables sur la loi des densités et des ellipticités de ces couches ; l'applatissement de la terre est moindre que dans le cas de l’homogénéité, et plus grand que si la gravité étoit dirigée vers un seul point : l'accroissement de la pesanteur de l’équateur aux pôles, est plus grand que dans le premier cas, et plus petit que dans le second. Mais il existe entre l’accroissement total de la pesanteur prise pour unité à l'équateur, et l’ellipticité de la terre, ce rapport remarquable ; savoir, que dans toutes les hypothèses sur la constitution du noyau que recouvre la mer, autant l’ellipticité de la terre entière est au-dessous de celle qui a lieu dans le cas de l’homogénéité, autant l’accroissement total de la pesanteur est au-dessus de celui qui a lieu dans le même cas, et réciproquement ; en sorte que la somme de cet accroissement et de l’ellipticité est toujours la même et égale à cinq demi du rapport de la force centrifuge à la pesanteur à l’équateur, ce qui pour la terre, revient à 1 sur 115, 2. En supposant donc la figure des couches du sphéroïde terrestre, elliptique ; l’accroissement de ses rayons et de la pesanteur, et la diminution des degrés des méridiens, des pôles à l’équateur, sont proportionnels au quarré du cosinus de la latitude ; et ils sont liés à l’ellipticité de la terre, de manière que l’accroissement total des rayons est égal à cette ellipticité ; la diminution totale des degrés est égale à l’ellipticité multipliée par trois fois le degré de l'équateur ; et l’accroissement total de la pesanteur est égal à la pesanteur à l’équateur, multipliée par l’excès de 1 sur 115, 2 sur cette ellipticité. Ainsi, l’on peut déterminer l’ellipticité de la terre, soit par les mesures des degrés, soit par les observations du pendule. Ces observations donnent 0, 00567 pour l’accroissement de la pesanteur de l'équateur aux pôles ; en retranchant cette quantité, de 1 sur 115, 2, on a 1 sur 332 pour l’applatissement de la terre. Si l’hypothèse d’une figure elliptique est dans la nature, cet applatissement doit satisfaire aux mesures des degrés ; mais il y suppose, au contraire, des erreurs invraisemblables ; et cela joint à la difficulté d’assujétir toutes ces mesures, à une même figure elliptique, nous prouve que la figure de la terre est beaucoup plus composée qu’on ne l’avoit cru d’abord ; ce qui ne paroîtra point étonnant, si l’on considère l’irrégularité de la profondeur des mers, l’élévation des continens et des îles au-dessus de leur niveau, la hauteur des montagnes, et l’inégale densité des eaux et des diverses substances qui sont à la surface de cette planète. Pour embrasser avec la plus grande généralité, la théorie de la figure de la terre et des planètes ; il falloit déterminer l'attraction des sphéroïdes peu différens de la sphère, et formés de couches variables de figure et de densité, suivant les loix quelconques ; il falloit encore déterminer la figure qui convient à l’équilibre d’un fluide répandu à leur surface ; car on doit imaginer les planètes , recouvertes comme la terre, d’un fluide en équilibre ; autrement , leur figure seroit entièrement arbitraire. Dalembert a donné pour cet objet, une méthode ingénieuse qui s’étend à un grand nombre de cas ; mais elle manque de cette simplicité si desirable dans des recherches aussi compliquées, et qui en fait le principal mérite. Une équation remarquable aux différences partielles, et relative aux attractions des sphéroïdes, m’a conduit sans le secours des intégrations, et uniquement par des différentiations, aux expressions générales des rayons des sphéroïdes, de leurs attractions sur des points quelconques placés dans leur intérieur, à leur surface ou au-dehors, des conditions de l’équilibre des fluides qui les recouvrent, de la loi de la pesanteur et de la variation des degrés, à la surface de ces fluides. Toutes ces quantités sont liées les unes aux autres, par des rapports très-simples ; et il en résulte un moyen facile de vérifier les hypothèses que l’on peut faire pour représenter, soit les variations observées de la pesanteur, soit les mesures des degrés des méridiens. Ainsi, bouguer, dans la vue de représenter les degrés mesurés en laponie, en france et à l’équateur, ayant supposé que la terre est un sphéroïde de révolution sur lequel l’accroissement des degrés du méridien, de l’équateur aux pôles , est proportionnel à la quatrième puissance du sinus de la latitude ; on trouve que cette hypothèse ne peut pas satisfaire à l'accroissement de la pesanteur, de l’équateur à pello, accroissement qui, suivant les observations, est égal à quarante-cinq dix millièmes de la pesanteur totale, et qui n’en seroit que vingt-sept dix millièmes, dans cette hypothèse. Les expressions dont je viens de parler, donnent une solution directe et générale du problême qui consiste à déterminer la figure d’une masse fluide en équilibre, en la supposant douée d’un mouvement de rotation, et composée d’une infinité de fluides de densités quelconques, dont toutes les molécules s’attirent en raison des masses et réciproquement au quarré des distances. Legendre avoit déjà résolu ce problême, par une analyse fort ingénieuse, en supposant la masse homogène. Dans le cas général, le fluide prend nécessairement la figure d’un ellipsoïde de révolution dont toutes les couches sont elliptiques, et diminuent de densité, tandis que leur ellipticité croît du centre à la surface. Les limites de l’applatissement de l’ellipsoïde entier sont 5 sur 4 et 1 sur 2 du rapport de la force centrifuge à la pesanteur à l’équateur ; la première limite étant relative à l’homogénéité de la masse, et la seconde se rapportant au cas où les couches infiniment voisines du centre étant infiniment denses, toute la masse du sphéroïde peut être considérée comme étant réunie à ce point. Dans ce dernier cas, la pesanteur seroit dirigée vers un seul point, et réciproque au quarré des distances

la figure de la terre seroit donc celle que nous avons déterminée ci-dessus : mais dans le cas général, la ligne qui détermine la direction de la pesanteur, depuis le centre jusqu’à la surface du sphéroïde, est une courbe dont chaque élément est perpendiculaire à la couche qu’il traverse. Il est très-remarquable que les variations observées des longueurs du pendule, suivent assez exactement la loi du quarré du cosinus de la latitude, dont les variations des degrés mesurés des méridiens s’écartent d’une manière sensible. La théorie générale des attractions des sphéroïdes en équilibre, donne une explication fort simple de ce phénomène : elle nous montre que les termes qui, dans la valeur du rayon terrestre, s’éloignent de cette loi , deviennent plus sensibles dans l’expression de la pesanteur, et plus sensibles encore dans l’expression des degrés, où ils peuvent acquérir d’assez grandes valeurs, pour produire le phénomène dont il s'agit. Cette théorie nous apprend encore que les limites de l'accroissement total de la pesanteur prise pour unité à l’équateur, sont les produits de 2 et de 5 sur 4, par le rapport de la force centrifuge à la pesanteur ; la première limite étant relative au cas où les couches seroient infiniment denses au centre, et la seconde se rapportant à l’homogénéité de la terre. L’accroissement observé tombant entre ces limites, indique dans les couches du sphéroïde terrestre, une plus grande densité, à mesure qu’elles approchent du centre, ce qui est conforme aux loix de l’hydrostatique ; ainsi la théorie satisfait aux observations, aussi bien qu’on peut le desirer, vu l’ignorance où nous sommes, de la constitution intérieure de la terre. Il résulte de cet accord, que dans le calcul des variations de la pesanteur et des parallaxes, on peut supposer aux méridiens terrestres, une figure elliptique dont l’applatissement est l’excès de la fraction 1 sur 115, 2, sur l’accroissement total de la pesanteur , de l’équateur aux pôles. Le rayon mené du centre de gravité du sphéroïde terrestre, à sa surface sur le parallèle dont le quarré du sinus de latitude est 1 sur 3, détermine la sphère de même masse que la terre, et d’une densité égale à sa densité moyenne ; ce rayon est de 6369374 mètres, et la gravité sur ce parallèle, est la même qu’à la surface de cette sphère. Mais quel est le rapport de la moyenne densité de la terre, à celle d’une substance connue de sa surface ? L’effet de l’attraction des montagnes sur les oscillations du pendule, et sur la direction du fil à-plomb, peut nous conduire à la solution de ce problème intéressant. à la vérité, les plus hautes montagnes sont toujours fort petites par rapport à la terre ; mais nous pouvons approcher fort près, du centre de leur action, et cela joint à la précision des observations modernes, doit rendre leurs effets sensibles. Les montagnes du pérou, les plus élevées de la terre, semblaient les plus propres à cet objet : bouguer ne négligea point une observation aussi importante, dans son voyage entrepris pour la mesure des degrés du méridien à l’équateur. Mais ces grands corps étant volcaniques et creux dans leur intérieur, l’effet de leur attraction s’est trouvé beaucoup moindre que celui auquel on devoit s’attendre à raison de leur grosseur. Cependant, il a été sensible ; la diminution de la pesanteur, au sommet du pichincha, auroit été 0, 00149, sans l’attraction de la montagne, et elle n’a été observée que de 0, 00118 : l’effet de la déviation du fil à-plomb, par l’action d’une autre montagne, a surpassé 20 secondes. Maskeline a mesuré depuis, avec un soin extrême, un effet semblable produit par l’action d’une montagne d’ecosse : il en résulte que la moyenne densité de la terre est environ double de celle de la montagne, et quatre ou cinq fois plus grande que celle de l’eau commune. Cette curieuse observation mérite d’être répétée un grand nombre de fois, sur différentes montagnes dont la constitution intérieure soit bien connue. Appliquons la théorie précédente, à jupiter. La force centrifuge due au mouvement de rotation de cette planète, est à fort peu près 1 sur 9 de la pesanteur à son équateur ; du moins, si l’on adopte la distance du quatrième satellite, à son centre, donnée dans le second livre. Si jupiter étoit homogène, on auroit le diamètre de son é quateur, en ajoutant à son petit axe pris pour unité, cinq quarts de la fraction précédente ; ces deux axes seroient donc dans le rapport de 41 à 36. Suivant les observations, leur rapport est celui de 14 à 13 ; jupiter n’est donc pas homogène. En le supposant formé de couches dont les densités diminuent du centre, à la surface ; son ellipticité doit être comprise entre 5 sur 36 et 1 sur 18. L’ellipticité observée tombant dans ces limites, nous prouve l’hétérogénéité de ses couches, et par analogie, celle des couches du sphéroïde terrestre, déjà très-vraisemblable en elle-même et par les mesures du pendule.

Chapitre viii.[modifier]

de la figure de l’anneau de saturne.

l’anneau de saturne est, comme on l’a vu dans le premier livre, formé de deux anneaux concentriques, d’une très-mince épaisseur. Par quel mécanisme, ces anneaux se soutiennent-ils autour de cette planète ? Il n’est pas probable que ce soit par la simple adhérence de leurs molécules ; car alors, leurs parties voisines de saturne, sollicitées par l’action toujours renaissante de la pesanteur, se seroient à la longue, détachées des anneaux qui, par une dégradation insensible, auroient fini par se détruire, ainsi que tous les ouvrages de la nature, qui n’ont point eu les forces suffisantes pour résister à l’action des causes étrangères. Ces anneaux se maintiennent donc sans effort, et par les seules loix de l'équilibre : mais il faut pour cela, leur supposer un mouvement de rotation autour d’un axe perpendiculaire à leur plan, et passant par le centre de saturne ; afin que leur pesanteur vers la planète, soit balancée par leur force centrifuge due à ce mouvement. Imaginons un fluide homogène, répandu en forme d’anneau, autour de saturne ; et voyons qu’elle doit être sa figure, pour qu’il soit en équilibre, en vertu de l’attraction mutuelle de ses molécules, de leur pesanteur vers saturne, et de leur force centrifuge. Si par le centre de la planète, on fait passer un plan perpendiculaire à celui de l’anneau ; la section de l’anneau, par ce plan, est ce que je nomme courbe génératrice . L’analyse fait voir que si la largeur de l’anneau est peu considérable par rapport à sa distance au centre de saturne ; l’équilibre du fluide est possible, quand la courbe génératrice est une ellipse dont le grand axe est dirigé vers le centre de la planète. La durée de la rotation de l’anneau, est à-peu-près la même que celle de la révolution d’un satellite mû circulairement à la distance du centre de l’ellipse génératrice, et cette durée est d'environ quatre heures et un tiers, pour l’anneau intérieur. Herschel a confirmé par l’observation, ce résultat auquel j’avois été conduit par la théorie de la pesanteur. L’équilibre du fluide subsisteroit encore, en supposant l'ellipse génératrice, variable de grandeur et de position, dans l’étendue de la circonférence de l’anneau ; pourvu que ces variations ne soient sensibles qu’à des distances beaucoup plus grandes que l’axe de la section génératrice. Ainsi, l’anneau peut être supposé d’une largeur inégale dans ses diverses parties : on peut même le supposer à double courbure. Ces inégalités sont indiquées par les apparitions et les disparitions de l’anneau de saturne, dans lesquelles les deux bras de l’anneau ont présenté des phénomènes différens : elles sont même nécessaires pour maintenir l’anneau en équilibre autour de la planète ; car s’il étoit parfaitement semblable dans toutes ses parties, son équilibre seroit troublé par la force la plus légère, telle que l’attraction d’un satellite, et l’anneau finiroit par se précipiter sur la planète. Les anneaux dont saturne est environné, sont par conséquent, des solides irréguliers d’une largeur inégale dans les divers points de leur circonférence, en sorte que leurs centres de gravité ne coïncident pas avec leurs centres de figure. Ces centres de gravité peuvent être considérés comme autant de satellites qui se meuvent autour du centre de saturne, à des distances dépendantes des inégalités des anneaux, et avec des vîtesses angulaires égales aux vîtesses de rotation de leurs anneaux respectifs. On conçoit que ces anneaux sollicités par leur action mutuelle, par celle du soleil et des satellites de saturne, doivent osciller autour du centre de cette planète ; et que leurs nœuds avec le plan de l’orbe de la planète, doivent avoir des mouvemens rétrogrades . On pourroit croire qu’obéissant à des forces différentes, ils doivent cesser d’être dans un même plan : mais saturne ayant un mouvement rapide de rotation, et le plan de son équateur étant le même que celui de l’anneau et des six premiers satellites ; son action maintient dans ce plan, le systême de ces différens corps. L'action du soleil et du septième satellite, ne fait que changer la position du plan de l’équateur de saturne, qui dans ce mouvement, entraîne les anneaux et les orbes des six premiers satellites, par un mécanisme semblable à celui qui retient les orbes des satellites de jupiter , et principalement l’orbe du premier, à-peu-près dans le plan de l’équateur de cette planète. Ainsi, la position constante des anneaux de saturne, et des orbes de ses six premiers satellites dans un même plan, indique un applatissement considérable dans cette planète, et par conséquent, un mouvement rapide de rotation, ce qui a été confirmé par les observations ; et comme les satellites d’uranus se meuvent à-peu-près dans un même plan, on doit en conclure que cette planète tourne sur elle-même autour d’un axe perpendiculaire à ce plan.

Chapitre ix.[modifier]

des atmosphères des corps célestes.

un fluide rare, transparent, compressible et élastique, qui environne un corps, en appuyant sur lui, est ce que l’on nomme son atmosphère . Nous concevons autour de chaque corps céleste, une pareille atmosphère dont l’existence vraisemblable pour tous, est relativement au soleil et à jupiter, indiquée par les observations. à mesure que le fluide atmosphérique s’élève au-dessus du corps

il devient plus rare, en vertu de son ressort qui le dilate d'autant plus, qu’il est moins comprimé : mais si les parties de sa surface extérieure, étoient élastiques ; il s’étendroit sans cesse, et finiroit par se dissiper dans l’espace ; il est donc nécessaire que le ressort du fluide atmosphérique diminue dans un plus grand rapport, que le poids qui le comprime, et qu’il existe un état de rareté, dans lequel ce fluide soit sans ressort. C’est dans cet état qu’il doit être à la surface de l’atmosphère. Toutes les couches atmosphériques doivent prendre, à la longue, un même mouvement angulaire de rotation, commun au corps qu’elles environnent ; car le frottement de ces couches, les unes contre les autres et contre la surface du corps, doit accélérer les mouvemens les plus lents, et retarder les plus rapides, jusqu’à ce qu’il y ait entr’eux, une parfaite égalité. Dans ces changemens , et généralement dans tous ceux que l’atmosphère éprouve ; la somme des produits des molécules du corps et de son atmosphère, multipliées respectivement par les aires que décrivent autour de leur centre commun de gravité, leurs rayons vecteurs projetés sur le plan de l’équateur, reste toujours la même en temps égal. En supposant donc que, par une cause quelconque, l’atmosphère vienne à se resserrer, ou qu’une partie se condense à la surface du corps

le mouvement de rotation du corps et de l’atmosphère en sera

accéléré ; car les rayons vecteurs des aires décrites par les molécules de l’atmosphère primitive, devenant plus petits ; la somme des produits de toutes les molécules, par les aires correspondantes, ne peut pas rester la même, à moins que la vîtesse de rotation n’augmente. à la surface extérieure de l’atmosphère, le fluide n’est retenu que par sa pesanteur, et la figure de cette surface est telle que la résultante de la force centrifuge et de la force attractive du corps, lui est perpendiculaire. L’atmosphère est applatie vers ses pôles, et renflée à son équateur ; mais cet applatissement a des limites, et dans le cas où il est le plus grand, le rapport des axes du pôle et de l'équateur est celui de deux à trois. L’atmosphère ne peut s’étendre à l’équateur, que jusqu’au point où la force centrifuge balance exactement la pesanteur ; car il est clair qu’au-delà de cette limite, le fluide doit se dissiper. Relativement au soleil, ce point est éloigné de son centre, du rayon de l'orbe d’une planète qui feroit sa révolution dans un temps égal à celui de la rotation du soleil. L’atmosphère solaire ne s’étend donc pas jusqu’à l’orbe de mercure, et par conséquent, elle ne produit point la lumière zodiacale qui paroît s’étendre au-delà même de l'orbe terrestre. D’ailleurs, cette atmosphère dont l’axe des pôles doit être au moins, les deux tiers de celui de son équateur, est fort éloignée d’avoir la forme lenticulaire que les observations donnent à la lumière zodiacale. Le point où la force centrifuge balance la pesanteur, est d' autant plus près du corps, que le mouvement de rotation est plus rapide. En concevant que l’atmosphère s’étende jusqu’à cette limite, et qu’ensuite elle se resserre et se condense par le refroidissement, à la surface du corps ; le mouvement de rotation deviendra de plus en plus rapide, et la plus grande limite de l’atmosphère se rapprochera sans cesse de son centre. L’atmosphère abandonnera donc successivement, dans le plan de son équateur, des zônes fluides qui continueront de circuler autour du corps, puisque leur force centrifuge est égale à leur pesanteur : mais cette égalité n’ayant point lieu relativement aux molécules de l’atmosphère, éloignées de l’équateur ; elles ne cesseront point de lui appartenir. Il est vraisemblable que les anneaux de saturne sont des zônes pareilles, abandonnées par son atmosphère. Si d’autres corps circulent autour de celui que nous considérons , ou si lui-même circule autour d’un autre corps ; la limite de son atmosphère est le point où sa force centrifuge, plus l'attraction des corps étrangers, balance exactement sa pesanteur : ainsi, la limite de l’atmosphère de la lune est le point où la force centrifuge due à son mouvement de rotation, plus la force attractive de la terre, est en équilibre avec l’attraction de ce satellite. La masse de la lune étant 1 sur 58, 7 de celle de la terre ; ce point est éloigné du centre de la lune, de la neuvième partie environ, de la distance de la lune à la terre. Si à cette distance, l’atmosphère primitive de la lune n'a point été privée de son ressort ; elle se sera portée vers la terre qui a pu ainsi l’aspirer : c’est peut-être la cause pour laquelle cette atmosphère est aussi peu sensible.

Chapitre x.[modifier]

du flux et du reflux de la mer.

si la recherche des loix de l’équilibre des fluides qui recouvrent les planètes, présente de grandes difficultés ; celle du mouvement de ces fluides agités par l’attraction des astres, doit en offrir de plus considérables. Aussi newton qui s’occupa le premier de cet important problême, se contenta de déterminer la figure avec laquelle la mer seroit en équilibre sous l’action du soleil et de la lune. Il supposa que la mer prend à chaque instant, cette figure ; et cette hypothèse qui facilite extrêmement les calculs, lui donna des résultats conformes sous beaucoup de rapports, aux observations. à la vérité, ce grand géomètre a eu égard au mouvement de rotation de la terre, pour expliquer le retard des marées, sur les passages du soleil et de la lune au méridien ; mais son raisonnement est peu satisfaisant, et d’ailleurs, il est contraire au résultat d’une rigoureuse analyse. L’académie des sciences proposa cette matière, pour le sujet d’un prix, en 1740 : les pièces couronnées renferment des développemens de la théorie newtonienne, fondés sur la même hypothèse de la mer en équilibre sous l’action des astres qui l’attirent. Il est visible cependant, que la rapidité du mouvement de rotation de la terre empêche les eaux qui la recouvrent, de prendre à chaque instant, la figure qui convient à l’équilibre des forces qui les animent ; mais la recherche de ce mouvement combiné avec l’action du soleil et de la lune, offroit des difficultés supérieures aux connoissances que l’on avoit alors dans l’analyse, et sur le mouvement des fluides. Aidé des découvertes que l’on a faites depuis sur ces deux objets ; j’ai repris ce problême le plus épineux de toute la mécanique céleste. Les seules hypothèses que je me suis permises, sont que la mer inonde la terre entière, et qu' elle n’éprouve que de légers obstacles dans ses mouvemens : toute ma théorie est d’ailleurs, rigoureuse et fondée sur les principes du mouvement des fluides. En me rapprochant ainsi de la nature ; j'ai eu la satisfaction de voir que mes résultats se rapprochoient des observations, sur-tout à l’égard du peu de différence qui existe dans nos ports, entre les deux marées d’un même jour, différence qui, suivant la théorie de newton, seroit fort grande. Je suis parvenu à ce résultat remarquable, savoir, que pour faire disparoître cette différence, il suffit de supposer par-tout à l’océan, la même profondeur. Daniel bernoulli, dans sa pièce sur le flux et le reflux de la mer, qui partagea le prix de l’académie en 1740, essaya d’expliquer ce phénomène, par le mouvement de rotation de la terre : suivant lui, ce mouvement est trop rapide, pour que les marées puissent s’accommoder aux résultats de la théorie. Mais l'analyse nous montre que cette rapidité n’empêcheroit pas les marées d’être fort inégales, si la profondeur de la mer n’étoit pas constante. On voit par cet exemple, et par celui de newton, que je viens de citer, combien on doit se défier des apperçus les plus vraisemblables, quand ils ne sont point vérifiés par un calcul rigoureux. Les résultats précédens, quoique fort étendus, sont encore restreints par la supposition d’un fluide régulièrement répandu sur la terre, et qui n’éprouve que de très-légères résistances dans ses mouvemens. L’irrégularité de la profondeur de l’océan, la position et la pente des rivages, leurs rapports avec les côtes voisines, les frottemens des eaux contre le fond de la mer, et la résistance qu’elles en éprouvent, toutes ces causes qu’il est impossible de soumettre au calcul, modifient les oscillations de cette grande masse fluide. Tout ce que nous pouvons faire, est d’analyser les phénomènes généraux des marées, qui doivent résulter des forces attractives du soleil et de la lune, et de tirer des observations, les données dont la connoissance est indispensable pour compléter dans chaque port, la théorie du flux et du reflux. Ces données sont autant d'arbitraires dépendantes de l’étendue de la mer, de sa profondeur, et des circonstances locales du port. Nous allons envisager sous ce point de vue, la théorie des oscillations de la mer, et sa correspondance avec les observations. Considé rons d’abord la seule action du soleil sur la mer, et supposons que cet astre se meut uniformément dans le plan de l’équateur. Il est visible que si le soleil animoit de forces égales et parallèles, le centre de gravité de la terre et toutes les molécules de la mer ; le systême entier du sphéroïde terrestre et des eaux qui le recouvrent, obéiroit à ces forces, d’un mouvement commun, et l’équilibre des eaux ne seroit point troublé ; cet équilibre n'est donc altéré que par la différence de ces forces, et par l’inégalité de leurs directions. Une molécule de la mer, placée au-dessous du soleil, en est plus attirée que le centre de la terre ; elle tend ainsi à se séparer de sa surface ; mais elle y est retenue par sa pesanteur que cette tendance diminue. Un demi-jour après, cette molécule se trouve en opposition avec le soleil qui l’attire alors plus faiblement que le centre de la terre ; la surface du globe terrestre tend donc à s’en séparer ; mais la pesanteur de la molécule l’y retient attachée ; cette force est donc encore diminuée par l’attraction solaire, et il est facile de s’assurer que la distance du soleil à la terre, étant fort grande relativement au rayon du globe terrestre, la diminution de la pesanteur dans ces deux cas, est à très-peu près la même. Une simple décomposition de l’action du soleil sur les molécules de la mer, suffit pour voir que dans toute autre position de cet astre par rapport à ces molécules, son action pour troubler leur équilibre, redevient la même après un demi-jour. Maintenant, on peut établir comme un principe général de mécanique, que l’état d’un systême de corps, dans lequel les conditions primitives du mouvement ont disparu par les résistances qu’il éprouve, est périodique comme les forces qui l’animent ; l’état de l’océan doit donc redevenir le même, à chaque intervalle d'un demi-jour, en sorte qu’il y a un flux et un reflux dans cet intervalle. La loi suivant laquelle la mer s’élève et s’abaisse, peut se déterminer ainsi. Concevons un cercle vertical dont la circonférence représente un demi-jour, et dont le diamètre soit égal à la marée totale, c’est-à-dire, à la différence des hauteurs de la pleine et de la basse mer ; supposons que les arcs de cette circonférence, à partir du point le plus bas, expriment les temps écoulés depuis la basse mer ; les sinus verses de ces arcs seront les hauteurs de la mer, qui correspondent à ces temps : ainsi la mer en s’élevant, baigne en temps égal, des arcs égaux de cette circonférence. Cette loi s’observe exactement au milieu d’une mer libre de tous côtés ; mais dans nos ports, les circonstances locales en écartent un peu les marées : la mer y emploie un peu plus de temps à descendre qu’à monter ; et à brest, la différence de ces deux temps est d’environ dix minutes et demie. Plus une mer est vaste, plus les phénomènes des marées doivent être sensibles. Dans une masse fluide, les impressions que reçoit chaque molécule, se communiquent à la masse entière ; c’est par- là que l’action du soleil, qui est insensible sur une molécule isolée, produit sur l’océan, des effets remarquables. Imaginons un canal courbé sur le fond de la mer, et terminé à l’une de ses extrémités, par un tube vertical qui s’élève au-dessus de sa surface, et dont le prolongement passe par le centre du soleil. L’eau s’élèvera dans ce tube, par l’action directe de l’astre qui diminue la pesanteur de ses molécules, et sur-tout par la pression des molécules renfermées dans le canal, et qui toutes font un effort pour se réunir au- dessous du soleil. L’élévation de l’eau dans le tube, au-dessus du niveau naturel de la mer, est l’intégrale de ces efforts infiniment petits : si la longueur du canal augmente, cette intégrale sera plus grande, parce qu’elle s’étendra sur un plus long espace, et parce qu'il y aura plus de différence dans la direction et dans la quantité des forces dont les molécules extrêmes seront animées. On voit par cet exemple, l’influence de l’étendue des mers sur les phénomènes des marées, et la raison pour laquelle le flux et le reflux sont insensibles dans les petites mers, telles que la mer noire et la mer caspienne. La grandeur des marées dépend beaucoup des circonstances locales : les ondulations de la mer, resserrées dans un détroit, peuvent devenir fort grandes ; la réflexion des eaux par les côtes opposées, peut les augmenter encore. C’est ainsi que les marées généralement fort petites dans les îles de la mer du sud, sont très-considérables dans nos ports. Si l’océan recouvroit un sphéroïde de révolution, et s’il n'éprouvoit dans ses mouvemens, aucune résistance ; l’instant de la pleine mer seroit celui du passage du soleil au méridien supérieur ou inférieur ; mais il n’en est pas ainsi dans la nature, et les circonstances locales font varier considérablement l’heure des marées, dans des ports même fort voisins. Pour avoir une juste idée de ces variétés, imaginons un large canal communiquant avec la mer, et s’avançant fort loin dans les terres : il est visible que les ondulations qui ont lieu à son embouchure, se propageront successivement dans toute sa longueur, en sorte que la figure de sa surface sera formée d'une suite de grandes ondes en mouvement, qui se renouvelleront sans cesse, et qui parcourront leur longueur, dans l’intervalle d’un demi-jour. Ces ondes produiront à chaque point du canal, un flux et un reflux qui suivront les loix précédentes ; mais les heures du flux retarderont, à mesure que les points seront plus éloignés de l’embouchure. Ce que nous disons d’un canal, peut s’appliquer aux fleuves dont la surface s’élève et s’abaisse par des ondes semblables, malgré le mouvement contraire de leurs eaux. On observe ces ondes, dans toutes les rivières près de leur embouchure : elles se propagent fort loin dans les grands fleuves ; et au détroit de pauxis dans la rivière des amazones, à quatre-vingts myriamètres de la mer, elles sont encore sensibles. Considérons présentement l’action de la lune, et supposons que cet astre se meut uniformément dans le plan de l’équateur. Il est clair qu’il doit exciter dans l’océan, un flux et un reflux semblable à celui qui résulte de l’action du soleil, et dont la période est d’un demi-jour lunaire ; or on a vu dans le livre précédent, que le mouvement total d’un systême agité par de très-petites forces, est la somme des mouvemens partiels que chaque force lui eût imprimés séparément ; les deux flux partiels produits par les actions du soleil et de la lune, se combinent donc sans se troubler, et de leur combinaison, résulte le flux que nous observons dans nos ports. De-là naissent les phénomènes les plus remarquables des marées. L’instant de la marée lunaire n’est pas toujours le même que celui de la marée solaire, puisque leurs périodes sont différentes. Si deux de ces marées coïncident ; la marée lunaire suivante retardera sur la marée solaire, de l’excès d’un demi-jour lunaire sur un demi -jour solaire, c’est-à-dire, de 1752, 5 minutes. Ces retards s'accumulant de jour en jour ; la pleine mer lunaire finira par coïncider avec la basse mer solaire, et réciproquement. Lorsque les deux marées lunaire et solaire coïncident, la marée composée est la plus grande ; ce qui produit les grandes marées vers les sysigies. La marée composée est la plus petite, quand la pleine mer relative à l’un des astres, coïncide avec la basse mer relative à l’autre ; ce qui produit les petites marées vers les quadratures. Si la marée solaire l'emportoit sur la marée lunaire ; il est visible que les heures de la plus grande et de la plus petite marée composée, coïncideroient avec l’heure à laquelle la marée solaire arriveroit, si elle existoit seule. Mais si la marée lunaire l’emporte sur la marée solaire ; alors, la plus petite marée composée coïncide avec la basse mer solaire, et par conséquent, son heure est à un quart de jour d’intervalle, de l’heure de la plus grande marée composée. Voilà donc un moyen simple de reconnoître si la marée lunaire est plus grande ou moindre que la marée solaire. Toutes les observations concourent à faire voir que l’heure des plus petites marées diffère d’un quart de jour, de celle des plus grandes marées : ainsi, la marée lunaire l’emporte sur la marée solaire. On a vu dans le premier livre, que la valeur moyenne de la plus grande marée totale de chaque mois, est de 5 me, 888, et que la valeur moyenne de la plus petite, est de 2 me, 789. Il est aisé d’en conclure après les réductions convenables, que la marée moyenne lunaire, celle qui répond à la partie constante de la parallaxe de la lune , est trois fois plus petite que la marée moyenne solaire, ou, ce qui revient au même, que l’action de la lune pour soulever les eaux de la mer, est triple de celle du soleil. La grandeur des variations des marées totales près de leur maximum et de leur minimum , est exactement la même par la théorie de la pesanteur, que suivant les observations. Leur accroissement en s’éloignant du minimum , est double de leur diminution en s’éloignant du maximum , comme les observations l' indiquent. Puisque la marée lunaire l’emporte sur la marée solaire ; la marée composée doit se régler principalement sur la marée lunaire, et dans un temps donné, il doit y avoir autant de marées, que de passages de la lune au méridien supérieur ou inférieur ; ce qui est conforme à ce que l’on observe. Mais l’instant de la marée composée doit osciller autour de l’instant de la marée lunaire, suivant une loi dépendante des phases de la lune, et du rapport de son action à celle du soleil. Le premier de ces instans précède le second, depuis la plus grande jusqu’à la plus petite marée ; il le suit depuis la plus petite jusqu’à la plus grande marée ; en sorte que l’heure moyenne de la marée composée, étant la même que celle de la marée lunaire, le retard moyen des marées d’un jour à l’autre, est de 3505 secondes. Suivant la théorie, comme par les observations, le retard des marées varie ainsi que leur hauteur, avec les phases de la lune. Le plus petit retard coïncide avec la plus grande hauteur : le plus grand retard coïncide avec la plus petite hauteur, et par un accord remarquable, la théorie donne pour ces retards d’un jour à l’autre, 2705 secondes et 5207 secondes, les mêmes qui résultent des observations. Cet accord prouve à-la-fois la vérité de cette théorie, et l’exactitude du rapport supposé entre les actions de la lune et du soleil. En changeant un peu ce rapport, il seroit fort éloigné de satisfaire aux observations des hauteurs et des intervalles des marées, qui le donnent par conséquent, avec beaucoup de précision. On doit faire ici une remarque importante, de laquelle dépend l’explication de plusieurs phénomènes des marées. Si le sphéroïde que recouvre la mer, étoit un solide de révolution ; les marées partielles auroient lieu à l’instant du passage de leurs astres respectifs au méridien ; ainsi, quand la sysigie arriveroit à midi, les deux marées lunaire et solaire coïncideroient avec cet instant qui seroit celui de la plus grande marée composée. Cette plus grande marée auroit encore lieu, le jour même de la sysigie ; si les deux marées partielles suivoient à très-peu près du même intervalle, les passages au méridien, des astres qui les produisent. Mais le mouvement journalier de la lune dans son orbite, étant considérable ; la rapidité de ce mouvement, peut influer sensiblement sur l’intervalle dont cet astre précède le flux lunaire. Nous aurons une juste idée de ce phénomène, en imaginant comme ci-dessus, un vaste canal communiquant avec la mer, et s’avançant fort loin dans les terres, sous le méridien de son embouchure. Si l’on suppose qu’à cette embouchure, la pleine mer a lieu à l’instant même du passage de l’astre au méridien, et qu’elle emploie vingt-une heures à parvenir à son extrémité ; il est visible qu’à ce dernier point, la marée solaire suivra d’une heure, le passage de cet astre au méridien : mais deux jours lunaires formant 2, 070 jours solaires, le flux lunaire ne suivra que de 30 minutes, le passage de la lune au méridien ; en sorte qu’il y aura 70 minutes de différence, entre les intervalles dont les flux lunaire et solaire suivront les passages de leurs astres respectifs, au méridien. Il suit de-là que le maximum et le minimum de la marée, n’ont point lieu aux jours même de la sysigie et de la quadrature, mais un ou deux jours après, quand l’intervalle dont la marée lunaire suit le passage de la lune au méridien, ajouté à l’intervalle dont la lune suit le soleil au méridien, est égal à l’intervalle dont la marée solaire suit le passage du soleil au méridien ; car alors, les deux marées coïncident. Ainsi dans l’exemple précédent, ce maximum et ce minimum qui, à l’embouchure du canal, ont lieu aux jours même de la sysigie et de la quadrature, n’arrivent à son extrémité, que vingt-une heures après. J’ai trouvé par la comparaison d’un grand nombre d'observations et par diverses méthodes, qu’à brest, l’intervalle dont la plus grande marée suit la sysigie, est à fort peu près d’un jour et demi. Il en résulte que dans ce port, la marée solaire suit de 18358 secondes, le passage du soleil au méridien, et que la marée lunaire suit de 13 101 secondes, le passage de la lune au méridien. Les heures des marées à brest sont donc les mêmes qu’à l’extrémité d’un canal qui communiqueroit avec la mer ; en concevant qu’à son embouchure, les marées partielles ont lieu à l’instant même du passage des astres au méridien, et qu’elles emploient un jour et demi, à parvenir à son extrémité supposée de 18358 secondes, plus orientale que son embouchure. En général, l’observation et la théorie m’ont conduit à regarder chacun de nos ports de france, relativement aux marées, comme l'extrémité d’un canal à l’embouchure duquel les marées partielles ont lieu à l’instant même du passage des astres au méridien, et se transmettent dans un jour et demi, à son extrémité supposée plus orientale que son embouchure, d’une quantité très-différente pour les différens ports. On peut observer que la différence des intervalles dont les marées partielles suivent le passage des astres qui les produisent, au méridien, ne change point les phénomènes du flux et du reflux. Pour un systême d’astres mus uniformément dans le plan de l’équateur , elle ne fait que reculer d’un jour et demi, les phénomènes calculés dans l’hypothèse où ces intervalles seroient nuls. Plusieurs philosophes ont attribué le retard des phénomènes des marées sur les phases de la lune, au temps que son action emploie à se transmettre à la terre : mais cette hypothèse ne peut pas subsister avec l’inconcevable activité de la force attractive, activité dont on verra des preuves à la fin de ce livre. Ce n’est donc point au temps de cette transmission, mais à celui que les impressions communiquées par les astres à la mer, employent à parvenir dans nos ports ; qu’il faut attribuer ce retard. La force d’un astre pour soulever une molécule d’eau, placée entre cet astre, et le centre de la terre, est égale à la différence de son action sur ce centre, et sur la molécule ; et cette différence est le double du quotient de la masse de l’astre, multipliée par le rayon terrestre, et divisée par le cube de la distance des centres de l’astre et de la terre. Ce quotient relativement au soleil, est, par le chapitre v, la cent soixante et dix-neuvième partie de la pesanteur qui sollicite la lune vers la terre, multipliée par le rapport du rayon terrestre, à la distance de la lune : cette pesanteur est à très- peu près égale à la somme des masses de la terre et de la lune, divisée par le quarré de la distance lunaire ; la force du soleil pour soulever les eaux de la mer, est donc quatre-vingt-neuf fois et demie, moindre que la somme des masses de la terre et de la lune, multipliée par le rayon terrestre, et divisée par le cube de la distance lunaire. Mais cette force n’est, suivant les observations, que le tiers de la force de la lune, qui est égale au double de sa masse multipliée par le rayon terrestre, et divisée par le cube de sa distance ; ainsi, la masse de la lune, est à la somme des masses de la lune et de la terre, comme 3 est à 179 ; d’où il suit que cette masse est à fort peu près 1 sur 58, 7 de celle de la terre. Son volume n’étant que 1 sur 49, 316 de celui de la terre ; sa densité est 0, 8401, la moyenne densité de la terre, étant prise pour unité ; et le poids 1 sur la terre, transporté à la surface de la lune, se réduiroit à 0, 2291. Cependant, l’irrégularité de la profondeur des mers, qui, comme on vient de le voir, produit une différence sensible dans l'intervalle dont les marées lunaire et solaire, suivent les passages de leurs astres respectifs au méridien, peut encore influer sur le rapport des hauteurs de ces deux marées. Imaginons, en effet, un port situé à la jonction de deux canaux communiquant sous le même méridien avec la mer : supposons de plus, qu’à leur embouchure, la marée partielle de chaque astre arrive à l’instant même de son passage au méridien. La marée dans le port, sera le résultat des marées que chaque canal lui transmet : si la marée employe un jour, à parvenir de la mer au port, par le premier canal, et huit jours et demi, par le second ; la différence de ces intervalles, étant de sept jours et demi, les deux marées solaires de chaque canal, coïncideront dans le port, et la marée solaire composée, sera égale à leur somme. Mais sept jours et demi solaires ne formant que sept jours et un quart lunaires, la pleine marée lunaire du premier canal devra coïncider avec la basse marée lunaire du second ; ainsi la marée lunaire du port, ne sera que la différence des marées lunaires transmises par les deux canaux. En supposant donc qu’aux embouchures, les marées soient proportionnelles aux forces des astres ; elles ne le seront plus dans le port où il peut même arriver que la marée lunaire soit plus foible que la marée solaire. Il importe donc, lorsque l’on veut conclure des phénomènes des marées, le rapport des forces du soleil et de la lune, de s’assurer que les marées observées sont dans le rapport de ces forces. L’analyse fournit pour cet objet, différens moyens : en les appliquant aux observations faites à brest, j’ai reconnu que cette proportion avoit lieu d’une manière très-approchée ; ainsi, la valeur que nous venons d’assigner à la masse de la lune, doit très-peu différer de la véritable. Jusqu’ici, nous avons supposé le soleil et la lune mus d’une manière uniforme, dans le plan de l’équateur : faisons présentement varier leurs mouvemens et leurs distances au centre de la terre. En développant les expressions de leur action sur la mer, on peut en représenter chaque terme, par l’action d’un astre mû circulairement et uniformément autour de la terre ; il est donc facile par les principes que nous venons d’exposer, de déterminer le flux et reflux de la mer, correspondans aux diverses inégalités du soleil et de la lune. En soumettant ainsi à l’analyse, les phénomènes des marées ; on trouve que les marées produites par le soleil et la lune, augmentent en raison inverse du cube de leurs distances ; les marées doivent donc, toutes choses égales d’ailleurs, croître dans le périgée de la lune, et diminuer dans son apogée. Ce phénomène est très-sensible à brest : la comparaison des observations m’a fait voir qu’à cent secondes de variation dans le demi-diamètre de la lune, répond un demi-mètre de variation dans la marée totale, quand la lune est dans l’équateur ; et ce résultat de l'observation est tellement conforme à celui de la théorie, que l’on auroit pu déterminer par ce moyen, la loi de l’action de la lune sur la mer, relative à sa distance. Les variations de la distance du soleil à la terre, sont sensibles sur les hauteurs des marées, mais beaucoup moins que celles de la distance de la lune ; parce que, son action pour élever les eaux de la mer, est trois fois plus petite, et sa distance à la terre varie dans un moindre rapport. Ce résultat de la théorie est conforme aux observations. L’action de la lune étant plus grande, et son mouvement étant plus rapide, lorsqu’elle est plus près de la terre ; la marée composée dans les sysigies périgées, doit se rapprocher de la marée lunaire qui doit se rapprocher elle-même, du passage de la lune au méridien ; car on vient de voir que la marée partielle se rapproche d’autant plus de l’astre qui la cause, que son mouvement est plus rapide. Les marées périgées du jour de la sygisie doivent donc avancer, et les marées apogées doivent retarder. On a vu dans le premier livre, que suivant les observations, chaque minute d’accroissement ou de diminution dans le demi-diamètre lunaire, fait avancer ou retarder la pleine mer, de 354 secondes, et c’est à fort peu près, ce qui résulte de la théorie. La parallaxe de la lune influe encore sur l’intervalle de deux marées consécutives du matin ou du soir, vers les sysigies, ou dans le voisinage du maximum des marées. Suivant la théorie, une minute de variation dans le demi-diamètre de la lune, fait varier cet intervalle, de 258 secondes, exactement comme par les observations. Ce phénomène a également lieu dans les quadratures ; mais la théorie fait voir qu’il y est trois fois moindre que dans les sysigies, et c’est ce que les observations confirment. Pour en concevoir la raison ; il faut considérer que le retard journalier de la marée lunaire augmente, quand le mouvement de la lune est plus rapide, comme cela a lieu dans le périgée ; et que le retard des marées à leur maximum , augmente et se rapproche du retard journalier de la marée lunaire, quand la force lunaire augmente ; ces deux causes concourent donc à augmenter l’intervalle des marées sysigies périgées. Dans les quadratures, quand la force lunaire augmente, le retard journalier de la marée diminue, en se rapprochant du retard de la marée lunaire ; ainsi l’intervalle des marées augmente par la rapidité du mouvement de la lune périgée, et diminue par l’accroissement de la force lunaire ; les deux causes agissant donc alors en sens contraire, l’accroissement du retard de la marée n’est que l'effet de leur différence, et par cette raison, il est moindre que dans les sysigies. Après avoir développé la théorie du flux et du reflux de la mer, en supposant le soleil et la lune mus dans le plan de l’équateur

nous allons considérer les mouvemens de ces astres, tels qu’ils sont dans la nature : nous verrons naître de leurs déclinaisons, de nouveaux phénomènes qui comparés aux observations, confirmeront de plus en plus la théorie précédente. Ce cas général peut encore se ramener à celui de plusieurs astres mus uniformément dans le plan de l’équateur ; mais il faut donner à ces astres, des mouvemens très-différens dans leurs orbites. Les uns s’y meuvent avec lenteur ; ils produisent un flux et un reflux dont la période est d’un demi-jour : d’autres ont un mouvement de révolution à-peu-près égal à la moitié du mouvement de rotation de la terre, et ils produisent un flux et un reflux dont la période est d’environ un jour : d’autres enfin ont un mouvement de révolution à-peu-près égal au mouvement de rotation de la terre ; ils produisent un flux et un reflux dont les périodes sont d’un mois et d’une année. Examinons ces trois espèces de marées. La première renferme non-seulement les oscillations que nous venons de considérer, et qui dépendent des mouvemens du soleil et de la lune, et des variations de leurs distances à la terre ; mais d’autres encore dépendantes de leurs déclinaisons. En soumettant celles-ci à l’analyse ; on trouve que les marées totales des sysigies des équinoxes, sont plus grandes que celles des sysigies des solstices, dans le rapport du rayon, au quarré du cosinus de la déclinaison du soleil ou de la lune vers les solstices : on trouve de plus, que les marées totales des quadratures des solstices surpassent celles des quadratures des équinoxes, dans un plus grand rapport que celui du rayon, au quarré du cosinus de la déclinaison de la lune, vers les quadratures des équinoxes. Ces résultats de la théorie sont confirmés par toutes les observations qui ne laissent aucun doute sur l’affoiblissement de l’action des astres, à mesure qu’ils s'éloignent de l’équateur. Les déclinaisons du soleil et de la lune sont sensibles même sur les loix de la diminution et de l’accroissement des marées, en partant du maximum et du minimum . Leur diminution est suivant les observations, comme par la théorie, d’environ un tiers, plus rapide dans les sysigies des équinoxes, que dans les sysigies des solstices ; leur accroissement est suivant les observations, et par la théorie, environ deux fois plus rapide dans les quadratures des équinoxes, que dans les quadratures des solstices. La position des nœuds de l’orbite lunaire, est pareillement sensible sur les hauteurs des marées, par son influence sur les déclinaisons de la lune. Le mouvement de cet astre en ascension droite, plus prompt dans les solstices que dans les équinoxes, doit rapprocher la marée lunaire, du passage de l’astre au méridien ; l’heure des marées sysigies équinoxiales doit donc retarder sur l’heure des marées sysigies solsticiales. Par la même raison, l’heure des marées des quadratures des solstices, doit retarder sur celle des marées des quadratures des équinoxes ; et la théorie donne ce retard environ quadruple du premier. Les déclinaisons du soleil et de la lune influent encore sur le retard journalier des marées des équinoxes et des solstices ; il doit être plus grand vers les sysigies des solstices, que vers les sysigies des équinoxes ; plus grand encore vers les quadratures des équinoxes, que vers les quadratures des solstices, et dans ce second cas, la différence des retards est quatre fois plus grande que dans le premier cas. Les observations confirment avec une précision remarquable, ces divers résultats de la théorie. Les marées de la seconde espèce, dont la période est d’un jour, sont proportionnelles au produit du sinus, par le cosinus de la déclinaison des astres : elles sont nulles, quand les astres sont dans l’équateur, et elles croissent à mesure qu’ils s’en éloignent. En se combinant avec les marées de la première espèce ; elles rendent inégales, les deux marées d’un même jour. C’est par cette cause , que la marée du matin, à brest, est d’environ 0 me, 183, plus grande que celle du soir, vers les sysigies du solstice d’hiver, et plus petite de la même quantité, vers les sysigies du solstice d’été, comme on l’a vu dans le premier livre. La même cause rend encore la marée du matin, plus grande que celle du soir, de 0 me, 136, vers les quadratures de l’équinoxe d’automne, et plus petite de la même quantité, vers les quadratures de l’équinoxe du printemps. En général, les marées de la seconde espèce, sont peu considérables dans nos ports ; leur grandeur est une arbitraire dépendante des circonstances locales qui peuvent les augmenter et diminuer en même-temps les marées de la première espèce, jusqu’à les rendre insensibles. Imaginons en effet, un large canal communiquant par ses deux extrémités, avec l’océan : la marée dans un port situé sur la rive de ce canal, sera le résultat des ondulations transmises par ses deux embouchures ; or il peut arriver qu’à raison de la situation du port, les ondulations de la première espèce y parviennent dans des temps tels que le maximum des unes coïncide avec le minimum

des autres ; et si d’ailleurs, elles sont égales entr’elles, il est clair qu’il n’y aura point de flux et de reflux dans le port, en vertu de ces ondulations. Mais il y aura un flux produit par les ondulations de la seconde espèce, qui ayant une période deux fois plus longue , ne se correspondront point de manière que le maximum de celles qui viennent par une embouchure, coïncide avec le minimum de celles qui arrivent par l’autre embouchure. Dans ce cas, il n’y aura point de flux et de reflux, quand le soleil et la lune seront dans le plan de l’équateur ; mais la marée deviendra sensible, lorsque la lune s’éloignera de ce plan, et alors, il n’y aura qu’un flux et un reflux par jour lunaire, en sorte que si le flux arrive au coucher de la lune, le reflux arrivera à son lever. Ce singulier phénomène a été observé à batsha, port du royaume de tunquin, et dans quelques autres lieux. Il est vraisemblable que des observations faites dans les divers ports de la terre, offriroient toutes les variétés intermédiaires entre les marées de batsha et celles de nos ports. Considérons enfin les marées de la troisième espèce, dont les périodes sont fort longues et indépendantes de la rotation de la terre. Si les durées de ces périodes, étoient infinies ; ces marées n'auroient d’autre effet, que de changer la figure permanente de la mer qui parviendroit bientôt à l’état d’équilibre, dû aux forces qui les produisent. Mais il est visible que la longueur de ces périodes doit rendre l’effet de ces marées, à très-peu près le même que dans le cas où elle seroit infinie ; on peut donc considérer la mer, comme étant sans cesse en équilibre sous l’action des astres fictifs qui produisent les marées de la troisième espèce, et les déterminer dans cette hypothèse. Ces marées sont très-petites ; elles sont cependant sensibles à brest, et conformes au résultat du calcul. Je suis entré dans un long détail, sur le flux et le reflux de la mer ; parce qu’il est le résultat des attractions célestes, le plus près de nous, le plus sensible, et l’un des plus dignes de l'attention des observateurs. On voit par l’exposé que je viens d’en faire, l'accord de la théorie fondée sur la loi de la pesanteur universelle, avec les phénomènes des hauteurs et des intervalles des marées. Si la terre n’avoit point de satellite, et si son orbe étoit circulaire et situé dans le plan de l’équateur ; nous n’aurions pour reconnoître l'action du soleil sur l’océan, que l’heure toujours la même, de la pleine mer, et la loi de sa formation. Mais l’action de la lune, en se combinant avec celle du soleil, produit dans les marées, des variétés relatives à ses phases, et dont l’accord avec les observations, ajoute une grande probabilité à la théorie de la pesanteur. Toutes les inégalités du mouvement, de la déclinaison et de la distance de ces deux astres, donnent naissance à un grand nombre de phénomènes que l'observation a fait reconnoître, et qui mettent cette théorie, hors d'atteinte : c’est ainsi que les variétés dans l’action des causes, en établissent l’existence. L’action du soleil et de la lune sur la mer, suite nécessaire de l’attraction universelle démontrée par tous les phénomènes célestes, étant confirmée directement par les phénomènes des marées ; elle ne doit laisser aucun doute. Elle est portée maintenant à un tel degré d’évidence, qu’il existe sur cet objet, un accord unanime entre les savans instruits de ces phénomènes, et suffisamment versés dans la géométrie et dans la mécanique, pour en saisir les rapports avec la loi de la pesanteur. Une longue suite d’observations encore plus précises que celles qui ont été faites, et continuées pendant une période du mouvement des nœuds de l’orbe lunaire, rectifiera les élémens déjà connus, fixera la valeur de ceux qui sont incertains, et développera des phénomènes jusqu’ici enveloppés dans les erreurs des observations. Les marées ne sont pas moins intéressantes à connoître, que les inégalités des mouvemens célestes. On a négligé de les suivre avec une exactitude convenable, à cause des irrégularités qu’elles présentent : mais je puis assurer d’après un mûr examen, que ces irrégularités disparoissent en multipliant les observations ; leur nombre ne doit pas même être pour cela, fort considérable à brest dont la position est très-favorable à l’observation de ces phénomènes. Il me reste à parler de la méthode de déterminer l’heure de la marée, à un jour quelconque. Rappelons-nous que chacun de nos ports peut être considéré comme étant à l’extrémité d’un canal à l’embouchure duquel les marées partielles arrivent au moment même du passage des astres au méridien, et emploient un jour et demi, à parvenir à son extrémité supposée plus orientale que son embouchure, d’un certain nombre d’heures : ce nombre est ce que je nomme heure fondamentale du port. On peut facilement la conclure de l’heure de l’établissement du port, en considérant que celle-ci est l’heure de la marée, lorsqu’elle coïncide avec la sysigie. Le retard des marées d’un jour à l’autre, étant alors de 2705 secondes, ce retard sera de 3951 secondes pour un jour et demi ; c’est la quantité qu’il faut ajouter à l’heure de l’établissement, pour avoir l’heure fondamentale. Maintenant, si l’on augmente les heures des marées à l'embouchure, de quinze heures plus l’heure fondamentale ; on aura les heures des marées correspondantes dans le port. Ainsi, le problême se réduit à déterminer les heures des marées dans un lieu dont la longitude est connue, en supposant que les marées partielles arrivent à l’instant du passage des astres au méridien. L’analyse donne pour cet objet, des formules très-simples, faciles à réduire en tables qu’il seroit utile d’insérer dans les éphémérides destinées aux navigateurs.

Chapitre xi.[modifier]

de la stabilité de l’équilibre des mers.

plusieurs causes irrégulières, telles que les vents et les tremblemens de terre, agitent la mer, la soulèvent à de grandes hauteurs, et la font quelquefois sortir de ses limites. Cependant, l'observation nous montre qu’elle tend à reprendre son état d’équilibre, et que les frottemens et les résistances de tout genre, finiroient bientôt par l’y ramener, sans l’action du soleil et de la lune. Cette tendance constitue l’équilibre ferme ou stable , dont on a parlé dans le troisième livre. On a vu que la stabilité de l’équilibre d’un systême de corps peut être absolue, ou avoir lieu, quel que soit le petit dérangement qu’il éprouve ; elle peut n’être que relative, et dépendre de la nature de son ébranlement primitif. De quelle espèce est la stabilité de l’équilibre des mers ? C’est ce que les observations ne peuvent pas nous apprendre avec une entière certitude ; car, quoique dans la variété presque infinie des ébranlemens que l’océan éprouve par l’action des causes irrégulières, il paroisse toujours tendre vers son état d’équilibre ; on peut craindre cependant, qu’une cause extraordinaire ne vienne à lui communiquer un ébranlement qui peu considérable dans son origine, augmente de plus en plus, et l’élève au-dessus des plus hautes montagnes ; ce qui expliqueroit plusieurs phénomènes d’histoire naturelle. Il est donc intéressant de rechercher les conditions nécessaires à la stabilité absolue de l’équilibre des mers, et d’examiner si ces conditions ont lieu dans la nature. En soumettant cet objet, à l’analyse ; je me suis assuré que l'équilibre de l’océan est stable, si sa densité est moindre que la moyenne densité de la terre, ce qui est fort vraisemblable ; car il est naturel de penser que ses couches sont d’autant plus denses, qu’elles sont plus voisines de son centre. On a vu d’ailleurs que cela est prouvé par les mesures du pendule et des degrés des méridiens, et par l’attraction observée des montagnes. La mer est donc dans un état ferme d’équilibre ; et si, comme il est difficile d’en douter, elle a recouvert autrefois, des continens aujourd’hui fort élevés au- dessus de son niveau ; il faut en chercher la cause, ailleurs que dans le défaut de stabilité de son équilibre. L’analyse m’a fait voir encore, que cette stabilité cesseroit d’avoir lieu, si la moyenne densité de la mer, surpassoit celle de la terre ; en sorte que la stabilité de l’équilibre de l’océan, et l’excès de la densité du globe terrestre, sur celle des eaux qui le recouvrent, sont liés réciproquement, l’un à l'autre.

Chapitre xii.[modifier]

des oscillations de l’atmosphère.

pour arriver à l’océan, l’action du soleil et de la lune traverse l’atmosphère qui doit par conséquent, en éprouver l’influence, et être assujettie à des mouvemens semblables à ceux de la mer. De- là résultent des vents, et des oscillations dans le baromètre, dont les périodes sont les mêmes que celles du flux et du reflux. Mais ces vents sont peu considérables et presque insensibles dans une atmosphère d’ailleurs fort agitée : l’étendue des oscillations du baromètre n’est pas d’un millimètre, à l’équateur même où elle est la plus grande. Cependant, comme les circonstances locales augmentent considérablement les oscillations de la mer ; elles peuvent également accroître les oscillations du baromètre dont l’observation suivie sous ce rapport, mérite l’attention des physiciens. Nous remarquerons ici, que l’attraction du soleil et de la lune ne produit ni dans la mer, ni dans l’atmosphère, aucun mouvement constant d’orient en occident ; celui que l’on observe dans l’atmosphère entre les tropiques, sous le nom de vents alisés , a donc une autre cause : voici la plus vraisemblable. Le soleil que nous supposons pour plus de simplicité, dans le plan de l’équateur, y raréfie par sa chaleur, les colonnes d’air, et les élève au-dessus de leur véritable niveau ; elles doivent donc retomber par leur poids, et se porter vers les pôles, dans la partie supérieure de l’atmosphère : mais en même temps, il doit survenir dans la partie inférieure, un nouvel air frais qui arrivant des climats situés vers les pôles, remplace celui qui a été raréfié à l’équateur. Il s’établit ainsi deux courans d’air opposés, l’un dans la partie inférieure, et l’autre, dans la partie supérieure de l’atmosphère ; or la vîtesse réelle de l’air due à la rotation de la terre, es t d’autant moindre, qu’il est plus près du pôle ; il doit donc, en s’avançant vers l’équateur, tourner plus lentement que les parties correspondantes de la terre ; et les corps placés à la surface terrestre, doivent le frapper avec l’excès de leur vîtesse, et en éprouver par sa réaction, une résistance contraire à leur mouvement de rotation. Ainsi, pour l’observateur qui se croit immobile, l’air paroît souffler dans un sens opposé à celui de la rotation de la terre, c’est-à- dire, d’orient en occident : c’est en effet, la direction des vents alisés. Si l’on considère toutes les causes qui troublent l’équilibre de l’atmosphère ; sa grande mobilité due à sa fluidité et à son ressort ; l’influence du froid et de la chaleur sur son élasticité ; l’immense quantité de vapeurs dont elle se charge et se décharge alternativement ; enfin les changemens que la rotation de la terre produit dans la vîtesse relative de ses molécules, par cela seul qu’elles se déplacent dans le sens des méridiens ; on ne sera point étonné de l’inconstance et de la variété de ses mouvemens qu’il sera très-difficile d’assujétir à des loix certaines.

Chapitre xiii.[modifier]

de la précession des équinoxes, et de la nutation de l’axe de la terre.

tout est lié dans la nature, et ses loix générales enchaînent les uns aux autres, les phénomènes qui semblent le plus disparates : ainsi, la rotation du sphéroïde terrestre l’applatit à ses pôles

et

cet applatissement combiné avec l’action du soleil et de la lune, donne naissance à la précession des équinoxes, qui, avant la découverte de la pesanteur universelle, ne paroissoit avoir aucun rapport au mouvement diurne de la terre. Imaginons que cette planète soit un sphéroïde homogène renflé à son équateur : on peut alors la considérer comme étant formée d’une sphère d’un diamètre égal à l’axe des pôles, et d’un ménisque qui recouvre cette sphère, et dont la plus grande épaisseur est à l’équateur du sphéroïde. Les molécules de ce ménisque peuvent être regardées comme autant de petites lunes adhérentes entr'elles, et faisant leurs révolutions dans un temps égal à celui de la rotation de la terre ; les nœuds de toutes leurs orbites doivent donc rétrograder par l’action du soleil, comme les nœuds de l’orbe lunaire ; et de ces mouvemens rétrogrades, il doit se composer, en vertu de la liaison de tous ces corps, un mouvement dans le ménisque, qui fait rétrograder ses points d’intersection avec l’écliptique : mais ce ménisque adhérant à la sphère qu’il recouvre, partage avec elle son mouvement rétrograde qui, par-là, est considérablement ralenti ; l’intersection de l’équateur avec l’écliptique, c’est-à-dire, les équinoxes doivent donc, par l’action du soleil, avoir un mouvement rétrograde. Essayons d’en approfondir les loix et la cause. Pour cela, considérons l’action du soleil sur un anneau situé dans le plan de l’équateur. Si l’on imagine la masse de cet astre, distribuée uniformé ment sur la circonférence de son orbe supposé circulaire

il est visible que l’action de cet orbe solide représentera l'action moyenne du soleil. Cette action sur chacun des points de l'anneau, élevés au-dessus de l’écliptique, étant décomposée en deux, l'une située dans le plan de l’anneau, et l’autre perpendiculaire à ce plan ; il est facile de voir que la résultante de ces dernières actions relatives à tous ces points, est perpendiculaire au même plan, et placée sur le diamètre de l’anneau, perpendiculaire à la ligne de ses nœuds. L’action de l’orbe solaire sur la partie de l’anneau, inférieure à l’écliptique, produit semblablement une résultante perpendiculaire au plan de l’anneau, et située dans la partie inférieure du même diamètre. Ces deux résultantes tendent à rapprocher l’anneau de l’écliptique, en le faisant mouvoir sur la ligne de ses nœuds ; son inclinaison à l’écliptique diminueroit donc par l’action moyenne du soleil, et ses nœuds seroient fixes, sans le mouvement de rotation de l’anneau que nous supposons ici tourner en même temps que la terre. Mais ce mouvement conserve à l’anneau, une inclinaison constante à l’écliptique, et change l’effet de l’action du soleil, dans un mouvement rétrograde des nœuds : il fait passer à ces nœuds, une variation qui, sans lui, seroit dans l’inclinaison ; et il donne à l’inclinaison, la constance qui seroit dans les nœuds. Pour concevoir la raison de ce singulier changement, faisons varier infiniment peu la situation de l’anneau, de manière que les plans de ses deux positions se coupent suivant le diamètre perpendiculaire à la ligne des nœuds. On peut décomposer à la fin d’un instant quelconque, le mouvement de chacun de ses points, en deux, l’un qui doit subsister seul, dans l’instant suivant ; l’autre perpendiculaire au plan de l’anneau, et qui doit être détruit : il est clair que la résultante de ces seconds mouvemens relatifs à tous les points de la partie supérieure de l’anneau, sera perpendiculaire à son plan, et placée sur le diamètre que nous venons de considérer ; ce qui a également lieu par rapport à la partie inférieure de l’anneau. Pour que cette résultante soit détruite par l’action de l’orbe solaire, et afin que l’anneau, en vertu de ces forces, soit en équilibre autour de son centre ; il faut qu’elles soient contraires, et que leurs momens par rapport à ce point, soient égaux. La première de ces conditions exige que le changement de position supposé à l’anneau, soit rétrograde ; la seconde condition détermine la quantité de ce changement, et par conséquent la vîtesse du mouvement rétrograde de ses nœuds. Il est aisé de voir que cette vîtesse est proportionnelle à la masse du soleil, divisée par le cube de sa distance à la terre, et multipliée par le cosinus de l’obliquité de l’écliptique. Les plans de l’anneau, dans deux positions consécutives, se coupant suivant un diamètre perpendiculaire à la ligne des nœuds ; il en résulte que l’inclinaison de ces deux plans à l’écliptique, est constante ; l’inclinaison de l’anneau ne varie donc point par l’action moyenne du soleil. Ce que l’on vient de voir relativement à un anneau, l’analyse le démontre par rapport à un sphéroïde quelconque peu différent d’une sphère. L’action moyenne du soleil produit dans les équinoxes, un mouvement proportionnel à la masse de cet astre, divisée par le cube de sa distance, et multipliée par le cosinus de l'obliquité de l’écliptique. Ce mouvement est rétrograde, quand le sphéroïde est applati à ses pôles ; sa vîtesse dépend de l’applatissement du sphéroïde ; mais l’inclinaison de l’équateur à l’écliptique, reste toujours la même. L’action de la lune fait pareillement rétrograder les nœuds de l’équateur terrestre sur le plan de son orbite ; mais la position de ce plan et son inclinaison à l’équateur variant sans cesse par l’action du soleil, et le mouvement rétrograde des nœuds de l’équateur sur l’orbite lunaire, produit par l’action de la lune, étant proportionnel au cosinus de cette inclinaison ; ce mouvement est variable. D'ailleurs, en le supposant uniforme, il feroit varier, suivant la position de l’orbite lunaire, le mouvement rétrograde des équinoxes, et l’inclinaison de l’équateur à l’écliptique. Un calcul assez simple suffit pour voir que de l’action de la lune, combinée avec le mouvement du plan de son orbite, il résulte, 1. Un moyen mouvement dans les équinoxes, égal à celui que cet astre produiroit, s’il se mouvoit sur le plan même de l’écliptique ; 2. Une inégalité soustractive de ce mouvement rétrograde, et proportionnelle au sinus de la longitude du nœud ascendant de l’orbite lunaire ; 3. Une diminution dans l’obliquité de l’écliptique, proportionnelle au cosinus du même angle. Ces deux inégalités sont représentées à-la -fois, par le mouvement de l’extrémité de l’axe terrestre prolongé jusqu’au ciel, sur une petite ellipse, conformément aux loix exposées dans le chapitre xi du premier livre ; le grand axe de cette ellipse étant à son petit axe, comme le cosinus de l’obliquité de l’écliptique, est au cosinus du double de cette obliquité. On conçoit, par ce qui vient d’être dit, la cause de la précession des équinoxes et de la nutation de l’astre terrestre ; mais un calcul rigoureux, et la comparaison de ses résultats avec les observations, sont la pierre de touche d’une théorie. Celle de la pesanteur est redevable à dalembert, de l’avantage d’avoir été ainsi vérifiée relativement aux deux phénomènes précédens. Ce grand géomètre a déterminé le premier, par une très-belle analyse, les mouvemens de l’axe de la terre, en supposant aux couches du sphéroïde terrestre, une figure et une densité quelconques ; et non-seulement il a trouvé des résultats conformes aux observations ; il a de plus fait connoître les vraies dimensions de la petite ellipse que décrit le pôle de la terre, sur lesquelles les observations de bradley laissoient quelque incertitude. Les influences d’un astre sur le mouvement de l’axe terrestre et sur celui des mers, sont proportionnelles à la masse de l'astre, divisée par le cube de sa distance à la terre. La nutation de cet axe étant uniquement due à l’action de la lune, tandis que la précession moyenne des équinoxes est le résultat des actions réunies de la lune et du soleil ; il est visible que les quantités observées de ces deux phénomènes doivent donner le rapport de ces actions. En supposant avec bradley, la précession annuelle des équinoxes, de 154, 4 secondes, et l’étendue entière de la nutation, égale à 55 , 6 secondes ; on trouve l’action de la lune, à très-peu près double de celle du soleil. Mais une légère différence dans l’étendue de la nutation, en produit une considérable dans le rapport des actions de ces deux astres ; et pour égaler ce rapport à trois, conformément à toutes les observations des marées, il suffit de porter l’étendue entière de la nutation à 62, 2 secondes. Maskeline, en discutant de nouveau, les observations de bradley, l’a trouvée de 58, 6 secondes ; ce qui ne diffère que de 3, 6 secondes, du résultat donné par les phénomènes du flux et du reflux de la mer. Une aussi petite différence étant presque insensible par les observations des étoiles, le rapport des deux actions lunaire et solaire est beaucoup mieux déterminé par les marées ; il me paroît donc que l’on doit fixer l’équation de la nutation, à 31, 1 secondes ; celle de la précession, à 58, 2 secondes, et l’équation lunaire des tables du soleil, à 27 , 5 secondes. Les phénomènes de la précession et de la nutation, répandent une nouvelle lumière sur la constitution du sphéroïde terrestre ; ils donnent une limite de l’applatissement de la terre supposée elliptique, et il en résulte que cet applatissement n’est pas au -dessus de 1 sur 305, ce qui est conforme aux expériences du pendule. On a vu dans le chapitre vii, qu’il existe dans l’expression du rayon du sphéroïde terrestre, des termes qui peu sensibles en eux-mêmes et sur la longueur du pendule, écartent très-sensiblement les degrés des méridiens, de la figure elliptique. Ces termes disparoissent entièrement des valeurs de la précession et de la nutation, et c’est pour cela, que ces phénomènes sont d’accord avec les expériences du pendule. L’existence de ces termes concilie donc les observations de la parallaxe lunaire, celles du pendule et des degrés des méridiens, et les phénomènes de la précession et de la nutation. Quelles que soient la figure et la densité que l’on suppose aux diverses couches de la terre ; qu’elle soit ou non, un solide de révolution, pourvu qu’elle diffère peu d’une sphère ; on peut toujours assigner un solide elliptique de révolution, avec lequel la précession et la nutation seroient les mêmes. Ainsi, dans l’hypothèse de bouguer, dont on a parlé dans le chapitre vii, et suivant laquelle les accroissemens des degrés sont proportionnels à la quatrième puissance du sinus de la latitude, ces phénomènes sont exactement les mêmes que si la terre étoit un ellipsoïde d’une ellipticité égale à 1 sur 183, et l’on vient de voir que les observations ne permettent pas de lui supposer une ellipticité plus grande que 1 sur 305 ; ces observations concourent donc avec celles du pendule, à faire rejeter cette hypothèse. On a supposé dans ce qui précède, que la terre est entièrement solide ; mais cette planète étant recouverte en grande partie, par les eaux de la mer, leur action ne doit-elle pas changer les phénomènes de la précession et de la nutation ? C’est ce qu’il importe d'exami ner. Les eaux de la mer cédant en vertu de leur fluidité, aux attractions du soleil et de la lune ; il semble au premier coup d’oeil, que leur réaction ne doit point influer sur les mouvemens de l’axe de la terre : aussi, dalembert et tous les géomètres qui se sont occupés après lui, de ces mouvemens, l’ont entièrement négligée ; ils sont même partis de-là, pour concilier les quantités observées de la précession et de la nutation, avec les mesures des degrés terrestres. Cependant, un plus profond examen de cette matière nous montre que la fluidité des eaux n’est pas une raison suffisante pour négliger leur effet sur la précession des équinoxes ; car si d’un côté, elles obéissent à l’action du soleil et de la lune ; d’un autre côté, la pesanteur les ramène sans cesse vers l’état d’équilibre, et ne leur permet de faire que de très-petites oscillations ; il est donc possible que par leur attraction et leur pression sur le sphéroïde qu'elles recouvrent, elles rendent, au moins en partie, à l’axe de la terre, les mouvemens qu’il en recevroit, si elles venoient à se consolider. On peut d’ailleurs, s’assurer par un raisonnement fort simple, que leur réaction est du même ordre que l’action directe du soleil et de la lune, sur la partie solide de la terre. Imaginons que cette planète soit homogène et de même densité que la mer ; supposons de plus que les eaux prennent à chaque instant, la figure qui convient à l’équilibre des forces qui les animent. Si dans ces hypothèses, la terre devenoit tout-à-coup, entièrement fluide, elle conserveroit la même figure, et toutes ses parties se feroient mutuellement équilibre ; l’axe de rotation n’auroit donc aucune tendance à se mouvoir, et il est visible que cela doit subsister encore, dans le cas où une partie de cette masse formeroit en se consolidant, le sphéroïde que recouvre la mer. Les hypothèses précédentes servent de fondement aux théories de newton sur la figure de la terre, et sur le flux et le reflux de la mer : il est assez remarquable, que dans le nombre infini de celles que l’on peut faire sur les mêmes objets, ce grand géomètre en ait choisi deux qui ne donnent ni précession, ni nutation ; la réaction des eaux détruisant alors, l’effet de l’action du soleil et de la lune sur le noyau terrestre, quelle que soit sa figure. Il est vrai que ces deux hypothèses et sur-tout la dernière ne sont pas conformes à la nature ; mais on voit à priori , que l’effet de la réaction des eaux, quoique différent de celui qui a lieu dans les hypothèses de newton, est cependant du même ordre. Les recherches que j’ai faites sur les oscillations de la mer, m’ont donné le moyen de déterminer cet effet de la réaction des eaux, dans les véritables hypothèses de la nature : elles m’ont conduit à ce théorême remarquable, savoir que quelles que soient la loi de la profondeur de la mer, et la figure du sphéroïde qu’elle recouvre ; les phénomènes de la précession et de la nutation sont les mêmes que si la mer formoit une masse solide, avec ce sphéroïde . Si le soleil et la lune agissoient seuls sur la terre, l'inclinaison moyenne de l’écliptique à l’équateur seroit constante ; mais on a vu que l’action des planètes change continuellement la position de l’orbe terrestre, et qu’il en résulte dans son obliquité sur l’équateur, une diminution confirmée par toutes les observations anciennes et modernes. La même cause donne aux équinoxes, un mouvement annuel direct de 0, 5707 secondes ; ainsi, la précession annuelle produite par l’action du soleil et de la lune, est diminuée de cette quantité, par l’action des planètes ; et sans cette action, elle seroit de 155, 20 secondes. Ces effets de l’action des planètes sont indépendans de l’applatissement du sphéroïde terrestre ; mais l’action du soleil et de la lune sur ce sphéroïde, doit les modifier et en changer les loix. Rapportons à un plan fixe, la position de l’orbe de la terre, et le mouvement de son axe de rotation. Il est clair que l’action du soleil produira dans cet axe, en vertu des variations de l'écliptique, un mouvement d’oscillation analogue à la nutation, avec cette différence, que la période de ces variations étant incomparablement plus longue que celle des variations du plan de l’orbe lunaire, l’étendue de l’oscillation correspondante dans l’axe de la terre, est beaucoup plus grande que celle de la nutation. L'action de la lune produit dans ce même axe, une oscillation semblable ; parce que l’inclinaison moyenne de son orbe sur celui de la terre, est constante. Le déplacement de l’écliptique, en se combinant avec l’action du soleil et de la lune sur la terre, produit donc dans son obliquité sur l’équateur, une variation très-différente de ce qu’elle seroit en vertu de ce déplacement seul : l’étendue entière de cette variation seroit par ce déplacement, d’environ douze degrés ; et l’action du soleil et de la lune la réduit à-peu-près à trois degrés. La variation du mouvement des équinoxes, produite par les mêmes causes, change la durée de l’année tropique dans les différens siècles. Cette durée diminue, quand ce mouvement augmente, ce qui a lieu présentement ; et l’année actuelle est plus courte d’environ 12 secondes, qu’au temps d’hipparque. Mais cette variation dans la longueur de l’année, a des limites qui sont encore restreintes par l’action du soleil et de la lune sur le sphéroïde terrestre. L'étendue de ces limites seroit d’environ 500 secondes, par le déplacement seul de l’écliptique ; et elle est réduite à 120 secondes, par cette action. Enfin, le jour lui-même, tel que nous l’avons défini dans le premier livre, est assujéti par le déplacement de l’écliptique, combiné avec l’action du soleil et de la lune, à de très-petites variations indiquées par la théorie, mais qui seront toujours insensibles aux observateurs. Suivant cette théorie, la rotation de la terre est uniforme, et la durée moyenne du jour peut être supposée constante ; résultat très-important pour l’astronomie, puisque cette durée sert de mesure au temps, et aux révolutions des corps célestes. Si elle venoit à changer, on le reconnoîtroit par les durées de ces révolutions qui augmenteroient ou diminueroient proportionnellement ; mais l’action des corps célestes n’y cause aucune altération sensible. Cependant, on pourroit croire que les vents alisés qui soufflent constamment d’orient en occident entre les tropiques, diminuent la vîtesse de rotation de la terre, par leur action sur les continens et les montagnes. Il est impossible de soumettre cette action à l’analyse ; heureusement, on peut démontrer que son influence sur la rotation de la terre est nulle, au moyen du principe de la conservation des aires, que nous avons exposé dans le troisième livre. Suivant ce principe, la somme de toutes les molécules de la terre , des mers et de l’atmosphère, multipliées respectivement par les aires que décrivent autour du centre de gravité de la terre, leurs rayons vecteurs projetés sur le plan de l’équateur, est constante en temps égal. La chaleur du soleil n’y produit point de changement , puisqu’elle dilate également les corps dans tous les sens ; or il est visible que si la rotation de la terre venoit à diminuer, cette somme seroit plus petite ; les vents alisés produits par la chaleur solaire n’altèrent donc point cette rotation. Le même raisonnement nous prouve que les courans de la mer ne doivent y apporter aucun changement sensible. Pour en faire varier sensiblement la durée ; il faudroit un déplacement considérable dans les parties du sphéroïde terrestre. Ainsi, une grande masse transportée des pôles à l’équateur, rendroit cette durée plus longue ; elle deviendroit plus courte, si des corps denses se rapprochoient du centre, ou de l’axe de la terre. Mais nous ne voyons aucune cause qui puisse déplacer à de grandes distances, des masses assez fortes pour qu'il en résulte une variation sensible dans la durée du jour, que tout nous autorise à regarder comme l’un des élémens les plus constans du systême du monde. Il en est de même, des points où l’axe de rotation de la terre rencontre sa surface. Si cette planète tournoit successivement autour de divers diamètres formant entr’eux, des angles considérables ; l’équateur et les pôles changeroient de place sur la terre ; et les mers, en se portant vers le nouvel équateur , couvriroient et découvriroient alternativement de hautes montagnes. Mais toutes les recherches que j’ai faites sur le déplacement des pôles de rotation, à la surface de la terre, m’ont prouvé qu’il est insensible.

Chapitre xiv.[modifier]

de la libration de la lune.

il nous reste enfin à expliquer la cause de libration de la lune, et du mouvement des nœuds de son équateur. La lune, en vertu de son mouvement de rotation, est un peu applatie à ses pôles ; mais l’attraction de la terre a dû alonger son axe dirigé vers cette planète. Si la lune étoit homogène et fluide, elle prendroit pour être en équilibre, la forme d’un ellipsoïde dont le plus petit axe passeroit par les pôles de rotation ; le plus grand axe seroit dirigé vers la terre, et dans le plan de l’équateur lunaire ; et l’axe moyen situé dans le même plan, seroit perpendiculaire aux deux autres. L'excès du plus petit sur le plus grand axe, seroit quadruple de l’excès de l’axe moyen sur le petit axe, et environ 1 sur 29711, le petit axe étant pris pour unité. On conçoit aisément que si le grand axe de la lune s’écarte un peu de la direction du rayon vecteur qui joint son centre à celui de la terre, l’attraction terrestre tend à le ramener sur ce rayon

de

même que la pesanteur ramène un pendule, vers la verticale. Si le mouvement de rotation de ce satellite eût été primitivement assez rapide pour vaincre cette tendance ; la durée de sa rotation n'auroit pas été parfaitement égale à la durée de sa révolution, et leur différence nous eût découvert successivement tous les points de sa surface. Mais dans l’origine, les mouvemens angulaires de rotation et de révolution de la lune ayant été peu différens ; la force avec laquelle le grand axe de la lune s’éloignoit de son rayon vecteur, n’a pas suffi pour surmonter la tendance du même axe vers ce rayon, due à la pesanteur terrestre qui de cette manière, a rendu ces mouvemens rigoureusement égaux ; et de même qu’un pendule écarté par une très-petite force, de la verticale, y revient sans cesse, en faisant de chaque côté, de petites oscillations ; ainsi, le grand axe du sphéroïde lunaire doit osciller de chaque côté du rayon vecteur moyen de son orbite. De-là résulte un mouvement de libration dont l’étendue dépend de la différence primitive des deux mouvemens angulaires de rotation et de révolution de la lune. Cette libration est très-petite ; puisque les observations ne l'ont point fait reconnoître. On voit donc que la théorie de la pesanteur explique d’une manière satisfaisante, l’égalité rigoureuse des deux moyens mouvemens angulaires de rotation et de révolution de la lune. Il seroit contre toute vraisemblance, de supposer qu’à l’origine, ces deux mouvemens ont été parfaitement égaux ; mais pour l’explication de ce phénomène, il suffit que leur différence primitive ait été très-petite ; et alors, l’attraction de la terre a établi la parfaite égalité que l’on observe. Le moyen mouvement de la lune étant assujéti à de grandes inégalités séculaires qui s’élèvent à plusieurs circonférences ; il est clair que, si son moyen mouvement de rotation étoit parfaitement uniforme, ce satellite, en vertu de ces inégalités, découvriroit successivement à la terre, tous les points de sa surface ; son disque apparent changeroit par des nuances insensibles, à mesure que ces inégalités se développeroient ; les mêmes observateurs le verroient toujours à très-peu près le même, et il ne paroîtroit sensiblement différer, qu’à des observateurs séparés par l’intervalle de plusieurs siècles. Mais la cause qui a établi une parfaite égalité entre les moyens mouvemens de rotation et de révolution de la lune, ôte pour jamais aux habitans de la terre, l’espoir de découvrir les parties de sa surface, opposées à l’hémisphère qu’elle nous présente. L’attraction terrestre, en ramenant sans cesse vers nous, le grand axe de la lune, fait participer son mouvement de rotation aux inégalités séculaires de son mouvement de révolution, et dirige constamment le même hémisphère vers la terre. La même théorie doit être étendue à tous les satellites dans lesquels on a observé l’égalité des mouvemens de rotation, et de révolution autour de leur planète. Le phénomène singulier de la coïncidence des nœuds de l'équateur de la lune avec ceux de son orbite, est encore une suite de l'attraction terrestre. C’est ce que lagrange a fait voir le premier, par une très-belle analyse qui l’a conduit à une explication complète de tous les mouvemens observés dans le sphéroïde lunaire. Les plans de l’équateur et de l’orbite de la lune, et le plan mené par son centre parallèlement à l’écliptique, ont toujours à fort peu près la même intersection ; les mouvemens séculaires de l’écliptique n'altèrent ni la coïncidence des nœuds de ces trois plans, ni leur inclinaison moyenne que l’attraction de la terre maintient constamment la même. Observons ici que les phénomènes précédens ne peuvent pas subsister avec l’hypothèse dans laquelle la lune primitivement fluide et formée de couches de densités quelconques, auroit pris la figure qui convient à leur équilibre : ils indiquent entre les axes du sphéroïde lunaire, de plus grandes différences que celles qui ont lieu dans cette hypothèse. Les hautes montagnes que l’on observe à la surface de la lune, ont sans doute, sur ces phénomènes, une influence très-sensible et d’autant plus grande, que son applatissement est fort petit, et sa masse peu considérable. Quand la nature assujétit les moyens mouvemens célestes, à des conditions déterminées ; ils sont toujours accompagnés d'oscillations dont l’étendue est arbitraire : ainsi, l’égalité des moyens mouvemens de rotation et de révolution de la lune donne naissance à une libration réelle de ce satellite. Pareillement, la coïncidence des nœuds moyens de l’équateur et de l’orbite lunaire, est accompagnée d’une libration des nœuds de cet équateur, autour de ceux de l’orbite ; libration très-petite, puisqu’elle a échappé jusqu'ici aux observations. On a vu que la libration réelle du grand axe de la lune est insensible, et nous avons observé dans le chapitre vi, que la libration des trois premiers satellites de jupiter est pareillement insensible. Il est très-remarquable que ces librations dont l'étendue est arbitraire et pourroit être considérable, soient cependant fort petites ; ce que l’on peut attribuer aux mêmes causes qui, dans l’origine, ont établi les conditions dont elles dépendent. Mais relativement aux arbitraires qui tiennent au mouvement initial de rotation des corps célestes, il est naturel de penser que sans les attractions étrangères, toutes leurs parties en vertu des frottemens et des résistances qu’elles opposent à leurs mouvemens réciproques, auroient pris à la longue, un état constant d’équilibre, qui ne peut exister qu’avec un mouvement de rotation uniforme, autour d’un axe invariable ; en sorte que les observations ne doivent plus offrir dans ce mouvement, que les inégalités dues à ces attractions. C’est ce qui a lieu pour la terre, comme on s’en est assuré par les observations les plus précises : le même résultat s’étend à la lune, et probablement à tous les corps célestes.

Chapitre xv.[modifier]

réflexions sur la loi de la pesanteur universelle.

en considérant l’ensemble des phénomènes du systême solaire, on peut les ranger dans les trois classes suivantes ; la première embrasse les mouvemens des centres de gravité des corps célestes, autour des foyers des forces principales qui les animent ; la seconde comprend tout ce qui concerne la figure et les oscillations des fluides qui les recouvrent ; enfin, les mouvemens de ces corps autour de leurs centres de gravité, sont l’objet de la troisième . C’est dans cet ordre, que nous avons expliqué ces divers phénomènes ; et l’on a vu qu’ils sont une suite nécessaire du principe de la pesanteur universelle. Ce principe a fait connoître un grand nombre d’inégalités qu’il eût été presque impossible de démêler dans les observations ; il a fourni le moyen d’assujétir les mouvemens célestes, à des règles sûres et précises ; les tables astronomiques uniquement fondées sur la loi de la pesanteur, n’empruntent maintenant des observations, que les élémens arbitraires qui ne peuvent pas être autrement connus ; et l’on ne doit espérer de les perfectionner encore, qu’en portant plus loin à-la-fois, la précision des observations et celle de la théorie. Le mouvement de la terre, qui par la simplicité avec laquelle il explique les phénomènes célestes, avoit entraîné les suffrages des astronomes, a reçu du principe de la pesanteur, une confirmation nouvelle qui l’a porté au plus haut degré d’évidence dont les sciences physiques soient susceptibles. On peut accroître la probabilité d’une théorie, soit en diminuant le nombre des hypothèses sur lesquelles on l’appuie, soit en augmentant le nombre des phénomènes qu'elle explique. Le principe de la pesanteur a procuré ces deux avantages à la théorie du mouvement de la terre. Comme il en est une suite né cessaire, il n’ajoute aucune supposition nouvelle à cette théorie : mais pour expliquer les mouvemens apparens des astres, copernic admettoit dans la terre, trois mouvemens distincts ; l’un autour du soleil ; un autre de révolution sur elle-même ; enfin, un troisième mouvement de ses pôles, autour de ceux de l’écliptique. Le principe de la pesanteur les fait dépendre tous, d’un seul mouvement imprimé à la terre, suivant une direction qui ne passe point par son centre de gravité. En vertu de ce mouvement, elle tourne autour du soleil et sur elle-même ; elle a pris une figure applatie à ses pôles ; et l’action du soleil et de la lune sur cette figure , fait mouvoir lentement l’axe de la terre autour des pôles de l'écliptique. La découverte de ce principe a donc réduit au plus petit nombre possible, les suppositions sur lesquelles copernic fondoit sa théorie. Elle a d’ailleurs l’avantage de lier cette théorie, à tous les phénomènes astronomiques. Sans elle, l’ellipticité des orbes planétaires, les loix que les planètes et les comètes suivent dans leurs mouvemens autour du soleil, leurs inégalités séculaires et périodiques, les nombreuses inégalités de la lune et des satellites de jupiter , la précession des équinoxes, la nutation de l’axe terrestre, les mouvemens de l’axe lunaire, enfin le flux et le reflux de la mer, ne seroient que des résultats de l’observation, isolés entr’eux. C’est une chose vraiment digne d’admiration, que la manière dont tous ces phénomènes qui semblent, au premier coup d’oeil, fort disparates, découlent d’une même loi qui les enchaîne au mouvement de la terre, en sorte que ce mouvement étant une fois admis, on est conduit par une suite de raisonnemens géométriques, à ces phénomènes. Chacun d’eux fournit donc une preuve de son existence ; et si l’on considère qu’il n’y en a pas maintenant un seul, qui ne soit ramené à la loi de la pesanteur ; que cette loi déterminant avec la plus grande exactitude, la position et les mouvemens des corps célestes, à chaque instant et dans tout leur cours, il n’est pas à craindre qu’elle soit démentie par quelque phénomène jusqu’ici non observé ; enfin, que la planète uranus et ses satellites nouvellement découverts lui obéissent et la confirment ; il est impossible de se refuser à l’ensemble de ces preuves, et de ne pas convenir que rien n'est mieux démontré dans la philosophie naturelle, que le mouvement de la terre, et le principe de la gravitation universelle, en raison des masses, et réciproque au quarré des distances. Ce principe est-il une loi primordiale de la nature ? N’est-il qu’un effet général d’une cause inconnue ? Ici, l’ignorance où nous sommes des propriétés intimes de la matière, nous arrête, et nous ôte tout espoir de répondre d’une manière satisfaisante à ces questions. Au lieu de former sur cela, des hypothèses ; bornons-nous à examiner plus particulièrement, la manière dont le principe de la gravitation a été employé par les géomètres. Ils sont partis des cinq suppositions suivantes, savoir : 1. Que la gravitation a lieu entre les plus petites molécules des corps

2. Qu’elle est proportionnelle aux masses ; 3. Qu’elle est réciproque au quarré des distances ; 4. Qu’elle se transmet dans un instant , d’un corps à l’autre ; 5. Enfin, qu’elle agit également sur les corps en repos, et sur ceux qui, déjà mus dans sa direction, semblent se soustraire en partie, à son activité. La première de ces suppositions est, comme on l’a vu, un résultat nécessaire de l’égalité qui existe entre l’action et la réaction ; chaque molécule de la terre devant attirer la terre entière, comme elle en est attirée. Cette supposition est confirmée d’ailleurs, par les mesures des degrés des méridiens et du pendule ; car au travers des irrégularités que les degrés mesurés semblent indiquer dans la figure de la terre ; on démêle, si je puis ainsi dire, les traits d’une figure régulière et conforme à la théorie. La grande influence de l’applatissement de jupiter sur les mouvemens des nœuds et des périjoves des orbes de ses satellites, nous prouve encore que l’attraction de cette planète, se compose des attractions de toutes ses molécules . La proportionnalité de la force attractive aux masses, est démontrée sur la terre, par les expériences du pendule dont les oscillations sont exactement de la même durée, quelles que soient les substances que l’on fait osciller : elle est prouvée dans les espaces célestes, par le rapport constant des quarrés des temps de la révolution des corps qui circulent autour d’un foyer commun, aux cubes des grands axes de leurs orbites. On a vu dans le premier chapitre, avec quelle précision le repos presque absolu des périhélies des orbes planétaires, indique la loi de la pesanteur réciproque au quarré des distances ; et maintenant que nous connoissons la cause des petits mouvemens de ces périhélies, nous devons regarder cette loi, comme étant rigoureuse. Elle est celle de toutes les émanations qui partent d’un centre, telles que la lumière ; il paroît même que toutes les forces dont l'action se fait appercevoir à des distances sensibles, suivent cette loi

on a

reconnu depuis peu, que les attractions et les répulsions électriques et magnétiques décroissent en raison du quarré des distances. Une propriété remarquable de cette loi de la nature, est que si les dimensions de tous les corps de cet univers, leurs distances mutuelles et leurs vîtesses, venoient à augmenter ou à diminuer proportionnellement ; ils décriroient des courbes entièrement semblables à celles qu’ils décrivent, et leurs apparences seroient exactement les mêmes ; car les forces qui les animent, étant le résultat d’attractions proportionnelles aux masses divisées par le quarré des distances, elles augmenteroient ou diminueroient proportionnellement aux dimensions du nouvel univers. On voit en même temps, que cette propriété ne peut appartenir qu’à la loi de la nature. Ainsi, les apparences des mouvemens de l’univers sont indépendantes de ses dimensions absolues, comme elles le sont, du mouvement absolu qu’il peut avoir dans l’espace ; et nous ne pouvons observer et connoître que des rapports. Cette loi donne aux sphères, la propriété de s’attirer mutuellement, comme si leurs masses étoient réunies à leurs centres. Elle termine encore les orbes et les figures des corps célestes, par des lignes et des surfaces du second ordre, du moins en négligeant leurs perturbations, et en les supposant fluides. Nous n’avons aucun moyen pour mesurer la durée de la propagation de la pesanteur ; parce que l’attraction du soleil ayant une fois atteint les planètes, cet astre continue d’agir sur elles, comme si sa force attractive se communiquoit dans un instant, aux extrémités du systême planétaire ; on ne peut donc pas savoir en combien de temps elle se transmet à la terre ; de même qu’il eût été impossible, sans les éclipses des satellites de jupiter, et sans l' aberration, de reconnoître le mouvement successif de la lumière. Il n’en est pas ainsi de la petite différence qui peut exister dans l’action de la pesanteur sur les corps, suivant la direction et la grandeur de leur vîte sse. Le calcul m’a fait voir qu’il en résulte une accélération dans les moyens mouvemens des planètes autour du soleil, et des satellites autour de leurs planètes. J’avois imaginé ce moyen d’expliquer l’équation séculaire de la lune, lorsque je croyois avec tous les géomètres, qu’elle étoit inexplicable dans les hypothèses admises sur l’action de la pesanteur. Je trouvois que si elle provenoit de cette cause, il falloit supposer à la lune, pour la soustraire entièrement à sa pesanteur vers la terre, une vîtesse vers le centre de cette planète, au moins six millions de fois plus grande que celle de la lumière. La vraie cause de l’équation séculaire de la lune, étant aujourd’hui, bien connue ; nous sommes certains que l'activité de la pesanteur est beaucoup plus grande encore. Cette force agit donc avec une vîtesse que nous pouvons considérer comme infinie ; et nous devons en conclure que l’attraction du soleil se communique dans un instant presque indivisible, aux extrémités du systême solaire. Existe-t-il entre les corps célestes, d’autres forces que leur attraction mutuelle ? Nous l’ignorons ; mais nous pouvons du moins affirmer que leur effet est insensible. Nous pouvons assurer également, que tous ces corps n’éprouvent qu’une résistance jusqu’à présent insensible, de la part des fluides qu’ils traversent, tels que la lumière, les queues des comètes et la lumière zodiacale. La force attractive disparoît entre les corps d’une grandeur peu considérable : elle reparoît dans leurs élémens, sous une infinité de formes différentes. La solidité des corps, leur cristallisation, la réfraction de la lumière, l’élévation et l’abaissement des fluides dans les tubes capillaires, et généralement toutes les combinaisons chimiques, sont les résultats de forces attractives dont la connoissance est un des principaux objets de la physique. Ces forces sont- elles la gravitation même observée dans les espaces célestes, et modifiée sur la terre, par la figure des molécules intégrantes ? Pour admettre cette hypothèse, il faut supposer plus de vide que de plein, dans les corps, en sorte que la densité de leurs molécules soit beaucoup plus grande que la densité moyenne de leur ensemble. Une molécule sphérique d’un rayon égal à un millionième de mètre, devroit avoir une densité plus de six mille milliards de fois plus grande que la moyenne densité de la terre, pour exercer à sa surface, une attraction égale à la pesanteur terrestre ; or les forces attractives des corps surpassent considérablement cette pesanteur, puisqu’elles infléchissent visiblement la lumière dont la direction n’est point changée sensiblement par l’attraction de la terre ; la densité de ces molécules surpasseroit donc incomparablement celle des corps, si leurs affinités dépendoient de la loi de la pesanteur universelle. Le rapport des intervalles qui séparent ces molécules, à leurs dimensions respectives, seroit du même ordre, que relativement aux étoiles qui forment une nébuleuse que l’on pourroit, sous ce point de vue, considérer comme un grand corps lumineux. Au reste, rien n’empêche d’adopter cette manière d’envisager tous les corps : plusieurs phénomènes, et entr’autres, l’extrême facilité avec laquelle la lumière traverse dans tous les sens, les corps diaphanes, lui sont favorables. Les affinités dépendroient alors de la forme des molécules intégrantes, et l’on pourroit, par la variété de ces formes, expliquer toutes les variétés des forces attractives, et ramener ainsi à une seule loi générale, tous les phénomènes de la physique et de l’astronomie. Mais l’impossibilité de connoître les figures des molécules, rend ces recherches inutiles à l'avancement des sciences. Quelques géomètres, pour rendre raison des affinités, ont ajouté à la loi de l’attraction réciproque au quarré des distances, de nouveaux termes qui ne sont sensibles qu’à des distances très-petites ; mais ces termes sont l’expression d’autant de forces différentes ; en se compliquant d’ailleurs, avec la figure des molécules, ils ne font que compliquer l’explication des phénomènes. Au milieu de ces incertitudes, le parti le plus sage est de s’attacher à déterminer par de nombreuses expériences, les loix des affinités ; et pour y parvenir, le moyen qui paroît le plus simple, est de comparer ces forces, à la force répulsive de la chaleur, que l’on peut comparer elle-même à la pesanteur. Quelques expériences déjà faites par ce moyen, donnent lieu d’espérer qu’un jour, ces loix seront parfaitement connues : alors, en y appliquant le calcul, on pourra élever la physique des corps terrestres, au degré de perfection, que la découverte de la pesanteur universelle a donné à la physique céleste.