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Exposition du système du monde/Livre troisième

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Duprat (p. 134-177).


LIVRE TROISIÈME.
des loix du mouvement.


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At nunc per maria ac terras sublimque cœli,
Multa modis multis, varia ratione moveri
Cernimus ante oculos.

          Lucret. lib. i.


Au milieu de l’infinie variété des phénomènes qui se succèdent continuellement sur la terre ; on est parvenu à démêler le petit nombre de loix générales que la matière suit dans ses mouvemens. Tout leur obéit dans la nature ; tout en dérive aussi nécessairement que le retour des saisons ; et la courbe décrite par l’atome léger que les vents semblent emporter au hasard, est réglée d’une manière aussi certaine, que les orbes planétaires. L’importance de ces loix dont nous dépendons sans cesse, auroit dû exciter la curiosité dans tous les temps ; mais, par une indifférence trop ordinaire à l’esprit humain, elles ont été ignorées jusqu’au commencement du dernier siècle, époque à laquelle Galilée jeta les premiers fondemens de la science du mouvement, par ses belles découvertes sur la chute des corps. Les géomètres, en marchant sur les traces de ce grand homme, ont enfin réduit la mécanique entière, à des formules générales qui ne laissent plus à désirer que la perfection de l’analyse.

CHAPITRE PREMIER.[modifier]

Des forces et de leur composition.


Un corps nous paroît être en mouvement, lorsqu’il change de situation par rapport à un système de corps que nous jugeons en repos. Ainsi, dans un vaisseau mu d’une manière uniforme, les corps nous semblent se mouvoir, lorsqu’ils répondent successivement à ses diverses parties. Ce mouvement n’est que relatif ; car le vaisseau se meut sur la surface de la mer qui tourne autour de l’axe de la terre dont le centre se meut autour du soleil qui lui-même est emporté dans l’espace avec la terre et les planètes. Pour concevoir un terme à ces mouvemens, et pour arriver enfin à des points fixes d’où l’on puisse compter le mouvement absolu des corps ; on imagine un espace sans bornes, immobile et pénétrable à la matière. C’est aux parties de cet espace réel ou idéal, que nous rapportons par la pensée, la position des corps ; et nous les concevons en mouvement, lorsqu’ils répondent successivement à divers lieux de cet espace.

La nature de cette modification singulière en vertu de laquelle un corps est transporté d’un lieu dans un autre, est et sera toujours inconnue. Elle a été désignée sous le nom de force ; on ne peut déterminer que ses effets, et les loix de son action.

L’effet d’une force agissante sur un point matériel, est de le mettre en mouvement, si rien ne s’y oppose. La direction de la force, est la droite qu’elle tend à lui faire décrire. Il est visible que si deux forces agissent dans le même sens, elles s’ajoutent l'une à l’autre ; et que si elles agissent en sens contraire, le point ne se meut qu’en vertu de leur différence, en sorte qu’il resteroit en repos, si elles étoient égales.

Si les directions des deux forces font entre elles, un angle quelconque ; leur résultante prendra une direction moyenne, et l’on démontre par la seule géométrie, que si, à partir du point de concours des forces, on prend sur leurs directions, des droites pour les représenter ; si l’on forme ensuite, sur ces droites, un parallélogramme ; sa diagonale représentera pour la direction et pour la quantité, leur résultante.

On peut, à deux forces composantes, substituer leur résultante ; et réciproquement, on peut, à une force quelconque, en substituer deux autres dont elle seroit la résultante ; on peut donc décomposer une force, en deux autres parallèles à deux axes situés dans son plan et perpendiculaires entre eux. Il suffit pour cela, de mener par la première extrémité de la droite qui représente cette force, deux lignes parallèles à ces axes, et de former sur ces lignes, un rectangle dont cette droite soit la diagonale. Les deux côtés du rectangle représenteront les forces dans lesquelles la proposée peut se décomposer parallèlement aux axes.

Si la force est inclinée à un plan donné de position ; en prenant sur sa direction, à partir du point où elle rencontre le plan, une ligne pour la représenter ; la perpendiculaire abaissée de l'extrémité de cette ligne sur le plan, sera la force primitive décomposée perpendiculairement à ce plan. La droite qui, menée dans le plan, joint la force et la perpendiculaire, sera cette force décomposée parallèlement au plan. Cette seconde force partielle peut elle-même se décomposer en deux autres parallèles à deux axes situés dans le plan, et perpendiculaires l’un à l’autre. Ainsi, toute force peut être décomposée en trois autres parallèles à trois axes perpendiculaires entre eux.

De-là naît un moyen simple d’avoir la résultante d’un nombre quelconque de forces qui agissent sur un point matériel ; car en décomposant chacune d’elles, en trois autres parallèles à trois axes donnés de position, et perpendiculaires entre eux ; il est clair que toutes les forces parallèles au même axe, se réduiront à une seule égale à la somme de celles qui agissent dans un sens, moins la somme de celles qui agissent en sens contraire. Ainsi, le point sera sollicité par trois forces perpendiculaires entre elles ; et si l’on prend sur chacune de leurs directions, à partir du point de concours, trois droites pour les représenter ; si l’on forme ensuite sur ces droites, un parallélépipède rectangle ; la diagonale de ce solide représentera pour la quantité et pour la direction, la résultante de toutes les forces qui agissent sur le point.



CHAPITRE II.[modifier]

Du mouvement d’un point matériel.


Un point en repos, ne peut se donner aucun mouvement ; puisqu’il ne renferme pas en soi, de raison pour se mouvoir dans un sens plutôt que dans un autre. Lorsqu’il est sollicité par une force quelconque, et ensuite abandonné à lui-même, il se meut constamment d’une manière uniforme dans la direction de cette force, s’il n’éprouve aucune résistance ; c’est-à-dire, qu’à chaque instant, sa force et la direction de son mouvement sont les mêmes. Cette tendance de la matière à persévérer dans son état de mouvement ou de repos, est ce que l’on nomme inertie ; c’est la première loi du mouvement des corps.

La direction du mouvement en ligne droite, suit évidemment de ce qu’il n’y a aucune raison pour que le point s’écarte plutôt à droite, qu’à gauche de sa direction primitive ; mais l'uniformité de son mouvement n’est pas de la même évidence. La nature de la force motrice, étant inconnue ; il est impossible de savoir à priori, si cette force doit se conserver sans cesse. À la vérité, un corps étant incapable de se donner aucun mouvement, il paroît également incapable d’altérer celui qu’il a reçu ; en sorte que la loi d’inertie est au moins, la plus naturelle et la plus simple que l’on puisse imaginer. Elle est d’ailleurs confirmée par l’expérience : en effet, nous observons sur la terre, que les mouvemens se perpétuent plus long-temps, à mesure que les obstacles qui s’y opposent, viennent à diminuer, ce qui nous porte à croire que, sans ces obstacles, ils dureroient toujours. Mais l’inertie de la matière est principalement remarquable dans les mouvemens célestes qui, depuis un grand nombre de siècles, n’ont point éprouvé d'altération sensible. Ainsi, nous regarderons l’inertie, comme une loi de la nature, et lorsque nous observerons de l’altération dans le mouvement d’un corps, nous supposerons qu’elle est due à l’action d’une cause étrangère.

Dans le mouvement uniforme, les espaces parcourus sont proportionnels aux temps : mais les temps employés à décrire un espace déterminé, sont plus ou moins longs, suivant la grandeur de la force motrice. Ces différences ont fait naître l’idée de vitesse qui, dans le mouvement uniforme, est le rapport de l’espace au temps employé à le parcourir. Pour ne pas comparer ensemble des quantités hétérogènes, telles que l’espace et le temps ; on prend un intervalle de temps, la seconde par exemple, pour unité de temps ; on choisit pareillement une unité d’espace, telle que le mètre ; et alors, l’espace et le temps sont des nombres abstraits qui expriment combien ils renferment d’unités de leur espèce ; on peut donc les comparer l’un à l’autre. La vitesse devient ainsi le rapport de deux nombres abstraits, et son unité est la vitesse d’un corps qui parcourt un mètre dans une seconde. En réduisant de cette manière, l'espace, le temps et la vitesse, à des nombres abstraits ; on voit que l'espace est égal au produit de la vitesse par le temps qui, conséquemment, est égal à l’espace divisé par la vitesse.

La force n’étant connue que par l’espace qu’elle fait décrire dans un temps déterminé, il est naturel de prendre cet espace, pour sa mesure ; mais cela suppose que plusieurs forces agissantes dans le même sens, feront parcourir durant une unité de temps, un espace égal à la somme des espaces que chacune d’elles eût fait parcourir séparément, ou, ce qui revient au même, que la force est proportionnelle à la vitesse. C’est ce que nous ne pouvons pas savoir à priori, vu notre ignorance sur la nature de la force motrice ; il faut donc encore, sur cet objet, recourir à l’expérience ; car tout ce qui n’est pas une suite nécessaire du peu de données que nous avons sur la nature des choses, n’est pour nous qu’un résultat de l’observation.

La force peut être exprimée par une infinité de fonctions de la vitesse, qui n’impliquent point contradiction. Il n’y en a pas à la supposer proportionnelle au quarré de la vitesse. Dans cette hypothèse, il est facile de déterminer le mouvement d’un point sollicité par un nombre quelconque de forces dont les vitesses sont connues ; car si l’on prend sur les directions de ces forces, à partir de leur point de concours, des droites pour représenter leurs vitesses, et si l’on détermine sur ces mêmes directions, en partant du même point, de nouvelles droites qui soient entre elles, comme les quarrés des premières ; ces droites pourront représenter les forces elles-mêmes. En les composant ensuite par ce qui précède, on aura la direction de leur résultante, ainsi que la droite qui l’exprime, et qui sera au quarré de la vitesse correspondante, comme la droite qui représente une des forces composantes, est au quarré de sa vitesse. On voit par-là, comment on peut déterminer le mouvement d’un point, quelle que soit la fonction de la vitesse qui exprime la force. Parmi toutes les fonctions mathématiquement possibles, examinons quelle est celle de la nature.

On observe sur la terre, qu’un corps sollicité par une force quelconque, se meut de la même manière, quel que soit l’angle que la direction de cette force, fait avec la direction du mouvement commun au corps et à la partie de la surface terrestre à laquelle il répond. Une légère différence à cet égard feroit varier très-sensiblement la durée des oscillations du pendule, suivant la position du plan vertical dans lequel il oscille ; et l’expérience fait voir que dans tous les plans verticaux, cette durée est exactement la même. Dans un vaisseau dont le mouvement est uniforme, un mobile soumis à l’action d’un ressort, de la pesanteur, ou de toute autre force, se meut relativement aux parties du vaisseau, de la même manière, quelle que soit la vitesse du vaisseau, et sa direction. On peut donc établir comme une loi générale des mouvemens terrestres, que si dans un système de corps emportés d’un mouvement commun, on imprime à l’un d’eux, une force quelconque ; son mouvement relatif ou apparent, sera le même, quel que soit le mouvement général du système, et l’angle que fait sa direction avec celle de la force imprimée.

La proportionnalité de la force à la vitesse, résulte de cette loi supposée rigoureuse ; car si l’on conçoit deux corps mus sur une même droite, avec des vitesses égales, et qu’en imprimant à l'un d’eux, une force qui s’ajoute à la première, sa vitesse relativement à l’autre corps, soit la même que si les deux corps étoient primitivement en repos ; il est visible que l’espace décrit par le corps, en vertu de sa force primitive, et de celle qui lui est ajoutée, est alors égal à la somme des espaces que chacune d’elles eût fait décrire séparément dans le même temps ; ce qui suppose la force proportionnelle à la vitesse.

Réciproquement, si la force est proportionnelle à la vitesse, les mouvemens relatifs d’un systême de corps animés de forces quelconques, sont les mêmes, quel que soit leur mouvement commun ; car ce mouvement décomposé en trois autres parallèles à trois axes fixes, ne fait qu’accroître d’une même quantité, les vitesses partielles de chaque corps parallèlement à ces axes ; et comme la vitesse relative ne dépend que de la différence de ces vitesses partielles ; elle est la même, quel que soit le mouvement commun à tous les corps. Il est donc impossible alors de juger du mouvement absolu d’un système dont on fait partie, par les apparences que l’on y observe ; et c’est-là ce qui caractérise cette loi dont l’ignorance a retardé la connoissance du vrai système du monde, par la difficulté de concevoir les mouvemens relatifs des projectiles, au-dessus de la surface de la terre emportée par un double mouvement de rotation sur elle-même, et de révolution autour du soleil.

Mais vu l’extrême petitesse des mouvemens les plus considérables que nous puissions imprimer aux corps, eu égard au mouvement qui les emporte avec la terre ; il suffit, pour que les apparences d’un système de corps, soient indépendantes de la direction de ce mouvement, qu’un petit accroissement dans la force dont la terre est animée, soit à l’accroissement correspondant de sa vitesse, dans le rapport de ces quantités elles-mêmes. Ainsi, nos expériences prouvent seulement la réalité de cette proportion qui, si elle avoit lieu, quelle que fût la vitesse de la terre, donneroit la loi de la vitesse proportionnelle à la force. Elle donneroit encore cette loi, si la fonction de la vitesse, qui exprime la force, n’étoit composée que d’un seul terme. Il faudroit donc, si la vitesse n’étoit pas proportionnelle à la force, supposer que dans la nature, la fonction de la vitesse, qui exprime la force, est formée de plusieurs termes, ce qui est peu probable. Il faudroit supposer de plus, que la vitesse de la terre est exactement celle qui convient à la proportion précédente, ce qui est contre toute vraisemblance. D’ailleurs, la vitesse de la terre varie dans les diverses saisons de l'année ; elle est d’un trentième environ, plus grande en hiver qu’en été ; cette variation est plus considérable encore, si comme tout paroît l’indiquer, le système solaire est en mouvement dans l’espace ; car selon que ce mouvement progressif conspire avec celui de la terre, ou selon qu’il lui est contraire, il doit en résulter pendant le cours de l’année, de grandes variations dans le mouvement absolu de la terre ; ce qui devroit altérer la proportion dont il s’agit, et le rapport de la force imprimée à la vitesse relative qui en résulte ; si cette proportion et ce rapport n’étoient pas indépendans du mouvement de la terre. Cependant, les expériences les plus précises n’y font appercevoir aucune altération sensible.

Tous les phénomènes célestes viennent à l’appui de ces preuves. La vitesse de la lumière, déterminée par les éclipses des satellites de Jupiter, se compose avec celle de la terre, exactement comme dans la loi de la proportionnalité de la force à la vitesse ; et tous les mouvemens du système solaire, calculés d’après cette loi, sont entièrement conformes aux observations.

Voilà donc deux loix du mouvement, savoir, la loi d’inertie et celle de la force proportionnelle à la vitesse, qui sont données par l’observation. Elles sont les plus naturelles et les plus simples que l’on puisse imaginer, et sans doute, elles dérivent de la nature même de la matière ; mais cette nature étant inconnue, ces loix ne sont pour nous, que des faits observés, les seuls, au reste, que la mécanique emprunte de l’expérience.

La vitesse étant proportionnelle à la force, ces deux quantités peuvent être représentées l’une par l’autre ; on aura donc par ce qui précède, la vitesse d’un point sollicité par un nombre quelconque de forces dont on connoît les directions et les vitesses.

Si le point est sollicité par des forces agissantes d’une manière continue ; il décrira d’un mouvement sans cesse variable, une courbe dont la nature dépend des forces qui la font décrire. Pour la déterminer ; il faut considérer la courbe dans ses élémens, voir comment ils naissent les uns des autres, et remonter de la loi d’accroissement des coordonnées, à leur expression finie. C’est ici que le calcul infinitésimal devient indispensable, et l’on sent combien il est utile de perfectionner ce puissant instrument de l’esprit humain.

Nous avons dans la pesanteur, un exemple journalier d’une force qui semble agir sans interruption. À la vérité, nous ignorons si ses actions successives sont séparées par des intervalles de temps, dont la durée est insensible ; mais les phénomènes étant à très- peu près les mêmes, dans cette hypothèse et dans celle d’une action continue ; les géomètres ont adopté celle-ci, comme étant plus commode et plus simple. Développons les loix de ces phénomènes.

La pesanteur paroît agir de la même manière sur les corps, dans l’état du repos, et dans celui du mouvement. Au premier instant, un corps abandonné à son action, acquiert un degré de vitesse, infiniment petit ; un nouveau degré de vitesse s’ajoute au premier, dans le second instant, et ainsi de suite, en sorte que la vitesse augmente en raison des temps.

Si l’on imagine un triangle rectangle dont un des côtés représente le temps, et croisse avec lui ; l’autre côté pourra représenter la vitesse. L’élément de la surface de ce triangle, étant égal au produit de l’élément du temps par la vitesse, il représentera l’élément de l’espace que la pesanteur fait décrire ; ainsi, cet espace sera représenté par la surface entière du triangle qui croissant comme le quarré d’un de ses côtés, nous montre que dans le mouvement accéléré par l’action de la pesanteur, les vitesses augmentent comme les temps, et les hauteurs dont le corps tombe en partant du repos, croissent comme les quarrés des temps ou des vitesses. En exprimant donc par l’unité, l’espace dont un corps descend dans la première seconde ; il descendra de quatre unités, en deux secondes ; de neuf unités en trois secondes, et ainsi du reste ; en sorte qu’à chaque seconde, il décrira des espaces croissans comme les nombres impairs, 1, 3, 5, 7, &c.

L’espace qu’un corps, en vertu de la vitesse acquise à la fin de sa chute, décriroit pendant un temps égal à sa durée, seroit le produit de ce temps par sa vitesse ; ce produit est le double de la surface du triangle ; ainsi, le corps mu uniformément en vertu de sa vitesse acquise, décriroit dans un temps égal à celui de sa chute, un espace double de celui qu’il a parcouru.

Le rapport de la vitesse acquise, au temps, est constant pour une même force accélératrice ; il augmente ou diminue, suivant qu'elles sont plus ou moins grandes ; il peut donc servir à les exprimer. Le double de l’espace parcouru, étant le produit du temps par la vitesse ; la force accélératrice est égale à ce double espace divisé par le quarré du temps. Elle est encore égale au quarré de la vitesse divisé par ce double espace. Ces trois manières d’exprimer les forces accélératrices, sont utiles dans diverses circonstances ; elles ne donnent pas les valeurs absolues de ces forces, mais seulement leurs rapports, soit entr’elles, soit avec l’une d’elles, prise pour unité ; et dans la mécanique, on n’a besoin que de ces rapports.

Sur un plan incliné, l’action de la pesanteur se décompose en deux, l’une perpendiculaire au plan, et qui est détruite par sa résistance ; l’autre parallèle au plan, et qui est à la pesanteur primitive, comme la hauteur du plan est à sa longueur ; le mouvement est donc uniformément accéléré sur les plans inclinés ; mais les vitesses et les espaces parcourus, sont aux vitesses et aux espaces parcourus dans le même temps, suivant la verticale, dans le rapport de la hauteur du plan, à sa longueur. Il suit de-là que toutes les cordes d’un cercle, qui aboutissent à l’une des extrémités de son diamètre vertical, sont parcourues par l’action de la pesanteur, dans le même temps que ce diamètre.

Un projectile lancé suivant une droite quelconque, s’en écarte sans cesse, en décrivant une courbe concave vers l’horizon, et dont cette droite est la première tangente. Son mouvement rapporté à cette droite par des lignes verticales, est uniforme ; mais il s’accélère suivant ces verticales, conformément aux loix que nous venons d’exposer ; en élevant donc de chaque point de la courbe, des verticales sur la première tangente, elles seront proportionnelles aux quarrés des parties correspondantes de cette tangente, propriété qui caractérise la parabole. Si la force de projection est dirigée suivant la verticale elle-même, la parabole se confond alors avec elle ; ainsi, les formules du mouvement parabolique donnent celles des mouvemens accélérés ou retardés dans la verticale.

Telles sont les loix de la chute des graves, découvertes par Galilée. Il nous semble aujourd’hui, qu’il étoit facile d’y parvenir ; mais puisqu’elles avoient échappé aux recherches des philosophes, malgré les phénomènes qui les reproduisoient sans cesse, il falloit un rare génie pour les démêler dans ces phénomènes.

On a vu dans le premier livre, qu’un point matériel suspendu à l’extrémité d’une droite sans masse, et fixe à son autre extrémité, forme le pendule simple. Ce pendule écarté de la verticale, tend à y revenir par sa pesanteur, et cette tendance est à très-peu près proportionnelle à cet écart, s’il est peu considérable. Imaginons deux pendules de même longueur, et partant au même instant, avec des vitesses très-petites, de la situation verticale. Ils décriront au premier instant, des arcs proportionnels à ces vitesses. Au commencement d’un second instant égal au premier, les vitesses seront retardées proportionnellement aux arcs décrits, et aux vitesses primitives ; les arcs décrits dans cet instant, seront donc encore proportionnels à ces vitesses : il en sera de même des arcs décrits au troisième instant, au quatrième, etc. Ainsi, à chaque instant, les vitesses et les arcs mesurés depuis la verticale, seront proportionnels aux vitesses primitives ; les pendules arriveront donc au même moment, à l’état du repos. Ils reviendront ensuite vers la verticale, par un mouvement accéléré suivant les mêmes loix par lesquelles leur vîtesse a été retardée, et ils y parviendront au même instant et avec leur vitesse primitive. Ils oscilleront de la même manière, de l’autre côté de la verticale, et ils continueroient d’osciller à l’infini, sans les résistances qu’ils éprouvent. Il est visible que l’étendue de leurs oscillations est proportionnelle à leur vitesse primitive ; mais la durée de ces oscillations est la même, et par conséquent indépendante de leur grandeur. La force qui accélère le pendule, n’étant pas exactement en raison de l’arc mesuré depuis la verticale, cet isocronisme n’est qu’approché relativement aux petites oscillations d’un corps pesant mû dans un cercle : il est rigoureux dans la courbe sur laquelle la pesanteur décomposée parallèlement à la tangente, est proportionnelle à l’arc compté du point le plus bas, ce qui donne immédiatement son équation différentielle. Huyghens à qui l’on doit l’application du pendule aux horloges, avoit intérêt de connoître cette courbe, et la manière de la faire décrire au pendule. Il trouva qu’elle est une cicloïde placée verticalement en sorte que son sommet soit le point le plus bas, et que pour la faire décrire à un corps suspendu à l’extrémité d’un fil inextensible, il suffit de fixer l’autre extrémité, à l’origine commune de deux cicloïdes égales à celle que l’on veut faire décrire, et placées verticalement en sens contraire, de manière que le fil en oscillant, enveloppe alternativement une portion de chacune de ces courbes. Quelqu’ingénieuses que soient ces recherches, l’expérience a fait préférer le pendule circulaire, comme étant beaucoup plus simple, et d’une précision suffisante dans la pratique ; mais la théorie des développées qu’elles ont fait naître, est devenue très-importante, par ses applications au système du monde.

La durée des oscillations fort petites d’un pendule circulaire, est au temps qu’un corps pesant emploieroit à tomber d’une hauteur égale au double de la longueur du pendule, comme la demi-conférence est au diamètre. Ainsi, le temps de la chute d’un corps, le long d’un petit arc de cercle terminé par un diamètre vertical, est au temps de la chute le long de ce diamètre, ou ce qui revient au même, par la corde de l’arc, comme le quart de la circonférence est au diamètre ; la droite menée entre deux points donnés, n’est donc pas la ligne de la plus vite descente de l’un à l’autre. La recherche de cette ligne a excité la curiosité des géomètres, et ils ont trouvé qu’elle est une cicloïde dont l’origine est au point le plus élevé.

La longueur du pendule simple qui bat les secondes, est au double de la hauteur dont la pesanteur fait tomber les corps dans la première seconde de leur chute, comme le quarré du diamètre est au quarré de la circonférence. On a vu dans le premier livre, que des expériences très-exactes ont donné la longueur du pendule à secondes à Paris, de 0me,741887 : il en résulte que la pesanteur y fait tomber les corps, de 3me,66107, dans la première seconde. Ce passage du mouvement d’oscillation dont on peut observer avec une grande précision, la durée, au mouvement rectiligne des graves, est une remarque ingénieuse dont on est encore redevable à Huyghens.

Les durées des oscillations fort petites des pendules de longueurs différentes, et animés par la même pesanteur, sont comme les racines quarrées de ces longueurs. Si les pendules sont de même longueur, et animés de pesanteurs différentes ; les durées des oscillations, sont réciproques aux racines quarrées des pesanteurs.

C’est au moyen de ces théorèmes, que l’on a déterminé la variation de la pesanteur à la surface de la terre, et au sommet des montagnes. Les observations du pendule ont pareillement fait connoître que la pesanteur ne dépend ni de la surface, ni de la figure des corps ; mais qu’elle pénètre leurs parties les plus intimes, et qu’elle tend à leur imprimer, dans le même temps, des vitesses égales. Pour s’en assurer, Newton a fait osciller un grand nombre de corps de même poids, et différens soit par la figure, soit par la matière, en les plaçant dans l’intérieur d’une même surface, afin que la résistance de l’air fût la même. Quelque précision qu’il ait apportée dans ses expériences, il n’a point remarqué de différence sensible entre les durées des oscillations de ces corps ; d’où il suit que sans les résistances qu’ils éprouvent, leur vitesse acquise par l’action de la pesanteur, seroit la même en temps égal.

Nous avons encore dans le mouvement circulaire, l’exemple d’une force agissante d’une manière continue. Le mouvement de la matière abandonnée à elle-même, étant uniforme et rectiligne ; il est clair qu’un corps mû sur une circonférence, tend sans cesse à s’éloigner du centre par la tangente. L’effort qu’il fait pour cela, se nomme force centrifuge, et l’on nomme force centrale ou centripète, toute force dirigée vers un centre. Dans le mouvement circulaire, la force centrale est égale et directement contraire à la force centrifuge ; elle tend sans cesse à rapprocher le corps, du centre de la circonférence, et dans un intervalle de temps très-court, son effet est mesuré par le sinus verse du petit arc décrit.

On peut, au moyen de ce résultat, comparer à la pesanteur, la force centrifuge due au mouvement de rotation de la terre. À l’équateur, les corps décrivent en vertu de cette rotation, dans chaque seconde de temps, un arc de 40",1095 de la circonférence de l’équateur terrestre. Le rayon de cet équateur étant de 6375793me, à fort peu près ; le sinus verse de cet arc est de 0me,0126541. Pendant une seconde, la pesanteur fait tomber les corps à l’équateur, de 3me,64933 ; ainsi la force centrale nécessaire pour retenir les corps à la surface de la terre, et par conséquent, la force centrifuge due à son mouvement de rotation, est à la pesanteur à l’équateur, dans le rapport de l’unité, à 288,4. La force centrifuge diminue la pesanteur, et les corps ne tombent à l’équateur, qu’en vertu de la différence de ces deux forces ; en nommant donc gravité, la pesanteur entière qui auroit lieu sans la diminution qu’elle éprouve ; la force centrifuge à l’équateur est à fort peu près, de la gravité. Si la rotation de la terre étoit dix-sept fois plus rapide, l’arc décrit dans une seconde, à l’équateur, seroit dix-sept fois plus grand, et son sinus verse seroit 289 fois plus considérable ; la force centrifuge seroit alors égale à la gravité, et les corps cesseroient de peser sur la terre, à l’équateur.

En général, l’expression d’une force accélératrice constante qui agit toujours dans le même sens, est égale au double de l’espace qu’elle fait décrire, divisé par le quarré du temps ; toute force accélératrice, dans un intervalle de temps très-court, peut être supposée constante et agir suivant la même direction ; d’ailleurs, l’espace que la force centrale fait décrire dans le mouvement circulaire, est le sinus verse du petit arc décrit, et ce sinus est à très-peu près égal au quarré de l’arc, divisé par le diamètre ; l’expression de cette force est donc le quarré de l’arc décrit, divisé par le quarré du temps et par le rayon du cercle. L’arc divisé par le temps est la vitesse même du corps ; la force centrale et la force centrifuge sont donc égales au quarré de la vîtesse, divisé par le rayon.

Rapprochons ce résultat, de celui que nous avons trouvé précédemment, et suivant lequel la pesanteur est égale au quarré de la vitesse acquise, divisée par le double de l’espace parcouru ; nous verrons que la force centrifuge est égale à la pesanteur, si la vitesse du corps qui circule, est la même que celle acquise par un corps pesant qui tomberoit d’une hauteur égale à la moitié du rayon de la circonférence décrite.

Les vitesses de plusieurs corps mus circulairement, sont entre elles comme les circonférences qu’ils décrivent, divisées par les temps de leurs révolutions ; les circonférences sont comme les rayons ; ainsi, les quarrés des vitesses sont comme les quarrés des rayons, divisés par les quarrés de ces temps ; les forces centrifuges sont donc entr’elles comme les rayons des circonférences, divisés par les quarrés des temps des révolutions. Il suit de-là que sur les divers parallèles terrestres, la force centrifuge due au mouvement de rotation de la terre, est proportionnelle aux rayons de ces parallèles.

Ces beaux théorèmes découverts par Huyghens, ont conduit Newton à la théorie générale du mouvement dans les courbes, et à la loi de la pesanteur universelle.

Un corps qui décrit une courbe quelconque, tend à s’en écarter par la tangente ; or on peut toujours imaginer un cercle qui passe par deux élémens contigus de la courbe, et que l’on nomme cercle osculateur ; dans deux instans consécutifs, le corps est mû sur la circonférence de ce cercle ; sa force centrifuge est donc égale au quarré de sa vitesse, divisé par le rayon du cercle osculateur ; mais la position et la grandeur de ce cercle varient sans cesse.

Si la courbe est décrite en vertu d’une force dirigée vers un point fixe ; on peut décomposer cette force en deux, l’une suivant le rayon osculateur, l’autre suivant l’élément de la courbe : la première fait équilibre à la force centrifuge ; la seconde augmente ou diminue la vitesse du corps ; cette vitesse est donc continuellement variable. Mais elle est toujours telle que les aires décrites par le rayon vecteur, autour de l’origine de la force, sont proportionnelles aux temps. Réciproquement, si les aires tracées par le rayon vecteur autour d’un point fixe, croissent comme le temps ; la force qui sollicite le corps, est constamment dirigée vers ce point. Ces propositions fondamentales dans la théorie du système du monde, se démontrent aisément de cette manière.

La force accélératrice peut être supposée n’agir qu’au commencement de chaque instant pendant lequel le mouvement du corps est uniforme ; le rayon vecteur trace alors un petit triangle. Si la force cessoit d’agir dans l’instant suivant ; le rayon vecteur traceroit dans ce nouvel instant, un nouveau triangle égal au premier, puisque ces deux triangles ayant leur sommet au point fixe origine de la force, leurs bases situées sur une même droite, seroient égales, comme étant décrites avec la même vitesse, pendant des instans que nous supposons égaux. Mais, au commencement du nouvel instant, la force accélératrice se combine avec la force tangentielle du corps, et fait décrire la diagonale du parallélogramme dont les côtés représentent ces forces. Le triangle que le rayon vecteur décrit en vertu de cette force combinée, est égal à celui qu’il eût décrit, sans l’action de la force accélératrice ; car ces deux triangles ont pour base commune, le rayon vecteur de la fin du premier instant, et leurs sommets sont sur une droite parallèle à cette base ; l’aire tracée par le rayon vecteur, est donc égale dans deux instans consécutifs égaux, et par conséquent le secteur décrit par ce rayon, croît comme le nombre de ces instans, ou comme les temps. Il est visible que cela n’a lieu qu’autant que la force accélératrice est dirigée vers le point fixe ; autrement, les triangles que nous venons de considérer, n’auroient pas même hauteur et même base ; ainsi, la proportionnalité des aires aux temps, démontre que la force accélératrice est dirigée constamment vers l’origine du rayon vecteur.

Dans ce cas, si l’on imagine un très-petit secteur décrit pendant un intervalle de temps fort court ; que de la première extrémité de l’arc de ce secteur, on mène une tangente à la courbe, et que l'on prolonge jusqu’à cette tangente, le rayon vecteur mené de l'origine de la force, à l’autre extrémité de l’arc ; la partie de ce rayon, interceptée entre la courbe et la tangente, sera visiblement l’espace que la force centrale a fait décrire. En divisant le double de cet espace, par le quarré du temps, on aura l’expression de la force ; or le secteur est proportionnel au temps ; la force centrale est donc comme la partie du rayon vecteur, interceptée entre la courbe et la tangente, divisée par le quarré du secteur. À la rigueur, la force centrale dans les divers points de la courbe, n’est pas proportionnelle à ces quotiens ; mais elle approche d’autant plus de l’être, que les secteurs sont plus petits, en sorte qu’elle est exactement proportionnelle à la limite de ces quotiens. L’analyse différentielle donne cette limite, en fonction du rayon vecteur, lorsque la nature de la courbe est connue, et alors, on a la fonction de la distance, à laquelle la force centrale est proportionnelle.

Si la loi de la force est donnée, la recherche de la courbe qu'elle fait décrire, présente plus de difficulté ; mais quelles que soient les forces dont un corps est animé, on déterminera facilement de la manière suivante, les variations élémentaires de son mouvement. Imaginons trois axes fixes perpendiculaires entr’eux ; la position du corps à un instant quelconque, sera déterminée par trois coordonnées parallèles à ces axes. En décomposant chacune des forces qui agissent sur le point, en trois autres dirigées parallèlement aux mêmes axes ; le produit de la résultante de toutes les forces parallèles à l’une des coordonnées, par l’élément du temps pendant lequel elle agit, exprimera l’accroissement de la vitesse du corps parallèlement à cette coordonnée ; or cette vitesse, pendant cet élément, peut être considérée comme étant uniforme et égale à l’élément de la coordonnée, divisé par l’élément du temps ; la variation élémentaire du quotient de cette division, est donc égale au produit précédent. La considération des deux autres coordonnées fournit deux égalités semblables : ainsi, la détermination du mouvement du corps devient une recherche de pure analyse, qui se réduit à l'intégration de ces équations différentielles.

Cette intégration est facile, quand la force est dirigée vers un point fixe ; mais souvent, la nature des forces la rend impossible. Cependant, la considération des équations différentielles conduit à quelques principes intéressans de mécanique, tels que le suivant : La variation élémentaire du quarré de la vitesse d’un corps soumis à l’action de forces accélératrices quelconques, est égale au double de la somme des produits de chaque force, par le petit espace dont le corps, dans un instant, s’avance suivant la direction de cette force. Il est aisé d’en conclure que la vitesse acquise par un corps pesant, le long d’une ligne ou d’une surface courbe, est la même que s’il fût tombé verticalement de la même hauteur.

Plusieurs philosophes frappés de l’ordre qui règne dans la nature, et de la fécondité de ses moyens dans la production des phénomènes, ont pensé qu’elle parvient toujours à son but, par les voies les plus simples. En étendant cette manière de voir, à la mécanique ; ils ont cherché l’économie que la nature avoit eue pour objet, dans l'emploi des forces. Après diverses tentatives infructueuses, ils ont enfin reconnu que, parmi toutes les courbes qu’un corps peut décrire en allant d’un point à un autre, il choisit toujours celle dans laquelle l’intégrale du produit de la masse du corps, par sa vitesse et par l’élément de la courbe, est un minimum : ainsi, la vitesse d’un corps mû dans une surface courbe, et qui n’est sollicité par aucune force, étant constante ; il parvient d’un point à un autre, par la ligne la plus courte. On a nommé l’intégrale précédente, action d’un corps ; et la réunion des intégrales semblables, relatives à chaque corps d’un système, a été nommée action du système. L’économie de la nature consiste donc, suivant ces philosophes, à épargner cette action, en sorte qu’elle soit la plus petite qu’il est possible ; c’est-là ce qui constitue le principe de la moindre action.

Ce principe n’est au fond, qu’un résultat curieux des loix primordiales du mouvement, loix qui, comme on l’a vu, sont les plus naturelles et les plus simples que l’on puisse imaginer, et qui par-là, semblent découler de l’essence même de la matière. Il convient à toutes les loix mathématiquement possibles entre la force et la vitesse, en y substituant au lieu de la vitesse, la fonction de la vitesse, par laquelle la force est exprimée. Le principe de la moindre action ne doit donc point être érigé en cause finale, et loin d'avoir donné naissance aux loix du mouvement, il n’a pas même contribué à leur découverte sans laquelle on disputeroit encore, sur ce qu'il faut entendre par la moindre action de la nature.

CHAPITRE III.[modifier]

De l’équilibre d’un système de corps.

Le cas le plus simple de l’équilibre de plusieurs corps, est celui de deux points matériels qui se rencontrent avec des vitesses égales, et directement contraires. Leur impénétrabilité mutuelle, cette propriété de la matière, en vertu de laquelle deux corps ne peuvent pas occuper le même lieu au même instant, anéantit évidemment leurs vitesses, et les réduit à l’état du repos. Mais, si deux corps de masses différentes, viennent à se choquer avec des vitesses opposées ; quel est le rapport des vitesses aux masses, dans le cas de l’équilibre ? Pour résoudre ce problème, imaginons un système de points matériels contigus, rangés sur une même droite, et animés d’une vitesse commune, dans la direction de cette droite ; imaginons pareillement, un second système de points matériels contigus, disposés sur la même droite, et animés d’une vitesse commune et contraire à la précédente, de manière que les deux systèmes se choquent mutuellement, en se faisant équilibre. Il est clair que, si le premier système n’étoit composé que d’un seul point matériel, chaque point du second système éteindroit dans le point choquant, une partie de sa vitesse, égale à la vitesse de ce système ; la vitesse du point choquant doit donc être, dans le cas de l’équilibre, égale au produit de la vitesse du second système, par le nombre de ses points, et l’on peut substituer au premier système, un seul point animé d’une vitesse égale à ce produit. On peut semblablement substituer au second système, un point matériel animé d’une vitesse égale au produit de la vitesse du premier système, par le nombre de ses points. Ainsi, au lieu des deux systèmes, on aura deux points qui se feront équilibre avec des vitesses contraires dont l’une sera le produit de la vitesse du premier système par le nombre de ses points, et dont l’autre sera le produit de la vitesse des points du second système, par leur nombre ; ces produits doivent donc être égaux, dans le cas de l’équilibre.

La masse d’un corps est la somme de ses points matériels. On nomme quantité de mouvement, le produit de la masse par la vitesse ; c’est aussi ce que l’on entend par la force d’un corps. Pour l’équilibre de deux corps, ou de deux systèmes de points matériels qui se choquent en sens contraire ; les quantités de mouvement ou les forces opposées doivent être égales, et par conséquent, les vitesses doivent être réciproques aux masses.

Deux points matériels ne peuvent évidemment agir l’un sur l’autre, que suivant la droite qui les joint : l’action que le premier exerce sur le second, lui communique une quantité de mouvement ; or on peut avant l’action, concevoir le second corps sollicité par cette quantité, et par une autre égale et directement opposée ; l’action du premier corps se réduit ainsi à détruire cette dernière quantité de mouvement ; mais, pour cela, il doit employer une quantité de mouvement, égale et contraire, qui sera détruite. On voit donc généralement, que dans l’action mutuelle des corps, la réaction est toujours égale et contraire à l’action. On voit encore que cette égalité ne suppose point une force particulière dans la matière ; elle résulte de ce qu’un corps ne peut acquérir du mouvement, par l’action d’un autre corps, sans l’en dépouiller ; de même qu’un vase se remplit aux dépens d’un vase plein qui communique avec lui.

L’égalité de l’action à la réaction, se manifeste dans toutes les actions de la nature ; le fer attire l’aimant, comme il en est attiré ; on observe la même chose dans les attractions et dans les répulsions électriques, dans le développement des forces élastiques, et même dans celui des forces animales ; car quel que soit le principe moteur de l’homme et des animaux ; il est constant qu’ils reçoivent par la réaction de la matière, une force égale et contraire à celle qu’ils lui communiquent, et qu’ainsi, sous ce rapport, ils sont assujétis aux mêmes loix que les êtres inanimés.

La réciprocité des vitesses aux masses, dans le cas de l’équilibre, sert à déterminer le rapport des masses des différens corps. Celles des corps homogènes, sont proportionnelles à leurs volumes que la géométrie apprend à mesurer ; mais tous les corps ne sont pas homogènes, et les différences qui existent, soit dans leurs molécules intégrantes, soit dans le nombre et la grandeur des intervalles ou pores qui séparent ces molécules, en apportent de très-grandes entre leurs masses renfermées sous le même volume. La géométrie devient alors insuffisante pour déterminer le rapport de ces masses, et il est indispensable de recourir à la mécanique.

Si l’on conçoit deux globes de matières différentes, et que l’on fasse varier leurs diamètres, jusqu’à ce qu’en les animant de vitesses égales et directement contraires, ils se fassent équilibre ; on sera sûr qu’ils renfermeront le même nombre de points matériels, et par conséquent, des masses égales. On aura donc ainsi le rapport des volumes de ces substances, à égalité de masse ; ensuite, à l’aide de la géométrie, on en conclura le rapport des masses de deux volumes quelconques des mêmes substances. Mais cette méthode seroit d’un usage très-pénible dans les comparaisons nombreuses qu’exigent à chaque instant, les besoins du commerce. Heureusement, la nature nous offre dans la pesanteur des corps, un moyen très-simple de comparer leurs masses.

On a vu dans le chapitre précédent, que chaque point matériel, dans le même lieu de la terre, tend à se mouvoir avec la même vitesse, par l’action de la pesanteur. La somme de ces tendances est ce qui constitue le poids d’un corps ; ainsi, les poids sont proportionnels aux masses. Il suit de-là, que si deux corps suspendus aux extrémités d’un fil qui passe sur une poulie, se font équilibre, lorsque les deux parties du fil, sont égales de chaque côté de la poulie ; les masses de ces corps sont égales, puisque tendant à se mouvoir avec la même vitesse, par l’action de la pesanteur, elles agissent l’une sur l’autre, comme si elles se choquoient avec des vitesses égales et directement contraires. On peut encore mettre les deux corps en équilibre, au moyen d’une balance dont les bras et les bassins sont parfaitement égaux ; et alors, on sera sûr de l’égalité de leurs masses. On aura ainsi, le rapport des masses de différens corps, au moyen d’une balance exacte et sensible, et d’un grand nombre de petits poids égaux, en déterminant à combien de ces poids elles font équilibre.

La densité d’un corps dépend du nombre de ses points matériels renfermés sous un volume donné ; elle est donc proportionnelle au rapport de la masse au volume. Si l’on avoit une substance qui n’eût point de pores, sa densité seroit la plus grande qu’il est possible, et en lui comparant la densité des autres corps, on auroit la quantité de matière qu’ils renferment ; mais, ne connoissant point de substances semblables, nous ne pouvons avoir que les densités relatives des corps. Ces densités sont en raison des poids sous un même volume, puisque les poids sont proportionnels aux masses ; en prenant ainsi pour unité de densité, celle d’une substance quelconque, de l’eau distillée, par exemple, à la température de la glace fondante ; la densité d’un corps sera le rapport de son poids, à celui d’un pareil volume d’eau, rapport que l’on nomme pesanteur spécifique.

Ce que nous venons de dire, semble supposer que la matière est homogène, et que les corps ne diffèrent que par la figure, et la grandeur de leurs pores et de leurs molécules intégrantes ; il est possible cependant qu’il y ait des différences essentielles dans la nature même de ces molécules ; mais cela est indifférent à la mécanique qui ne considère les corps que par rapport à leurs mouvemens. On peut alors, sans craindre aucune erreur, admettre l’homogénéité de la matière ; pourvu que l’on entende par masses égales, des masses qui animées de vitesses égales et contraires, se font équilibre.

Dans la théorie de l’équilibre et du mouvement des corps, on fait abstraction du nombre et de la figure des pores dont ils sont parsemés. On peut avoir égard à la différence de leurs densités respectives, en les supposant formés de points matériels plus ou moins denses, parfaitement libres dans les fluides, unis entr’eux, par des droites sans masse et inflexibles dans les corps durs, flexibles et extensibles dans les corps élastiques et mous. Il est clair que dans ces suppositions, les corps offriroient les mêmes apparences qu’ils nous présentent.

Les conditions de l’équilibre d’un système de corps, peuvent toujours se déterminer par la loi de la composition des forces, exposée dans le chapitre premier de ce livre ; car on peut concevoir la force dont chaque point matériel est animé, appliquée au point de sa direction, où vont concourir les directions des forces qui la détruisent, ou qui en se composant avec elle, forment une résultante qui, dans le cas de l’équilibre, est anéantie par les points fixes du système. Considérons, par exemple, deux points matériels attachés aux extrémités d’un levier inflexible, et supposons ces points animés de forces dont les directions soient dans le plan du levier. En concevant ces forces réunies au point de concours de leurs directions, la résultante qui naît de leur composition, doit pour l’équilibre, passer par le point d’appui qui peut seul la détruire ; et suivant la loi de la composition des forces, les deux composantes doivent être alors réciproques aux perpendiculaires menées du point d’appui, sur leurs directions.

Si l’on imagine deux corps pesans attachés aux extrémités d’un levier rectiligne et inflexible, dont la masse soit supposée infiniment petite par rapport à celle des corps ; on pourra concevoir les directions parallèles de la pesanteur, réunies à une distance infinie : dans ce cas, les forces dont chaque corps pesant est animé, ou ce qui revient au même, leurs poids doivent pour l’équilibre, être réciproques aux perpendiculaires menées du point d’appui, sur les directions de ces forces ; ces perpendiculaires sont proportionnelles aux bras du levier ; ainsi les poids des corps en équilibre, sont réciproques aux bras du levier, auxquels ils sont attachés.

Un très-petit poids peut donc au moyen du levier et des machines qui s’y rapportent, faire équilibre à un poids très-considérable, et l’on peut de cette manière, soulever un énorme fardeau, avec un léger effort ; mais il faut pour cela, que le bras du levier, auquel la puissance est appliquée, soit fort long par rapport à celui qui soutient le fardeau, et que la puissance parcoure un grand espace, pour élever le fardeau à une petite hauteur. Alors, on perd en temps, ce que l’on gagne en force, et c’est ce qui a lieu généralement dans les machines. Mais souvent, on peut disposer du temps à volonté, tandis que l’on ne peut employer qu’une force limitée. Dans d’autres circonstances où il faut se procurer une grande vitesse, on peut y parvenir au moyen du levier, en appliquant la puissance, au bras le plus court. C’est dans cette possibilité d’augmenter suivant les besoins, la masse ou la vitesse des corps à mouvoir, que consiste le principal avantage des machines.

La considération du levier a fait naître celle des momens. On nomme moment d’une force pour faire tourner le système autour d’un point, le produit de cette force, par la distance de sa direction à ce point. Ainsi, dans le cas de l’équilibre d’un levier sollicité par des forces quelconques, les momens de ces forces par rapport au point d’appui, doivent être égaux et contraires, ou, ce qui revient au même, la somme des momens doit être nulle relativement à ce point.

La projection d’une force sur un plan mené par un point fixe, multipliée par la distance de cette projection à ce point, est ce que l’on nomme moment de la force, pour faire tourner le système autour de l’axe qui passant par le point fixe, est perpendiculaire au plan.

Le moment de la résultante d’un nombre quelconque de forces, par rapport à un point, ou à un axe, est égal à la somme des momens semblables des forces composantes.

Les forces parallèles pouvant être supposées se réunir à une distance infinie, elles sont réductibles à une résultante égale à leur somme et qui leur est parallèle ; en décomposant donc chaque force d’un système de corps, en deux, l’une située dans un plan, l’autre perpendiculaire à ce plan ; toutes les forces situées dans le plan seront réductibles à une seule, ainsi que toutes les forces perpendiculaires au plan ; or il existe toujours un plan passant par le point fixe, et tel que la résultante des forces qui lui sont perpendiculaires, est ou nulle, ou passe par ce point. Dans ces deux cas, le moment de cette résultante est nulle relativement aux axes qui ont ce point pour origine, et le moment des forces du système par rapport à ces axes, se réduit au moment de la résultante située dans le plan dont il s’agit. L’axe autour duquel ce moment est un maximum est celui qui est perpendiculaire à ce plan, et le moment des forces du système, relatif à un axe qui passant par le point fixe, forme un angle quelconque avec l’axe du plus grand moment, est égal au plus grand moment du système, multiplié par le cosinus de cet angle ; d’où il suit que ce moment est nul pour tous les axes situés dans le plan auquel l’axe du plus grand moment est perpendiculaire.

Les carrés des trois sommes de momens des forces, relativement à trois axes quelconques perpendiculaires entr’eux, et passant par le point fixe, sont égaux au carré du plus grand moment.

Pour l’équilibre d’un système de corps, autour d’un point fixe, la somme des momens des forces doit être nulle par rapport à un axe quelconque passant par ce point, et il résulte de ce qui précède, que cela aura lieu généralement, si cette somme est nulle, relativement à trois axes fixes perpendiculaires entre eux.

S’il n’y a pas de point fixe dans le système ; il faut de plus pour l’équilibre, que les trois sommes des forces décomposées parallèlement à ces axes, soient nulles séparément.

Considérons un système de points pesans liés fixement ensemble et rapportés à trois plans perpendiculaires entre eux. En décomposant l’action de la pesanteur, parallèlement à ces plans ; toutes les forces parallèles au même plan, pourront se réduire à une seule résultante parallèle à ce plan, et égale à leur somme. Les trois résultantes relatives aux trois plans, doivent concourir au même point, puisque les actions de la pesanteur sur les divers points du système, étant parallèles, elles ont une résultante unique. Ce point de concours est indépendant de l’inclinaison des plans sur la direction de la pesanteur ; car une inclinaison plus ou moins grande ne fait que changer les valeurs des trois résultantes partielles, sans altérer leur position ; en supposant donc ce point, fixe ; tous les efforts des poids du système seront anéantis, quelle que soit sa situation autour de ce point que l’on a nommé par cette raison, centre de gravité du système.

Concevons sa position et celle des divers points du système, déterminées par des coordonnées parallèles à trois axes perpendiculaires entre eux. Les actions de la pesanteur étant égales et parallèles, et la résultante de ces actions sur le système, passant dans toutes ses positions, par son centre de gravité ; si l’on suppose cette résultante successivement parallèle à chacun des trois axes ; l’égalité du moment de la résultante à la somme des momens des composantes, donne l’une quelconque des coordonnées de ce centre, multipliée par la masse entière du système, égale à la somme des produits de la masse de chaque point, par sa coordonnée correspondante. Ainsi, la détermination du centre de gravité, dont la pesanteur a fait naître l’idée, en est indépendante. La considération de ce centre, étendue à un système de corps pesans ou non pesans, libres ou liés entre eux d’une manière quelconque, est très-utile dans la mécanique.

En examinant avec attention, dans un grand nombre de cas, les conditions de l’équilibre d’un système de corps, et les rapports de chaque force, à la vitesse que prend le corps auquel elle est appliquée, quand l’équilibre du système commence à se rompre ; on est parvenu au principe suivant qui renferme de la manière la plus générale, les conditions de l’équilibre d’un système de points matériels animés par des forces quelconques.

Si l’on change infiniment peu la position du système, d’une manière compatible avec les conditions de la liaison de ses parties ; chaque point matériel s’avancera dans la direction de la force qui le sollicite, d’une quantité égale à la partie de cette direction, comprise entre la première position du point, et la perpendiculaire abaissée de la seconde position du point, sur cette direction. Cela posé : dans le cas de l’équilibre, la somme des produits de chaque force, par la quantité dont le point auquel elle est appliquée, s’avance dans sa direction, est nulle. C’est en cela que consiste le principe des vitesses virtuelles, principe dont on est redevable à Jean Bernoulli ; mais pour en faire usage, il faut observer de prendre négativement, les produits que nous venons d’indiquer, relatifs aux points qui, dans le changement de position du système, s’avancent en sens contraire de la direction de leurs forces ; il faut se rappeler encore que la force est le produit de la masse d’un point matériel, par la vitesse qu’elle lui feroit prendre, s’il étoit libre.

En concevant la position de chaque point du système, déterminée par trois coordonnées rectangles ; la somme des produits de chaque force, par la quantité dont le point qu’elle sollicite, s’avance dans sa direction, lorsqu’on fait mouvoir infiniment peu le système, sera exprimée par une fonction linéaire des variations de toutes les coordonnées de ces points. Ces variations ont entre elles des rapports résultans de la liaison des parties du système ; en réduisant donc au moyen des conditions de cette liaison, les variations arbitraires, au plus petit nombre possible, dans la somme précédente qui doit être nulle pour l’équilibre ; il faudra pour que l’équilibre ait lieu dans tous les sens, égaler séparément à zéro, le coefficient de chacune des variations restantes ; ce qui donnera autant d’équations, qu’il y aura de ces variations arbitraires. Ces équations réunies à celles que donne la liaison des parties du système, renfermeront toutes les conditions de son équilibre.



CHAPITRE IV.[modifier]

De l’équilibre des fluides.

On a vu dans le premier livre, que les fluides élastiques, tels que l’air, sont dus à la chaleur ; et que les fluides incompressibles, tels que l’eau, sont dus à la pression et à la chaleur. Mais pour déterminer les loix de leur équilibre, nous n’avons besoin que de les considérer comme étant formés d’un nombre infini de molécules parfaitement mobiles entre elles, en sorte qu’elles cèdent à la plus petite pression qu’elles éprouvent d’un côté plutôt que d’un autre.

Il suit de cette propriété caractéristique des fluides, que la force qui anime chaque molécule de la surface libre d’un fluide en équilibre, est perpendiculaire à cette surface ; la pesanteur est donc perpendiculaire à la surface des eaux stagnantes, qui par conséquent est horizontale.

En vertu de la mobilité de ses parties, un fluide pesant peut exercer une pression beaucoup plus grande que son poids ; un filet d’eau, par exemple, qui se termine par une large surface horizontale, presse autant la base sur laquelle il repose, qu’un cylindre d’eau, de même base et de même hauteur. Pour rendre sensible, la vérité de ce paradoxe, imaginons un vase cylindrique fixe, et dont le fond horizontal soit mobile ; supposons ce vase rempli d’eau, et son fond maintenu en équilibre par une force égale et contraire à la pression qu’il éprouve. Il est clair que l’équilibre subsisteroit toujours, dans les cas où une partie de l’eau viendroit à se consolider et à s’unir aux parois du vase ; car, en général, l’équilibre d’un système de corps n’est point troublé, en supposant que dans cet état, plusieurs d’entr’eux viennent à s'unir ou à s’attacher à des points fixes. On peut donc former ainsi une infinité de vases de figures différentes, qui tous auront même fond et même hauteur que le vase cylindrique, et dans lesquels l’eau exercera la même pression sur le fond mobile.

La pression qu’un fluide exerce contre une surface quelconque, est perpendiculaire à chacun de ses élémens ; autrement, la molécule fluide qui lui est contiguë, glisseroit par la décomposition de la pression qu’elle éprouve. Si le fluide n’agit que par son poids, sa pression entière équivaut au poids d’un prisme de ce fluide, dont la base est égale à la surface pressée, et dont la hauteur est la distance du centre de gravité de cette surface, au plan de niveau du fluide.

Un corps plongé dans un fluide, y perd une partie de son poids, égale au poids du volume de fluide déplacé ; car avant l’immersion, le fluide environnant faisoit équilibre au poids de ce volume de fluide, qui, sans troubler l’équilibre, pouvoit être supposé former une masse solide ; la résultante de toutes les actions du fluide sur cette masse doit donc faire équilibre à son poids, et passer par son centre de gravité ; or il est clair que ces actions sont les mêmes sur le corps qui en occupe la place ; l’action du fluide détruit donc une partie du poids de ce corps, égale au poids du volume de fluide déplacé. Ainsi les corps pèsent moins dans l’air que dans le vide : la différence, très-peu sensible pour la plupart, n’est point à négliger dans des expériences délicates.

On peut, au moyen d’une balance qui porte à l’extrémité d’un de ses fléaux, un corps que l’on plonge dans un fluide, mesurer exactement la diminution de poids que le corps éprouve dans cette immersion, et déterminer sa pesanteur spécifique, ou sa densité relative à celle du fluide. Cette pesanteur est le rapport du poids du corps dans le vide, à la diminution de ce poids, lorsque le corps est entièrement plongé dans le fluide. C’est ainsi que l’on a déterminé les pesanteurs spécifiques des corps comparés à l’eau distillée.

Pour qu’un corps plus léger qu’un fluide, soit en équilibre à sa surface, il faut que son poids soit égal à celui du volume de fluide déplacé. Il faut de plus que les centres de gravité de cette portion du fluide et du corps, soient sur une même verticale ; car la résultante des actions de la pesanteur sur toutes les molécules du corps, passe par son centre de gravité, et la résultante de toutes les actions du fluide sur ce corps, passe par le centre de gravité du volume de fluide déplacé : ces résultantes devant être sur la même ligne, pour se détruire ; les centres de gravité sont sur la même verticale.

Il existe deux états très-distincts d’équilibre ; dans l’un, si l’on trouble un peu l’équilibre, tous les corps du système, ne font que de petites oscillations autour de leur position primitive, et alors l’équilibre est ferme ou stable. Cette stabilité est absolue, si elle a lieu quelles que soient les oscillations du système ; elle n’est que relative, si elle n’a lieu que par rapport aux oscillations d’une certaine espèce. Dans l’autre état d’équilibre, les corps s’éloignent de plus en plus de leur position primitive, lorsqu’on vient à les en écarter. On aura une juste idée de ces deux états, en considérant une ellipse placée verticalement sur un plan horizontal. Si l’ellipse est en équilibre sur son petit axe ; il est clair qu’en l’écartant un peu de cette situation, elle tend à y revenir, en faisant des oscillations que les frottemens et la résistance de l’air auront bientôt anéanties : mais si l’ellipse est en équilibre sur son grand axe ; une fois écartée de cette situation, elle tend à s’en éloigner davantage, et finit par se renverser sur son petit axe. La stabilité de l’équilibre dépend donc de la nature des petites oscillations que le système troublé d’une manière quelconque, fait autour de cet état. Souvent, cette recherche présente beaucoup de difficultés ; mais dans plusieurs cas, et particulièrement dans celui des corps flottans, il suffit pour juger de la stabilité de l’équilibre, de savoir si la force qui sollicite le système un peu dérangé de cet état, tend à l’y ramener. On y parviendra relativement aux corps flottans sur l’eau, ou sur tout autre fluide, par la règle suivante.

Si par le centre de gravité de la section à fleur d’eau, d’un corps flottant, on conçoit un axe horizontal tel que la somme des produits de chaque élément de la section, par le quarré de sa distance à cet axe, soit plus petite que relativement à tout autre axe horizontal mené par le même centre ; l’équilibre est stable dans tous les sens, lorsque cette somme surpasse le produit du volume de fluide déplacé, par la hauteur du centre de gravité du corps, au-dessus du centre de gravité de ce volume. Cette règle est principalement utile dans la construction des vaisseaux auxquels il importe de donner une stabilité suffisante pour résister aux efforts des tempêtes. Dans un vaisseau, l’axe mené de la poupe à la proue, est celui par rapport auquel la somme dont il s’agit, est un minimum ; il est donc facile de reconnoître et de mesurer sa stabilité, par la règle précédente.

Deux fluides renfermés dans un vase, s’y disposent de manière que le plus pesant occupe le fond du vase, et que la surface qui les sépare, soit horizontale.

Si deux fluides communiquent au moyen d’un tube recourbé ; la surface qui les sépare dans l’état d’équilibre, est horizontale, et leurs hauteurs au-dessus de cette surface, sont réciproques à leurs densités spécifiques. En supposant donc à toute l’atmosphère, la densité de l’air, à la température de la glace fondante, et comprimé par une colonne de mercure de soixante-seize centimètres ; sa hauteur seroit de 7815me ; mais parce que la densité des couches atmosphériques diminue à mesure que l’on s’élève au-dessus de la surface de la terre, la hauteur de l’atmosphère est beaucoup plus grande.

Pour avoir les loix générales de l’équilibre d’une masse fluide animée par des forces quelconques ; nous observerons que chaque point de l’intérieur de cette masse, éprouve une pression qui, dans l’atmosphère, est mesurée par la hauteur du baromètre, et qui peut l’être d’une manière semblable, pour tout autre fluide. En considérant chaque molécule, comme un parallélépipède rectangle infiniment petit ; la pression du fluide environnant sera perpendiculaire aux faces de ce parallélépipède qui tendra à se mouvoir perpendiculairement à chaque face, en vertu de la différence des pressions que le fluide exerce sur les deux faces opposées. De ces différences de pressions, résultent trois forces perpendiculaires entr’elles, qu’il faut combiner avec les autres forces qui sollicitent la molécule fluide. Ainsi, cette molécule devant être en équilibre en vertu de toutes ces forces ; le principe des vitesses virtuelles donnera les équations générales de son équilibre ; quelle que soit sa position dans la masse entière. Les conditions d’intégrabilité de ces équations différentielles, feront connoître les rapports qui doivent exister entre les forces dont le fluide est animé, pour la possibilité de l’équilibre ; leur intégration donnera la pression que chaque molécule fluide éprouve, et cette pression déterminera son ressort et sa densité, si le fluide est élastique et compressible.

CHAPITRE V.[modifier]

Du mouvement d’un système de corps.

Considérons d’abord l’action de deux points matériels de masses différentes, et qui mûs sur une même droite, viennent à se rencontrer. On peut concevoir immédiatement avant le choc, leurs mouvemens décomposés de manière qu’ils aient une vitesse commune, et deux vitesses contraires telles qu’en vertu de ces seules vitesses, ils se feroient mutuellement équilibre. La vitesse commune aux deux points, n’est pas altérée par leur action mutuelle ; cette vitesse doit donc subsister seule après le choc. Pour la déterminer, nous observerons que la quantité de mouvement des deux points, en vertu de cette commune vitesse, plus la somme des quantités de mouvement dues aux vitesses détruites, représente la somme des quantités de mouvement avant le choc, pourvu que l’on prenne en sens contraire, les quantités de mouvement dues aux vitesses contraires : mais par la condition de l’équilibre, la somme des quantités de mouvement dues aux vitesses détruites, est nulle ; la quantité de mouvement relative à la vitesse commune, est donc égale à celle qui existoit primitivement dans les deux points ; et par conséquent, cette vitesse est égale à la somme des quantités de mouvement, divisée par la somme des masses.

Quand les points sont parfaitement élastiques ; il faut, pour avoir leur vitesse après le choc, ajouter ou retrancher de la vitesse commune qu’ils prendroient s’ils étoient sans ressort, la vitesse qu'ils acquerroient ou perdroient dans cette hypothèse ; car l'élasticité parfaite double ces effets, par le rétablissement des ressorts que le choc comprime ; on aura donc la vitesse de chaque point après le choc, en retranchant sa vitesse avant le choc, du double de cette vitesse commune.

De-là il est aisé de conclure que la somme des produits de chaque masse, par le quarré de sa vitesse, est la même avant et après le choc des deux points ; ce qui a lieu généralement dans le choc d’un nombre quelconque de corps parfaitement élastiques, de quelque manière qu’ils agissent les uns sur les autres.

Le choc de deux points matériels, est purement idéal ; mais il est facile d’y ramener celui de deux corps quelconques, en observant que si ces corps se choquent suivant une droite passant par leurs centres de gravité, et perpendiculaire à leurs surfaces de contact, ils agissent l’un sur l’autre, comme si leurs masses étoient réunies à ces centres ; le mouvement se communique donc alors entr’eux, comme entre deux points matériels dont les masses seroient respectivement égales à ces corps.

Telles sont les loix de la communication du mouvement, loix que l’expérience confirme, et qui dérivent mathématiquement des deux loix fondamentales du mouvement, que nous avons exposées dans le chapitre second de ce livre. Plusieurs philosophes ont essayé de les déterminer par la considération des causes finales. Descartes persuadé que la quantité de mouvement devoit se conserver toujours la même dans l’univers, a déduit de cette fausse hypothèse, de fausses loix de la communication du mouvement, qui sont un exemple des erreurs auxquelles on s’expose en cherchant à deviner les loix de la nature, par les vues qu’on lui suppose.

Lorsqu’un corps reçoit une impulsion suivant une direction qui passe par son centre de gravité ; toutes ses parties se meuvent avec une égale vitesse. Si cette direction passe à côté de ce point ; les diverses parties du corps ont des vitesses inégales, et de cette inégalité de vitesses, il résulte un mouvement de rotation du corps autour de son centre de gravité, en même temps que ce centre est transporté avec la vitesse qu’il auroit prise, si la direction de l’impulsion eût passé par ce point. Ce cas est celui de la terre et des planètes. Ainsi, pour expliquer le double mouvement de rotation et de translation de la terre ; il suffit de supposer qu’elle a reçu primitivement une impulsion dont la direction a passé à une petite distance de son centre de gravité, distance qui, dans l’hypothèse de l’homogénéité de cette planète, est à-peu-près, la cent soixantième partie de son rayon. Il est infiniment peu probable que la projection primitive des planètes, des satellites et des comètes, a passé exactement par leurs centres de gravité ; tous ces corps doivent donc tourner sur eux-mêmes. Par une raison semblable, le soleil qui tourne sur lui-même, doit avoir reçu une impulsion qui n’ayant point passé par son centre de gravité, le transporte dans l’espace avec le système planétaire, à moins qu’une impulsion dans un sens contraire, n’ait anéanti ce mouvement ; ce qui n’est pas vraisemblable.

L’impulsion donnée à une sphère homogène, suivant une direction qui ne passe point par son centre, la fait tourner constamment autour du diamètre perpendiculaire au plan mené par son centre et par la direction de la force imprimée. De nouvelles forces qui sollicitent tous ses points, et dont la résultante passe par son centre, n’altèrent point le parallélisme de son axe de rotation. C’est ainsi que l’axe de la terre reste toujours à très-peu près, parallèle à lui-même dans sa révolution autour du soleil ; sans qu’il soit nécessaire de supposer avec Copernic, un mouvement annuel des pôles de la terre, autour de ceux de l’écliptique.

Si le corps a une figure quelconque, son axe de rotation peut varier à chaque instant. La recherche de ces variations, quelles que soient les forces qui agissent sur le corps, est le problème le plus intéressant de la mécanique des corps durs, par ses rapports avec la précession des équinoxes, et avec la libration de la lune. En le résolvant, on a été conduit à ce résultat curieux et très-utile, savoir que, dans tout corps, il existe trois axes perpendiculaires entre eux, autour desquels il peut tourner uniformément, quand il n'est point sollicité par des forces étrangères : ces axes ont été pour cela, nommés axes principaux de rotation.

Un corps ou un système de corps pesans, de figure quelconque, oscillant autour d’un axe fixe et horizontal, forme un pendule composé. Il n’en existe point d’autres dans la nature, et les pendules simples dont nous avons parlé ci-dessus, ne sont que de purs concepts géométriques, propres à simplifier les objets. Il est facile d’y rapporter les pendules composés dont tous les points sont fixement attachés ensemble. Si l’on multiplie la longueur du pendule simple dont les oscillations sont de même durée que celles du pendule composé, par la masse entière de ce dernier pendule, et par la distance de son centre de gravité à l’axe d’oscillation ; le produit sera égal à la somme des produits de chaque molécule du pendule composé, par le quarré de sa distance au même axe. C’est au moyen de cette règle trouvée par Huyghens, que les expériences sur les pendules composés ont fait connoître la longueur du pendule simple qui bat les secondes.

Imaginons un pendule faisant de très-petites oscillations dans un même plan ; et supposons qu’au moment où il est le plus éloigné de la verticale, on lui imprime une petite force perpendiculaire au plan de son mouvement : il décrira une ellipse autour de la verticale. Pour se représenter son mouvement, on peut concevoir un pendule fictif qui continue d’osciller comme l’eût fait le pendule réel sans la nouvelle force qui lui a été imprimée, tandis que ce dernier pendule oscille de chaque côté du pendule idéal, comme si ce pendule étoit immobile et vertical. Ainsi, le mouvement du pendule réel est le résultat de deux oscillations simples qui existent ensemble, et qu’il est facile de déterminer.

Cette manière d’envisager les petites oscillations des corps, peut être étendue à un système quelconque. Si l’on suppose le système dérangé par de très-petites impulsions, de son état d’équilibre, et qu’ensuite, on vienne à lui donner de nouvelles impulsions ; il oscillera par rapport aux états successifs qu’il auroit pris en vertu des premières impulsions, de la même manière qu’il oscilleroit par rapport à son état d’équilibre, si les nouvelles impulsions lui étoient seules imprimées dans cet état. Les oscillations très-petites d'un système de corps, quelque composées qu’elles soient, peuvent donc être considérées comme étant formées d’oscillations simples, parfaitement semblables à celles du pendule. En effet, si l’on conçoit le système très-peu dérangé de son état d’équilibre, en sorte que la force qui sollicite chaque corps, tende à le ramener au point qu’il occupoit dans cet état, et de plus, soit proportionnelle à sa distance à ce point ; il est clair que cela aura lieu pendant l’oscillation du système, et qu’à chaque instant, les vitesses des différens corps seront proportionnelles à leurs distances à la position d'équilibre ; ils arriveront donc tous au même instant à cette position, et ils oscilleront de la même manière qu’un pendule simple. Mais l’état de dérangement que nous venons de supposer au système, n’est pas unique. Si l’on éloigne un des corps, de sa position d’équilibre, et que l’on cherche les positions des autres corps, qui satisfont aux conditions précédentes ; on parvient à une équation d’un degré égal au nombre des corps du système, mobiles entr’eux ; ce qui donne autant d’oscillations simples, qu’il y a de ces corps. Concevons au système, la première de ces oscillations ; et à un instant quelconque, éloignons par la pensée, tous les corps de leur position, proportionnellement aux quantités relatives à la seconde oscillation simple. En vertu de la coexistence des oscillations, le système oscillera par rapport aux états successifs qu’il auroit eus par la première oscillation simple, comme il auroit oscillé par la seconde seule, autour de son état d’équilibre ; son mouvement sera donc formé des deux premières oscillations simples. On peut semblablement combiner avec ce mouvement, la troisième oscillation simple ; et en continuant ainsi de combiner toutes ces oscillations, de la manière la plus générale, on représentera tous les mouvemens possibles du système.

De-là résulte un moyen facile de reconnoître la stabilité absolue de son équilibre. Si dans toutes les positions relatives à chaque oscillation simple, les forces qui sollicitent les corps, tendent à les ramener à l’état d’équilibre, cet état sera stable : il ne le sera pas, ou il n’aura qu’une stabilité relative, si dans quelqu’une de ces positions, les forces tendent à en éloigner les corps.

Il est visible que cette manière d’envisager les mouvemens très-petits d’un système, peut s’étendre aux fluides eux-mêmes dont les oscillations sont le résultat d’oscillations simples existantes à-la-fois, et souvent en nombre infini.

On a un exemple sensible de la coexistence des oscillations très-petites, dans les ondes. Quand on agite légèrement un point de la surface d’une eau stagnante ; on voit des ondes circulaires se former et s’étendre autour de lui. En agitant la surface dans un autre point, de nouvelles ondes se forment et se mêlent aux premières ; elles se superposent à la surface agitée par les premières ondes, comme elles se se seroient disposées sur cette surface tranquille, en sorte qu'on les distingue parfaitement dans leur mélange. Ce que l’œil apperçoit relativement aux ondes, l’oreille le sent par rapport aux sons ou aux vibrations de l’air, qui se propagent simultanément sans s’altérer, et font des impressions très-distinctes.

Le principe de la coexistence des oscillations simples, que l’on doit à Daniel Bernoulli, est un de ces résultats généraux qui intéressent par la facilité qu’ils donnent à l’imagination, de se représenter les phénomènes et leurs changemens successifs. On peut aisément le déduire de la théorie analytique des petites oscillations d’un système. Elles dépendent d’équations différentielles linéaires dont les intégrales complètes sont la somme des intégrales particulières. Ainsi, les oscillations simples se superposent les unes aux autres, pour former le mouvement du système ; comme les intégrales particulières qui les représentent, s’ajoutent ensemble pour former les intégrales complètes. Il est intéressant de suivre ainsi dans les phénomènes de la nature, les vérités intellectuelles de l’analyse. Cette correspondance dont le système du monde nous offrira de nombreux exemples, fait l’un des plus grands charmes attachés aux spéculations mathématiques.

Il est naturel de ramener à un principe général, les loix du mouvement des corps ; comme on a renfermé dans le seul principe des vitesses virtuelles, les loix de leur équilibre. Pour y parvenir, considérons le mouvement d’un système de corps agissans les uns sur les autres, sans être sollicités par des forces accélératrices. Leurs vitesses changent à chaque instant ; mais on peut concevoir chacune de ces vitesses à un instant quelconque, comme étant composée de celle qui a lieu dans l’instant suivant, et d’une autre lvitesse qui doit être détruite au commencement de ce second instant. Si cette vitesse détruite étoit connue, il seroit facile par la loi de la décomposition des forces, d’en conclure la vitesse des corps au second instant ; or, il est clair que si les corps n’eussent été animés que des vitesses détruites, ils se seroient fait mutuellement équilibre : ainsi, les loix de l’équilibre donneront les rapports des vitesses perdues, et il sera facile d’en conclure les vitesses restantes et leurs directions ; on aura donc par l’analyse infinitésimale, les variations successives du mouvement du systême, et sa position à tous les instans.

Il est clair que si les corps sont animés de forces accélératrices, on pourra toujours employer la même décomposition des vitesses ; mais alors, l’équilibre doit avoir lieu entre les vitesses détruites et ces forces.

Cette manière de ramener les loix du mouvement à celles de l’équilibre, dont on est principalement redevable à d’Alembert, est générale et très-lumineuse. On auroit lieu d’être surpris qu’elle ait échappé aux géomètres qui s’étoient occupés avant lui, de dynamique ; si l’on ne savoit pas que les idées les plus simples sont presque toujours celles qui s’offrent les dernières à l’esprit humain.

Il restoit encore à unir le principe que nous venons d’exposer, à celui des vitesses virtuelles, pour donner à la mécanique, toute la perfection dont elle paroît susceptible. C’est ce que Lagrange a fait, et par ce moyen, il a réduit la recherche du mouvement d'un système quelconque de corps, à l’intégration d’équations différentielles : alors, l’objet de la mécanique est rempli, et c’est à l'analyse pure, à achever la solution des problêmes. Voici la manière la plus simple de former ces équations.

Si l’on imagine trois axes fixes perpendiculaires entr’eux, et qu’à un instant quelconque, on décompose la vîtesse de chaque point matériel d’un système de corps, en trois autres parallèles à ces axes ; on pourra considérer chaque vitesse partielle, comme étant uniforme pendant cet instant ; on pourra ensuite concevoir à la fin de l’instant, le point animé parallèlement à l’un de ces axes, de trois vitesses, savoir, de sa vitesse dans cet instant, de la petite variation qu’elle reçoit dans l’instant suivant, et de cette même variation appliquée en sens contraire. Les deux premières de ces vitesses subsistent dans l’instant suivant ; la troisième doit donc être détruite par les forces qui sollicitent le point, et par l'action des autres points du systême. Ainsi, en concevant les variations instantanées des vitesses partielles de chaque point du système, appliquées à ce point, en sens contraire ; le système doit être en équilibre en vertu de toutes ces variations et des forces qui l’animent. On aura par le principe des vitesses virtuelles, les équations de cet équilibre ; et en les combinant avec celles de la liaison des parties du systême, on aura les équations différentielles du mouvement de chacun de ses points. Il est visible que l’on peut ramener de la même manière, les loix du mouvement des fluides, à celles de leur équilibre. Dans ce cas , les conditions relatives à la liaison des parties du système, se réduisent à ce que le volume d’une molécule quelconque du fluide reste toujours le même, si le fluide est incompressible, et qu’il dépende de la pression, suivant une loi donnée, si le fluide est élastique et compressible. Les équations qui expriment ces conditions et les variations du mouvement du fluide, renferment les différences partielles des coordonnées de la molécule, prises soit par rapport au temps, soit par rapport aux coordonnées primitives. L'intégration de ce genre d’équations offre de grandes difficultés, et l’on n’a pu y réussir encore, que dans quelques cas particuliers relatifs au mouvement des fluides pesans dans des vases, à la théorie du son, et aux oscillations de la mer et de l’atmosphère. La considération des équations différentielles du mouvement d’un systême de corps, a fait découvrir plusieurs principes généraux de mécanique, très-utiles, et qui sont une extension de ceux que nous avons présentés sur le mouvement d’un point, dans le chapitre second de ce livre. Un point matériel se meut uniformément en ligne droite, s’il n’éprouve pas l’action de causes étrangères. Dans un systême de corps qui agissent les uns sur les autres, sans éprouver l'action de causes extérieures, le centre commun de gravité se meut uniformément en ligne droite, et son mouvement est le même que si tous les corps étant supposés réunis à ce point, toutes les forces qui les animent, lui étoient immédiatement appliquées ; en sorte que la direction et la quantité de leur résultante, restent constamment les mêmes. On a vu que le rayon vecteur d’un corps sollicité par une force dirigée vers un point fixe, décrit des aires proportionnelles aux temps. Si l’on suppose un systême de corps agissans les uns sur les autres d’une manière quelconque, et sollicités par une force dirigée vers un point fixe ; si de ce point, on mène à chacun d’eux, des rayons vecteurs que l’on projette sur un plan invariable passant par ce point ; la somme des produits de la masse de chaque corps, par l’aire que trace la projection de son rayon vecteur, est proportionnelle au temps. C’est en cela que consiste le principe de la conservation des aires . S’il n’y a pas de point fixe vers lequel le systême soit attiré , et qu’il ne soit soumis qu’à l’action mutuelle de ses parties ; on peut prendre alors, tel point que l’on veut, pour origine des rayons vecteurs. Le produit de la masse d’un corps, par l’aire que décrit la projection de son rayon vecteur, pendant une unité de temps, est égale à la projection de la force entière de ce corps, multipliée par la perpendiculaire abaissée du point fixe, sur la direction de la force ainsi projetée : ce dernier produit est le moment de la force, pour faire tourner le systême autour de l’axe qui passant par le point fixe, est perpendiculaire au plan de projection ; le principe de la conservation des aires revient donc à ce que la somme des momens des forces finies pour faire tourner le systême autour d'un axe quelconque, somme qui dans l’état d’équilibre est nulle, est constante dans l’état de mouvement. Présenté de cette manière, ce principe convient à toutes les loix possibles entre la force et la vîtesse. On nomme force vive d’un systême, le produit de la masse de chaque corps, par le quarré de sa vîtesse. Lorsqu’un corps se meut sur une courbe ou sur une surface, sans éprouver d’action étrangère, sa force vive est toujours la même, puisque sa vîtesse est constante : si les corps d’un systême n’éprouvent d’autres actions, que leurs tractions et pressions mutuelles, soit immédiatement, soit par l’entremise de verges et de fils inextensibles et sans ressort ; la force vive du systême est constante, dans le cas même où plusieurs de ces corps sont astreints à se mouvoir sur des lignes ou sur des surfaces courbes. C’est le principe de la conservation des forces vives, principe qui s’étend à toutes les loix possibles entre la force et la vîtesse, si l’on désigne par force vive

d’un corps, le double de l’intégrale du produit de sa vîtesse, par la différentielle de la force finie dont il est animé. Dans le mouvement d’un point sollicité par des forces quelconques, la variation de la force vive est égale à deux fois la somme des produits de la masse du point, par chacune des forces accélératrices multipliées respectivement par les quantités élémentaires dont le point s’avance vers leurs origines. Dans le mouvement d'un systême quelconque, le double de la somme de tous ces produits, est la variation de la force vive du systême. Concevons que dans le mouvement du systême, tous les corps soient au même instant dans la position où il seroit en équilibre en vertu des forces accélératrices qui l’animent ; la variation de la force vive y sera nulle, par le principe des vîtesses virtuelles

la

force vive sera donc alors à son maximum ou à son minimum

. Si le systême n’étoit mu que par une seule de ses oscillations simples

les corps en partant de la situation d’équilibre, tendroient à y revenir si l’équilibre est stable ; leur vîtesse diminueroit donc à mesure qu’ils s’en éloigneroient, et par conséquent la force vive seroit dans cette position, un maximum

mais elle seroit un

minimum , si l’équilibre n’étant pas stable, les corps en s’éloignant de la position qui est relative à cet état, tendoient à s’en écarter davantage. De-là on peut conclure que si la force vive est constamment un maximum lorsque les corps parviennent au même instant à la position de l’équilibre, quelle que soit d'ailleurs leur vîtesse, l’équilibre est stable ; et qu’au contraire, il n’a ni stabilité absolue, ni stabilité relative, si la force vive dans cette position du systême, est constamment un minimum . Enfin, on a vu dans le second chapitre, que la somme des intégrales du produit de chaque force finie du systême, par l’élément de sa direction, somme qui dans l’état d’équilibre, est nulle, est un minimum dans l’état de mouvement. C’est en cela que consiste le principe de la moindre action, principe qui diffère de ceux du mouvement uniforme du centre de gravité, de la conservation des aires et des forces vives, en ce que ces principes sont de véritables intégrales des équations différentielles du mouvement des corps ; au lieu que celui de la moindre action, n’est qu’une combinaison singulière de ces mêmes équations. On doit faire une remarque importante sur l’étendue de ces divers principes : celui du mouvement uniforme du centre de gravité, et le principe de la conservation des aires, subsistent dans le cas même où par l’action mutuelle des corps, il survient des changemens brusques dans leurs mouvemens ; et cela rend ces principes très- utiles dans plusieurs circonstances : mais le principe de la conservation des forces vives, et celui de la moindre action, exigent que les variations des mouvemens du systême, se fassent par des nuances insensibles. Si le systême éprouve des changemens brusques, par l’action mutuelle des corps, ou par la rencontre d’obstacles ; la force vive reçoit à chacun de ces changemens, une diminution égale à la somme des produits de chaque corps par le quarré de sa vîtesse détruite, en concevant sa vîtesse avant le changement, décomposée en deux, l’une qui subsiste, l’autre qui est anéantie, et dont le quarré est évidemment égal à la somme des quarrés des variations que le changement fait éprouver à la vîtesse décomposée parallèlement à trois axes quelconques perpendiculaires entr’eux. Tous ces principes subsisteroient encore, eu égard au mouvement relatif des corps du systême, s’il étoit emporté d’un mouvement général et commun aux foyers des forces que nous avons supposés fixes. Ils ont pareillement lieu dans le mouvement relatif des corps sur la terre ; car il est impossible, comme nous l'avons déjà observé, de juger du mouvement absolu d’un systême de corps , par les seules apparences de son mouvement relatif. Quels que soient le mouvement du systême et les variations qu’il éprouve par l’action mutuelle de ses parties ; la somme des produits de chaque corps, par l’aire que trace sa projection autour du centre commun de gravité, sur un plan qui passant par ce point, reste toujours parallèle à lui-même, est constante. Le plan sur lequel cette somme est un maximum , conserve une situation parallèle, pendant le mouvement du systême : la même somme est nulle par rapport à tout plan qui passant par le centre de gravité, est perpendiculaire à celui dont nous venons de parler ; et les quarrés des trois sommes semblables relatives à trois plans quelconques menés par le centre de gravité, et perpendiculaires entr’eux, sont égaux au quarré de la somme qui est un maximum . Le plan correspondant à cette somme, jouit encore de cette propriété remarquable ; savoir, que la somme des projections des aires tracées par les corps, les uns autour des autres, et multipliées respectivement par le produit des masses des deux corps qui joignent chaque rayon vecteur, est un maximum sur ce plan et sur tous ceux qui lui sont parallèles. On peut donc ainsi retrouver à tous les instans, un plan qui passant par l’un quelconque des points du systême, conserve toujours une situation parallèle ; et comme en y rapportant le mouvement des corps, deux des constantes arbitraires de ce mouvement disparoissent, et par-là simplifient les calculs ; il est aussi naturel de choisir ce plan pour celui des coordonnées, que d’en fixer l’origine, au centre de gravité du systême.