Exposition de la doctrine de l’Église catholique orthodoxe/1884/Troisième Partie/I

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Fischbacher / Félix Callewaert père (p. 407-418).


TROISIÈME PARTIE.




DISCIPLINE DE L’ÉGLISE ORTHODOXE.




I

SOURCE DES LOIS DISCIPLINAIRES.


La discipline de l’Église est l’ensemble des lois ou canons[1] que les apôtres, inspirés de Dieu, et les évêques leurs successeurs, dirigés par le même Esprit, ont établies dès l’origine de l’Église, pour la conservation de la foi, de la morale et des institutions de Jésus-Christ.

Les apôtres donnèrent aux premiers évêques quelques règles pour le bon gouvernement de l’Église. Ces règles, d’abord conservées par tradition, furent mises en écrit dans le courant du troisième siècle. On les appelle canons des apôtres. L’Église orthodoxe en admet quatre-vingt-cinq qui forment la base de sa discipline ; mais elle rejette l’ouvrage intitulé Constitutions apostoliques, comme ayant été corrompu par les hérétiques.

Après les canons des apôtres, l’Église orthodoxe proclame ceux du concile œcuménique de Nicée ; des conciles locaux d’Ancyre, de Néocésarée, de Gangres, d’Antioche et de Laodicée, consacrés par l’adoption générale ; ceux des conciles œcuméniques : premier de Constantinople, d’Éphèse, de Chalcédoine ; ceux des conciles de Sardique et de Carthage ; d’un concile de Constantinople tenu en 394 ; les épîtres canoniques de saint Denis et de saint Pierre d’Alexandrie ; de saint Grégoire le Thaumaturge ; de saint Athanase, de saint Basile, de saint Grégoire de Nysse, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Amphiloque ; des évêques d’Alexandrie : Thimothée, Théophile et Cyrille ; de Gennade de Constantinople, et le canon de l’Église d’Afrique publié par saint Cyprien.

Tels sont les monuments législatifs qui, à la fin du septième siècle, formaient la base de la discipline de l’Église orthodoxe. Ils furent indiqués alors dans le concile in Trullo[2], réuni à Constantinople pour suppléer aux cinquième et sixième conciles œcuméniques qui n’avaient pas fait de canons de discipline.

En ajoutant aux monuments indiqués ci-dessus les canons du concile in Trullo lui-même et le septième concile œcuménique, on aura indiqué les lois qui forment encore aujourd’hui le corps du droit canonique dans l’Église catholique orientale.

Ces lois ont conservé toute leur force jusqu’à l’époque actuelle. Or, comme elles représentent la discipline de l’Église pendant les sept premiers siècles, il s’ensuit que, sous le rapport disciplinaire, l’Église orthodoxe est aujourd’hui ce qu’était l’Église primitive.

À peine si l’on pourrait indiquer, dans sa législation, quelques légers changements qui ne tiennent point à l’essence des choses, et que les circonstances seules ont rendus nécessaires.

Au commencement du cinquième siècle, on avait déjà réuni en un Code de canons les lois promulguées par les deux premiers conciles œcuméniques et par les cinq conciles locaux d’Ancyre et Néocésarée, de Gangres, d’Antioche et de Laodicée. En 451, le concile œcuménique de Chalcédoine approuva ce Code. Le concile in Trullo le compléta. Telle est la source vénérable de la discipline de l’Église orthodoxe.

On voit, par les actes du concile in Trullo, que l’Église romaine s’était, dès le septième siècle, éloignée de la discipline générale sur plusieurs points. À dater de cette époque, elle ne fit que s’en éloigner davantage.

Au sixième siècle, un moine de Rome, Denys le Petit, fit une traduction latine du Code des canons, qui était en grec. Il n’admit dans sa collection que les 50 premiers canons des apôtres, et ajouta quelques Décrétales ou lettres canoniques des évêques de Rome, depuis Sirice, en 398, jusqu’à Anastase II, en 498. Cette collection fut suivie en Occident jusqu’à la fin du huitième siècle.

Cet ancien code ecclésiastique est, au fond, le même que celui de l’Église orientale.

Mais, à dater du neuvième siècle, on répandit en Occident un nouveau code qu’on a appelé Fausses Décrétales, parce que les principales dispositions en étaient tirées de prétendues lettres canoniques des évêques de Rome des premiers siècles. Malgré l’obscurité qui règne sur l’origine de cette compilation, on ne peut s’empêcher d’être frappé de la coïncidence qui existe entre son apparition et l’établissement du pouvoir papal ; et il suffit d’y jeter un coup d’œil pour apercevoir que toutes les dispositions qui y sont contenues avaient pour but de légitimer les entreprises des évêques de Rome. Grâce à l’ignorance qui régnait au sujet des origines de l’Église, on accepta comme authentiques des pièces qui portaient cependant en elles-mêmes tous les caractères de fausseté ; c’est ainsi qu’a commencé, en Occident, ce préjugé qui subsiste encore : que le pouvoir papal remonte au siècle apostolique.

Plusieurs Églises occidentales protestèrent contre le nouveau code et s’en tinrent à l’ancien. L’Église de France ou gallicane se prononça avec plus d’énergie que les autres ; c’est pourquoi on donna à l’ancien code conservé par l’Église de France le nom de gallicanisme ou droit gallican. Les anciens codes oriental et occidental étant les mêmes au fond, il s’ensuit qu’un orthodoxe et un gallican doivent avoir les mêmes règles en tout ce qui regarde la discipline de l’Église. On fit, parallèlement aux Fausses Décrétales, plusieurs collections des anciens canons : telles sont celles de Reginon, de Burkhard, d’Yves de Chartres.

Les papes, fidèles aux Fausses Décrétales, en ont appliqué et étendu avec le temps toutes les dispositions ; c’est pourquoi ils sont arrivés jusqu’à prétendre à l’infaillibilité et à l’absolutisme dans l’Église. Ils ont même fait proclamer cette infaillibilité par le dernier concile du Vatican.

Au douzième siècle, un moine bénédictin, Gratien, entreprit une nouvelle collection de canons ; il y fusionna les anciens avec les Fausses Décrétales, et il contribua ainsi puissamment à répandre des opinions erronées sur la discipline, car son ouvrage fut adopté, au moyen-âge, pour l’enseignement du Droit ecclésiastique.

On y ajouta plusieurs collections de Décrétales des papes qui vécurent ensuite : telle est la compilation en cinq livres de Raymond de Pegnafort ; le sixième livre ou le sexte, publié par Boniface VIII ; les Clémentines ; enfin les Extravagantes, c’est-à-dire les Décrétales qui errent en dehors du Corps du Droit. Ces pièces devinrent très nombreuses ; elles ont supplanté, dans l’Église romaine actuelle, tous les autres monuments législatifs et tous les codes.

Dans les Églises séparées de l’orthodoxie et du pape, la discipline est tellement confuse, contradictoire, tombée en désuétude, qu’il est inutile d’en parler. Ces Églises, ayant rompu avec la tradition, ayant rejeté toute autorité, ou n’en ayant gardé que l’apparence, n’ont pu conserver un corps de lois respectées. Elles sont tombées dans une situation mixte, où les lois de l’État ont modifié ou remplacé presque toutes les anciennes lois de l’Église.



  1. Canon est un mot grec qui signifie règle.
  2. Ainsi appelé parce qu’il fut réuni sous le dôme du palais impérial de Constantinople.