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Extrême-Orient, 1931 — 1938/1931-3

La bibliothèque libre.
L. Fournier et Cie (p. 16-18).

AVANT LA CONVENTION NATIONALE CHINOISE


26 Avril 1931.


Le 5 mai doit se réunir à Nankin une Convention nationale, qui élaborera une Constitution provisoire. On se rappelle que Tchiang Kaï Chek, président du gouvernement de Nankin, tient essentiellement à cette Constitution, et que l’opposition que Hou Han Min, président du « yuan » (conseil) législatif fit à ce projet fut cause que Tchiang l’obligea à donner sa démission. Depuis lors, le bruit court avec plus de persistance qu’auparavant dans les milieux politiques chinois, que Tchiang a l’intention de se faire nommer président de la République. Il s’en défend avec énergie, tout en se déclarant prêt à assumer toutes les responsabilités.

En réalité la personnalité de Tchiang en est arrivée à trop déborder le cadre ordinaire des fonctions politiques pour qu’elle ne tende pas à se manifester en marge et au-dessus. Les gens informés s’attendent à une crise qui aboutira, soit à la nomination en question, soit à la disparition de Tchiang de la scène politique devant un obstacle comme il en surgit soudain quelquefois sous les pas des puissants de la Chine. Mais d’où pourrait bien venir cet obstacle dans le cas de Tchiang Kaï Chek ? De concurrents à la présidence de la République il ne saurait en avoir. D’opposition au nom des principes on a vu le cas qu’il a fait de celle de Hou Han Min. Reste l’opposition par les armes. Or, depuis la défaite de Yen Si Chan et de Feng Yu Siang, seul Tchang Sue Liang, de Moukden, est de force à se mettre en travers des ambitions du généralissime.

Cependant, les informations les plus récentes ne font nullement redouter de difficultés graves pouvant dégénérer en conflit entre Nankin et Moukden. Nankin, d’une part, sait que tout souci militaire du fait des Russes ne peut lui être épargné que par Tchang Sue Liang. Celui-ci, d’autre part, en étendant comme il l’a fait son pouvoir au delà de son fief de Mandchourie et en assumant le contrôle de plusieurs provinces en Chine proprement dite, au nord du fleuve Jaune, s’est affaibli militairement en Mandchourie, et doit pouvoir compter sur Nankin s’il avait de nouveau à faire face à des attaques eusses à la frontière sibérienne. Chacun des deux chefs a, comme on le voit, besoin de l’autre, et en même temps chacun d’eux a intérêt à écarter toute menace soviétique, c’est d’ailleurs pourquoi l’on peut penser que les négociations sino-soviétiques qui viennent de reprendre à Moscou fin iront cette fois par aboutir.

On sait qu’il ne s’agit plus seulement d’un règlement de la question du chemin de fer de l’Est-Chinois, mais d’un règlement général des relations sino-soviétiques. Si comme il est probable les pourparlers aboutissent, il faut s’attendre à une recrudescence de l’influence russe en Mandchourie, rançon d’une sécurité d’un autre ordre. Déjà l’on constate que les Soviets regagnent peu à peu dans cette vaste région et à Kharbine notamment les avantages que leur avait fait perdre le conflit de l’Est-Chinois. « Déjà, dit le Journal de Shanghaï, le dumping russe sévit dans la Mandchourie qui est envahie par toutes sortes de produits, vendus à un prix inférieur à celui du marché russe. Tout cela n’est qu’un avant goût de ce que nous verrons quand le nouveau traité sino-soviétique aura permis à Moscou de réinstaller dans toute la Chine ses consuls, le personnel de la Dalbank, ses agents commerciaux et sa légion de propagandistes ».

Il est permis de faire un rapprochement entre les craintes ainsi exprimées et un programme de politique extérieure chinoise que la presse chinoise, probablement inspirée, a esquissé à diverses reprises. Alors que certaines personnalités marquantes sont d’avis de continuer la politique de Nankin, c’est-à-dire de tâcher de s’entendre par de patientes négociations avec l’Angleterre, l’Amérique, la France et le Japon sur les grandes questions pendantes, telles que celle de l’exterritorialité, d’autres, plus pressées, prises surtout parmi les militaires, conseillent de se tourner vers la Russie, l’Allemagne, l’Italie et la Turquie. C’est au programme de ces dernières que nous faisons allusion.

Il est indubitable que si les négociations en cours avec Moscou se terminent par un accord, pareil résultat donnera plus d’autorité aux partisans du dit programme. Sans exagérer le danger de voir les Chinois le réaliser de point en point, car ils savent bien ce qu’ils auraient à perdre à se mettre à dos le premier groupe de puissances que nous venons de citer, il convient pourtant que ces puissances se gardent de favoriser ou simplement de faciliter inconsidérément par leur passivité l’activité multiple de l’Union soviétique en Chine et la concurrence économique d’autres pays.

La date du 5 mai sera une date mémorable pour la Chine, non seulement en matière de politique intérieure, mais aussi en politique extérieure, à cause du commencement de fixité et du caractère définitif qu’elle donnera aux institutions, après l’instabilité et le désordre de ces dernières décades.