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Extrême-Orient, 1931 — 1938/1933-6

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L. Fournier et Cie (p. 72-74).

LES RAPPORTS ACTUELS DE LA CHINE ET DU JAPON

18 Décembre 1933.

Voilà plusieurs mois que les gouvernements de Nankin et de Tokio cherchent à régler un certain nombre de questions relatives au Mandchoukouo. Aucun doute n’est permis à cet égard. Des télégrammes ont donné des précisions. C’est ainsi qu’un télégramme de Pékin du 19 octobre dernier, annonçant tout d’abord l’arrivée dans cette ville de M. Ariyoshi, ministre du Japon à Nankin, énumérait ensuite les points suivants sur lesquels ce dernier allait s’entretenir avec le général Houang Fou, délégué du gouvernement de Nankin dans le Nord et président du conseil politique de Pékin :

1° La liberté de la navigation sur la rivière de Luan ;

2° Règlement postal entre l’État mandchou et la Chine ;

3° Création de trains directs entre Pékin et Moukden ;

4° Occupation par une garnison chinoise des passes de la Grande Muraille ;

5° Communications par terre et par air ;

6° Établissement de barrières douanières aux passes de la Grande Muraille ;

7° Maintien de l’ordre dans la zone démilitarisée.

En somme, depuis la trève de Tangkou du 31 mai dernier, les relations entre les gouvernements de Nankin et de Tokio se sont améliorées.

Le Journal de Shanghaï du 24 août écrivait, sous la signature d’« Un Chinois » : « Incontestablement, la situation des relations sino-japonaise s’est améliorée et n’a pu l’être que grâce à l’application d’une politique en vue d’arrondir les angles… On ne parle guère depuis le commencement de l’année, de la Mandchourie dont le nom figure rarement dans les journaux chinois. Nos confrères s’abstiennent d’employer le mot « ennemi » en parlant du Japon, et les bruyantes associations anti-japonaises ont mis depuis plusieurs mois une sourdine à leur propagande pour la reprise du territoire perdu ». Et le rédacteur de l’article écrivait en terminant qu’il voyait chez les Chinois et les Japonais « l’intention d’arriver le plus vite possible à un certain modus vivendi avant l’accord définitif » ; c’est-à-dire que la reconnaissance du Mandchoukouo par la Chine n’aurait pas lieu, mais que certaines questions seraient pratiquement traitées comme si cette reconnaissance avait eu lieu.

Depuis l’entrevue d’octobre Ariyoshi-Houang Fou, il y en eut une autre, à la fin de la première semaine de novembre, entre le même Houang Fou et le général Okamoura, sous-chef de l’État-Major de l’armée japonaise de Port-Arthur et de Dairen (armée du Kouan-Toung). Cette entrevue d’après les dépêches qui en faisaient part, fut consacrée à discuter les annexes à la trêve de Tangkou. Enfin le 2 décembre, c’était l’attaché militaire japonais en Chine qui avec un délégué du gouvernement de Nankin se rendait auprès de Houang Fou. « Dans les milieux bien informés, ajoutait le télégramme de Pékin qui annonçait l’entrevue, on estime que les porte-paroles de la Chine insisteront pour ignorer le Mandchoukouo et pour traiter seulement avec le Japon ». Cette dernière phrase disait bien ce dont il s’agissait. Houang Fou, d’après une information de Shanghaï, a même tout dernièrement « insisté auprès de Nankin sur les inconvénients qu’il y aurait à retarder davantage les pourparlers qu’il a entamés avec les représentants japonais sur les douanes, la poste et les communications ferroviaires, et qu’une forte opposition avait fait interrompre ».

En effet — et ici nous sommes d’accord avec des personnes qui nient tout rapprochement sino-japonais — des éléments chinois d’opposition sont parvenus sinon à faire rompre ou même suspendre officiellement les pourparlers de Nankin, du moins à les interrompre en fait. Pour ces opposants aucune conversation, par conséquent aucun rapprochement n’est possible avec le Japon. Mais ce serait aller contre l’évidence que de nier l’autre courant, officiel celui-là, qui est pour une conversation d’ailleurs commencée comme on vient de le voir.

À son retour récent de Chine, M. Pelliot, le savant sinologue, professeur au Collège de France, qui connaît admirablement la psychologie des Chinois, déclarait que le triumvirat Tchiang Kaï Chek, T.-V. Soung et Ouang Tching Ouei paraissait s’acheminer vers une politique d’où sortirait vraisemblablement un « rapprochement sino-japonais ». Il fut un temps qui n’est pas loin où M. T.-V. Soung, qui avait assez longtemps respiré l’air de Genève, n’était pas enclin à s’acheminer vers cette politique. Les télégrammes parvenus d’Extrême-Orient au cours de son voyage de retour en Chine, ont plus d’une fois laissé percer les efforts de ses deux collègues pour le rallier à leur raisonnable point de vue.

Toutefois ce que nous voyons faire au gouvernement de Nankin c’est simplement d’essayer de prendre avec les Japonais des dispositions pratiques au sujet de Mandchoukouo. À cela se borne leur politique ; mais on conviendra que des gens qui, déjà, cherchent à s’entendre pour des fins qu’ils jugent nécessaires, ne sont pas aussi loin les uns des autres que certains le prétendent. Il existe en tout cas une notable différence entre eux et les éléments chinois d’opposition dont nous avons parlé. Ajoutons, ce qui n’est pas négligeable, que les capitaux chinois se placent actuellement dans le Mandchoukouo. Le Chinois, essentiellement pratique, sait placer son argent.

Jusqu’où ira le commencement de rapprochement sino-japonais qui se dessine à l’horizon ? Nous le verrons bien. À chaque jour suffit sa peine.