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Extrême-Orient, 1931 — 1938/1934-7

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L. Fournier et Cie (p. 102-104).

LE RAPPROCHEMENT SINO-JAPONAIS ET LES ÉTATS-UNIS

29 Juillet 1934.

On a déjà beaucoup parlé de la conférence navale qui doit avoir lieu l’an prochain et l’on en parlera bien davantage encore d’ici là. Du Japon, en particulier, sont parvenus à ce sujet des télégrammes qui témoignent de peu d’enthousiasme ou qui expriment certaines opinions ou même posent certaines conditions peu encourageantes sinon peu rassurantes.

Les Japonais voient la conférence navale sous l’angle du problème du Pacifique ; les Américains ne la voient d’ailleurs pas autrement. L’indépendance accordée aux Philippines et le voyage du président Roosevelt aux îles Hawaï sont à cet égard assez significatifs. Notre distingué confrère M. W. Morton Fullerton rappelait hier les lignes suivantes, qu’il écrivait l’année dernière : « Le problème de la persistante collaboration du peuple américain avec M. Roosevelt n’est pas tant celui de la valeur relative du dollar, ni celui de la stabilité du pouvoir d’achat de la monnaie. Ce problème est fonction des vastes pensées de l’ancien sous-secrétaire à la marine. En un mot, le problème est tout simplement celui du Pacifique… Si je ne me trompe, la parole est au Japon. » Et il ajoutait avec raison : « Voilà une remarque qui fut inintelligible peut-être, lorsque je l’ai faite il y a un an. À l’heure qu’il est, elle devient assurément fort claire. Le président des États-Unis vogue vers Hawaï à bord d’un bâtiment de guerre. »

En somme, les Américains ne s’illusionnent pas ; ils savent que la conférence de Washington, l’Immigration Act de 1924, le départ du Japon de Genève et enfin leur reconnaissance du gouvernement de Moscou, au moment où celui-ci pouvait se croire menacé, n’ont été, de la part de leurs gouvernements, que des expédients qui, par définition, ne devaient apporter aucune solution et ne pouvaient même rien changer au fond du problème du Pacifique, lequel reste entier.

Dans son rapport annuel sur les problèmes économique mondiaux pendant l’année 1933, le département au commerce de Washington fait ressortir un accroissement considérable des exportations japonaises à destination de l’Amérique latine, des Philippines, des Indes néerlandaises, de l’Australie, de certains pays d’Afrique, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Espagne, de la Norvège et de la Suède aux dépens des exportations américaines. En Chine seulement les États-Unis ont maintenu leur position et même les exportations japonaises y sont tombées de 13,95 pour cent à 9,71 pour cent du fait du boycottage.

La concurrence est toujours à l’arrière-plan des faits et gestes américains et japonais en Chine, et sous couleur d’aider celle-ci d’une manière quelconque Américains et Japonais n’ont jamais songé qu’à s’y faire concurrence. C’est pourquoi, bien que l’Amérique ait refusé de se joindre à la Société des Nations, des experts américains sont tout de même envoyés en Chine en vue de la réorganisation du pays ; c’est pourquoi aussi le rapprochement sino-japonais actuel n’est pas fait pour plaire à Washington.

Un mot sur ce rapprochement. Nous l’attendions depuis la fin du conflit de 1931-1933 parce qu’il est, avons-nous écrit souvent, dans l’ordre de la politique sino-japonaise. Il se fait sans bruit, sans éclat, à la chinoise. Les dépêches du Japon l’ont mentionné avec la discrétion qu’il fallait. Les Chinois, pour éviter qu’il ne fût interprété au dehors comme une reconnaissance du Mandchoukouo, l’ont fait pour ainsi dire par personne interposée.

Il devait essentiellement se traduire par la reprise du trafic ferroviaire direct entre Pékin et Moukden. Or au lieu que le gouvernement chinois parût dans le nouveau règlement, ce fut une entreprise chinoise privée qui assuma la charge du trafic.

Les Japonais ne soulevèrent aucune difficulté pour les modifications qu’apporta au règlement le ministère chinois des chemins de fer. En revanche, jusqu’au dernier moment les Chinois discutèrent entre eux avec véhémence, dit-on, sur l’opportunité de l’accord même. Le président du Yuan exécutif fit très sagement remarquer qu’il fallait éviter de nouvelles difficultés entre la Chine et le Japon et finit par emporter le vote de l’accord.

Que cette politique sino-japonaise ne soit pas du goût des Américains, ce n’est pas douteux. Elle doit rappeler, à ceux qui pourraient l’oublier, que les relations politiques et les méthodes diplomatiques entre Chinois et Japonais ne sauraient être jugées à la seule lumière de notre expérience d’Européens. Elle doit aussi leur rappeler le problème du Pacifique qui n’est autre que le problème de la Chine, ce dont les Américains et les Japonais sont intimement convaincus ; aussi faut-il s’attendre, nous le répétons, à ce que cette conviction commande leur attitude à la conférence navale de 1935.