Extrait des Chroniques de Monstrelet

La bibliothèque libre.
Enguerrand de Monstrelet
Extrait des Chroniques de Monstrelet
Textes établis par François-Victor Hugo
Œuvres complètes de Shakespeare
La patrie – II
Paris, Pagnerre, 1873
p. 337-359
Henry VI, Première Partie Wikisource


EXTRAIT DES CHRONIQUES
D’ENGUERRAND DE MONSTRELET.


Comment le roy d’Angleterre assembla grand’puissance pour venir en France, et des ambassadeurs qui furent envoyés devers ledit roy, et la réponse qu’ils eurent.

En après, les ambassadeurs du roi d’Angleterre qui avaient été en France, comme dit est dessus, retournés vers lui, quand ils eurent fait la relation de la réponse qu’ils avaient eue du roi de France et de ceux de sa partie, lui ni ses princes n’en furent pas bien contents. Et pour ce assembla son grand conseil, pour suricelle avoir avis et délibération. En la fin duquel conseil fut conclu qu’il assemblerait de tout son royaume la plus grand’puissance de gens de guerre que finer (trouver) pourrait sur intention d’entrer en France, et conquerre et travailler à son pouvoir le royaume, et tant faire, s’il pouvait, qu’il en débouterait le roi de France et ses successeurs… Lesquelles conclusions furent assez tôt divulguées à Paris et sues en l’hôtel du roi ; et pourtant le duc d’Aquitaine, qui avait pris le gouvernement du royaume pour l’occupation du roi son père, fit présentement assembler le grand conseil, et remanda à venir à Paris le duc de Berry, son oncle, et aucuns autres sages, et tint plusieurs conseils pour savoir sur cette matière comment il s’aurait à conduire et gouverner. Si fut délibéré qu’on ferait préparer gens d’armes par toutes les parties du pays du royaume de France, pour être prêts pour résister et aller à l’encontre du dit roi d’Angleterre et les siens ; et outre, qu’on envoierait devers le dit roi d’Angleterre une solennelle ambassade pour lui faire aucunes offres raisonnables assez, selon les requêtes qu’avaient faites ses derniers ambassadeurs, à laquelle faire furent commis le comte de Vendôme, maître Guillaume Bouratier, archevêque de Bourges, l’évêque de Lisieux, nommé maître Pierre Franel, les seigneurs d’Ivry et de Braquemont, maître Gautier Col, secrétaire du roi, et maître Jean Andrieu, avec autres du grand conseil.

Lesquels, partant de Paris, allèrent à Douvres en Angleterre. Si étaient trois cent cinquante chevaucheurs. En après allèrent à Cantorbie ; duquel lieu furent menés par les gens du roi anglais par Rochestre jusqu’à Londres, et en la fin vinrent à Vincestre, auquel lieu devant le roi, les ducs de Clarence, de Bedford et de Glocester, ses frères, par la bouche de l’archevêque de Bourges, ils exposèrent leur ambassade au dit roi. Lequel archevêque exposa premièrement en latin, et après en français si éloquemment, si distinctement, si brièvement et si sagement que les Anglais et les Français ses compagnons grandement s’en émerveillèrent. En la fin de sa dite proposition offrirent au dit roi terre et très-grand’somme de pécune, avec la fille du roi de France qu’il prendrait à femme ; mais pour ce qu’il voulait délaisser et défaire son armée qu’il assemblait au port de Hantonne (Southampton) ; et par ainsi on accorderait et ordonnerait perdurablement avec lui et son dit royaume vraie, entière et parfaite paix.

Après laquelle proposition finie, tous se partirent les ambassadeurs français dessus nommés, et furent grandement reçus au dîner avec le roi. Après ce, le dit roi, en un autre certain jour, fit faire réponse aux dits ambassadeurs sur leur dite proposition par l’archevêque de Cantorbie[1]. Lequel archevêque de Cantorbie fut assez aigrement repris par celui de Bourges, où il était besoin, en lui disant : « Je n’ai pas ainsi dit, mais j’ai dit ainsi, et par telle manière. » En la fin de ladite réponse, fut conclu par le roi d’Angleterre et son grand conseil que, si le roi de France ne lui donnait, avec sa fille à mariage, les duchés d’Aquitaine, de Normandie, d’Anjou et de Touraine, les comtés de Poitou, du Mans et de Ponthieu, et toutes les autres choses jadis appartenant héritablement aux rois d’Angleterre ses prédécesseurs, il ne se désisterait pas de son voyage, entreprise et armée, mais détruirait de tout en tout à son pouvoir le royaume et le roi de France son adversaire et détenteur d’iceux pays injustement, et que par épée il recouvrerait toutes ces choses, et lui ôterait la couronne du dit royaume s’il pouvait. Le roi de sa propre bouche avoua le dit archevêque de Cantorbie, et dit qu’ainsi le ferait par la permission de Dieu.

Comment le roi Henri vint à Hantonne ; de la conspiration faite contre lui par ses gens ; du siége qui fut mis à Harfleur et de la reddition d’icelle ville.

Le dit roi d’Angleterre venu au port de Hantonne, avec tout son exercite, prêt pour passer la mer et venir en France, fut averti qu’aucuns grands seigneurs de son hôtel avaient fait conspiration à l’encontre de lui, veuillant remettre le comte de Marche, vrai successeur et héritier du roi Richard, en possession du royaume d’Angleterre. Ce qui était véritable, car le comte de Cantbrie[2] et autre avaient conclu de prendre le dessus dit roi et ses frères, sur intention d’accomplir les besognes dessus dites. Si s’en découvrirent au comte de Marche, lequel le révéla au roi Henry, en lui disant qu’il avisât à son fait, où il serait trahi ; et lui nomma les dits conspirateurs, lesquels le dessus dit rois fit tantôt prendre. Et bref en suivant fit trancher les têtes à trois des principaux, c’est à savoir au comte de Cambrie, frère au duc d’York, au seigneur de Scruppe[3], lequel couchait toutes les nuits avec le roi, et au seigneur de Grez[4], et depuis en furent aucuns exécutés.

Après lesquelles besognes, peu de jours en suivant, le dit roi d’Angleterre et toute son armée montèrent en mer, et en grand’diligence, et la vigile de l’Assomption Notre-Dame, par nuit, prirent port à un havre étant entre Harfleur et Honfleur, où l’eau de Seine chet en la mer. Et pouvaient être environ seize cents vaisseaux tous chargés de gens et habillements. Et prirent terre sans effusion de sang. Et après que tous furent descendus, le roi se logea à Graville, en un prieuré, et les ducs de Clarence[5] et de Glocestre[6], ses frères ; étaient assez près de lui le duc d’York et le comte d’Orset[7] ses oncles ; l’évêque de Norwègue (Norwich), le comte d’Oxenford, maréchal, les comtes de Warwick[8] et de Kime, les seigneurs de Chamber, de Beaumont, de Villeby (Willoughby), de Trompantin, de Cornouaille, de Molquilat et plusieurs autres se logèrent où ils purent le mieux, et après assiégèrent très-puissamment la ville de Harfleur, qui était la clé sur la mer de toute la Normandie.

Et étaient en l’ost du roi environ six mille bassinets et vingt-quatre mille archers, sans les canonniers et autres usant de fonte et engins, dont ils avaient grande abondance. En laquelle ville de Harfleur étaient entrés avec ceux de la ville environ quatre cents hommes d’armes élus pour garder et défendre la dite ville, entre lesquels étaient le seigneur d’Estouteville, capitaine de la ville de par le roi, et plusieurs vaillants chevaliers et écuyers, résistant moult fort aux Anglais descendus à terre. Mais rien n’y valut pour la très-grand’multitude et puissance. Et à peine purent-ils rentrer en la dite ville, et ainçois (avant) que les dits Anglais descendissent à terre, iceux Français ôtèrent la chaussée étant entre Moutiervilliers (Montivilliers) et la dite ville, pour empirer la voie aux dits Anglais, et mirent les pierres en leur ville. Néanmoins les dits Anglais, vaguant par le pays, prirent et amenèrent plusieurs prisonniers et proies, et assirent leurs gros engins ès lieux plus convenables entour de la dite ville, et prestement icelle moult travaillèrent par grosses pierres et dommageant les murs.

D’autres parts, ceux de la dite ville moult fort se défendaient d’engins et d’arbalètes, occisants plusieurs des dits Anglais. Et sont à la dite ville tant seulement deux portes, c’est à savoir la porte Calcinences et la porte Moutiervilliers, par lesquelles ils faisaient souvent grands envahies sur les dits Anglais, et les Anglais fort se défendaient. Icelle ville était moult forte de murs et tours moult épaisses, fermée de toutes parts et ayant grands et profonds fossés… Néanmoins le dit roi d’Angleterre, en grand’diligence et labeur, persévéra toujours en son siége ; et fît faire trois mines par dessous la muraille qui étaient prêtes pour effondrer. Et avec ce fit par ses engins confondre et abattre grand’partie des portes, tours et murs d’icelle ville ; parquoi finablement les assiégés, sachant qu’ils étaient tous les jours en péril d’être pris de force, se rendirent au dit roi anglais, et se mirent à sa volonté, au cas qu’ils n’auraient secours dedans trois jours ensuivant ; et sur ce baillèrent leurs otages moyennant qu’ils auraient leurs vies sauves et seraient quittes pour payer finances.

Si envoyèrent tantôt le seigneur de Bacqueville et aucuns autres devers le roi de France et le duc d’Aquitaine qui étaient à Vernon-sur-Seine, à eux noncer leur état et nécessité, en suppliant qu’il leur voulût bailler secours dedans trois jours dessus dits, ou autrement il perdrait sa ville et ceux qui étaient dedans ; mais à bref dire il leur fut répondu que la puissance du roi n’était pas assemblée ni prête pour bailler le dit secours hâtivement. Et sur ce s’en retourna le dit seigneur de Bacqueville à Harfleur, la quelle fut mise en la main du roi d’Angleterre le jour de Saint-Maurice, à la grand’ et piteuse déplaisance de tous les habitants, et aussi des Français, car, comme dit est dessus, c’était le souverain port de toute la duché de Normandie.

Du voyage que le roi d’Angleterre entreprit à venir à Calais.

Or est vrai qu’après le traité fait et conclu entre le roi d’Angleterre et ceux de la ville de Harfleur, comme dit est, et que les portes furent ouvertes et ses commis entrés dedans, icelui roi à entrer en la porte descendit de dessus son cheval et se fit déchausser ; et en tel état s’en alla jusqu’à l’église Saint-Martin, parrochiale d’icelle ville, et là fit son oraison très-dévotement, en regraciant son Créateur de sa bonne fortune.

Après, en la fin de quinze jours, se partit le dit roi de la ville de Harfleur, veuillant aller à Calais accompagné de deux mille hommes d’armes et de treize mille archers ou environ, avec grand nombre d’autres gens, et s’en alla loger à Fauville et ès lieux voisins. Après, en dépassant le pays de Caux, vint vers le comté d’Eu… Et de là icelui roi d’Angleterre, trépassant le Vimeu, avait volonté de passer la rivière de Somme à la Blanche-Tache où jadis passa son aïeul Édouard, roi d’Angleterre, quand il gagna la bataille de Crécy contre le roi Philippe de Valois ; mais, pour tant que les Français à grand’puissance gardaient le dit passage, reprit son chemin tirant vers Araines, embrasant et ardant plusieurs villes, prenant hommes et emmenant grands proies.

Et le dimanche treizième jour d’octobre fut logé à Bailleul en Vimeu. Et de là passant pays, envoya grand nombre de ses gens pour gagner le passage du pont de Remy ; mais les seigneurs de Gaucourt et du Pont-de-Remy avec des enfants et grand nombre de gens d’armes défendirent bien et roidement le dit passage contre iceux Anglais ; pour quoi le roi d’Angleterre, non pouvant passer, s’en alla loger à Hangest-sur-Somme et ès villages à l’environ.

Et adonc étaient à Abbeville messire Charles d’Albret, connétable de France, le général Boucicaut, le comte de Vendôme, grand maître-d’hôtel du roi ; le seigneur de Dampierre, soi disant amiral de France, le duc d’Alençon et le comte de Richemont avec autre grand’ et notable chevalerie, lesquels oyant les nouvelles du chemin que tenait le roi d’Angleterre, se départirent, et allèrent à Corbie et de là à Pérone, toujours leurs gens sur le pays assez près d’eux, contendant garder tous les passages de l’eau de Somme contre les dits Anglais.

Et le dit roi d’Angleterre de Hangest s’en alla passer au Pont-Audemer, et par devant la ville d’Amiens, s’en alla loger à Boves et après à Harbonnières, Vauviller, Bauviller. Et toujours les dits Français côtoyaient par l’autre lez de la Somme. Finablement le roi d’Angleterre passa l’eau de Somme le lendemain de la Saint-Luc, par le passage de Voyenne et de Béthencourt, lesquels passages n’avaient pas été rompus par ceux de Saint-Quentin, comme il leur avait été enjoint de par le roi de France. Et alla le dit roi d’Angleterre loger à Mouchy-la-Gâche, et vers la rivière de Miraumont, et les seigneurs de France et tous les Français se tirèrent à Bapaume et au pays de l’environ.

Comment le roi de France et plusieurs de ses princes étant avec lui à Rouen conclurent en conseil que le roi d’Angleterre serait combattu.

Durant le temps dessus dit, le roi de France et le duc d’Aquitaine vinrent à Rouen, auquel lieu, le vingtième jour d’octobre, fut tenu un conseil pour savoir ce qui était à faire contre le roi d’Angleterre. Auquel lieu furent présents le roi Louis, les ducs de Berri et de Bretagne, le comte de Ponthieu, mains-né fils du roi, les chanceliers de France et d’Aquitaine, et plusieurs autres notables conseillers, jusqu’au nombre de trente-cinq ; lesquels, après que plusieurs choses en présence du roi eurent êté pourparlées et débattues sur cette matière, fut en la fin conclu par trente conseillers du nombre dessus dit que le roi d’Angleterre et sa puissance seraient combattus ; et les cinq, pour plusieurs raisons, conseillaient pour le meilleur à leur avis qu’on ne les combattît pas au jour nommé ; mais en la fin fut tenue l’opinion de la plus grand’partie. Et incontinent le roi manda détroitement à son connétable par ses lettres, et à ses autres officiers, que tantôt se missent tous ensemble avec toute la puissance qu’ils pourraient avoir, et combattissent le dit roi d’Angleterre et les siens. Et lors après ce fut hâtivement divulgué par toute la France que tous nobles hommes accoutumés de porter armes, veuillants avoir honneur, allassent nuit et jour devers le connétable où qu’il fût. Et mêmement Louis, duc d’Aquitaine, avait grand désir d’y aller, nonobstant que par le roi son père lui eût été défendu ; mais par le moyen du roi Louis de Sicile et du duc de Berri, il fut attargé de non y aller.

Or, convient retourner au roi d’Angleterre, lequel de Mouchy-la-Gâche, où il était logé, comme dit est dessus, se tira par devers Encre, et alla loger en un village nommé Forceville, et ses gens se logèrent à Acheu et ès villes voisines. Et le lendemain, qui était le mercredi, chevaucha par emprès Lucheu, et alla loger à Bouviers-l’Écaillon, et le duc d’York, son oncle, menant l’avant-garde, se logea à Fremont, sur la rivière de Canche.

Et est vrai que pour cette nuit les dits Anglais furent bien logés en sept ou huit villages en l’éparse. Toutefois, ils n’eussent nuls empêchements, car les Français étaient allés pour être au-devant d’iceux Anglais vers Saint-Pol et sur la rivière d’Anjain. Et le jeudi, le dessus dit roi d’Angleterre de Bouviers se délogea ; et puis, chevauchant en moult belle ordonnance, alla jusqu’à Blangy auquel lieu, quand il eut passé l’eau et qu’il fut sur la montagne, ses coureurs commencèrent à voir de toutes parts les Français venant par grands compagnies de gens d’armes pour aller loger à Roussauville et à Azincourt, afin d’être au-devant des dits Anglais pour le lendemain les combattre.

Et ce propre jeudi, vers le vêpre, à aucunes courses fut Phliippe, comte de Nevers, fait nouveau chevalier par la main de Boucicaut, maréchal de France, et avecque lui plusieurs autres grands seigneurs. Et assez tôt après arriva le dit connétable assez près du dit Azincourt, auquel lieu avec lui se rassemblèrent tous les Français en un seul ost, et là se logèrent tous à pleins champs, chacun au plus près de sa bannière ; sinon aucunes gens de petit état qui se logèrent ès villages au plus près de là. Et le roi d’Angleterre avec tous ses Anglais se logea en un petit village nommé Maisonceiles, à trois traits d’arc ou environ des Français.

Lesquels Français, avec tous les autres officiers royaux, c’est à savoir le connétable, le maréchal Boucicaut, le seigneur de Dampierre et messire Clignet de Brabant, tous deux eux se nommant amiraux de France, le seigneur de Rambures, maître des arbalétriers, et plusieurs princes, barons et chevaliers, fichèrent leurs bannières en grand’liesse, avec la bannière royale du dit connétable, au champ par eux avisé et situé en la comté de Saint-Pol, au territoire d’Azincourt, par lequel le lendemain devaient passer les Anglais pour aller à Calais, et firent celle nuit moult grands feux, chacun au plus près de la bannière sous laquelle ils devaient lendemain combattre. Et jà soit ce que les Français fussent bien cent cinquante mille chevaucheurs, et grand nombre de chars et charrettes, canons, ribaudequins et autres habillements de guerre, néanmoins si avaient-ils peu d’instruments de musique pour eux réjouir, et à peine hennissaient nuls de leurs chevaux toute la nuit ; dont plusieurs avaient grand’merveille disant que c’était signe de chose à venir.

Et les dits Anglais en toute celle nuit sonnèrent leurs trompettes et plusieurs manières d instruments de musique, tellement que toute la terre entour d’eux retentissait par leurs sons, nonobstant qu’ils fussent moult lassés et travaillés de faim, de froid et autres mésaises, faisant paix avecque Dieu, confessant leurs péchés en pleurs, et prenant plusieurs d’iceux le corps de Notre-Seigneur ; car ie lendemain, sans faiblir attendaient la mort, comme depuis il fut relaté par aucuns prisonniers.

Comment les Français et Anglais s’assemblèrent à batailler l’un contre l’autre, auprès d’Azincourt, en la comté de Saint-Pol, et obtinrent les dits Anglais la journée.

En après, le lendemain, qui fut le vendredi vingt-cinquième jour du mois d’octobre mil quatre cent et quinze, les Français, c’est à savoir le connétable et tous les autres officiers du roi, les ducs d’Orléans, de Bourbon, de Bar et d’Alençon ; les comtes de Nevers, d’Eu, de Richemont, de Vendôme, de Marie, de Vaudemont, de Blamont, de Salm, de Grand-Pré, de Roussy, de Dammartin, et généralement tous les autres nobles et gens de guerre s’armèrent et issirent hors de leurs logis. Et adonc, par le conseil du connétable et aucuns sages du conseil du roi de France, fut ordonné à faire trois batailles, c’est à savoir avant-garde, bataille et arrière-garde. En laquelle avant-garde furent mis environ huit mille bassinets, chevaliers et écuyers, quatre mille archers et quinze cents arbalétriers. Laquelle avant-garde conduisait le dit connétable, et avec lui les ducs d’Orléans et de Bourbon, les comtes d’Eu et Richemont, le maréchal Boucicaut, le maître des arbalétriers, le seigneur de Dampierre, amiral de France, messire Guichard Dauphin, et aucuns autres capitaines. Le comte de Vendôme, et aucuns autres officiers du roi, atout seize cents hommes d’armes, fut ordonné faire une aile pour férir les dits Anglais de côté ; et l’autre aile conduisaient messire Clignet de Brabant, amiral de France, et messire Louis Bourdon, atout huit cents hommes d’armes de cheval, gens d’élite, avec les quels étaient, pour rompre le trait d’iceux Anglais, messire Guillaume de Saveuse, Hector et Philippe, ses frères, Ferry de Mailly, Aliaume de Gapaumes, Alain de Vendôme, Lamont de Launoy et plusieurs autres, jusqu’au nombre dessus dit.

Et en l’arrière-garde était tout le surplus des gens d’armes, lesquels conduisaient les comtes de Marie, de Dammartin, de Fauquembergue, et le seigneur de Lauroy, capitaine d’Ardre, qui avait amené ceux des frontières de Boulenois.

Et après que toutes les batailles dessus dites furent mises en ordonnance, comme dit est, c’était grand’noblesse de les voir. Et, comme on pouvait estimer à la vue du monde, étaient bien en nombre six fois autant que les Anglais. Et lorsque ce fut fait, les dits Français séaient par compagnies divisées, chacun au plus près de sa bannière, attendant la venue des dits Anglais, en eux repaissant, et aussi faisant, l’un avec l’autre, paix et union ensemble des haines, noises et dissensions qu’ils pouvaient avoir eues en temps passé les uns contre les autres. Et furent en ce point jusque entre neuf et dix heures du matin, tenants iceux Français pour certain, vu la grand’multitude qu’ils étaient, que les Anglais ne pourraient échapper de leurs mains. Toutefois y en avait plusieurs des plus sages, qui moult doutaient et craignaient à les combattre en bataille réglée. Pareillement les dits Anglais, ce vendredi au matin, voyant que les Français ne les approchaient pas pour les envahir, burent et mangèrent ; et après appelant la divine aide contre iceux Français qui les dépitaient, se délogèrent de la dite ville de Maisoncelles ; et allèrent aucuns de leurs coureurs par derrière la ville d’Azincourt, où ils ne trouvèrent nuls gens d’armes ; et pour effrayer les dits Français embrasèrent une grange et maison de la prioré Saint-Georges de Hesdin. Et d’autre part, envoya le dit roi anglais environ deux cents archers par derrière son ost, afin qu’ils ne fussent pas aperçus des dits Français, et entrèrent secrètement à Tramecourt, dedans un pré assez près de l’avant-garde d’iceux Français ; et là se tinrent tout coyement jusqu’à tant qu’il fut temps de traire ; et tous les autres Anglais demeurèrent avec leur roi. Lequel tantôt fît ordonner sa bataille par un chevalier chenu de vieillesse, nommé Thomas Epinhen[9], mettant les archers au front devant, et puis les gens d’armes ; et après fît ainsi comme deux ailes de gens d’armes et archers ; et les chevaux et bagages furent mis derrière l’ost. Lesquels archers fichèrent devant eux chacun un pieu aiguisé à deux bouts. Icelui Thomas enhorta à tous généralement, de par le dit roi d’Angleterre, qu’ils combattissent vigoureusement pour garantir leurs vies ; et ainsi chevauchant lui troisième par devant la dite bataille, après qu’il eut fait les dites ordonnances, jeta en haut un bâton qu’il tenait en sa main, en disant : Ne strecke ! et descendit à pied comme était le roi, et tous les autres ; et au jeter le dit bâton, tous les Anglais soudainement firent une très-grand’huée, dont grandement s’émerveillèrent les Français.

Et quand les dits Anglais virent que les Français ne les approchaient, ils allèrent devers eux tout bellement par ordonnance ; et derechef firent un très-grand cri en arrêtant et reprenant leur haleine. Et adonc les dessus dits archers abscons au dit, pré tirèrent vigoureusement su les Français, en élevant, comme les autres, grand’huée ; et incontinent les dits Anglais approchant les Français, premièrement leurs archers, dont il y en avait bien treize mille, commencèrent à tirer à la volée contre iceux Français, d’aussi loin qu’ils pouvaient tirer de toute leur puissance ; desquels archers la plus grand’partie étaient sans armures en leurs pourpoints, leurs chausses avalées, ayant haches pendues à leurs courroies ou épées ; et si en y avait aucuns tout nu-pieds et sans chaperon.

Les princes étant avec le dit roi d’Angleterre étaient son frère le duc de Glocestre, le duc d’York, son oncle, les comtes Dorset, d’Oxinforde et de Suffort, le comte maréchal et le comte de Kent, les seigneurs de Chamber, de Beaumont, de Villeby et de Cornouaille, et de plusieurs autres notables barons et chevaliers d’Angleterre.

En après, les Français voyant iceux Anglais venir devers eux, se mirent en ordonnance chacun dessous sa bannière, ayant le bassinet au chef ; toutefois ils furent admonestés par le dit connétable et aucuns autres princes à confesser leurs péchés en vraie contrition et exhortés à bien et hardiment combattre, comme avaient été les dits Anglais.

Et là les Anglais sonnèrent fort leurs trompettes à l’approcher ; et les Français commencèrent à incliner leurs chefs, afin que les traits n’entrassent en leurs visières de leurs bassinets ; et ainsi allèrent un petit à l’encontre d’eux et les firent un peu reculer ; mais avant qu’ils pussent aborder ensemble, il y eut moult de Français empêchés et navrés par le trait des dits archers anglais. Et quand ils furent venus, comme dit est, jusqu’à eux, ils étaient si bien pris et serrés l’un de l’autre qu’ils ne pouvaient lever leurs bras pour férir sur leurs ennemis, sinon aucuns qui étaient au front devant, lesquels les boutèrent de leurs lances qu’ils avaient coupées par le milieu, afin qu’elles fussent plus fortes et qu’ils pussent approcher de plus près les dits Anglais. Et ceux qui devaient rompre les dits archers, c’est à savoir messire Clignet de Brabant, et les autres avec lui, qui devaient être huit cents hommes d’armes, ne furent que sept vingts qui s’efforçassent de passer parmi les dits Anglais. Et fut vrai que messire Guillaume de Saveuse, qui était ordonnée cheval comme les autres, se dérangea tout seul devant ses compagnons à cheval, cuidant qu’ils le dussent suivre, et alla frapper dedans les dits archers ; et là incontinent fut tiré jus de son cheval et mis à mort. Les autres pour la plus grand’partie, atout leurs chevaux, pour la force et doute du trait, redondèrent parmi l’avant-garde des dits Français, aux quels ils firent de grands empêchements ; et les dérompirent en plusieurs lieux, et firent reculer en terres nouvelles parsemées, car leurs chevaux étaient tellement navrés du trait des archers anglais qu’ils ne les pouvaient tenir ni gouverner ; et ainsi par iceux fut la dite avant-garde désordonnée ; et commencèrent à cheoir hommes d’armes sans nombre, et les dessus dits de cheval, pour peur de mort, se mirent à fuir arrière de leurs ennemis ; à l’exemple desquels se départirent et mirent en fuite grand’partie des dessus dits Français.

Et tantôt après, voyant les dessus dits Anglais cette division en l’avant-garde, tous ensemble entrèrent en eux et jetèrent jus leurs arcs et sagettes, et prirent leurs épées, haches, maillets, becs-de-faucons et autres bâtons de guerre, frappants, abattants et occisants iceux Français : tant qu’ils vinrent à la seconde bataille, qui était derrière la dite avant-garde ; et après les dits archers suivait et marchait le roi anglais moult fort atout ses gens d’armes.

Et adonc Antoine, duc de Brabant, qui avait été mandé de par le roi de France, accompagné de petit nombre, se bouta entre la dite avant-garde et bataille. Et pour la grand’hâte qu’il avait eue, avait laissé ses gens derrière : mais sans délai il fut mis à mort des dits Anglais. Lesquels conjointement et vigoureusement envahirent de plus en plus les dits Français en dérompant les deux premières batailles dessus dites en plusieurs lieux, et abattant et occisant cruellement et sans merci iceux. Et entre temps aucuns furent relevés par l’aide de leurs varlets et menés hors de ladite bataille ; car les dits Anglais si étaient moult ententieux et occupés à combattre, occire et prendre prisonniers, pour quoi ils ne chassaient, ne poursuivaient personne.

Et alors toute l’arrière-garde étant encore à cheval et voyant les deux premières batailles dessus dites avoir le pire, se mirent à fuir, excepté aucuns des chefs et conducteurs d’icelle, c’est à savoir qu’entre-temps que la dite bataille durait, les Anglais, qui jà étaient au-dessus, avaient pris plusieurs prisonniers français. Et adonc vinrent nouvelles au roi anglais que les Français les assaillaient par derrière, et qu’ils avaient déjà pris ses sommiers et autres bagues, la quelle chose était véritable, car Robinet de Bournonville, Rifflart de Clamasse, Ysambert d’Azincourt et aucuns autres hommes d’armes, accompagnés de six cents paysans, allèrent férir au bagage du dit roi d’Angleterre, et prirent les dites bagues et autres choses avecque grand nombre de chevaux des dits Anglais, entre temps que les gardes d’iceux étaient occupés en la bataille. Pour laquelle détrousse le dit roi d’Angleterre fut fort troublé ; voyant avecque ce devant lui à plein champ les Français, qui s’en étaient fuis, eux recueillir par compagnies ; et doutant qu’ils ne voulsissent faire nouvelle bataille fit crier à haute voix, au son de la trompette, que chacun Anglais, sur peine de la hart, occît ses prisonniers, afin qu’ils ne fussent en aide au besoin à leurs gens. Et adonc soudainement fut fait moult grand’occision des dits Français prisonniers. Pour laquelle entreprise les dessus dits Robinet de Bournonville et Ysambert d’Azincourt furent depuis punis et détenus prisonniers longue espace par le commandement du duc Jean de Bourgogne, combien qu’ils eussent donné à Philippe, comte de Charolais, son fils, une moult et précieuse épée, ornée de riches pierres et autres joyaux, laquelle était au roi d’Angleterre, et avait été trouvée et prise avecque ses autres bagues par iceux, afin que s’ils avaient aucune occupation pour le cas dessus dit, icelui comte les eût pour recommandés. En outre, le comte de Marle, le comte de Fauquembergue, les seigneurs de Lauroy et de Chin, atout six cents hommes d’armes qu’ils avaient à grand’peine retenus, allèrent frapper très-vaillamment dedans les dits Anglais, mais ce rien n’y valut ; car tantôt furent tous morts ou pris. Et en la conclusion, le dit roi d’Angleterre obtint la victoire contre ses adversaires ; et furent morts sur la place, de ses Anglais, environ seize cents hommes de tous états, entre lesquels y mourut le duc d’York, oncle du dessus dit roi d’Angleterre. Et pour vrai, en ce propre jour devant qu’ils s’assemblassent à bataille, et la nuit de devant, furent faits, de la partie des Français, bien cinq cents chevaliers ou plus.

Et après, le dit roi d’Angleterre, quand il fut demeuré victorieux sur le champ, comme dit est, et tous les Français, sinon ceux qui furent pris ou morts, se furent départis, fuyants en plusieurs et divers lieux, il environna avecque aucun de ses princes le champ dessus dit où la bataille avait été. Et entre-temps que ses gens étaient occupés à dénuer et dévêtir ceux qui étaient morts, il appela le héraut du roi de France, roi d’armes, nommé Montjoie, et avec plusieurs autres hérauts anglais et français, et leur dit : « Nous n’avons pas fait cette occision ; ains a été Dieu tout-puissant, comme nous croyons, par les péchés des Français. » Et après leur demanda auquel la bataille devait être attribuée, à lui ou au roi de France. Et alors icelui Montjoie répondit au dit roi d’Angleterre qu’à lui devait être la victoire attribuée, et non au roi de France. Après icelui roi leur demanda le nom du châtel qu’il véoit assez près de lui, et ils répondirent qu’on le nommait Azincourt. « Et pour tant, ce dit-il, que toutes batailles doivent porter le nom de la plus prochaine forteresse, village ou ville où elles sont faites, celle-ci, dès maintenant et perdurablement, aura en nom la bataille d’Azincourt. »

Et après que les dits Anglais eurent été grand espace sur le champ dessus dit, voyant qu’ils étaient délivrés de tous leurs ennemis et aussi que la nuit approchait, s’en retournèrent tous ensemble en la ville de Maisoncelles, où ils avaient logé la nuit de devant ; et là se logèrent portants avecque eux plusieurs de leurs gens navrés.

Et après leur département, par nuit, aucuns Français étant entre les morts, navrés, se traînèrent par nuits, au mieux qu’ils purent, à un bois qui était assez près du dit champ, et là en mourut plusieurs ; les autres se retirèrent à aucuns villages et autres lieux où ils purent le mieux. Et le lendemain le dit roi d’Angleterre et ses Anglais se délogèrent très-matin de la dite ville de Maisoncelles, et atout leurs prisonniers derechef allèrent sur le champ ; et ce qu’ils trouvèrent des dits Français encore en vie les firent prisonniers ou il les occirent. Et puis de là prenants leur chemin, se départirent, et en y avait bien les trois quarts à pied, lesquels étaient moult travaillés, tant de la dite bataille comme de famine et autres mésaises. Et par cette manière retourna le roi d’Angleterre en la ville de Calais, après sa victoire, sans trouver aucun empêchement ; et là laissa les Français en grand’douleur et tristesse pour la perte et destruction de leurs gens.

Comment Henry, roi d’Angleterre, atout sa puissance, vint à Troyes en Champagne pour lui marier et parconclure la paix finale avec le roi de France.

En ce même temps, Henry, roi d’Angleterre, accompagné de ses deux frères, c’est à savoir des ducs de Clarence et des comtes de Hautiton, de Warwick et de Kaint, avec plusieurs autres grands seigneurs d’Angleterre, et seize cents combattants ou environ, dont il avait la plus grand’partie archers, se partit de Rouen et vint à Pontoise, et de là à Saint-Denis, et après au pont de Charenton, où il laissa de ses gens pour garder le passage, et puis par Provins s’en alla à Troyes. Au-devant duquel, pour lui faire honneur et révérence, issirent le duc de Bourgogne et plusieurs seigneurs qui le convoyèrent jusqu’à son hôtel dedans icelle ville, où il se logea, et ses princes avecque lui, et ses gens d’armes se logèrent ès villages à l’environ. Et tôt après sa venue alla voir le roi, la reine, dame Catherine, sa fille ; si s’entrefirent très-grands honneurs l’un à l’autre ; et après furent assemblés de grands conseils entre eux pour parclore la paix finale et alliance, dont par avant est faite mention, et enfin furent d’accord. Et en ce qui par avant avait été traité et qui n’était agréable au dit roi d’Angleterre, fut lors corrigé grand’partie à sa volonté. Finalement, après le dit accord parfait, selon la coutume de France, la dessus dite dame Catherine fiança, et le lendemain du jour de la Trinité épousa icelui roi en l’église paroissiale, dessous la quelle il était logé ; si furent faites ce jour par lui et ses princes anglais grands pompes et bobants, comme si présentement dût être roi de tout le monde. Et là était, de la partie du roi de France, Philippe, duc de Bourgogne, par le moyen et à l’instance duquel tous les traités et alliances dessus dites se faisaient. Si étaient avecque lui Pierre de Luxembourg, comte de Luxembourg et Conversan ; messire Jean de Luxembourg, son frère ; le prince d’Orange, le seigneur de Jonvelle, le seigneur de Château-Vilain, le seigneur de Montagu, messire Régnier Pot, le seigneur de Chastellus, le Veau-de-Bar, bailli d’Auxois ; messire Jacques de Courtejambe, messire Jean de Cotte-Brune, maréchal de Bourgogne et de Picardie ; le seigneur de Croy, le seigneur de Longueval, messire Athis de Brimeu et messire David, son frère ; le seigneur de Boubaix, le seigneur de Humbercourt, bailli d’Amiens ; messire Hues de Launois et son frère, messire Gilbert, et moult d’autres notables chevaliers des pays du dit duc, aussi aucuns prélats et gens d’église ; entre lesquels y étaient des plus avancés maître Jean de Torsy, évêque de Tournai et chancelier de Bourgogne ; maître Eustache de Laictre, maître Jean de Mailly, et aucuns autres, qui tous ensemble, ou au moins la plus grand’partis, furent consentants, et promirent avec le dessus dit duc de Bourgogne d’entretenir perdurablement icelui traité, duquel la copie s’en suit :

« Charles, par la grâce de Dieu, roi de France,

» À tous nos baillis, prévôts, sénéchaux ou autres chefs de nos justices ou à leurs lieutenants, salut.

» Comme, par accordance finale et paix perpétuelle, soient huy faites et jurées en cette notre ville de Troyes par nous et notre très-cher et très-aimé fils Henry, roi d’Angleterre, héritier et régent de France pour nous, et lui les royautés de France et d’Angleterre, tant par le moyen du mariage de lui, de notre très-chère et aimée fille Catherine, comme de plusieurs points et articles faits, passés et accordés par chacune partie pour le bien et utilité de nous et de nos sujets, et pour la sûreté d’iceux pays ; par le moyen de laquelle paix chacun de nos dits sujets, et ceux de notre dit fils pourront désormais converser, marchander et besogner les uns avec les autres, tant de là la mer comme de çà.

» Item, que notre dit fils le roi Henry ne nous troublera ou empêchera, comme devant est dit, que nous ne tenions et possédions tant que nous vivrons, ainsi que nous tenons et possédons de présent, la couronne et dignité royale de France et les revenus, fruits et profits d’iceux à la soutenance de notre état des charges du royaume, et que notre dite compagne ne tienne tant qu’elle vivra état et dignité de reine, selon la coutume du royaume, avec partie des dites rentes et revenus à elle convenables.

» Item, est accordé que notre dite fille Catherine aura et prendra au royaume d’Angleterre douaire, ainsi que les reines au temps passé ont accoutumé d’avoir c’est à savoir pour chacun an la somme de quarante mille écus desquels les deux valent toujours un noble a Angleterre.

» Item, est accordé que tantôt après notre trépas et dès lors en avant, la couronne et royaume de France avec tous leurs droits et appartenances, demeureront et seront perpétuellement à notre dit fils le roi Henry et à ses hoirs.

» Item, pour ce que nous sommes tenus et empêchés le plus du temps, par telle manière que nous ne pouvons en notre personne entendre ou vaquer à la disposition des besognes de notre royaume, la faculté et l’exercice de gouverner et ordonner la chose publique du dit royaume seront et demeureront, notre vie durant, à notre dit fils le roi Henry, avec le conseil des nobles et sages du dit royaume à nous obeissants, qui auront aimé l’honneur et profit du dit royaume, par ainsi que dès maintenant et dès lors en avant ils puissent icelle régir et gouverner par lui-même et par autres qu’il voudra députer avec le conseil des nobles et sages dessus dits à nous obéissants, qui auront aimé le profit et honneur du dit royaume, lesquelles faculté et exercice de gouverner ainsi étant par devers notre dit fils le roi Henry, il labourera affectueusement, diligemment et loyaument à ce qu’il puisse être à l’honneur de Dieu, de nous et de notre dite compagne, et aussi au bien du dit royaume, et à défendre et tranquiller, apaiser et gouverner icelui royaume selon l’exigence de justice et équité, avec le conseil et aide des grands seigneurs, barons et nobles du dit royaume.

» Item, que toute notre vie durant notre dit fais le roi Henry ne se nommera ou écrira aucunement, ou fera nommer ou écrire roi de France ; mais du dit nom de tous points s’abstiendra tant comme nous vivrons.

» Item, est accordé que nous, durant notre dite vie, nommerons, écrirons et appellerons notre dit fils le roi Henry, en langage et langue française, par cette manière : Notre très-cher fils Henry, roi d’Angleterre, héritier de France. Et en langue latine : Noster præcharissimus filius Henricus rex Anyliæ, hæres Franciæ.

» Afin que ces choses soient fermes et stables perpétuellement à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces présentes lettres, données à Troyes, le ving-unième jour du mois de mai l’an mil quatre cent vingtième, et de notre règne, le quarante. Scellées à Paris, sous notre scel, ordonné en l’absence du grand.

» Ainsi signées par le roi en son grand conseil.

» J. Millet. »

  1. L’archevêque de Cantorbéry.
  2. Le comte de Cambridge.
  3. Lord Scroop.
  4. Le chevalier Grey.
  5. Thomas, duc de Clarence.
  6. Homphroy, duc de Glocester.
  7. Thomas Somerset, comte de Dorset, plus tard duc d’Exeter, dernier fils de Jean de Gand et de Catherine Swineford.
  8. Richard Beauchamp, comte de Warwick, qui devint régent de France.
  9. Sir Thomas Erpingham.
Henry VI, Première Partie
Extrait des Chroniques de Monstrelet