Fécondité (Zola)/Livre II/Chapitre V

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Eugène Fasquelle (p. 194-223).


Marianne, ce matin-là, le 2 mars, sentit les premières douleurs dès la pointe du jour. Et elle ne voulut pas d’abord réveiller Mathieu, qui dormait près d’elle, dans son petit lit de fer. Puis, vers sept heures, comme elle l’entendit remuer, elle crut sage cependant de le prévenir. Il s’était soulevé, pour lui baiser la main, qu’elle laissait pendre, en dehors de ses draps.

« Oui, oui, mon bon chéri, aime-moi, gâte-moi… Je crois bien que c’est pour aujourd’hui. »

Depuis trois jours, ils attendaient, s’étonnant déjà du léger retard. Et il fut sur pied en une seconde, il s’effara.

« Tu souffres ? »

Mais elle se mit à rire, pour le rassurer.

« Non, pas encore trop. Ça commence un peu… Ouvre la fenêtre, arrange tout. Nous allons bien voir. »

Quand il poussa les persiennes, un gai soleil envahit la chambre. Le vaste ciel matinal était d’un bleu tendre délicieux, sans un nuage. Un tiède souffle de printemps précoce entra, tandis qu’on voyait, dans un jardin voisin, un bouquet de grands lilas déjà verts, d’une délicatesse de dentelle.

« Vois donc, vois donc, mignonne, comme il fait beau ! Ah ! quelle chance ! il va naître dans le soleil, le cher petit ! » Puis, avant de s’habiller, il revint s’asseoir près d’elle, au bord du lit, l’examinant de près, lui baisant les yeux.

— « Voyons, regarde-moi, que je sache… Ça n’est pas encore trop violent, tu ne souffres pas trop, n’est-ce pas ? »

Elle continuait de sourire, luttant à ce moment même contre une vive tranchée ; et, quand elle put parler enfin :

— « Je t’assure que non ! Ça va le mieux du monde. Il faut être raisonnable puisque c’est un moment dur à passer… Embrasse-moi bien fort, bien fort, pour me donner du courage, et ne t’apitoie plus sur moi, parce que tu me ferais pleurer. »

Des larmes, malgré elle, montaient à ses yeux, dans son sourire. Il la saisit passionnément, délicatement, il la fit sienne, d’une longue étreinte, à demi nue, sentant contre sa chair toute cette pauvre chair douloureuse et palpitante, secouée du frisson sacré de l’enfantement.

— « Ah ! femme, femme adorée, tu as raison, il faut être gai, il faut espérer ! C’est tout mon sang que je voudrais mettre en toi, pour souffrir avec toi ; et que du moins mon amour te soit une confiance et une force ! »

Ils confondirent leurs baisers, un attendrissement profond les pacifia, les fit rire et plaisanter de nouveau. Elle-même, comme si cette bonne émotion l’avait calmée, cessa de souffrir, dans une de ces accalmies qui précèdent les grosses crises. Elle en vint à croire qu’elle s’était trompée peut-être. Aussi lui conseilla-t-elle, quand il aurait tout mis en ordre, de se rendre à son bureau, ainsi que d’habitude. Il s’y refusa, il enverrait prévenir. Alors, pendant qu’il faisait sa toilette, après avoir rangé son lit, ils causèrent des dispositions à prendre. La bonne irait tout de suite chercher la garde, une femme du quartier, retenue depuis quinze jours. Mais, d’abord, elle habillerait les enfants, dont on commençait à entendre le joyeux vacarme, dans la chambre voisine. Il était convenu que, le jour des couches, on mènerait les quatre diables passer la journée chez les Beauchêne, Constance ayant dit, obligeamment, que son petit Maurice, ce jour-là, leur offrirait à déjeuner. Le gros ennui était que le docteur Boutan se trouvait, la veille au soir encore, près de Mme Séguin, qui, depuis vingt-quatre heures, se débattait dans d’atroces souffrances, sans avoir pu être délivrée. Ainsi, la crainte des deux femmes se réalisait, elles accouchaient le même jour. Et quelle complication, si ce n’était pas fini chez les Séguin, si le docteur ne pouvait quitter la malheureuse Valentine, dont ils n’avaient pas eu de bonnes nouvelles, le soir, vers onze heures quand ils s’étaient couchés !

— « Je vais y aller, dit Mathieu. Je saurai bien où ils en sont et je ramènerai Boutan. »

Quand huit heures sonnèrent, tout se trouva organisé. La garde était déjà là, s’occupant, préparant les choses. Les enfants, habillés, attendaient qu’on les conduisît chez leur petit ami Maurice, de l’autre côté du jardin. Rose, après avoir embrassé sa mère, s’était mise à pleurer, sans pouvoir dire pourquoi, voulant rester, mais Blaise, Denis et Ambroise, les trois garçons, l’emmenèrent, en lui expliquant qu’elle était bête, qu’il fallait laisser maman aller au marché toute seule, si c’était ce jour-là qu’elle devait y acheter le petit frère, dont on leur avait annoncé la venue prochaine. Et ils recommençaient à jouer, à crier et à taper des pieds, dans le salon, lorsqu’il y eut un brusque coup de sonnette.

— « C’est peut-être le docteur ! » s’écria Mathieu, resté près de Marianne, et qui se hâta de descendre.

Mais, dans le vestibule, il se trouva en face de Morange et de sa fille Reine. D’abord, il ne put voir son visage, il ne s’étonna que d’une visite si matinale, tellement inattendue, qu’il ne songea pas à cacher sa surprise.

— « Comment, c’est vous, mon cher ami ? »

La voix du comptable le frappa, changée, brisée, d’une terreur étranglée, qui lui donna un premier frisson.

— « Oui, c’est moi… Je suis venu, j’ai besoin que vous me rendiez un service… »

Et, comme il entendait les enfants, dans le salon, il y poussa sa fille Reine, souriante.

— « Va, ma chérie, ne t’inquiète pas, joue avec tes petits amis. Je viendrai te reprendre. Embrasse-moi. » Quand il revint, après avoir fermé la porte, Mathieu lui vit le visage, un visage blême et décomposé, d’angoisse horrible, maintenant qu’il n’avait plus à se cacher de sa fille.

— « Mon Dieu ! mon pauvre ami, qu’y a-t-il donc ? »

Un instant, il bégaya, renfonçant des sanglots, si tremblant, qu’il ne pouvait parler.

— « Il y a que ma femme se meurt… Pas chez nous, autre part. Je vous raconterai tout… Alors, Reine croit qu’elle est en voyage, et je lui ai dit que j’étais obligé de la rejoindre. Je vous en supplie, vous allez me garder Reine, le temps nécessaire… Mais ce n’est pas tout, j’ai une voiture, je vous emmène, il faut absolument que vous veniez tout de suite avec moi. »

Malgré sa pitié profonde, Mathieu eut un geste de refus.

— « Oh c’est impossible, pas aujourd’hui. Ma femme accouche. »

Hébété, Morange le regarda un instant, comme si un nouveau désastre croulait sur lui. Puis, il fut pris d’un affreux tressaillement un flot d’amertume l’empoisonnait et lui tordait la bouche.

— « Ah ! oui c’est vrai, votre femme était enceinte, et elle accouche, oui, c’est bien naturel. Je comprends que vous voulez être là, pour l’heureux événement… Mais ça ne fait rien, mon ami, vous allez venir avec moi, je suis certain que vous allez venir avec moi, parce que je suis trop malheureux, trop malheureux. Je vous assure que je ne retournerai pas seul où je vais vous mener, je ne puis plus, je n’en ai plus la force, il me faut quelqu’un, quelqu’un qui soit avec moi, oh ! je vous en supplie, je vous en supplie ! »

Il y avait une telle épouvante, une telle détresse dans ces paroles tremblées, balbutiées, que Mathieu en fut remué jusqu’aux entrailles. Il sentait le pauvre homme, faible et tendre, à bout de courage, seul désormais, sans volonté, pareil à un enfant tombé à l’eau et qui se noie.

— « Attendez, dit-il, je vais voir si je puis vous accompagner. »

Vivement, il remonta conter à Marianne qu’il devait y avoir quelque terrible malheur chez les Morange, et que le comptable était en bas, le suppliant de venir un instant lui prêter aide et secours. Tout de suite, elle décida qu’il ne pouvait refuser, d’autant plus qu’elle ne souffrait pas pour le moment. Elle s’était peut-être trompée. Et elle eut une idée : puisque Morange avait une voiture, Mathieu pouvait d’abord passer chez les Séguin, prévenir le docteur Boutan et le lui envoyer, s’il était libre ; ensuite, il irait plus tranquillement rendre à son ami le service que celui-ci lui demandait.

— « Tu as raison tu es une brave femme, dit Mathieu, qui la baisa de nouveau à pleine bouche. Je t’envoie Boutan et je reviens le plus tôt possible. »

En bas, il entra dans le salon, embrassa les enfants à leur tour, et embrassa Reine aussi, qui semblait sans un soupçon, toute gaie à l’idée de ce déjeuner chez les Beauchêne, dont elle allait être. Il appela la bonne, voulut qu’elle emmenât immédiatement, sous ses yeux, ce petit monde. Après qu’il les eut, lui-même, fait sortir par le jardin, il les accompagna du regard, tant qu’ils n’eurent pas franchi le seuil de l’hôtel voisin.

Dans le vestibule, sans songer à revoir sa fille, Morange n’avait pas cessé de piétiner, de se dévorer d’anxiété et d’impatience.

— « Vous y êtes ? Vous y êtes ? répétait-il de son air hagard. Mon Dieu ! dépêchons-nous ! »

Puis, dans le fiacre, il tomba brisé, anéanti, les yeux clos, une main sur la face. Mathieu, avant de monter, lui avait demandé s’il pouvait passer par l’avenue d’Antin ; et, sur sa réponse que c’était le chemin justement, il avait donne l’adresse des Séguin au cocher. Devant l’hôtel, il descendit, en s’excusant. Il sut par une femme de chambre que Madame venait enfin d’être délivrée, mais que les choses ne semblaient pas finies ; et il se rassura pourtant, lorsque Boutan lui eut fait dire qu’avant une heure il serait près de Mme  Froment.

Comme il était remonté dans le fiacre, le cocher se pencha pour demander l’adresse.

— « Cet homme vous demande l’adresse.

— L’adresse, l’adresse… Ah ! oui, c’est vrai. Rue du Rocher, dans le bas, l’endroit où ça monte. Je ne sais pas le numéro. Il y a une boutique de charbonnier. »

Mathieu comprit. Il avait vu, il savait. Déjà, lorsque Morange, à demi fou, était entré, disant que sa femme se mourait, il avait senti le froid du crime, dans le frisson qui lui passait sur la face. C’était chez la Rouche que se mourait Valérie.

Sans doute, Morange sentit la nécessité de l’aveu, de quelques explications du moins. Il sortit de son mutisme, sa fièvre d’agitation le reprit. Mais il ne put se résoudre d’abord à la vérité, il commença par essayer de mentir.

— « Oui, Valérie était allée chez une sage-femme, pour que celle-ci la visitât. Et, pendant l’examen, voilà qu’une perte s’est déclarée, si forte, qu’il a été impossible d’arrêter le sang.

— Vous n’avez donc pas fait appeler un médecin ? »

Cette question suffit à le décontenancer. Il chercha un instant, balbutia.

— « Un médecin, sans doute… Un médecin l’aurait sauvée peut-être. Mais on m’a dit que tout serait inutile. »

Et l’aveu finit par lui échapper dans un sanglot, dans une révolte de son atroce désespoir.

— « On m’a tenu les bras, on m’a enfermé, on m’a empêché de courir chercher un médecin… Moi, j’aurais tout brisé, j’aurais sauté par la fenêtre, lorsque j’ai compris que ma pauvre femme était perdue, à voir ce sang qui coulait. Et si vous saviez ce qu’on m’a dit, que j’étais fou, que nous irions tous au bagne !… Valérie elle-même se fâchait contre moi. Les autres me mettaient la main sur la bouche pour étouffer mes cris, en m’affirmant maintenant que ce n’était rien, qu’on allait arrêter ça… Ah ! les misérables, les misérables ! »

Il disait tout, il avouait la tringle de rideau, le fer ignoble et banal, dirigée pourtant par une main experte, mais qui devait s’être trouvée devant un organe descendu très bas, et qui l’avait perforé d’un coup trop vif. Une hémorragie s’était aussitôt produite, contre laquelle la sage-femme avait d’abord lutté vainement. Puis, vers dix heures, elle avait repris quelque espoir. Mais, à minuit, la patiente avait eu une brusque syncope.

— « Imaginez-vous que nous étions là depuis sept heures du soir, cette femme ayant voulu que la chose se fît après la nuit tombée, disant qu’elle n’avait pas besoin d’y voir clair, qu’une bougie suffisait, et que cette heure l’arrangeait mieux, pour toutes sortes de raisons… À deux heures du matin, j’étais encore dans cette chambre de malheur, où nous avions décidé que Valérie passerait cinq ou six jours, le temps de se remettre. Et elle n’avait pas repris connaissance, toujours en syncope, blanche, glacée, sans autre signe de vie qu’un petit souffle… Alors, que vouliez-vous que je fis ? À la maison, Reine devait être folle d’inquiétude, car je lui avais conté que je menais sa mère à la gare et que je serais de retour tout de suite. On m’a mis à la porte, on m’a dit que j’aurais peut-être une bonne surprise, en revenant ce matin, et je ne sais plus comment je suis rentré chez moi, et j’ai songé à vous pour m’aider, tellement je me suis senti incapable de retourner seul là-dedans… Mon Dieu ! mon Dieu ! ma pauvre femme, dans quel état allons-nous la trouver ? »

Maintenant, après s’être dévoré d’impatience, disant que le fiacre ne marchait pas, il était repris d’un frisson, à l’idée qu’il avançait, qu’il saurait bientôt. Il jetait sur les rues un regard d’anxiété croissante, il avait déjà sur les épaules le froid humide de la maison d’épouvante, comme s’il en eût senti l’approche.

— « Ah ! mon ami, ne me condamnez pas. Si vous saviez ce que je souffre ! »

Mathieu, ne pouvant trouver une parole, se contenta de lui prendre la main, de la serrer, longuement, dans la sienne. Et cette preuve affectueuse de commisération, de pardon, toucha aux larmes le pauvre homme.

— « Merci, merci ! »

Mais le fiacre s’arrêta, et Mathieu dit qu’il le gardait. D’ailleurs, Morange s’engouffrait dans la maison, il fallut que son compagnon se hâtât, pour le rejoindre. Ce fut d’abord, en quittant le gai soleil qui tiédissait la radieuse matinée, les demi-ténèbres de l’allée puante, aux murs lézardés et moisis. Puis, ce fut la cour verdâtre, pareille à un fond de citerne, et l’escalier gluant, empoisonné par les plombs, et la porte jaunâtre, que la crasse des mains avait noircie. Par les beaux temps, la maison suait plus encore son ignominie.

Au violent coup de sonnette, la petite bonne en tablier sale vint ouvrir. Mais, dès qu’elle eut reconnu le visiteur, et qu’elle le vit accompagné d’un ami, elle voulut les laisser tous deux dans l’étroite antichambre.

— « Monsieur, monsieur, attendez… »

Et, comme Morange l’écartait brutalement :

— « J’ai des ordres, monsieur, vous ne passerez pas. Laissez-moi prévenir Madame. »

Il ne discuta pas, ne prononça pas un mot, la jeta de côté d’un coup d’épaule, et passa. Mathieu le suivit, pendant que la bonne se ramassait en hâte, pour aller chercher la sage-femme.

Morange tourna dans le couloir, alla jusqu’au fond, jusqu’à la porte, qu’il connaissait. Il l’ouvrit, d’une main égarée, tâtonnante, tremblante. Cette fille qui s’était mise en travers, cette chambre gardée ainsi, l’avaient rendu fou. Et quelle chambre de terreur et d’horreur, quand ils y pénétrèrent ! Elle s’éclairait sur la cour par une étroite fenêtre poussiéreuse qui n’y laissait pénétrer qu’un faible jour de cave. Sous le plafond fumeux, entre les quatre murs dont l’humidité avait décollé des lambeaux du papier lie-de-vin, elle avait pour tout meuble une commode au marbre cassé, un guéridon branlant, deux chaises dépaillées à demi, une couchette en acajou peint, dont les joints gardaient des souillures de vermine. Et là, dans cette bassesse immonde, sur ce grabat encore tiré au milieu de la pièce, Valérie, toute froide, morte depuis six grandes heures, gisait. Sa tête adorable, d’une pâleur de cire, comme si tout le sang de son corps s’en était allé par la criminelle blessure, reposait parmi le flot déroulé de ses cheveux bruns. Sa face ronde et fraîche, d’une amabilité si gaie, si enflammée d’un désir de luxe et de plaisirs, quand elle vivait, avait pris dans la mort une gravité terrible, un regret désespéré de tout ce qu’elle quittait si affreusement. Le drap avait glissé, un peu de ses épaules apparaissait, ces épaules trop grasses déjà, mais d’une beauté dont son mari était fier, quand elle se décolletait. Une main, la droite, très pâle, très fine, comme allongée par le néant où elle tombait, reposait sur le drap, au bord du lit. Elle était morte, et elle était seule, sans une âme près d’elle, sans un cierge.

Béant, Morange regarda. Elle semblait dormir, les yeux pour toujours fermés. Mais il ne s’y trompa pas, il ne voyait plus le petit souffle, les lèvres étaient closes et toutes blanches. L’infamie de cette chambre, l’horreur froide de cette morte abandonnée ainsi seule, telle qu’une assassinée, abattue au coin d’une borne, le frappait au cœur d’un tel coup, qu’il en restait stupide. Il lui prit la main, la sentit de glace, n’eut qu’un soupir rauque, qui lui montait des entrailles. Et il tomba sur les genoux, il appuya simplement la joue sur cette main de marbre, sans une parole, sans même un sanglot, comme s’il eût voulu se glacer à ce néant, entrer avec elle dans le froid de la mort. Et il ne bougea plus.

Mathieu était, lui aussi, demeuré immobile, terrifié de cette fin si rude, de cet écrasement, dans l’abjection où le misérable ménage était venu échouer. L’effrayant silence continuait, il finit par y entendre un léger bruit, comme l’approche d’une chatte prudente. Par la porte restée grande ouverte, c’était Mme  Rouche qui entrait, qui s’avançait de son air doux et tranquille, menue et discrète, dans son éternelle robe noire. Son grand nez fureteur se tourna tout de suite vers ce monsieur, dont elle se rappela la visite, le jour où il semblait avoir une dame à placer. Sans doute il ne l’inquiéta point, elle le jugea, garda le beau calme, où il était stupéfait de la voir. Elle semblait simplement pénétrée de commisération pour le pauvre mari, écroulé près de la morte. Son regard aimable disait : « Quel accident, quelle tristesse, comme nous sommes peu de chose devant les hasards fâcheux de la vie ! » Puis, lorsque Mathieu voulut intervenir, relever et réconforter le malheureux, elle l’en empêcha, elle chuchota :

— « Non, non, laissez-le, ça lui fait du bien… Venez, monsieur, je désire vous parler. »

Et elle l’emmena. Mais, dans le couloir, un vent de terreur passa, des cris sourds se firent entendre, un appel au loin retentit. Et, toujours sans s’émouvoir, elle ouvrit une porte, le poussa dans une pièce, en disant :

— « Veuillez m’attendre là. »

C’était le cabinet de la sage-femme, une étroite pièce, meublée de velours rouge usé, avec un petit bureau d’acajou, et dans laquelle une jeune femme en cheveux, une accouchée récente évidemment, tant elle était pâle encore, cousait d’une main nonchalante, allongée à demi au fond d’un grand fauteuil.

Lorsqu’elle leva les yeux, Mathieu eut l’étonnement de reconnaître Céleste, la femme de chambre de Mme  Séguin. Elle-même tressaillit, stupéfaite de la rencontre, si effarée de cette apparition inexplicable, que ce cri d’aveu lui échappa :

— « Oh ! monsieur Froment !… Ne dites pas à Madame que vous m’avez trouvée ici. »

Il se souvint alors que, depuis trois semaines, Céleste avait obtenu de Valentine la permission d’aller passer quelques jours ; à Rougemont, son pays, près de sa mère mourante. Des lettres d’elle arrivaient régulièrement. Sa maîtresse lui avait même écrit, exigeant qu’elle fût là pour ses couches, mais la femme de chambre avait répondu que sa mère étant à toute extrémité, elle ne pouvait la quitter ainsi, attendant d’une heure à l’autre une mort, qui n’était d’ailleurs pas venue. Et il trouvait cette fille chez la Rouche, accouchée d’une semaine au plus.

— « C’est vrai, monsieur, j’étais grosse. J’ai bien vu, un jour, que vous vous aperceviez de quelque chose. Il n’y a que les hommes pour voir ça. Jamais Madame n’a eu le moindre soupçon, tellement je m’arrangeais bien. Alors, n’est-ce pas ? ca m’ennuyait de perdre ma place, et j’ai dit que maman était malade : c’est une amie, la Couteau, qui reçoit les lettres, là-bas, et qui met mes réponses à la poste… Sans doute, ce n’est pas beau de mentir, mais que voulez-vous que nous devenions, des pauvres filles comme nous, à qui des lâches et des parjures ont la saleté de faire des enfants ? »

Ce qu’elle ne disait pas, c’était qu’elle venait d’accoucher de son second, c’était aussi que la chose, cette fois, n’avait pas bien marché, comme pour le premier. L'année précédente, presque jour pour jour, la Rouche l’avait délivrée d’un mort-né, un des plus beaux mort-nés qu’elle eût réussis, avec ce tour de main heureux dont elle détenait la spécialité. Cette fois, bien qu’à sept mois à peine, l’enfant était né vivant, déjà solide. Pourtant, toutes les chances de mort semblaient assurées ; mais la vie a de ces obstinations. Et, la règle de la maison interdisant l’infanticide, il avait fallu faire appel à la Couteau, qui était la suprême ressource, la fosse commune, dans ces cas fâcheux. Elle établit venue chercher l’enfant pour l’emmener en nourrice, à Rougemont, dès le lendemain de sa naissance. Il devait être mort.

— « Vous comprenez, monsieur, que je ne puis pas me dorloter comme une dame. Les médecins disent qu’il faut rester au moins vingt jours couchée, à se remettre. Moi, j’ai gardé le lit six jours, et je me suis levée aujourd’hui, de façon à reprendre des forces, pour rentrer dans ma place lundi. En attendant, vous voyez, je m’occupe, je raccommode un peu le linge de Mme  Rouche, qui est si bonne pour moi… C’est entendu, n’est-ce pas ? monsieur voudra bien me garder le secret. »

Mathieu consentit d’un signe de tête. Il regardait cette fille de vingt-cinq ans à peine, sans beauté, avec sa longue tête chevaline, mais de chair fraîche, de dents éclatantes, et il la voyait aller ainsi de grossesse en grossesse, rejetant des mort-nés à la terre, des semences mal écloses que l’humidité pourrissait. Elle lui faisait horreur et pitié.

— « Que monsieur m’excuse si je l’interroge… Est-ce que monsieur pourrait me dire si Madame est accouchée, elle aussi ? »

Et, quand il eut répondu que Mme  Séguin devait être délivrée à présent, mais qu’elle avait souffert pendant près de quarante-huit heures :

— « Ah ! ça ne m’étonne pas, Madame est si délicate… Je suis contente tout de même. Merci, monsieur. »

À ce moment, Mme  Rouche entra, referma la porte sans bruit de son air furtif. L’appartement, après les cris de terreur sourde qui l’avaient traversé, était retombé à un silence de mort. Elle vint s’asseoir devant son petit bureau, s’y accouda, l’air paisible et bienveillant toujours, après avoir très poliment prié Mathieu de bien vouloir prendre une chaise. D’un geste, elle avait dit à Céleste de rester là : c’était une amie, une confidente, une fille sûre, devant laquelle on pouvait parler.

— « Monsieur, je n’ai pas même l’honneur de savoir votre nom, mais j’ai compris tout de suite que j’avais affaire à un homme distingué et raisonnable, qui connaît la vie. Et c’est pourquoi j’ai voulu vous dire en particulier que le désespoir de votre ami m’inquiète un peu, oh ! pour lui simplement. Cette nuit, vous n’imaginez pas la crise de démence qu’il nous a fallu calmer. Je crains, si sa folie le reprend, qu’il ne se livre à des actes dont les dangereuses conséquences ne sauraient vous échapper. Certes, le coup qui le frappe est affreux, vous m’en voyez moi-même bouleversée, je n’ai pas pu fermer l’œil depuis ce malheur. Seulement, vous le comprenez bien, ce serait loin d’arranger les choses, s’il allait lui-même se mettre dans la peine, sous les plus grosses responsabilités, en criant son chagrin inutilement… Encore un coup, je vous jure que je songe plus à lui qu’à moi, parce que moi, oh ! mon Dieu ! je m’arrange toujours. »

Mathieu comprenait très bien. On ne faisait pas mieux sentir aux gens leur complicité, en leur laissant entendre que, s’ils étaient assez sots pour dénoncer le crime par quelque imprudence de paroles, ils seraient les premiers poursuivis et condamnés.

— « Il faut respecter l’effroyable douleur de mon pauvre ami, répondit-il froidement. Je n’aurai besoin de lui rien dire pour qu’il agisse selon la raison, car il a sûrement déjà fait toutes les parts, dans l’horrible attentat qui l’accable. »

Il y eut un silence. Mme  Rouche le regardait de son air tranquille, et un invincible sourire montait à ses lèvres minces.

— « Je vois bien, monsieur, que vous me prenez pour une criminelle, une assassine… Ah ! si vous aviez été là, lorsque ce pauvre monsieur est venu avec sa dame ! Ils ont sangloté comme des enfants, ils se sont jetés à mes genoux, parce que d’abord je ne voulais pas. Et quels remerciements, quelles promesses d’éternelle reconnaissance, quand j’ai fini par consentir ! Les choses ont mal tourné, une mauvaise conformation sans doute m’a trompée, à tel point qu’un grand malheur s’en est suivi. Est-ce que je ne suis pas la première désespérée et menacée ? Est-ce que vous croyez que je n’ai pas mon chagrin et mes craintes ? Qu’ils restent chez eux, les maris et les femmes qui n’acceptent pas les risques, après avoir offert leur fortune ! »

Elle s’animait, toute sa petite personne frémissait de conviction.

— « Mais ce que j’ai fait, toutes les sages-femmes le font ! Mais tous les médecins le font aussi ! Mais je défie bien une de nous de ne pas le faire, devant les confidences lamentables que nous recevons chaque jour !… Ah ! monsieur, si je pouvais vous cacher dans ce cabinet, si vous entendiez les malheureuses qui s’y présentent, vos idées changeraient. Une pauvre petite commerçante me tombe ici, à moitié morte, blessée au ventre par un coup de pied de son mari, pleurant à chaudes larmes, disant qu’elle ne voulait pas d’enfant : croyez-vous que j’aie eu raison de la faire avorter, celle-là ? L’autre semaine, c’était une fille de ferme, grosse de six mois, arrivant à pied de la Beauce, chassée de partout, poursuivie à coups de pierre par les enfants, réduite à coucher dans les meules et à voler la pâtée des chiens : ne pensez-vous pas que c’était aussi une charité de la délivrer tout de suite, pour qu’elle ne traînât pas plus longtemps son misérable fruit ? Et toutes celles que la province m’envoie, qui n’ont qu’un saut à faire de la gare Saint-Lazare ici, des bourgeoises, des ouvrières, me jurant qu’elles tueront leur enfant, si je ne les en débarrasse pas ! Et toutes celles de Paris qui n’ont également que cette menace à la bouche, beaucoup de pauvres filles, mais aussi beaucoup de dames riches, heureuses, respectées ! Toutes, toutes, entendez-vous ! sont résolues aux pires extrémités, à risquer de s’empoisonner avec des drogues, à se laisser tomber dans un escalier pour attraper quelque mauvais coup libérateur, à s’accoucher elles-mêmes, guettant l’enfant, l’étouffant ou le portant à la rue. Alors, quoi ? que voulez-vous que je fasse ? Croyez-vous qu’on ne trouve déjà pas assez de petits cadavres dans les égouts et dans les fosses d’aisances ? Est-ce que, si nous refusions, le nombre des infanticides ne doublerait pas ? Est-ce que, sans même tenir compte de l’aide charitable que nous leur apportons, à ces tristes femmes, il n’y a pas là un dérivatif nécessaire, une besogne préventive de prudence sociale qui évite bien des drames et des crimes ?… Moi, monsieur, quand je suis devant un homme intelligent tel que vous, je ne cache pas ma façon de voir, qui est très nette. Il y a trois degrés. S’arranger pour que la femme accouche d’un mort-né, ce que je considère comme absolument licite, car la femme, dans son libre arbitre, a bien le droit, n’est-ce pas ? de donner ou de ne pas donner la vie. Ensuite, l’avortement, qui, déjà, est à mes yeux une manœuvre fâcheuse, d’un droit discutable, auquel il ne faut consentir que dans des cas particuliers, sans parler des dangers qu’il peut offrir. Enfin, l’infanticide, un crime véritable, que je réprouve totalement… Vous entendez, monsieur, je vous jure que jamais un enfant, né vivant, n’a été tué chez moi. La mère ou la nourrice en font après ce qu’elles veulent, je n’ai pas à m’en préoccuper. »

Elle triomphait, elle jurait sur son honneur, la main haute, voyant dans le silence frissonnant de Mathieu l’acquiescement accablé d’un homme qui ne trouvait rien à répondre. Et, comme il faisait un geste pour échapper à cet enfer, elle reprit vivement :

— « Encore un mot, monsieur… Un exemple, tenez ! Dans la maison d’en face, chez un très riche banquier, il y avait, au commencement de l’hiver, une petite bonne blonde, oh ! charmante, une merveille. La voilà grosse, naturellement, et elle vient me voir, mais trop tard pour que j’ose intervenir selon mes principes. Puis, je trouvais que cette petite logeait vraiment trop près de chez moi, ce qui est dangereux, à cause des commérages… Deux mois se passent. Un matin, dès six heures, la cuisinière de la même maison accourt me chercher, me fait passer discrètement par l’escalier de service, pour monter au sixième, à la chambre qu’elle occupait avec la petite bonne blonde. Et qu’est-ce que je trouve dans l’un des deux lits ? la malheureuse petite les jambes ouvertes, au milieu d’une mare de sang, les mains tordues, crispées encore autour du cou de l’enfant qu’elles avaient étranglé au passage, à peine sorti ; et morte elle-même, monsieur, morte d’une hémorragie effroyable, dont le flot avait percé le matelas et le sommier pour couler jusqu’à terre. Mais l’extraordinaire, c’était que l’autre, la cuisinière, endormie à deux mètres au plus de distance, n’avait absolument rien entendu, pas un cri, pas un souffle. Elle ne venait de s’apercevoir de la chose qu’en se réveillant… La voyez-vous la pauvre enfant, renfonçant sa douleur, ravalant ses cris, attendant l’enfant pour l’étouffer, de ses deux mains fiévreuses ? Puis, la voyez-vous, sans force après ce dernier effort, laissant couler tout le sang de ses veines, s’endormant à son tour dans la mort avec le petit être, que ses deux mains raidies n’avaient pas lâché ? Naturellement, j’ai dit à la cuisinière que ça ne me regardait pas et je l’ai envoyée chercher un médecin, afin qu’il constatât le décès… Mais vous me croirez si vous voulez, monsieur, je ne suis pas remise de cette aventure. Oui, c’est un vrai remords pour moi d’avoir repoussé cette fille. Et je vous le demande encore, je l’aurais fait avorter, celle-là, est-ce que vous me jetteriez la pierre, est-ce que je n’aurais pas fait en somme une bonne action ?

— Ah ! pour sûr ! » cria Céleste, qui avait suivi passionnément l’histoire.

Mathieu avait senti son cœur se rompre. Le dernier degré de l’horreur était franchi, il ne pouvait descendre plus bas. C’était bien l’enfer suprême de la maternité. Il se rappelait ce qu’il avait vu chez Mme  Bourdieu, la maternité coupable et clandestine, les servantes séduites, les épouses adultères, les filles incestueuses venant accoucher en secret, sans nom, de tristes êtres ignorés qui tombaient à l’inconnu. Puis ici, chez la Bouche, c’était le crime hypocrite, le fœtus étouffé avant d’être, ne naissant que mort, ou par la violence expulsé, encore incomplet, expirant au premier souffle d’air. Puis, ailleurs, partout, c’était l’infanticide, le meurtre avoué, l’enfant né viable étranglé, coupé en morceaux parfois, plié dans un journal, oublié sous une porte. Le chiffre des mariages n’avait pas décru, la natalité avait baissé d’un quart, et tous les égouts de la grande ville roulaient des petits cadavres. Dans ces bas-fonds de la déchéance humaine, il sentait maintenant l’obscure infamie, le vent de tant de drames, de tant d’assassinats cachés, lui passer sur la face. Et l’épouvante, c’était que cette femme, cette basse et lâche assassine parlait haut, semblait convaincue de sa mission, lui disait des vérités qui le bouleversaient. La maternité ne tombait à cette folie meurtrière que par l’abomination sociale, la perversion de l’amour, l’iniquité des lois. On salissait le divin désir, la flamme immortelle de la vie, et il n’était plus que le rut qui engrosse au hasard les femelles qui passent. Le tressaillement des mères, au premier coup de l’enfant, devenait un frisson de terreur, la crainte de mettre au jour le fruit redouté d’un malentendu, le besoin de le détruire dans son germe, comme une herbe mauvaise dont on ne veut pas. Un cri d’égoïsme montait, plus d’enfant, rien qui vienne détruire les calculs d’argent ou d’ambition ! Mort à la vie de demain, pourvu que la jouissance d’aujourd’hui soit ! Toute la société agonisante le poussait, ce cri sacrilège, qui annonçait la fin prochaine de la nation. Et Mathieu, qui avait senti Paris si mal ensemencé, neuf mois plus tôt, le soir où il s’était vu lui-même sur le point de céder à la folie libertine de la fraude, constatait maintenant de quelles mains méchantes et coupables on le moissonnait. Certes, beaucoup de grains s’y trouvaient perdus, jetés au pavé banal, desséchés, brûlés ; et que de déchet, pendant la culture, que d’épis on y faisait couler, par la brutalité, par la misère ! Mais ce n’était rien encore, des mains féroces continuaient l’œuvre de gaspillage, lorsque la récolte arrivait. Paris mal ensemencé, mal moissonné, telle était l’œuvre diabolique d’avortement volontaire, toutes les puissances de mort luttant contre la vie, en face de l’impassible nature qui crée la prodigalité infinie des germes, pour l’infinie moisson de vérité et de justice.

Alors, Mathieu se leva, en disant :

— « Je vous répète, madame, que je n’ai pas à savoir ce qui a pu se faire ici. Mais la présence de cette morte n’y est-elle pas le plus grave des dangers ? »

Mme  Rouche eut son mince sourire.

— « Oui, la surveillance est assez sévère. Heureusement, on a des amis un peu partout. J’ai envoyé déclarer le décès, le médecin va venir et ne constatera qu’un accident de fausse couche. »

Elle aussi s’était levée, de nouveau douce et discrète, l’air apitoyé par les vilaines choses qui se passaient sur cette terre. Et elle prit un air de modestie offensée, elle eut un geste amical pour lui fermer la bouche, lorsque Céleste s’écria :

— « Allez, monsieur, c’est bien vrai, tout ce qu’elle vous a dit. Il n’y a pas de meilleure femme au monde, on se ferait hacher pour elle… Bonsoir, monsieur, souvenez-vous de votre promesse. »

Avant de partir, Mathieu voulut revoir Morange, tâcher même de l’arracher de là, s’il pouvait. Il le trouva sans larmes, assis près de sa femme morte, dans un anéantissement où sa douleur sombrait. Aux premiers mots, le malheureux l’arrêta, d’une voix très basse, lointaine, comme s’il craignait de troubler celle qui dormait pour toujours.

— « Non, mon ami, non, ne me dites rien, ce que vous avez à me dire est inutile… Je sais quel est mon crime, jamais je ne me pardonnerai. Si elle est là, c’est que j’ai consenti. Je l’adorais pourtant, je n’ai jamais voulu que son bonheur, toute ma faiblesse est de l’avoir trop aimée. N’importe, j’étais l’homme, j’aurais dû, quand elle est devenue folle, me montrer raisonnable, lui faire entendre que nous allions commettre là un meurtre dont nous serions certainement punis… Elle, mon Dieu ! comme je la comprends, comme je l’excuse, la chère et douloureuse créature ! Moi, c’est fini, je suis un misérable, je me fais horreur. »

Toute sa médiocrité, toute sa tendresse sanglotait dans cet aveu de sa faiblesse. Il continua, sans que sa voix se ranimât, s’élevât davantage, de son être brisé, à jamais vide maintenant.

— « Elle voulait être gaie, riche, heureuse. C’était si légitime, elle si intelligente et si belle ! Je n’avais qu’une joie, contenter ses goûts, réaliser ses ambitions… Vous connaissez notre nouvel appartement, nous y avions dépensé beaucoup trop. Puis, est venue cette histoire du Crédit national, l’espoir enfin d’une prompte fortune. Alors, quand je l’ai vue folle, à l’idée de m’embarrasser d’un second enfant, je suis devenu fou comme elle, j’ai fini par croire que l’unique salut était de supprimer le pauvre petit… Et elle est là, mon Dieu ! Et vous savez, c’était un garçon, nous qui en avions tant désiré un, qui n’avons agi que dans la certitude d’une fille, de crainte d’avoir à la doter ! Et le petit n’est plus, et elle n’est plus, c’est moi qui les ai tués. Je n’ai pas voulu que l’enfant vive, et l’enfant a emporté la mère. »

Cette voix sans larmes, sans violence, pareille à un glas lointain, déchirait Mathieu. Il cherchait en vain des consolations, il parla de Reine.

— « Ah ! oui, vous avez raison, Reine, je l’aime beaucoup. Elle ressemble beaucoup à sa mère… Vous allez me la garder chez vous jusqu’à demain, n’est-ce pas ? Ne lui dites rien, laissez-la jouer, je lui apprendrai moi-même le malheur… Et je vous en supplie, ne me tourmentez pas, ne m’emmenez pas d’ici. Je vous promets d’être très sage, je vais rester là, tranquillement, à la veiller. On ne m’entendra même pas, je ne gênerai personne. »

Puis, sa voix s’embarrassa, s’étrangla davantage, il ne bégaya plus que des phrases confuses, dans le rêve de sa vie écroulée.

« Elle qui aimait tant l’existence, partie tout d’un coup, si affreusement… Hier, à cette heure, elle marchait, elle parlait, je la sentais contre moi, je voulais lui acheter un chapeau qu’elle avait vu… Mon Dieu ! puisque j’en étais, pourquoi ne m’a-t-elle pas emmené avec l’enfant ? »

Mathieu dut se décider à le quitter, en le voyant si écrasé, si calme. Il descendit, sauta dans le fiacre qui l’avait attendu. Ah ! quel soulagement de revoir les rues ensoleillées, vivantes de foule, de respirer l’air vif, qui entrait par les deux portières grandes ouvertes ! Au sortir de ces ténèbres immondes, il respirait à pleins poumons le vaste ciel resplendissant de saine allégresse. Et l’image de Marianne qu’il avait hâte de rejoindre, s’était dressée devant lui, comme la promesse consolante d’une prochaine victoire de la vie, d’un rachat compensateur de toutes les hontes et de toutes les iniquités. La chère femme ! elle était donc la bien portante, la vaillante ; que tenait debout l’éternel espoir ! Elle allait donc, même dans la douleur, faire triompher l’amour, élargir l’œuvre de fécondité, travailler à l’expansion, à l’effort de demain ! Et la lenteur du fiacre le désespérait, il brûlait de se retrouver dans la petite maison claire et sentant bon, pour assister au poème de vie, à cette fête auguste de la venue d’un nouvel être, tant de souffrance et tant de joie, l’éternel cantique humain !

En arrivant, ce fut cette gaieté claire de la petite maison qui le surprit. Le soleil y luisait de toutes parts. Il y avait sur le palier un bouquet de roses, qu’on venait d’enlever de la chambre de l’accouchée, et qui embaumait l’escalier. Puis, dès qu’il pénétra dans la chambre, il fut attendri par un luxe de linge blanc, toute une neige de linge, qui foisonnait sur les meubles ensoleillés. Une fenêtre, à demi ouverte, laissait entrer le printemps précoce.

Mais, tout de suite, il remarqua que la garde était seule.

— « Comment ! le docteur Boutan n’est pas encore là ?

— Non, monsieur, il n’est venu personne… Madame souffre beaucoup. »

Mathieu s’était approché de Marianne, qui, très pâle, les yeux fermés, semblait en effet dans les affres des grandes douleurs. Il s’emporta, raconta qu’il y avait deux heures bientôt que le docteur lui avait promis d’accourir tout de suite.

— « Et moi, ma chérie, qui te laisse si longtemps seule ! Je croyais que tu l’avais auprès de toi… Mme  Séguin était délivrée, il devrait être ici. »

Lentement, Marianne avait ouvert les yeux, s’était efforcée de sourire. Mais elle ne put parler immédiatement, elle finit par dire doucement, d’une voix entrecoupée :

— « Pourquoi te mets-tu en colère ? S’il ne vient pas, c’est qu’il y a eu quelque complication… D’ailleurs, que me ferait-il ? Il faut attendre. »

Et une telle crise lui coupa la parole, que tout son corps en fut secoué, soulevé, tandis que des plaintes profondes lui échappaient. De grosses larmes ruisselèrent sur ses joues.

— « Oh ! chérie, chérie, murmura Mathieu, pleurant lui aussi, est-ce possible que tu souffres à ce point ! Moi qui espérais que tout se passerait si bien !… La dernière fois, tu n’as pas eu de pareilles douleurs. »

Elle se calmait, elle retrouva son bon sourire.

— « La dernière fois, j’ai bien cru qu’il ne resterait pas grand-chose de mon pauvre ventre. Tu ne te souviens plus. Va, c’est toujours la même chose, il faut payer durement sa joie. Mais ne t’inquiète pas, tu sais que je suis si heureuse de tout accepter… Mets-toi là, près de moi, et ne parle plus. Le moindre ébranlement aggrave les crises. » Alors doucement, tendrement, il s’agenouilla, prit sa main au bord du lit, appuya la joue contre ce peu qu’il tenait de sa chair nue, comme pour entrer tout entier en elle et se mettre ainsi de sa souffrance. Un brusque souvenir lui revint, il se rappela que c’était là le geste de Morange, posant, d’une même caresse, sa joue brûlante contre la main glacée de Valérie morte. Dans la vie, dans la mort, le même lien se nouait. Mais toute la fièvre du malheureux n’avait pu réchauffer cette main de marbre, tandis que lui, au contraire sentait bien qu’il prenait par ce contact, à sa femme en pénible labeur, une petite part de la souffrance dont elle frémissait. Il souffrait avec elle, il entendait jusqu’aux moindres ondes de douleur dont elle était traversée, il la soulageait dans l’œuvre commune de vie, à l’heure d’angoisse où toute joie humaine se paie. Cette communauté de l’œuvre, ne l’avait-il pas voulue, dès le soir où cédant à l’éternel désir, tous deux s’étaient unis, en une flamme de volupté féconde ? Dès lors, elle était devenue sienne davantage, il s’était senti davantage en elle, s’identifiant plus étroitement l’un à l’autre, à mesure que la grossesse montante, dans le flot vivant qui les confondait, la faisait peu à peu pleine de lui. Les soins dont il l’avait ensuite entourée, sa tendresse à veiller en serviteur toujours présent, son culte à lui éviter les moindres peines, à lui donner la joie du jour qui se lève, l’espérance du jour qui suivra, n’étaient à ses yeux que sa part trop petite de nécessaire besogne, pour mener à bien leur commun enfantement. Quand on est un père honnête homme, quand on désire que l’enfant soit solide et beau, il faut aimer la mère enceinte comme on a aimé l’épouse amoureuse, le soir de la conception, d’une ardeur sacrée, d’une passion infinie, jusqu’à s’absorber, à disparaître en elle. Et son unique regret, maintenant qu’il la voyait souffrir à ce point, était de ne pouvoir être là, près d’elle, qu’un soulagement et qu’un réconfort, au lieu d’avoir sa moitié de peine, comme il avait eu sa moitié de bonheur.

Ce fut pour Mathieu une longue détresse. Des minutes s’écoulèrent, puis une heure, puis deux heures. Le docteur Boutan n’arrivait toujours pas. La servante, qu’on avait envoyée chez les Séguin, était revenue dire que le docteur la suivait. Et l’attente recommença. Marianne avait forcé Mathieu à s’asseoir, en laissant sa main entre les siennes. Tous les deux, pâles du même tourment, se taisaient, n’échangeaient que de rares paroles d’inquiétude tendre. Ils connaissaient ensemble la grande et bonne souffrance, celle dont l’effort fait de la vie, dans le mystère qui veut que toute création soit douloureuse. Et cette douleur achevait de les confondre, les exaltait en une telle beauté d’amour, que rien de triste n’émanait d’eux, et que la chambre, au contraire, resplendissant de leur passion chantait déjà le triomphe.

Il y eut un coup de sonnette, Mathieu frémissant se hâta de descendre. Et, quand il trouva le docteur Boutan en bas de l’escalier :

— « Ah ! docteur, docteur…

— Ne me faites pas de reproches, mon cher ami. Vous ne vous imaginez pas les transes par lesquelles je viens de passer. Cette pauvre petite femme a failli me rester deux ou trois fois entre les mains. Enfin, elle était délivrée, lorsqu’une attaque d’éclampsie a manqué se produire. C’était ce que je redoutais depuis le commencement… Dieu merci ! je la crois hors d’affaire. »

Puis, comme il se débarrassait de son chapeau et de son paletot, dans la salle à manger :

— « Aussi comment voulez-vous qu’une femme ait de bonnes couches, lorsque, jusqu’au sixième mois, elle se serre à étouffer, va dans le monde, au théâtre, partout, buvant et mangeant n’importe quoi, sans précaution aucune ! Ajoutez que celle-là est d’une nervosité inquiétante et qu’elle a de gros ennuis dans son ménage. On y resterait à moins… Mais tout cela ne vous intéresse pas. Voyons notre affaire. »

En haut, quand il entra, carré des épaules, avec sa bonne figure colorée, aux yeux vifs, au fin sourire, Marianne l’accueillit du même reproche.

« Oh ! docteur, docteur…

— Me voilà, chère madame. Je vous jure bien que je n’ai pas pu venir plus tôt. D’ailleurs, je vous avoue que je n’avais aucune crainte sur votre compte, tant je vous sais courageuse et solide.

— Mais je souffre horriblement, docteur.

— Tant mieux ! c’est ce qu’il faut. Ça va être tout de suite fini, si vous avez de bonnes coliques bien franches. »

Et il riait, et il était gai, la plaisantant, lui disant qu’elle devait commencer à en prendre l’habitude, de ces bobos-là. Quatre ou cinq heures de souffrance, qu’est-ce que c’était, lorsque les choses marchaient bien, naturellement, sans la moindre inquiétude sérieuse ? Puis, lorsqu’il eut passé un grand tablier blanc et qu’il se fut libéré à un examen attentif de la patiente, il se récria d’admiration.

« C’est merveilleux, jamais je n’ai vu une présentation si favorable. Avant une heure, nous aurons le cher petit… Ah ! ça fait plaisir, voilà de la belle ouvrage, comme disent les braves femmes ! »

Vivement, aidé de la garde, il préparait tout, les linges et le reste. Il accueillait d’une bonne parole chaque plainte de Marianne, lui répétait de se laisser franchement souffrir, de pousser ferme, pour hâter le travail. Puis, pendant une accalmie, comme elle songeait à demander des nouvelles de Mme  Séguin, il se contenta de répondre qu’elle avait une fille, ce qui venait d’aggraver le désespoir du mari. Et, de même, Mathieu, questionné par elle sur sa visite chez les Morange, dit simplement que Valérie était très malade. Pourquoi l’auraient-ils attristée dans sa lutte, en lui apportant tous ces deuils du dehors ? Les dernières douleurs commençaient, si aiguës, qu’elles lui arrachaient de grands cris réguliers, pareils à la clameur des bûcherons, qui, dans leurs efforts, fendent les chênes. Elle renversait la tête, les yeux fermés, elle était tout entière jetée en avant, à chaque poussée violente des muscles, dont on voyait tressaillir le ventre nu, le ventre sacré, qui s’ouvrait comme la terre sous le germe, pour donner la vie. Alors, Mathieu, éperdu, ne put rester en place. Cette plainte continue le brisait lui-même, il sentait ses membres s’écarteler, dans cet arrachement. Il s’éloignait du lit, revenait se pencher sur cette chère tête torturée, dont les yeux clos laissaient couler des larmes ; et il les baisait dévotement ces pauvres yeux ruisselants, et il les buvait, ces larmes.

« Mon cher, finit par dire le docteur, vous devriez vous en aller, vous me gênez beaucoup. »

Justement, la bonne montait dire que M. Beauchêne était en bas, demandant des nouvelles. Et Mathieu, se sentant gagné par les sanglots, éperdu, descendit un instant.

« Eh bien ! mon ami, où en êtes-vous ? Constance m’envoie pour savoir… Est-ce fait ?

— Non, non, pas encore », reprit le pauvre mari tout frémissant.

L’autre se mit à rire, de l’air d’un homme heureux de ne plus passer par ces grosses émotions. Il n’avait pas éteint son cigare, la mine superbe toujours, content de vivre.

« Et puis, je voulais vous dire que vos trois enfants ne s’ennuyaient pas. Ah ! les gaillards ! ils ont déjeuné comme des loups et maintenant, ils sautent, ils crient ! Je ne sais pas comment vous pouvez vivre au milieu d’un sabbat pareil… Avec ça, nous avons envoyé chercher les deux petits Séguin, chez la tante où la maman les avait mis pour accoucher tranquillement. Ils sont donc de la partie, mais ceux-là sont un peu endormis, ils ont peur de se salir… Avec le nôtre, et cette grande fille de Reine, qui a l’air d’une femme déjà, ça nous en fait donc sept. Et c’est beaucoup, pour des gens qui s’entêtent à n’en avoir qu’un. »

Cette plaisanterie redoubla son rire de bon vivant qui avait, lui aussi, plantureusement déjeuné. Mais le nom de Reine donna froid au cœur de Mathieu. Il revoyait, là-bas, sur le grabat immonde, Valérie morte, tandis que, près d’elle, écrasé, Morange veillait.

« Et elle joue aussi, cette grande fille ? demanda-t-il.

— Oh ! comme une perdue. Elle joue à la maman avec les autres. Seulement, elle ne veut pas avoir plus d’un bébé. Les cinq qui restent, ce sont des petits domestiques… Quelle femme délicieuse elle fera, dans trois ou quatre ans ! » Il s’arrêta, souffla, cessa de s’égayer un moment.

« Le malheur est que notre Maurice a été repris ce matin par les jambes. Il grandit tant, ce garçon, il devient si fort !… Sa mère a du l’installer sur un canapé, au milieux des six autres, et vous comprenez que ça lui gonfle un peu le cœur, de ne pouvoir sauter et crier comme eux. Pauvre petit bougre ! »

Ses yeux vacillèrent, un nuage assombrit un instant sa face. Peut-être sentait-il passer à son tour ce souffle froid, venu du mystère, qui avait, un soir, glacé Constance d’un frisson, devant son fils pris de syncope. Déjà, il sortait de cette ombre ; et, comme si, dans sa rêverie, un rapprochement inconscient s’était fait, il se réveilla pour demander gaiement :

« Et, à propos, dites donc, la belle blonde, là-bas, pas encore ? »

Mathieu s’étonna, puis finit par comprendre qu’il lui demandait si Norine n’était pas accouchée.

« Pas encore, pas avant un grand mois, vous le savez bien.

— Mais je ne sais rien du tout, et ma question est stupide en effet, car je ne veux rien savoir… Quand vous aurez tout payé, répétez-le-lui de ma part : ni elle, ni l’enfant surtout, rien n’existe pour moi. »

À cet instant, la voix de la garde retentit en haut de l’escalier.

« Monsieur, monsieur, venez vite. » Et Beauchêne lui-même le pressa de monter.

« Allez, allez, mon ami. Je vais attendre un peu, pour savoir j’ai une petite cousine ou un petit cousin. »

En entrant dans la chambre, Mathieu fut ébloui. Par la fenêtre dont les rideaux étaient largement relevés, une telle gerbe épandue de soleil entrait, qu’on aurait dit un astre de glorieux accueil. Et vit le docteur, en tablier blanc, qui, de ses mains d’opérateur sacré aidait la venue de l’enfant, au seuil de la vie. Et il entendit Marianne, sa Marianne aimée, adorée, pousser un grand cri, le suprême des mères, le cri de toute vie nouvelle, éperdu de douleur de joie et d’espérance, auquel répondit presque au même instant le vagissement clair du nouveau-né, saluant la lumière du jour.

C’était fait, un être encore continuait les êtres, dans la flamme radieuse du soleil.

« C’est un garçon », dit le docteur.

Déjà Mathieu s’était penché, près de Marianne, et il les baisait de nouveau, en un élan de tendresse, de gratitude infinie, ses beaux yeux restés pleins de larmes. Mais sous les pleurs, elle souriait maintenant, elle avait une allégresse d’aurore, si heureuse, encore toute frissonnante de souffrance.

« Oh ! chère femme, comme tu as été bonne et brave, et que je t’aime !

— Oui, oui, je suis bien heureuse, c’est moi qui vais t’aimer davantage, de tout cet amour dont tu m’as comblée ! »

Le docteur Boutan intervint, lui défendit de dire un seul mot. Et il se récriait sur la beauté de l’enfant, plaisantant, répétant, dans sa passion des familles nombreuses, qu’il n’y a rien de tel pour faire des enfants superbes, que d’en faire le plus souvent qu’on peut. Quand le père et la mère s’adorent, qu’ils ne se livrent pas à des horreurs qui dupent la nature, qu’ils vivent sainement, honnêtement, en dehors des mœurs imbéciles du monde, comment voulez-vous qu’ils ne réussissent pas à merveille les enfants dont ils soignent la fabrication avec tant d’amour ? Et il riait en brave homme.

Mais Mathieu s’était précipité hors de la chambre, pour crier à travers l’escalier :

« C’est un garçon !

— Bon ! répondit d’en bas la voix goguenarde de Beauchêne, ça vous en fait quatre, sans compter une fille. Toutes mes félicitations… Je cours donner la nouvelle à Constance. »

Ah ! cette chambre de combat et de victoire, dans laquelle Mathieu rentra, comme dans une gloire triomphale ! Elle restait frémissante de la souffrance passée, mais quelle souffrance sainte, cette souffrance de la vie en éternelle besogne ! Et de quel espoir sans fin, ouvrant l’avenir, l’emplissaient maintenant la joie délicieuse, l’orgueil vainqueur d’avoir enfanté ! La mort avait beau faire son œuvre nécessaire, le champ mal ensemencé, mal cultivé avait beau être éclairci par le déchet des germes, toujours la moisson pousserait plus dru, grâce à la prodigalité divine des amants, qu’embrasait le désir, créateur du monde. Et la compensation était sans cesse prochaine, la vie jaillissait de partout en rejets vigoureux, pullulait d’un côté, lorsque la faux avait passé de l’autre, éclatait à cette heure, ici, dans cette chambre de bonté, de gaieté si tendres, comme pour racheter d’autres grossesses coupables et clandestines, d’autres couches affreuses et criminelles. Un seul être qui naissait, ce pauvre être nu, au faible cri d’oiseau frileux, c’était l’immense trésor de vie accru, c’était l’éternité assurée. Et, de même que, le soir de la conception, toute l’ardente nuit de printemps, avec son odeur, était entrée pour que la nature entière fût de l’étreinte féconde, de même aujourd’hui, à l’heure de la naissance, tout l’ardent soleil flambait là, faisant de la vie, chantant le poème de l’éternelle vie par l’éternel amour.