Fées de la terre canadienne/Texte entier

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Éditions Albert Lévesque (p. 1-197).


FÉES DE LA TERRE
CANADIENNE


Tous droits réservés, Canada, 1932

MAXINE

Fées de la Terre
CANADIENNE
illustrations de mlle arline généreux
ÉDITIONS ALBERT LÉVESQUE
librairie d’action canadienne-francaise ltée
MONTRÉAL, 1932

Cet ouvrage est dédié à la chère mémoire
d’un jeune Canadien

LA FÉE DES CASTORS


Sur les bords de la rivière Oigoudi (aujourd’hui rivière Saint-Jean), vivait il y a plusieurs centaines d’années un petit Indien du nom de Memtou.

Il s’appelait, en réalité, Membertou comme son père, mais on avait raccourci son nom, comme cela se faisait souvent chez les peuplades indiennes d’alors.

Cet enfant des forêts, à l’esprit aventureux, aurait bien voulu suivre son père dans les longs voyages qu’il faisait durant l’été, dans son léger canot d’écorce, mais il était trop jeune, il n’avait que huit ans, et devait rester à la cabane avec sa mère et les papooses.[1]

Memtou aimait la nature, les grands arbres lui semblaient des géants protecteurs, les oiseaux le charmaient et ses amis les plus chers étaient les petits castors, dont il y avait, à cet endroit, un nombre extraordinaire.

Memtou avait vu, un jour, dans la forêt, un étrange cortège. C’était une troupe de castors, traînant, comme un chariot, un de leur bande couché sur le dos et ayant, entre ses quatre pattes, une petite charge de bois. La troupe s’en allait vers un ruisseau qui coulait dans la forêt.

Lorsqu’il raconta la chose à son père, celui-ci lui expliqua que les castors transportent ainsi le bois pour leurs habitations.

— « Elles sont bien faites, mon petit, leurs maisons. Elles ont souvent deux ou trois étages. Ils se blottissent dans les étages supérieurs, car dans le bas il y a souvent de l’eau. La porte de la maison est sous l’eau, alors les castors vont et viennent comme ils veulent, sans crainte de se faire prendre. Ces maisons sont aussi bien couvertes que nos wigwams, mais c’est une couverture de terre arrondie ; les murs en sont solides et à l’épreuve du vent. Il faut les voir, ces petits fourrés, quand ils se rassemblent dans les forêts sombres pour couper leur bois de charpente ! Tu rirais, Memtou, de les voir couper si aisément les branches avec leurs dents ! »

L’enfant s’installait souvent au bord de la rivière et appelait ses petits amis :

— « Ici, petits castors ! venez ! C’est Memtou, votre ami ! »

Les castors accouraient en bande. Le petit gars leur parlait, les caressait et parfois il leur disait :

— « Invitez-moi donc pour aller voir vos maisons ! On les dit si bien faites et jamais vous ne me les faites voir ! »

Mais les castors ne semblaient pas le comprendre.

Un jour, vers l’heure du couchant, Memtou aperçut sur la grève un castor noir, beaucoup plus gros que les castors ordinaires. Chose étrange, il avait au cou un cercle brillant, comme un collier d’or… Memtou voulut l’approcher, mais le castor étrange s’enfuit rapidement.

Le lendemain, vers la même heure, Memtou, jouant au bord de la rivière, vit encore le castor au collier, et de nouveau il tenta sans succès de l’approcher.

Le Rocher de Percé
Ce soir là, il y avait grande réjouissance dans

la tribu. Membertou, le grand chef, le Sagamo, comme disaient les Indiens, était revenu. Memtou aimait beaucoup son père et fut joyeux de le revoir. Il avait fait un long voyage sur mer et avait visité beaucoup de lacs, de rivières et de landes.

— « J’ai voyagé, dit-il, sur la grande mer de Kanada (c’est ainsi que les Indiens désignaient le Golfe, à l’entrée de la rivière Saint-Laurent). Après six jours de voyage, je suis arrivé à un village de la région de Gachepé, où j’ai été bien reçu et fêté par les tribus de là-bas. Tout près de là, il y a une île de pierre qui est comme un rocher géant dans la mer ; un peu plus loin, j’ai visité une île où il y a tellement de castors que l’on pourrait avoir des douzaines de tuniques pour toute la tribu, et il y en aurait encore des centaines à prendre. Il y a là des castors deux fois plus gros que ceux d’ici et presque noirs. »

— « Il y en a un comme ça ici, » dit Memtou : « il a un collier au cou. »

— « Un collier ? Tu rêves ! »

— « Non, je l’ai vu deux fois ! »

— « La troisième fois, mon petit, il faut prendre une flèche et le viser ton castor à collier ! »

Mais Memtou ne voulait pas blesser ce bel animal, il espérait plutôt l’apprivoiser.

Un jour, dans la forêt, l’enfant entendit comme une plainte, un gémissement qui semblait venir du pied d’un arbre tout près de lui. Il chercha dans les broussailles et trouva son beau castor, gisant ensanglanté, percé d’une flèche qui le blessait cruellement tout près de son beau collier que le sang rougissait !… Memtou se baissa ; avec douceur et adresse il enleva la flèche. Courant à une source d’eau, il y trempa une poignée de feuilles et vint les appliquer sur la blessure, mais le sang coulait toujours… Désolé, pensant que son beau castor allait mourir, il appliqua ses lèvres sur la partie blessée… mais à peine avait-il donné ce baiser, qu’il se sentit brusquement rejeté en arrière et une lumière éclatante lui fit fermer les yeux. Quand il les ouvrit, il aperçut une Fée d’une beauté merveilleuse, qui le regardait en souriant… Elle était vêtue d’une longue draperie aux reflets dorés, ses cheveux tombaient en boucles blondes sur ses épaules et elle tenait dans sa main droite une longue baguette, surmontée d’une petite tête de castor, fixé par un cercle d’or brillant…

Memtou, stupéfait, charmé, mais un peu craintif, n’osa d’abord rien dire, puis, voyant que l’apparition souriait toujours, il dit :

— « Qui es-tu, belle Visiteuse ? »

— « Je suis la Fée des Castors et l’amie des Oiseaux. Mon royaume s’étend dans tout ce vaste pays, mais j’avais établi ma demeure sur une île charmante, fort éloignée d’ici. Les chers petits castors dont je suis la Souveraine m’attendent là en vain, depuis tantôt deux ans ! Un sorcier de la bande des Armouchiquois, venu sur mon île pour y exercer ses maléfices, fut écrasé à mort par mes petits défenseurs, mais avant de mourir, il se vengea… me changea en castor et m’exila de mon île ! »

— « Comment as-tu fait pour changer encore et redevenir une fée ? »

— « Il me fallait, Memtou, le baiser d’un enfant. Tu as toujours aimé les petits castors qui m’ont suivie dans ton pays pour rejoindre ceux qui s’y trouvaient auparavant et aussi pour me suivre ; eux aussi te connaissent et ils t’aiment, et moi, je te chérissais déjà sans savoir que tu pourrais me sauver !

— « C’est toi, le castor au collier ? »

— « Oui, c’était moi, et c’est une flèche de ton père qui m’a blessée, mais je ne lui en veux pas, j’en suis heureuse puisqu’elle a amené ma délivrance… Je vais maintenant te quitter, ne parle à personne de ce qui est arrivé, mais prends ce petit collier qui fera juste le tour de ton bras. Ne t’en sépare jamais et si, lorsque tu seras devenu grand, tu as un jour besoin de mon aide, viens auprès de mon île et jette ce collier sur la grève… Je viendrai tout de suite à cet appel. Tu peux dire à ton père que le collier que tu portes comme un bracelet est celui du castor que sa flèche avait percé !…

Memtou fixa le collier à son bras, mais lorsqu’il leva les yeux vers la fée… elle avait disparu.

Peu à peu, dans les années qui suivirent, les castors disparurent des environs de ce pays et on n’en vit plus qu’un très petit nombre.

Memtou grandit. Il avait maintenant seize ans. C’était un jeune Indien fier et hardi, qui devait succéder à son père comme Sagamo de la nation ; mais auparavant, il lui fallait accomplir un acte de bravoure qui le rendrait digne de cet honneur.

Memtou n’avait jamais oublié la belle fée qui avait mis à son bras d’enfant le collier du castor. Depuis bien longtemps ce cercle d’or était trop petit pour son bras vigoureux, mais il le portait toujours suspendu à son cou comme une amulette.

Un jour, arriva un coureur, venant du pays de Gachepé, apportant au Sagamo, un message de la part des Indiens de ce pays. Ils étaient attaqués par les Armouchiquois, qui devaient venir au nombre de plusieurs centaines pour tuer leur monde et brûler leurs villages. N’étant pas assez nombreux, ni assez forts pour leur résister, ils faisaient appel à Membertou, le grand chef, pour leur venir en aide, en souvenir de l’hospitalité que lui avait jadis donnée le village présentement en danger.

On assembla le Conseil de la Nation et on décida d’envoyer une certain nombre de guerriers.

Memtou s’avança vers son père, en disant :

— « Père, laisse-moi conduire la bande. Ce sera ma chance de montrer si je suis digne de te succéder ! »

— « Il y aura de la misère, des dangers… peut-être la mort !…

— « Je ne crains rien », dit Memtou, « ton fils ne doit pas connaître la peur… Je porte le même nom que toi, mon père. »

Membertou consentit ; alors tout fut décidé, et, peu de jours après, une trentaine de canots, remplis d’indiens armés de flèches et de tomahawks, filaient rapidement à destination de Gachepé.

Après bien des jours de voyage, ils arrivèrent près d’une île couverte d’arbres et de plantes. Les canots passèrent tout près de ses rives et les Indiens virent qu’il y avait là une grande quantité de castors.

— « Je pense qu’il vaut mieux arrêter ici et nous cacher, » dit Memtou, « et ne pas approcher de la côte avant la nuit. Nous avons fait bien des détours pour arriver par cet endroit et je crois que l’ennemi doit s’attendre à nous voir venir par la grande mer. »

Memtou, se souvenant tout-à-coup de l’épisode de son enfance, se dit :

— « C’est peut-être ici le royaume de la Fée des Castors. »

Au moment d’atterrir, ils virent arriver une Indienne, qui, sans parler, faisait signe à Memtou d’approcher.

— « N’y va pas ! » disaient les autres. « C’est une espionne ou peut-être une sorcière ! »

— « Je ne la crains pas, voyons ce qu’elle veut », dit Memtou, et il dirigea son canot vers l’Indienne.

En approchant, il vit que c’était une toute jeune fille, presque une enfant, mais son air grave et anxieux indiquait qu’elle avait vraiment un message.

— « Que veux-tu ? » dit-il en l’abordant.

— « Je viens vous avertir, » dit-elle, « nos ennemis sont là, en embuscade, derrière l’île de pierre, ils attendent pour vous attaquer en surprise ! »

— « Qui es-tu ? » demanda Memtou.

— « Je suis Bessabas, fille du chef Ouagimont, que les ennemis ont tué et je suis venue vous mettre en garde, parce que vous êtes des alliés et que vous aiderez à venger mon père. »

Memtou fit signe à ses guerriers d’approcher
« Que puis-je faire pour le fils du grand
Sagamo Membertou ?… »
et expliqua l’embuscade qui se trouvait de l’autre côté de l’île de pierre. Il leur dit de tirer leurs canots à terre et de se cacher dans les branches.

Lorsque les canots furent en lieu sûr et les guerriers partis, Memtou demanda à Bessabas :

— « Comment as-tu pu laisser la côte ? »

— « Je me suis enfuie, une nuit, après la mort de mon père. J’ai pris un canot et je suis partie vers l’île où nous sommes. »

— « Comment appelles-tu cette île ? »

— « L’île de la Fourrure, » (c’est à cause des castors qui s’y trouvent en si grand nombre).

— « Mais comment as-tu connu les plans de nos ennemis ? »

— « Ils savent que cette île est inhabitée », dit-elle ; « ils sont passés tout près d’ici dans leurs canots. Cachée dans un taillis j’ai entendu ce qu’ils disaient et j’ai voulu vous avertir ! »

— « N’y a-t-il pas une fée ici ? » demanda Memtou.

— « On le dit », répondit la jeune fille, « elle protège les castors et les oiseaux. »

Alors Memtou, prenant le minuscule collier d’or qui pendait à son cou par une mince courroie, il le jeta avec force sur la grève…

En silence, debout auprès de Bessabas qui ne savait que penser de son étrange action, il attendit… Tout-à-coup, un léger bruit, comme un bruissement d’ailes, se fit entendre, les branches d’un sapin s’écartèrent, et la Fée parut… radieuse et souriante, comme elle était restée dans le souvenir du jeune Indien. Elle regarda Memtou et lui dit :

— « Que puis-je faire pour le fils du grand Sagamo Membertou ? »

Le jeune homme lui expliqua sa mission et lui présenta la petite Indienne du village de la région de Gachepé, qui était venue l’avertir de l’embuscade.

La fée resta quelques instants sans parler, puis elle dit à Memtou :

— « L’Île de Pierre est comme une haute muraille sans issue qui s’élève dans la mer, non loin de la côte de ce village de Gachepé. Cette muraille a, dans son extrémité qui est le plus avant dans l’eau, une fissure qui la traverse du haut en bas. Toi, Bessabas, tu as dû la voir, cette fissure ? »

— « Oui, belle Fée », répondit la fillette, un peu tremblante, « mais elle est si étroite que personne ne pourrait y passer ! »

— « L’ennemi est-il au guet à chaque bout de l’île de Pierre ? », demanda Memtou à Bessabas.

— « Oui », répondit-elle, « mais surtout à l’extrémité près de terre. »

— « Alors », dit la Fée, « pour les surprendre, il faut que les guerriers de Memtou puissent, à mer haute, passer par cette fissure. Attendez ! Je vais appeler mes ouvriers. »

La Fée se dressa toute sa hauteur, siffla doucement entre ses doigts et soudain une multitude de petits castors vint se masser autour d’elle, semblant attendre ses ordres.

— « Petits castors, » dit-elle, « vous que j’ai toujours protégés et qui me comprenez si bien, écoutez mes ordres !… Je vous donne aujourd’hui une force spéciale qui vous permettra de nager rapidement jusqu’à l’Île de Pierre. Là, vous vous masserez dans la fissure, et peu à peu, sans que l’on s’en aperçoive, vous pousserez le rocher de manière à permettre le passage d’un canot. Au moment d’achever, vous laisserez une lisière de rocher qui masquera le passage, mais tellement mince qu’un coup de tomahawk la fera tomber. Pour ce travail, je vous donne la durée de cette nuit, et lorsque vous reviendrez à l’aurore, il faut que votre tâche soit accomplie ! Si vous êtes fidèles je vous récompenserai. Partez, et soyez forts ! » et agitant au-dessus d’eux sa longue baguette, elle leur indiqua le grand fleuve…

Les castors prirent la mer. Il semblait y en avoir des milliers tant était longue la bande noire qu’ils formaient sur l’eau, mais bientôt ils se dispersèrent, plongèrent et on ne put les distinguer. La Fée les regarda partir, puis elle dit à Memtou :

— « Lorsque la nuit sera venue, partez tous dans vos canots ; dans l’obscurité vous arriverez, sans être vus, à l’Île de Pierre. À mesure que le travail de mes castors avancera, cachez un canot dans la fissure agrandie, et massez les autres tout près de la muraille. Sitôt le jour venu, donnez au passage le coup définitif, puis filez tous par là et tombez sur vos ennemis ! »

— « Bonne Fée, » dit Memtou, « que puis-je faire pour cette jeune fille qui a risqué sa vie pour nous sauver ? »

— « Laisse-la ici, avec moi, et après la bataille, tu reviendras la chercher. »

— « Vous reverrai-je ? » dit-il.

— « Oui ; prends de nouveau ce petit collier d’or qui est là dans le sable, appelle-moi comme tu as déjà fait, et je viendrai t’amener Bessabas. »

Memtou ramassa le collier et la Fée reprit :

— « Maintenant, petite fille, pose ta main sur ma tunique et ferme les yeux… Memtou, va rejoindre tes guerriers et soyez prêts pour le départ ! »

Memtou partit et, un instant après, la Fée et la jeune Indienne avaient disparu…

La mer montait… Dès que l’obscurité fut presque complète, ils se mirent en route. Rapidement, mais en silence, leurs canots filaient dans la nuit noire, sur les eaux calmes du fleuve. Ils arrivèrent enfin au rocher, virent que la fissure était déjà passablement agrandie… Sans parler, ils attendirent, se plaçant tel que la Fée leur avait dit ; avant le lever du soleil le passage traversait l’Île de Pierre. Les guerriers de Memtou, se glissant par le canal, ignoré de leurs ennemis, tombèrent sur les Armouchiquois et une bataille terrible s’engagea.

Memtou fit des prodiges de valeur et sut si bien conduire ses guerriers qu’avant midi, l’ennemi était en déroute. Les Indiens de Gachepé, accourus pour prendre part à la bataille, trouvèrent leurs alliés victorieux et aperçurent un grand nombre de canots qui filaient vers la grande mer… c’était les Armouchiquois qui étaient en fuite.

Memtou leur raconta le beau geste de Bessabas et les paroles de la Fée, et à mer basse, tous allèrent voir le merveilleux travail accompli par les castors.

Memtou fut acclamé, on loua sa bravoure et son adresse et on lui dit qu’il était digne du titre de Sagamo de sa nation.

Les Indiens des deux pays prirent alors leurs canots et se dirigèrent vers l’Île de la Fourrure. Memtou aborda le premier, les fit placer debout près de lui sur le sable du rivage et prenant le petit collier, il le jeta sur la grève.

Au bout d’un instant, aux yeux éblouis et étonnés de tous les guerriers, la Fée parut, tenant la jeune Indienne par la main : souriante, elle les accueillit avec bonté et s’adressant à Memtou, elle dit :

— « Digne fils de Membertou, tu peux retourner vers ton père et lui dire que son fils est un brave ! Ta tribu peut sans crainte te sacrer Sagamo, tu es digne de cet honneur ! Et vous, hommes de Gachepé, vous allez ramener cette enfant, fille de votre chef, tué par vos ennemis et dans trois ans vous la donnerez pour femme au jeune brave que voici ! »

Prenant la main de Bessabas, la Fée la plaça dans celle de Memtou… Les deux jeunes gens se regardèrent avec joie.

S’adressant ensuite à eux tous, la Fée continua :

— « Mes fidèles castors ont mérité une récompense. Je vais la leur donner. »

Elle siffla légèrement entre ses doigts et les castors accoururent à son appel. La Fée leur parla ainsi :

— « Petits castors, pour votre fidélité et votre travail sur le rocher de l’île de Pierre, je vais vous récompenser.

Je sais qu’un grand nombre parmi vous auriez voulu avoir des ailes et voyager dans les airs vers de lointains pays… D’autres préfèrent leurs solides demeures et leur manteau fourré et ne désirent pas quitter la terre… Alors, que ceux qui parmi vous désirent l’air, l’espace, les envolées dans le ciel bleu et des nids dans les grands arbres, que ceux-là, dis-je, se placent à ma droite et que les autres restent à ma gauche ! »

Immédiatement les castors, en nombre extraordinaire, se placèrent à droite de la Fée.

Elle regarda de chaque côté avec un sourire un peu triste, puis, levant sa baguette, elle dit aux castors de droite :

— « Devenez donc des oiseaux de tous genres et de toutes sortes, peuplez cette île et les îles plus lointaines… Allez ! Allez ! Vous avez des ailes ! » et elle passa sa baguette au-dessus d’eux… À l’instant, ils disparurent, et une nuée d’oiseaux s’envola dans toutes les directions…

La Fée abaissa alors ses regards vers le sol et dit aux petits castors :

— « Et vous, fidèles petits sujets, je vous donne en ce jour votre liberté ! Fuyez où bon vous semblera, allez partout bâtir vos demeures et peupler les forêts, vous êtes libres. Je vais quitter cette île, où je ne puis plus demeurer… Trop de regards humains font s’envoler les fées !… Mais avant de vous quitter je vais vous accorder une faveur : par un don tout spécial, vous deviendrez à jamais célèbres dans ce pays, votre nom sera synonyme de travail et de diligence et vous figurerez comme emblème sur l’étendard du peuple qui, plus tard, habitera ces rives ! Allez, petits castors, fuyez !… »

Les castors partirent de suite vers l’intérieur de l’île.

S’adressant alors aux Indiens, la Fée leur dit :

— « Et vous, hommes des forêts, retournez dans vos landes et n’oubliez pas la Fée que vous ne reverrez plus.

Toi, Memtou, dont la pitié enfantine me sauva jadis des maléfices d’un sorcier, tu seras le chef d’une tribu remarquable ; le nom que tu tiens de ton père et que tu transmettras à tes fils sera en honneur, non-seulement parmi les tiens, mais aussi chez un grand peuple de Visages Pâles. »

En disant ces mots, la Fée leva trois fois sa baguette, un nuage vaporeux sembla l’envelopper et elle disparut.

Les Indiens retournèrent dans leur pays.

Trois ans plus tard, Bessabas épousa Memtou et vint avec lui sur les bords de la rivière Oigoudi.

Le titre de Sagamo resta toujours dans la famille de Membertou, et, longtemps plus tard, lorsque les Français vinrent dans ce pays, ils trouvèrent dans cette région des amis et des alliés dans les Indiens de la tribu dont le chef portait ce nom.

Aujourd’hui, la région de Gachepé est devenue celle de Gaspé, l’Île de Pierre (dont la fissure s’est élargie avec les années), s’appelle le Rocher de Percé, l’Île de la Fourrure est devenue l’Île Bonaventure. Mais la Fée a tenu ses promesses : les oiseaux peuplent toujours cette île du Saint-Laurent et l’emblème du castor se place avec honneur sur un étendard canadien.


Une vue du Mont-Royal.

LA FÉE DU MONT ROYAL


Il y avait autrefois à Montréal, alors que cette ville s’appelait Ville-Marie, un vieil Indien nommé Tessouchas.

Il était devenu chrétien et avait eu pour parrain et marraine à son baptême deux personnages célèbres dans l’histoire du Canada, surtout dans celle de Montréal : Monsieur de Maisonneuve et Mademoiselle Jeanne Mance.

Tessouchas avait été un guerrier intrépide et, dans ses guerres nombreuses avec les Iroquois, les ennemis jurés de sa nation, il avait perdu un œil, ce qui l’avait fait surnommer à Ville-Marie « le Borgne de l’Île ».

Mademoiselle Mance avait remarqué que son vieux filleul avait une affection particulière pour la belle montagne au pied de laquelle se groupaient les quelques bâtisses de la ville naissante, et qu’il faisait souvent allusion à un temps fort éloigné où l’Île de Ville-Marie était habitée par les Algonquins.

Ceci lui semblait étrange, car lors de sa fondation par Monsieur de Maisonneuve en 1642, nulle trace d’habitations n’avait été trouvée. Cependant les récits de Cartier, lors de la découverte du Canada, indiquaient l’existence, à cet endroit, d’un village indien, qu’il désignait comme le village fortifié d’Hochelaga.

Mademoiselle Mance comprenait très bien les Indigènes et elle aimait à les faire causer.

Un soir d’été, Le Borgne étant venu, suivant son habitude, faire visite à sa marraine, celle-ci le questionna au sujet du village disparu.

— « C’est une longue et terrible histoire, bonne Dame, » dit l’Indien, « et qui remonte à des temps bien éloignés. »

— « J’ai tout le temps de vous écouter, mon ami. Asseyez-vous là, sur ces marches, près de mon fauteuil. Il fait une soirée délicieuse et je puis rester dehors. Parlez ! Je suis très anxieuse de connaître votre histoire. »

Le Borgne s’installa sur les marches et fuma sa pipe en silence pendant quelques instants, puis, étendant le bras vers la montagne, couverte à ce moment de la lueur rose que lui prêtait le reflet du soleil couchant, il dit :

« Cette montagne que vous voyez couverte de beaux arbres, si verdoyante, si belle à nos yeux… eh bien, autrefois, c’était un volcan. De tous les environs, l’on voyait s’élever de son sommet une légère fumée blanche. Si parfois des bourgades, trouvant cette île belle et attirante, venaient y planter leurs wigwams et s’y établir avec leurs familles, aussitôt, dans la nuit, survenait une terrible détonation… La terre tremblait et une pluie de pierres brûlantes venait tout dévaster ; les wigwams brûlaient et les Indiens, affolés de terreur, prenaient la fuite.

« Voyant qu’ils ne pouvaient s’établir sur cette île, ils retournèrent à leur place originaire, l’endroit que vous appelez Fort Richelieu[2], et y demeurèrent, abandonnant à regret le projet de pouvoir établir un village sur cette île.

« Un jour, un de mes lointains ancêtres, appelé comme moi Tessouchas, mais que son adresse et sa vivacité avaient fait surnommer « La Mouche », vint à passer dans la grande forêt. Il aperçut une dizaine de jeunes Iroquois qui dansaient une ronde de guerre autour d’une vieille Indienne, qui paraissait tremblante de frayeur. (Il faut vous dire, Bonne Dame, expliqua le Borgne, que le nom La Mouche est resté synonyme de bravoure chez ma nation, et même chez les Hurons, nos amis, plusieurs braves guerriers se sont nommés ainsi).

« La Mouche vit que la femme avait les mains liées derrière son dos, et que tout en dansant, les jeunes gens la traînaient avec eux, criant que c’était une sorcière et qu’ils allaient la brûler.

« Voyant que les agresseurs étaient des Iroquois, La Mouche se jeta sur eux à l’improviste… Son tomahawk à la main, vlan ! vlan ! plus vite que l’éclair les coups se mirent à tomber. Si bien que plusieurs tombèrent blessés et les autres prirent la fuite…

« Se tournant alors vers la prisonnière, il coupa ses liens et lui demanda d’où elle venait. Sans répondre à sa question, elle lui dit :

« Brave jeune homme ! Tu as mis mes ennemis en fuite, peux-tu maintenant retrouver la baguette d’or que m’ont ravie ces méchants, mais qu’eux-mêmes ont laissé tomber parmi les branches ? »

« La Mouche se mit à chercher d’un côté et de l’autre et enfin il vit briller quelque chose sous une branche de cèdre… c’était la baguette perdue.

« Il la rendit à la vieille qui le remercia et lui dit :

— « Quel est ton nom ? »

— « Je suis Tessouches, qu’on appelle La Mouche. »

— « La Mouche, tu es adroit aussi bien que brave. Ah ! si tu pouvais me sauver !  ! »

— « Te sauver ? » répéta-t-il, qui donc es-tu ?

— « Je suis Morala, la Montagnarde, fée d’une belle montagne, mais une terrible sorcière de la nation des Nez-Percés a transformé en brasier le cœur même de ma demeure, brûlé mes arbres et chassé mes oiseaux… Moi-même, de fée que je suis, elle m’a transformée, me donnant l’apparence d’une vieille Indienne, et je n’ai rien pu sauver, sauf cette baguette, qui m’est ainsi d’autant plus précieuse ! »

— « Resteras-tu toujours ainsi ? » demanda La Mouche.

— « Oui, à moins qu’il ne se trouve un fils de guerrier assez brave et assez adroit pour brûler la sorcière dans son propre brasier. »

— « Mais, où se trouve-t-il ce brasier ? »

— « Vois », dit l’Indienne, en montrant le fleuve, à une grande distance d’ici, il y a une île, d’environ une centaine de milles de circuit. Cette île était un endroit enchanteur, mais, maintenant… plus rien !… plus d’arbres ! plus de fleurs ! plus d’oiseaux ! plus de wigwams !… rien… rien… »

— « Mais tu me parles de cette île où mes parents et tant d’autres ont voulu s’établir ? »

— « De celle-là même. »

— « Alors je vais la tuer, moi, cette sorcière de malheur ! Son feu a brûlé mes grands parents, trop vieux pour s’enfuir ! »

— « Tessouchas, c’est une mission dangereuse et fort difficile, mais si tu veux l’entreprendre je t’aiderai de tout le pouvoir qui me reste. Il te faudra partir seul, en canot, ne voyager que la nuit, te cacher dans le jour, et ne parler à personne de ton voyage. Rendu à l’île, avant le lever du soleil, siffle trois fois entre tes deux mains et plante cette baguette en terre… et quelqu’un te fera voir la sorcière ! »

— « Et si je réussis à la brûler ? »

— « Tout de suite, tu me reverras, en m’appelant de la même façon. » Lui donnant alors la baguette, elle lui dit :

— « Et maintenant, puisque tu es décidé, prends cette baguette et cache la bien, car si tu la perds, tout est fini ! »

La Mouche prit la baguette, et regardant à ses pieds, vit un amas de tiges vertes et brunes. Il les arracha ; de ses doigts agiles il banda toute la longueur de la baguette, masquant complètement sa couleur, et ainsi transformée, il la plaça à sa ceinture, à côté de son tomahawk.

« Lorsqu’il leva la tête pour parler à l’Indienne… elle avait disparu !

« La Mouche n’avait plus qu’une idée… Partir ! Aller détruire cette horrible sorcière !… C’était un grand garçon de quinze ans, brave cœur et bon fils. Il eut bien voulu parler à ses parents de l’aventure projetée ! Mais il se savait tenu au silence. Une nuit, cependant, quand tout le village fut plongé dans le sommeil, il se leva et sortit furtivement du wigwam paternel. Un faible croissant de lune éclairait son chemin ; il descendit sur la grève.

« Les eaux du fleuve, calmes et attirantes, semblaient l’inviter à tenter l’aventure. Prenant son canot, il le poussa doucement à l’eau, sauta dedans et, à grands coups d’aviron, partit dans la direction de l’île.

« Le canot glissait rapidement et lorsque parut le jour, il était déjà avancé dans son voyage, mais il poussa vers la terre et se cacha jusqu’au soir, suivant les instructions de l’Indienne mystérieuse. La seconde nuit et la seconde journée se passèrent de même ; la troisième nuit n’était pas terminée lorsqu’il arriva au rivage de la grande île tant convoitée par sa tribu, comme lieu d’établissement.

« Tirant son canot à terre, il se hâta de donner le signal convenu, sifflant trois fois entre ses deux mains et plantant en terre la baguette de l’Indienne…

« Aussitôt, il vit apparaître un petit gnome, bossu, boiteux, avec une grosse tête, une figure ridée et une longue barbe blanche. Ses yeux francs et doux lui semblèrent familiers, mais il ne pouvait se rappeler où il avait vu ces yeux-là.

« Qui es-tu, dit-il, toi qui te sers des signaux de la pauvre Morala ? »

— « Je suis Tessouchas, appelé La Mouche, fils d’un guerrier Algonquin. C’est Morala qui m’envoie pour la venger, et pour venger aussi la mort de mes grands parents. Fais-moi voir la sorcière ! »

— « Ami de Morala, tu es aussi mon ami ! Je suis Zippo, le gnome, ami de la Fée de la Montagne… mais, hélas ! je crains qu’elle ne puisse jamais redevenir elle-même ! »

— « Elle le sera bientôt, Zippo ! Je vais tuer, brûler la sorcière !… Il faut vite me la faire voir !  ! »

— « C’est une entreprise de géant et tu n’es qu’un adolescent !… Je vais te donner une idée de ce qui t’attend. »

« Le nain passa derrière La Mouche, lui appliqua sur le front ses deux petites mains ridées, lui fit fermer les yeux, puis, lui tournant la tête vers la montagne, il lui dit à voix basse : Regarde ! »

« La Mouche ouvrit les yeux… il ne pouvait d’abord rien distinguer — puis, peu à peu, il vit la montagne, il en vit les abords arides et brûlés, il vit un filet de fumée blanche qui s’échappait de son sommet, mais tout lui semblait visible seulement à travers un voile de brume… tout-à-coup, la vision devint claire et il aperçut une ouverture, comme l’entrée d’une caverne lumineuse au pied de la montagne.

« Le nain le prit par la main et lui dit :

— « Avance vingt pas. »

« La Mouche obéit. Alors, il aperçut la sorcière ! !

« Elle était assise sur une pierre en face d’un brasier dont elle semblait attiser le feu avec une longue fourche noire. Elle avait le nez crochu et un anneau passé dans les narines ; ses cheveux noirs et raides étaient surmontés de deux plumes rouges, à la façon des femmes iroquoises ; ses yeux, ronds et petits, brillaient comme des charbons ardents, sa bouche édentée était mince et cruelle. Un haillon de cuir lui servait de vêtement…

— « Qu’elle est horrible !  ! », s’écria La Mouche, mais, sans l’écouter, le nain lui dit :

— « Regarde encore ! C’est là ce qu’elle jette
« La sorcière avait le nez crochu et un anneau passé
dans les narines… »
dans son brasier pour faire trembler la terre et pleuvoir du feu et des pierres ! »

« La Mouche vit, dans un coin de la caverne, un amas de bûches qui semblaient faites de verre ou d’un transparent quelconque et qui contenaient une terre fine et noire.

— « Regarde ! » dit encore le nain, voici un de ses gardiens ! »

« La Mouche aperçut, en arrière de la sorcière un terrible dragon à sept têtes ; chaque tête, armée de deux cornes, avait une large gueule, avec une langue longue et noire et des dents formidables !

« La Mouche ne put réprimer un frisson d’horreur !  !

— « Encore un gardien ! » lui souffla le nain.

— « La Mouche vit, couché auprès de la sorcière un loup noir d’aspect féroce et il lui sembla entendre un sinistre grognement.

— « Le dernier et le plus terrible !  ! » dit encore le nain.

« La Mouche aperçut alors, à l’entrée de la caverne, un géant de la tribu des Nez-Percés ; il agitait fébrilement dans ses mains un bâton de la grosseur d’un petit arbre !…

« Le gnome repassa sa main sur le front du jeune Indien et tout disparut… il ne voyait plus que la grève, la rivière et Zippo qui le regardait.

« La Mouche resta pensif. Comment venir à bout de tous ces monstres ?

— « Comment as-tu pu leur échapper, toi, » dit-il au nain.

— « Ils me voient rarement et ils me croient muet, c’est pourquoi je vis. »

— « Où te mets-tu, quand elle fait trembler la montagne ? »

— « Dans la caverne, couché par terre. Là je suis en sûreté. »

— « Peux-tu m’aider ? »

— « Oui, pour deux choses : d’abord pour te renseigner, puis pour te suivre, afin que tu ne sois pas toujours seul. Mais il faut user de ruse. D’abord, cache bien la baguette de Morala, c’est le seul pouvoir qui leur manque. Cette baguette peut te défendre du loup et du dragon, elle ne peut rien contre le géant ni la sorcière. Cette dernière ne peut périr que par le feu de son brasier. Quant au géant, le point faible de ce colosse, c’est la gourmandise ! Alors, penses-y, lorsque viendra son tour ! »

« La Mouche resta silencieux, se demandant comment, à lui seul, affronter ce quadruple danger de la sorcière et des trois terribles gardiens de la caverne. Il était brave aussi bien que rusé mais il n’avait que quinze ans !…

« L’idée lui vint d’abandonner la partie et de retourner chez ses parents… Puis, au souvenir de ceux-ci, il se rappela leur grand désir d’habiter cette île et aussi leur chagrin de la mort affreuse de ses grand’parents, il reprit courage et résolut de remplir sa mission.

« Le nain s’était éloigné, et revint peu après avec de la nourriture que La Mouche accepta de grand cœur, car il avait bien faim.

« Pendant qu’il était à prendre son repas, il aperçut un ours qui, sortant de derrière un buisson, vint se jeter sur le nain ! Vif comme l’éclair, La Mouche saisit son tomahawk et se lança au secours du petit homme. À coups redoublés, il frappa la bête, à la tête, dans la gorge, sur la poitrine, et cria au nain :

— « Sauve-toi vite, pendant que je le tiens ! »

« Le nain se sauva et l’ours furieux leva une énorme patte pour assommer son adversaire, mais il se trouva à toucher la baguette de Morala, et à ce contact, il roula aux pieds de La Mouche… Il était mort !…

— « Ouf !  ! » dit le jeune homme en s’essuyant le front. Reviens, Zippo ! Tu as failli servir de déjeûner à l’ours ! Je lui ai donné plusieurs bons coups de tomahawk, mais par les plumes de la sorcière, je te jure que je ne pensais pas l’avoir tué ! »

— « C’est la baguette d’or », dit Zippo, « il a dû la toucher. »

— « C’est donc une défense, la baguette ? »

— « Oui, mais pas contre la sorcière ni le géant. Mais tu es brave, tu m’as sauvé ! Je ne l’oublierai pas ! »

« De nouveau, son regard qui semblait plein de bonté rappela à La Mouche un autre regard, mais il ne pouvait dire lequel. Sur les conseils de son ami le nain, le jeune Indien s’enfonça dans un bois touffu et se prépara un abri. Il fallait se cacher et réfléchir avant de commencer son attaque.

— « Est-ce que la sorcière s’endort parfois ? » demanda-t-il.

— « Elle dort le jour, ainsi que le dragon et le loup. Le géant est seul gardien alors. La nuit, le géant dort et les autres veillent. Maintenant, je dois partir, repose-toi et cache-toi bien, et si tu es en danger, appelle-moi de la manière que tu sais. »

« La Mouche se coucha dans son abri de verdure, mais il ne pouvait dormir. Il se disait :

— « C’est le jour, donc la sorcière dort, le géant veille. Si je pouvais le faire sortir ! Il est gourmand, qu’est-ce qui pourrait bien le tenter ? »

« Tout-à-coup, une idée lui vint. Se glissant jusqu’à l’endroit où l’ours était tombé, il le traîna jusqu’à l’entrée du bois. Il coupa un gros morceau de sa chair et descendant sur la grève il fit du feu et y mit rôtir le morceau découpé. Puis il se cacha et attendit… Au bout de quelques minutes une odeur de chair brûlée se fit sentir, une fumée épaisse s’éleva de la grève. La Mouche guettait… Soudain il entendit un craquement de branches et un bruit de pas pesants… C’était le colosse. Il regarda autour de lui ; ne voyant personne, il se rendit sur la grève, vit le feu et le morceau de chair rôtie… Avec avidité il s’en empara et l’avala dans deux bouchées ! Puis il s’en retourna vers la montagne.

« La Mouche, content de savoir comment attirer le géant, eut l’idée de le punir par sa gourmandise. Il avait vu, près d’un arbre, un tout petit nid de guêpes. Il savait que les guêpes rentrent toutes dans leur nid sitôt le soir venu. Alors, il prit un morceau de la peau de l’ours qu’il roula en bouchon, et l’appliqua à l’ouverture du nid, y renfermant ainsi les guêpes. Un beau clair de lune lui permettant de voir autour de lui, il coupa un gros morceau de la chair de l’ours, et y renferma le nid minuscule. Au point du jour, il descendit encore sur le rivage, fit du feu, et y mit rôtir une des pattes velues de l’ours, ayant soin de mettre le précieux morceau de chair bien en évidence, mais pas sur le feu. L’odeur de poil brûlé et de chair rôtissante attira bientôt le géant. Il arriva à grands pas, saisit la patte qui cuisait et voulut la manger, mais la trouvant trop dure il la jeta par terre. Tout-à-coup, il vit la belle boule de chair… Il la saisit, la palpa et l’avala d’une bouchée !  !… Il s’en retourna ensuite vers son antre…

« La Mouche, caché dans les branches, avait tout vu et se demandait ce qui allait arriver. Soudain des hurlements de rage se firent entendre. Le géant revint, les yeux injectés de sang, les cheveux hérissés… il se roulait par terre et poussait des rugissements de colère… Un hoquet le secoua et trois guêpes lui sortirent de la bouche !… mais celles qu’il avait avalées devaient le piquer terriblement car il se mit à enfler à vue d’œil… se traînant jusqu’à la rivière, il s’y jeta et sans chercher à nager, se laissa couler au fond et se noya.

« La Mouche, joyeux, siffla Zippo et lui annonça la bonne nouvelle et le nain se réjouit avec lui de cette heureuse fortune.

— « Couche-toi et dors, maintenant, » dit-il à La Mouche, « car, pour les autres il te faut travailler la nuit. »

« Le jeune Indien se coucha et dormit jusqu’au soir. Dès que le soleil fut couché, il se leva et crut entendre un léger bruit de pas autour de son abri. Pensant que c’était le nain, il sortit… Horreur !  ! C’était le loup ! Attiré par l’odeur de la chair de l’ours, il avait trouvé l’abri et guettait sa proie !…

« Pris à l’improviste, La Mouche se rejeta dans l’abri et saisit son tomahawk, mais dans sa hâte, il le laissa tomber… Il n’avait plus d’arme !… Soudain, il se rappela la baguette de l’Indienne et au moment où le loup allait foncer sur lui, il lui lança la baguette à la tête !… Le loup s’abattit en hurlant… le deuxième ennemi était vaincu !

« La Mouche ramassa la précieuse baguette ainsi que son tomahawk, les remit à sa ceinture et partit dans la direction de la montagne. Ne pouvant trouver son chemin, il planta la baguette en terre et appela le nain. Celui-ci accourut et fut content d’apprendre le sort du loup. Il montra à La Mouche le chemin de la caverne au pied de la montagne :

— « Courage », lui dit-il, « la lune éclaire la nuit ; va et délivre Morala ! ! »

« Et il sembla au jeune Indien que Zippo lui avait parlé avec la voix de la fée.

« Lorsqu’il atteignit la caverne, il aperçut le dragon près de l’entrée et l’aspect féroce des sept têtes le fit reculer. Comment le détruire ? En lui jetant la baguette, il ne pouvait atteindre qu’une des têtes et il serait impuissant à reprendre son arme merveilleuse pour se défaire des autres. Qu’allait-il faire ! Il retourna vers la forêt, prit quelques lianes et de longues tiges flexibles, les tressa ensemble et s’en fit une courroie ; au bout de cette tresse, il attacha sa ceinture et lia solidement à celle-ci la baguette de Morala. Ainsi armé, il retourna vers la caverne.

« Les branches noircies d’un arbre à demi brûlé, surmontaient l’entrée de la grotte. La Mouche grimpa sur une de ces branches et frappa légèrement, avec son tomahawk, quelques coups sur l’arbre… À ce bruit, la sorcière se leva… curieuse, elle voulut voir ce que c’était et mit la tête dehors…

« La Mouche, avec son fouet improvisé, lui envoya un coup de la baguette… Elle se redressa et l’aperçut :

— « Ah ! petit misérable ! Tu oses venir me relancer jusque dans mon domaine ? Dans sept bouchées tu vas disparaître !  ! »

« Puis appelant : — « Dragon ! Ici ! Vite, fais ta besogne !  !  ! » Elle s’éloigna de quelques pas et le dragon survint. Plus rapide que le vent, La Mouche fit jouer son fouet : Paf !… une tête… Paf !… une autre tête… Paf !… une troisième… quatre… cinq… six… la courroie se brisa !… Alors La Mouche sautant de sa branche sur le dos du dragon, asséna sur la septième tête un formidable coup de tomahawk et la bête roula morte, l’entraînant dans sa chute… Mais La Mouche garda sa présence d’esprit ; il se releva et voyant que la sorcière s’avançait vers les bûches volcaniques, il courut en arrière d’elle, saisit sa fourche qui gisait à terre et d’un mouvement rapide et vigoureux, il l’enfourcha et la précipita dans le brasier.

« Joyeux de son succès, il sortit, planta la baguette en terre et appela Zippo, mais à sa grande surprise, au lieu du nain, il aperçut une fée d’une beauté merveilleuse… Elle se pencha, ramassa la baguette et dit à La Mouche :

— « Enfant loyal et courageux, tu as rendu à Morala son caractère de Fée, tu as détruit ses ennemis et brisé leur pouvoir ! Comme récompense de ton courage et de ta valeur, je te confère pour toi et tes descendants le don de la bravoure ! Va maintenant ! Retourne vers les tiens et dis-leur qu’ils peuvent sans crainte venir s’établir sur l’île… la montagne ne sera plus leur ennemie ! »

— « Et Zippo ? » fit La Mouche.

— « Zippo ? C’était moi, sous la forme d’un nain, forme que je ne pouvais revêtir que de temps en temps. Va donc ! Mais, avant de partir, entraîne vers le fleuve ces bûches de destruction… Il y en a dix. »

« Déjà le soleil se levait à l’horizon.

« La Mouche chargea une bûche sur ses épaules et la descendit à la rivière ; neuf fois il descendit ainsi ; il venait de soulever la dixième bûche, lorsque la fée lui apparut dans toute sa splendeur. Ébloui et charmé, il ouvrit les bras et échappa la bûche, qui se brisa en mille morceaux…

— « Que faire ? » demanda-t-il.

— « Rien à craindre », dit la fée, « Ces fragments ne pourront que faire trembler un peu, parfois, sans danger, le sol de l’île. Je vais maintenant renouveler ma montagne chérie et lui redonner sa verdure, ses oiseaux et ses fleurs. Va, petit Algonquin, dis aux gens de la tribu que la Fée de la Montagne les protège et que si son pouvoir ne peut les défendre contre les nations ennemies, il saura du moins les protéger pour toujours contre les tremblements de terre et les pluies de feu ! »

« En disant ces mots elle disparut dans une nuée de lumière…

« La Mouche reprit son canot et s’en retourna dans son pays. Heureux de la bonne nouvelle, plusieurs familles de ma tribu vinrent s’établir ici. Ils y vécurent longtemps, mais les Iroquois, en nombre supérieur, leur firent une guerre acharnée et brûlèrent leurs villages et ils furent forcés d’émigrer. Mais la montagne resta toujours belle et verte et ne fut plus jamais un volcan… La Fée a été fidèle… »

Le Borgne avait fini son récit. Sa marraine, charmée de la légende, remercia son filleul, et lui fit cadeau d’un minuscule miroir et d’une médaille de la Vierge et le vieux partit content.

Le lendemain, vers l’heure du couchant, Mademoiselle Mance tourna ses regards vers le Mont-Royal et encore sous le charme de la légende du vieil Indien, il lui sembla voir l’ombre lumineuse de la Fée voltiger à travers les grands arbres et la montagne lui parut empreinte d’une nouvelle beauté et d’une mystérieuse poésie.

« Êtes-vous la Dame du Château des Érables ?… »

LA FÉE DES ÉRABLES


Kondiaronk était un petit Indien qui vivait, il y a plusieurs centaines d’années, dans l’Ouest canadien.

Ce n’était pas Kondiaronk, le grand chef Huron dont le nom est resté célèbre dans l’histoire du Canada, mais un de ses lointains ancêtres.

Kondi, comme on l’appelait, était un enfant de douze ans, franc et bon, mais espiègle et gamin, plein de tours et de plans aventureux.

Son père, autrefois riche chef de tribu, était maintenant pauvre. Pour le soutien de sa famille, il faisait la chasse dans les grandes forêts, ce qui occasionnait de nombreuses absences.

Kondi n’était pas assez âgé pour le suivre dans ces excursions et il restait à la hutte ou wigwam, comme on appelait ces abris, sous la garde de sa belle-mère… (Il y avait déjà des belles-mères même dans ces siècles reculés !)

Elle n’était pas vraiment méchante, cette Indienne, mais impatiente, souvent maussade et parfois même en colère, lorsqu’elle était trop vivement contrariée.

Or, il arriva que, pendant une de ces absences de chasse, Kondi avait joué tant de tours, et fait tant d’espiègleries, que sa belle-mère était à bout de patience. Un jour, il s’empara de sa belle parure de plumes multicolores, et se sauva dans un petit bois avoisinant ; peu après, il rentrait dans le wigwam avec son ourson apprivoisé, celui-ci ayant la précieuse parure bien posée sur sa petite tête brune… L’Indienne eut un cri de colère, arracha ses plumes de sur la tête de l’ours, saisit un bâton à portée de sa main et en frappa la bête, puis, saisissant Kondi par la nuque, elle le jeta dehors avec rage, en criant :

— « Va-t-en, petit misérable ! Va périr dans la forêt ! Je ne veux plus te revoir ici !… »

Kondi lui cria qu’il regrettait son mauvais coup et qu’il serait bon à l’avenir, mais rien ne put apaiser l’Indienne. Elle saisit son tomahawk et menaça de lui couper le cou s’il osait revenir et le pauvre gamin, pris de peur, se sauva à toutes jambes vers la forêt.

C’était tard dans l’automne ; les arbres étaient dénudés, la terre couverte de feuilles mortes et, par cette fin d’après-midi, l’air était presque glacial. Kondi courut longtemps à travers le bois ; enfin, essoufflé et épuisé il s’arrêta pour reprendre haleine.

Il était assis depuis quelques minutes sur un banc de mousse, lorsque, tout-à-coup, il vit un petit nain surgir de terre… un drôle de petit bonhomme avec une énorme tête et un corps minuscule.

— « Allô ! » fit Kondi.

— « Allô ! » fit le nain.

— « Où vas-tu » dit Kondi.

— « Au travail », dit le nain, « mais il est tard pour un petit garçon comme toi d’être dans la forêt il serait temps de rentrer ! »

— « Je n’ose retourner », dit l’enfant, « j’ai été très méchant et ma belle-mère m’a jeté dehors ! »

— « Retourne, Kondi, dis-lui que tu seras bon maintenant et vois ce qu’elle te dira… Je vais retourner avec toi, et je t’attendrai dehors. »

Kondi se leva et suivit le nain. Il sentait qu’il avait été vraiment fautif et il était sûr que son père en serait mécontent à son retour.

Plein de bonnes résolutions, il rentra dans la hutte…

— « Je t’ai dit de ne pas revenir ! » fit une voix pleine de colère.

— « Oui, c’est vrai, dit l’enfant, mais je regrette d’avoir été si méchant… et je ne volerai plus jamais vos belles plumes !

— « Va donc ! » dit l’Indienne, d’une voix sourde, « chemine par les forêts et à travers les prairies, va retrouver la Flèche d’Or volée à ton père par un sorcier, il y a bien longtemps, et quand tu l’auras trouvée, tu pourras revenir. »

Le pauvre Kondi se sentait bien triste et misérable. La noirceur venait, et bien qu’il ne fut pas du tout poltron, l’idée de passer la nuit seul dans la forêt le faisait un peu trembler…

Soudain, il se rappela son ami le nain qui l’attendait et reprenant courage, il leva résolument la tête :

— « Dites à mon père que je retrouverai la Flèche d’Or ! » s’écria-t-il, et ramassant une petite peau d’ours qui était par terre, il sortit précipitamment.

Le nain attendait. Kondi lui dit qu’il était chassé pour toujours à moins de pouvoir retrouver la Flèche d’Or.

— « Laisse-moi penser un peu », dit le nain ; puis, après un instant de réflexion, il reprit :

— « Pour ce soir, en tous les cas, tu pourras rester chez moi, et demain, j’aurai sans doute songé à quelque plan pour toi. »

L’enfant suivit volontiers son bon ami. Rendus à un certain endroit du bois, ils s’arrêtèrent. Le nain frappa le sol… une ouverture parut, avec un petit escalier que tous deux descendirent rapidement.

Le nain avait un logis souterrain éclairé par de toutes petites lampes. Trois autres nains vivaient avec lui et paraissaient lui être soumis. Des branches de sapin, au parfum résineux, formaient quatre petits lits, quelques bancs minuscules et une table faite d’un tronçon d’arbre complétaient l’ameublement.

Le souper fut servi et Kondi eut sa place avec les petits bonshommes. Il causa gaiement avec eux, les amusant avec sa verve enfantine et ses histoires drôles, pendant qu’il partageait leur nourriture. Plus tard, on lui dit de se coucher sur un des petits lits.

— « Mais, je ne veux prendre le lit de personne ! protesta-t-il, je puis me coucher par terre et m’envelopper dans ma peau d’ours ! »

Les nains insistèrent ; alors, les remerciant, il leur dit bonsoir, se coucha et s’endormit presqu’aussitôt.

Le lendemain, à son réveil, il fut surpris de ne pas voir la lumière et le soleil, puis, se rappelant où il était, il se hâta de se lever, anxieux de savoir ce qu’allait lui conseiller son ami le nain.

Il ne vit pas celui-ci dans le petit logis, mais les autres étaient là et lui dirent bonjour. Ils le questionnèrent sur la cause de son renvoi de la demeure paternelle, et Kondi leur raconta ce qui était arrivé.

— « Est-elle bien méchante, cette Indienne ? » dit l’un d’eux.

— « Non », répondit Kondi avec franchise, je ne la crois pas méchante, bien qu’elle soit en colère, mais moi j’ai été bien fautif, vous savez, je lui ai fait tant de tours et c’était bien vilain de mettre ses belles plumes sur la tête de mon ours ! »

— « N’aimerais-tu pas la punir en lui jetant quelque mauvais sort ? » questionna un autre nain.

— « Non », répondit l’enfant, « ça ferait de la peine à mon père à son retour. D’ailleurs c’est moi qui ai mérité la punition… mais j’aime tant à m’amuser… j’aime tant à jouer des tours ! Chez nous, j’ai toujours l’idée de faire des espiègleries… Mais, ça va changer, lorsque j’aurai trouvé la Flèche d’or. »

Les petits hommes se regardèrent en souriant et à ce moment, l’autre nain entra :

— « Eh bien, petit », dit-il, « as-tu songé qu’il te faut partir en voyage ? »

— « Pas encore », répondit Kondi, « mais si tu es assez bon de me donner des avis et m’indiquer le chemin à suivre, je suis prêt à partir dès maintenant. »

— « Alors, » dit le nain, « parce que tu es un bon enfant, quoique trop espiègle, je veux t’aider. La Flèche d’Or a été volée à ton père par un sorcier qui voulait en faire don à la Sorcière des Érables, qu’il aimait beaucoup. Cette Flèche apporte le succès et la prospérité là où elle se trouve, c’est pourquoi ton père était autrefois riche et puissant, mais depuis le vol de la Flèche il est pauvre et plus du tout prospère ; la Sorcière n’a pas besoin de la Flèche et on la dit douce et bienveillante… Il faudra lui demander de te la donner… Elle le fera peut-être, si tu réussis à lui plaire. »

— « Où puis-je trouver sa demeure ? » demanda Kondi.

— « Il va te falloir parcourir des milles et des milles, passer deux grandes forêts, traverser une prairie, gravir une montagne, et, sur le haut de la montagne tu trouveras le château. »

— « Est-ce bien grand, un château ? Je n’en ai jamais vu ! »

— « Imagine une vingtaine de wigwams placées en rond, et au-dessus de ceux-ci, dix autres ; au-dessus de ces dix, cinq autres, et un seul grand wigwam pointu pardessus le tout… et tu auras une idée de l’apparence d’un château ! Il se dresse au milieu d’une immense forêt d’érables. »

Kondi ouvrit de grands yeux à cette description extraordinaire. Puis, un peu nerveux, il demanda :

— « Y a-t-il des gros ours dans les forêts que je vais traverser ? »

— « Oui, un grand nombre… mais il ne faudra pas en avoir peur ; tant que tu seras brave, rien de nuisible ne pourra t’arriver ! Dans cette poche, il y a de la nourriture pour plusieurs jours. Et maintenant, déjeunons ! Ensuite tu pourras partir. »

Après un bon repas, Kondi, ramassant la poche et la peau d’ours, remercia le nain, son ami, prit congé des autres et se disposait à partir, mais un des nains l’arrêta :

— « Pas si vite ! Attends un peu ! Nous aussi, nous avons quelque chose à dire, n’est-ce pas, camarades ? Ce garçon est espiègle, mais il est franc et je veux lui donner, comme marque d’amitié, ce petit castor… », et le petit homme se mit à siffler doucement… un instant après, un castor sortit de dessous un des lits et alla droit à Kondi.

— « Qu’il est joli ! » s’écria-t-il, en se baissant pour caresser le petit animal, qui semblait tout-à-fait apprivoisé. « Que je suis donc content de l’avoir ! »

— « Lorsque tu ne seras pas sûr de ton chemin », dit la nain, « mets le castor devant toi, il te guidera. »

— « Ce gamin est espiègle », dit le deuxième nain, « mais il n’est pas rancunier, et moi aussi, je veux lui faire un présent ; tiens, garçon, prends ce petit tomahawk, tu pourras t’en servir en cas de danger ; c’est une arme magique, ni homme, ni bête ne pourront te nuire si tu l’agites devant eux pour te défendre ! »

— « Oh merci ! mon ami, » fit l’enfant, en mettant la petite hache à sa ceinture.

Alors le troisième nain s’avança et sortant de sa poche une toute petite boîte, il la tendit à Kondi, en disant :

— « Garçon, tu es espiègle, trop espiègle, je le sais, mais tu as bon cœur et tu ne voudrais pas chagriner ton père… Pour cela je t’aime bien et je te donne cette boîte. Elle contient un onguent qui guérit toutes les blessures… et pour ton long voyage, ça te sera peut-être utile ! »

Kondi fut très reconnaissant de la bonté que lui montraient les nains et avant de les quitter il leur dit :

— « Si je trouve la Flèche d’or, et que je retourne au wigwam de mon père, promettez-moi que vous viendrez tous, un soir, pour fêter mon retour ! »

Ils promirent volontiers ; alors Kondi grimpa rapidement le petit escalier, se retourna pour dire un dernier au revoir à ses bons amis, et avec le sac de vivres et la peau d’ours jetés sur son épaule et le petit castor sous son bras, il commença son voyage.

Il marcha longtemps, suivant le sentier dans la forêt, se demandant s’il reviendrait jamais chez son père… Lorsqu’il se sentit fatigué, il s’assit et prit un peu de nourriture qu’il partagea avec le petit castor. Des sources d’une eau claire et froide, rencontrées çà et là dans la forêt, l’empêchèrent de souffrir de la soif.

Le soir, il se fit un abri avec des branches de sapin et d’épinette et, avec le petit castor près de lui et la peau d’ours comme couverture, il dormit profondément jusqu’au matin.

Deux jours se passèrent ainsi et vers la fin de la troisième journée, il atteignit la lisière de la forêt. Deux chemins étaient devant lui… lequel allait-il prendre ?… Il mit le castor par terre et celui-ci fila aussitôt vers le chemin le plus large, et Kondi, confiant, s’engagea dans la route que lui montrait son petit guide.

Après quelques heures, ils rencontrèrent une autre forêt. Pas de chemin dans celle-ci… Que faire ? — « Petit Castor, conduis-moi ! » dit Kondi, et le castor partit sans hésiter à travers les broussailles, filant à droite, à gauche, suivi toujours par Kondi, jusqu’au moment où ils trouvèrent enfin un sentier.

Ce jour-là, après un repas partagé avec son petit compagnon fourré, Kondi se mit à chercher de l’eau. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver, près d’une source, un beau cerf couché parmi les branches et les feuilles mortes ! Une de ses pattes de derrière était cassée et la pauvre bête, souffrante et assoiffée, ne pouvait atteindre la source pour se désaltérer. Kondi trouva de l’écorce sur un arbre, en forma un casseau, l’emplit d’eau et l’apporta au cerf qui but avidement et parut soulagé, mais il ne pouvait se lever. Kondi, se rappelant la boîte du nain, prit de l’onguent et l’appliqua sur la patte blessée… tout de suite, elle se trouva guérie !…

Le cerf se leva et se mit à gambader, puis il s’arrêta, regarda Kondi et semblait attendre…

— « Sauve-toi, maintenant, Pattes-Agiles ! Moi, je ne puis te suivre, tu vas trop vite ! » Le cerf ne bougea pas. Kondi mit le castor par terre devant lui et dit :

— « Où donc, maintenant, petit castor ? »

Le castor sauta sur le dos du cerf, alors Kondi en fit autant et la belle bête partit au petit galop…

Kondi se cramponna aux cornes de Pattes-Agiles, et le castor et lui furent emportés rapidement à travers la forêt.

Tout-à-coup, le cerf s’arrêta et se mit à trembler… le castor aussi semblait pris de peur… et deux gros ours surgirent, leur bloquant le chemin et prêts à foncer sur eux !… Prompt comme l’éclair, Kondi saisit son tomahawk magique et l’agita en face des ours. Ceux-ci, se retournant subitement, prirent la fuite, et le cerf, voyant le danger passé, repartit au galop, dans la direction d’une montagne qui se dessinait dans le lointain.

— « Quelle veine, de voyager ainsi à dos de cerf, au lieu de marcher ! » se disait Kondi. « J’arriverai à destination des jours et des jours plus tôt que je ne m’y attendais ! »

Lorsqu’ils furent rendus presqu’au sommet de la montagne, Kondi vit un vieil Indien couché sur le bord de la route, soupirant et geignant et paraissant bien en peine. Il pria le cerf de s’arrêter, sauta à terre et allant à l’Indien, il lui demanda ce qu’il avait.

— « J’ai froid et j’ai faim ! » dit celui-ci, « c’est pourquoi je suis faible et ne puis marcher ! »

Kondi, ôtant la peau d’ours qu’il avait sur le dos la plaça autour des épaules de l’Indien et lui donna le peu de vivres qui lui restait, puis il sauta sur le dos du cerf qui repartit à une allure rapide et bientôt ils arrivèrent sur le haut de la montagne.

Là, le cerf s’arrêta et se mit à se secouer vigoureusement, comme s’il disait :

— « Descendez, maintenant ! »

Le castor sauta par terre, Kondi le suivit et, ne leur laissant pas le temps de se retourner, le cerf se sauva au gros galop !

— « Où allons-nous, maintenant, petit castor ? »

Le castor alla droit devant lui, Kondi le suivant, et bientôt ils atteignirent un grand bois d’érables, et là, ils virent le château !

Kondi, prenant le castor sous son bras, monta jusqu’à l’entrée et frappa doucement. La grille s’ouvrit et il entra.

— « Puis-je voir la Dame du Château des Érables ? » dit-il, d’une voix un peu tremblante, bien que ne voyant personne… Pas de réponse, mais une porte s’ouvrit et Kondi entra dans une vaste pièce tendue de rouge et de vert. Assise dans un fauteuil doré était une belle jeune fille, drapée dans une tunique de rouge et d’or. Ses longs cheveux bruns tombaient sur ses épaules et elle portait une couronne de merveilleuses pierres formant de minuscules feuilles d’érable, du vert le plus beau.

Elle regarda le petit garçon en souriant et dit :

— « Qui es-tu ? »

— « Je suis Kondi… Êtes-vous la Dame des Érables ? » (Il n’osait dire La Sorcière !)

— « Oui, je suis La Fée, Reine de ce château, et ta tribu m’appelle « La Sorcière des Érables ?… mais pourquoi me regardes-tu comme ça ? »

— « Ô Fée des Érables que vous êtes belle ! Vous devez sûrement être la fille du Grand Manitou qui a fait le soleil. Je croyais avoir bien peur de vous, mais je ne puis avoir peur, vous êtes trop merveilleuse. »

La Fée sourit et ne parut pas mécontente de cet élan spontané. Elle fit asseoir Kondi près d’elle et lui dit de raconter son histoire. Kondi lui dit tout ce qui lui était arrivé depuis qu’il avait été chassé de chez lui, à cause de ses espiègleries. Il dit aussi comment il avait réussi à trouver le château et lui parla de sa rencontre avec l’Indien sur la montagne.

Pendant qu’il parlait, l’Indien lui-même entra :

— « Fée des Érables », dit-il, « ce garçon que je n’avais jamais vu, me donna de quoi manger lorsque, faible de ma trop longue absence, j’étais tombé de fatigue en gravissant la montagne, et sans se soucier du froid pour lui-même, il me couvrit avec une chaude peau d’ours. Je m’étais trop éloigné du château, et, sans ce secours, je n’aurais jamais eu la force de revenir ! »

La Fée regarda Kondi avec une expression de douceur et de bonté.

— « Enfant », dit-elle, « tu vas rester ici, chez moi, pour quelque temps ; je verrai plus tard ce qu’il faudra faire de toi… »

Kondi demeura au Château des Érables. Il y fut bien traité, et le vieil Indien (un parent de la Fée) devint son ami et lui enseigna bien des choses.

Avec lui Kondi apprit à faire filer adroitement ses flèches, à trouver le meilleur gibier lorsqu’il allait à la chasse ; il apprit à connaître les noms et les propriétés des plantes et aussi à étudier les étoiles et à comprendre ce que l’Indien considérait être leur signification.

L’hiver arriva… La neige couvrit le sol, mettant aux branches des arbres une parure floconneuse ; le toit pointu du château semblait émerger d’un amoncellement de nuages blancs, mais La Fée ne parlait pas de renvoyer Kondi !

Un jour, elle lui avait montré la Flèche d’or, qu’elle gardait dans un étui de cristal…

— « Si tu me parais mériter ce don, tu auras cette Flèche plus tard ! » lui avait-elle dit.

Parfois, Kondi était invité à prendre ses repas avec La Fée. Elle aimait sa gaieté et son babil amusant. Elle lui faisait raconter ses tours et ses gamineries et riait de bon cœur à ses récits animés.

Il se demandait quelle espèce de nourriture on lui donnait ; c’était tellement bon, tellement délicieux ! Il n’avait jamais rien mangé de semblable ! L’eau qu’on lui donnait à boire semblait meilleure qu’aucune autre, elle était limpide et sucrée. Puis on servait un liquide savoureux, parfois clair, comme un sirop, d’autres fois plus épais, comme une tire. Certains jours, on lui donnait un sucre exquis, blond et doré comme la teinte du sirop…

Un jour, Kondi demanda à la Fée ce qu’étaient ces mets délicieux.

— « Ces mets ? » dit-elle, « ils proviennent de mes chers érables. Je les aime tellement ces beaux arbres, qu’à l’automne, avant que la gelée ne fasse tomber leurs feuilles, je leur donne mes couleurs préférées et je transforme leur belle verdure en feuilles de rouge et d’or. Ils m’aiment aussi, car, au printemps, lorsque, avec la Flèche d’or, je fais une petite entaille dans l’écorce de leur tronc, ils me donnent ce liquide délicieux que tu connais maintenant. »

Kondi passa tout l’hiver au Château des Érables. Quand vint le printemps, il put voir la Fée entailler ses chers arbres avec la Flèche d’or, tandis que l’on recueillait la sève claire et sucrée qui en découlait.

Un jour, il était à regarder l’étui de cristal qui contenait la Flèche merveilleuse, et il se demandait s’il pourrait jamais l’apporter à son père.

— « À quoi songes-tu, Kondi ? Tu as l’air pensif ! » dit la Fée.

— « À mon père, chère Fée, et au chagrin qu’il doit avoir… et à la Flèche d’or ! »…

— « Enfant, je t’ai bien observé durant ces longs mois ; tu as de la franchise et du cœur ; ces qualités font oublier tes défauts. Demande-moi une faveur… si ta requête me plaît, je te donnerai la Flèche ! »

Kondi songea un instant, puis il dit :

— « J’ai appris à vous aimer, chère Fée, vous avez été si bonne pour moi, un pauvre petit garçon, mais j’ai appris aussi à aimer vos érables. La faveur que je demande est celle-ci : qu’à l’automne, non-seulement les érables autour de votre château, mais tous les érables du pays, aient, dans leur feuillage, le rouge et l’or de votre tunique, et qu’au printemps ils puissent donner la sève délicieuse lorsqu’on leur fera une entaille avec une lame ordinaire, au lieu d’avec la Flèche d’or ! »

Le visage de la Fée devint rayonnant de plaisir.

— « Ta requête est accordée ! » dit-elle, tu m’as demandée une faveur pour mes chers érables… tu m’as vraiment causé une grande joie ! »

Peu après, Kondi reçut la Flèche d’or des mains de la Fée. Une nuit, pendant son sommeil, le vieil Indien le prit dans ses bras mystérieusement et le ramena chez lui. Il s’éveilla à l’entrée du wigwam paternel. Si ce n’eut été de la précieuse Flèche qu’il avait dans sa main et du petit castor blotti près de lui, il eut pu croire qu’il avait rêvé…

Son père et même sa belle-mère, le reçurent avec joie.

Avec la Flèche d’or la prospérité et la richesse revinrent à la demeure.

Les petits nains ne furent pas oubliés et une grande fête, un pow-wow extraordinaire, fut donné en leur honneur.

Tous les printemps, les érables suivirent les ordres de la fée, et tous les automnes, la verdure de leurs feuilles se changea en teintes rouge et or !

Enfants, lorsque vous mangerez le bon sucre blond, la tire savoureuse et l’exquis sirop doré, rappelez-vous Kondi, le petit Indien et son heureuse aventure avec la merveilleuse Fée du Château des Érables.


Le Cap Diamant (Québec).

LA FÉE DU CAP DIAMANT


Il y a environ trois cents ans, par une belle journée de printemps, un vaisseau partait de France pour se rendre au Canada.

Parmi les passagers, il y avait une petite fillette de six ans que l’un des marins appelait sa fille.

En réalité, ce n’était pas son enfant ; c’était une petite abandonnée, laissée, une nuit, sur le seuil de sa porte, alors qu’il habitait une ville aux environs de Marseille.

Le marin, quoique célibataire, avait recueilli la pauvrette et elle grandissait auprès de lui, entourée de tendresse et de soins. Maintenant, il partait pour un pays inconnu et lointain, mais il amenait l’enfant avec lui, ne voulant pas laisser entre des mains étrangères la fillette qu’il apprenait à chérir chaque jour davantage.

Son nom était Louise et celui du marin était Pierre Morel.

Louise fut très gentille pendant toute la durée du long voyage. Toujours gaie, de belle humeur, jamais encombrante ni maussade, elle devint bientôt la petite amie de tous ceux qui étaient à bord.

Dans ces temps reculés, le voyage de France au Canada durait près de deux mois ; le vaisseau était un voilier et sa vitesse dépendait du vent. Cependant, les longues semaines passèrent, et par un beau matin ensoleillé, le vaisseau remontait le Saint-Laurent et jetait l’ancre devant un endroit que les Indiens appelaient Kébec mais qui, plus tard, eut le nom de Québec, tel que nous l’appelons maintenant.

Là, dans la petite colonie française, Pierre trouva facilement de l’emploi. Au bout de quelque temps il décida de s’y fixer, et il se bâtit une petite maison à proximité d’un cap, où il y avait déjà quelques demeures de colons français.

Louise grandit ; bientôt elle put tenir le petit ménage et Pierre, revenant de son travail, trouvait un bon repas pour le réconforter.

Le soir il prenait la fillette sur ses genoux et lui parlait de la France. Il lui apprenait les vieilles chansons et ballades de son lointain pays.

Souvent, aussi, il lui racontait des histoires de fées, de sylphes, de sorciers et de géants, et Louise ne se lassait jamais de les entendre.

— « Papa Pierre, lui dit-elle un soir, y a-t-il des fées, ici, au Canada ? »

— « Je ne sais pas, fillette, mais il doit y en avoir. »

— « Pensez-vous qu’elles viennent parler aux petits Indiens ? »

— « Pourquoi non ? » répondit Pierre, « les fées vont partout… elles ne sont pas paralysées, comme nous, par le temps et l’espace ! »

— « Oh ! Que je voudrais donc voir une fée ! » dit Louise.

— « Tu en verras peut-être, quelque jour, ma chérie…, mais va te coucher, maintenant. Tu n’es pas très forte et il te faut beaucoup de sommeil ! »

Louise allait souvent jouer sur le flanc de la petite montagne non loin de leur demeure. Cette montagne n’était pas très haute, c’était plutôt comme une grande colline. Dominant la rivière, la vue, de cet endroit, était très belle. Des points les plus élevés, l’on pouvait voir, au loin, les gros voiliers remontant le fleuve, l’île pittoresque que nous appelons aujourd’hui Île d’Orléans, et, tout au pied de la falaise, les canots des sauvages filant rapidement en tous sens sur les eaux un peu mousseuses de la rivière.

L’enfant aimait cet endroit et y jouait parfois avec des petits Indiens et Indiennes et elle apprit bientôt leur langage.

Pierre était préoccupé… Il trouvait Louise si mince, si frêle… ses yeux noirs brillaient d’un éclat un peu fiévreux dans l’ovale délicat de son visage, et parfois ses joues se teintaient aux pommettes d’un rouge trop vif, qui inquiétait le bon Pierre.

« Lorsqu’un vaisseau partira, à l’automne, je l’enverrai en France, se disait-il. Je la confierai aux bonnes religieuses pour un an ou deux et elle deviendra forte et bien. Les hivers ici sont trop longs et trop froids pour elle. »

En attendant, c’était l’été, et Papa Pierre envoyait l’enfant jouer dehors au soleil autant que possible.

Par une fin d’après-midi, Louise était à s’amuser sur le flanc de la montagne avec de petits
« Louise écoutait le récit… »
Indigènes, lorsqu’elle vit arriver un vieil Indien, la figure contractée par la souffrance, boîtant péniblement et paraissant avoir peine à continuer son chemin.

En l’apercevant, les petits sauvages se mirent à rire et à crier et, laissant Louise, ils se prirent par la main et se mirent à danser une ronde autour de l’Indien, disant que c’était une danse de guerre !

Le vieillard essaya en vain de les renvoyer, ils criaient et dansaient de plus en plus, enfin, il tomba assis par terre : l’image de la désolation.

Louise accourut :

— « Méchants enfants ! Rire d’un blessé ! Vous ne serez jamais des guerriers, vous ne serez jamais des braves !… et vous autres, petites filles, honte ! honte !… allez-vous en toutes ! vite ! oust !… ou je vais avertir Papa Pierre et c’est lui qui vous punira !… et je ne jouerai plus jamais avec vous !  ! »

La jeune bande se sauva à toutes jambes et Louise s’approcha de l’Indien.

— « Comment avez-vous été blessé ? » demanda-t-elle.

— « Je suis tombé, » dit-il, « Vois, petit Visage Pâle, le sang coule de ma jambe et je crois bien que j’ai aussi le pied démis. »

— « Quel est votre nom ? » demanda Louise.

— « Je suis le Huron Tippecondac, ami des Français. »

— « Et moi, je suis Louise, la petite fille de Papa Pierre Morel. Laissez-moi voir ce que je puis faire pour vous et à l’heure du souper, papa viendra vous chercher pour vous amener chez nous. »

— « Me laissera-t-il rester jusqu’au moment où je pourrai marcher un peu mieux ? »

— « Oh ! oui, Tippecondac, je le lui demanderai. Il est si bon et veut toujours ce qui me fait plaisir !… Mais, voyons la jambe malade ! »

La jambe du pauvre homme était très blessée et le sang coulait. Les Indiens sont ordinairement vaillants et savent endurer la douleur sans broncher. Ils n’aiment pas qu’on les voie souffrir, mais Tippecondac était faible et malade et aussi très vieux, et il ne pouvait lutter complètement contre la douleur que lui causait sa blessure.

Louise ôta son tablier et le déchira en bandes, avec lesquelles elle entoura le membre blessé ; dès que la jambe fut bandée, le sang cessa de couler et le vieillard éprouva un soulagement presque immédiat.

Louise s’assit près de son nouvel ami et se mit à causer gaiement avec lui.

— « Papa me raconte de belles histoires des fées qu’il y a en France, mais je voudrais bien qu’elles puissent venir jusqu’ici ! »

— « Des fées ? Mais, il y en a un grand nombre dans ce pays ! Ainsi il y a celle qui a soin de ma tribu, c’est la Fée Huronade ; elle nous garde contre les sorts que voudraient nous jeter les mauvais génies. Il y en a plusieurs que nos enfants connaissent et elles viennent parfois leur parler dans nos bois et nos buissons… Il y en a une ici même, sur ce cap ! »

— « Vraiment ? » s’écria Louise, frémissante d’intérêt, « où est-elle ? »

— « Personne ne le sait exactement, mais elle vient souvent ici vers le soir ; elle porte quelque chose de brillant autour de son front, c’est comme une couronne d’étoiles. »

— « L’avez-vous déjà vue, Tippecondac ? »

— « Oui, » dit-il, pensif, « oui, je l’ai vue, il y a bien, bien longtemps, lorsque mon petit papoose me fut enlevé pour être envoyé vers le Grand Esprit ! »…

— « Dites-moi l’histoire de cette Fée, voulez-vous ? Je vais m’étendre ici près de vous, parce que je me sens très fatiguée ! »

Couchée sur l’herbe, la tête appuyée sur le bras du vieil Indien, Louise écoutait le récit. Bientôt les paroles du Huron ne firent plus qu’un sourd bourdonnement à ses oreilles et elle s’endormit… Elle rêva que c’était la nuit… mais rêvait-elle vraiment ?… Non ! Elle se sentait bien éveillée et les yeux ouverts bien grands… C’était bien sûr qu’elle avait les yeux ouvert, car elle vit, tout-à-coup une forme indécise, puis, de plus en plus distincte, qui montait doucement le long de la falaise… Peu à peu elle approcha de l’endroit où Louise était couchée…

— « Une Fée !! s’écria l’enfant, enfin, une Fée !! »

Quand la vision se fut un peu rapprochée, Louise vit ce qui paraissait être la forme d’une jeune fille. Elle était drapée dans un long vêtement nacré. Elle souriait et de ses mains tendues semblait saluer Louise. Ses cheveux tombaient en boucles dorées sur ses épaules et son front était cerclé d’une parure de diamants qui brillaient comme des étoiles dans la noirceur de la nuit…

— « Ô Fée ! » dit Louise, ravie, « quelle merveilleuse couronne vous avez ! »

— « Tu la trouves belle, petite Française ? » dit la Fée. « Ce sont des gouttes de rosée que ma baguette a recueillies. Dans ce diadème que je porte, il doit en avoir des centaines et des centaines ! »

— « Est-ce qu’elles ne tombent jamais ou ne redeviennent jamais des gouttes de rosée, après que vous les ayez touchées ? »

— « Jamais, » dit la Fée, « à moins que je ne le désire… Veux-tu avoir un de ces brillants ? »

— « Oh oui ! » s’écria Louise, « je serai ravie d’en avoir un ! »

Alors la Fée prit une pierre dans sa parure étincelante et la mit dans la main de l’enfant.

— « Est-ce que je vais vous revoir encore ? » dit Louise en la remerciant.

— « Je ne crois pas, fillette. Je pars pour de lointains pays et je ne reviendrai peut-être jamais. »

— « Alors, » fit Louise tristement, « les autres enfants ne vous connaîtront jamais !… Faites quelque chose pour eux, chère Fée, avant votre départ ! »

— « Je consens, » dit la Fée. « À ta demande je veux bien faire quelque chose à leur intention. Vois ! » (et elle ôta sa couronne de diamant). « Je vais jeter ces pierres de tous côtés, au loin, au près, partout sur cette colline et lorsque les enfants les trouveront parmi les sables et les graviers, ce sera un message de ma part ! »…

Et brisant son diadème, la Fée lança en tous sens les pierres étoilées… Elles brillèrent un instant puis disparurent dans le sol… La Fée sourit à Louise, une auréole de lumière sembla l’envelopper… puis tout redevint sombre… la Fée avait disparu…

Lorsque Pierre revint chez lui ce soir-là, il n’y avait pas de lumière à la demeure. Louise n’était pas revenue. Plein d’anxiété, et craignant un accident, il partit à la recherche de la petite. Sachant que d’habitude elle allait jouer sur le flanc de la montagne, il prit cette direction. Chemin faisant, il rencontra un vieil Indien boitant péniblement et portant dans ses bras une fillette endormie. C’était Louise… Elle semblait évanouie tant son sommeil était profond.

Pierre la prit dans ses bras robustes et la ramena à la maison. Il la mit au lit et l’enveloppa de chaudes couvertures.

— « Qu’est-il arrivé ? » demanda-t-il au vieil Indien qui l’avait suivi.

Tippecondac raconta ce qui s’était passé.

— « Elle s’endormit ensuite près de moi, pendant que j’étais à lui raconter une histoire, » dit-il. « Ma jambe blessée m’a empêché de la ramener plus tôt. »

Au bout de quelques minutes, Louise ouvrit les yeux.

— « Papa Pierre, » dit-elle, la Fée…

— « Oui, oui, petite » dit Pierre en l’embrassant, tu en verras une quelque bon jour. »

— « Je l’ai vue ! » insista Louise, « là-haut, sur le cap… les diamants dispersés… » elle s’arrêta, respirant avec effort « Papa Pierre, laissez-moi vous dire ce qui m’est arrivé ! »… et en phrases entrecoupées et haletantes, elle raconta sa vision.

Pierre écouta, de grosses larmes tombant le long de ses joues.

— « Vite ! un médecin ! Va ! Tâche d’en trouver un tout de suite », dit-il à l’Indien. « L’enfant est bien malade ! elle délire ! »

Mais lorsque le médecin arriva, il était trop tard !… Avec un sourire de bonheur sur les lèvres, Louise était partie pour toujours… Dans sa petite main crispée l’on trouva un minuscule diamant…

Pierre fut inconsolable, car il aimait la frêle enfant comme si elle eut été vraiment sienne.

Il garda Tippecondac chez lui et le vieux Huron ne se lassait jamais d’entendre parler de la chère petite disparue.

Bien des années plus tard, un groupe d’enfants était à jouer à l’endroit même où, dans le lointain passé le Huron blessé avait fait la rencontre de la fillette française. L’un d’eux vit briller quelque-chose sur le sol ; il le ramassa, c’était un petit diamant… Plus tard, et à plusieurs reprises, d’autres pierres semblables furent trouvées, et la petite montagne devint presque fameuse !

Ces pierres n’avaient pas de valeur réelle, mais elles étaient jolies et brillantes et faisaient la joie des enfants qui les trouvaient.

Même de nos jours, le cap où la Fée jeta à pleines mains les brillants de son diadème, est bien connu, surtout des Québécois, et quoique tous ne sachent pas l’histoire de Louise et de la Fée, ils donnent toujours à cette montagne, le nom de CAP DIAMANT.


Dans les Mille-Isles.

LA SIRÈNE DES MILLE-ISLES


Monataska était une petite Indienne qui vivait sur les bords d’une grande rivière. Cette rivière était le fleuve Saint-Laurent, mais ce ne fut que des centaines d’années plus tard qu’on l’appela ainsi.

C’était une fillette vive et joyeuse, aimant les oiseaux, les fleurs, la nature, et aimant surtout les eaux profondes de la rivière.

L’été, elle aimait à s’y plonger et nageait pendant des heures. Souvent aussi elle partait dans son léger canot d’écorce et parcourait à l’aviron de longues distances.

Monataska était orpheline ; sa mère était morte, la laissant, toute petite papoose, aux soins de son père, un guerrier de la fière tribu des Mohawks. Celui-ci fut tué par la foudre. Monataska ou Natak comme on l’appelait, alors âgée de cinq ans, fut confiée aux soins de sa grand’mère, qu’elle étonnait toujours par ses aspirations nouvelles et son esprit aventureux.

Chez cette tribu d’indiens, être tué par la foudre n’était pas un malheur. Celui qui mourait ainsi était censé avoir reçu un appel spécial du Grand Esprit et on ne devait pas le regretter. C’était un honneur pour sa famille et une distinction toute particulière.

Natak était très brave et ne connaissait pas la peur. Elle était douée d’une belle et ardente imagination. Elle venait souvent s’asseoir sur la grève, pour regarder, au soleil couchant, le reflet vermeil qui paraissait sur l’eau et elle se demandait :

« Que peut-il y avoir là-bas… au loin ? »

À cet endroit la rivière était très large. On ne pouvait apercevoir l’autre rive, c’était comme la mer !

— « S’il y avait, » se disait Natak, « une toute petite île ! Comme je serais contente ! Je prendrais mon canot et j’irais l’explorer ! »

C’était là son plus grand désir ! Un petit coin de terre à explorer… Un îlot, dont elle ferait son tout petit royaume !… Mais elle ne voyait que l’immense nappe des vagues, déferlant à perte de vue.

Par une chaude matinée d’été, Natak, levée au petit jour, était descendue sur la grève suivant son habitude. L’eau était voilée d’une brume épaisse, que le soleil, qui se levait là-bas, à l’orient, faisait peu à peu disparaître ; Natak, pour qui ce spectacle était toujours nouveau, regardait lever le brouillard. Soudain, elle crut voir, au loin, sur la surface des eaux, flotter une forme indécise et elle entendit un faible cri de détresse…

— « Qu’y a-t-il ? » se dit-elle, « peut-être une sirène en danger ? »

Sans perdre un moment, elle court vers son canot, le pousse dans la rivière, et à grands coups d’aviron se rend vers l’endroit où elle a cru voir quelque chose d’inusité.

À mesure qu’elle approchait, la forme devenait plus visible, puis elle disparaissait pour émerger un peu plus loin.

Natak put l’approcher d’assez près pour voir que c’était une femme. Se noyait-elle ? Natak se hâta de plus en plus, son aviron semblait plus rapide que le vent… enfin, elle l’atteignit…

— « Au secours ! » dit la femme.

— « Donne-moi ta main », dit Natak. « Je vais te tirer dans le canot. »

— « Non ! » dit la femme, « mais si tu es bonne et brave et intrépide, tu peux me sauver !

Natak la regarda avec surprise. Elle était d’une beauté ravissante, sa peau était blanche et ses traits délicats ; sa belle chevelure d’un blond cuivré flottait sur la légère ondulation des eaux.

« Que puis-je faire ? » dit Natak.

« Tu peux plonger et briser la chaine qui me retient prisonnière. Elle est rivée à un pilier de roc, à des milles et des milles de profondeur ! »

« Comment puis-je briser cette chaine et où pourrai-je la trouver ? »

« Il faut plonger très loin, puis remonter et plonger encore et encore. La troisième fois, il faut croiser les bras sur sa poitrine en tenant à la main ce couteau » (et elle tendit à Natak une petite lame d’or), « lorsque tu auras atteint le royaume de Neptah, la Sirène, si tu es en danger, consulte mon nain. Tu dois user de ruse, mais il faudra ne jamais mentir, même pour te sauver et tu devras aussi te méfier des fausses promesses ! »

« Mais, pour revenir ? » fit Natak.

« Lorsque la chaîne sera brisée, prends la lame entre tes dents et appelle-moi. Crie « Neptah » ! »

« J’accepte, belle Sirène, je ferai ce que je pourrai », fit Natak et, à deux reprises elle plongea dans le fleuve. Puis elle croisa sur sa poitrine ses beaux bras bruns et vigoureux et tenant la petite lame bien serrée dans sa main, elle plongea de nouveau et descendit loin, loin dans la profondeur des eaux.

Il lui semblait qu’elle n’atteindrait jamais le fond, mais enfin son pied toucha le sable et elle vit luire quelque chose. De sa main elle voulut toucher l’endroit brillant… au même instant, une ouverture se fit, et elle tomba !…

Elle atterrit sans heurt sur un lit d’herbes marines et regardant autour d’elle, aperçut l’endroit le plus étrange qu’il était possible de rêver !

C’était comme une maison basse, dont le plancher était fait d’herbes et d’algues marines. Le plafond avait l’apparence d’un nuage vaporeux et verdâtre. Çà et là, il y avait des petits sièges faits de sable et de pierres couvertes de mousse ; les murs étaient couverts du même brouillard verdâtre que le plafond et le tout était éclairé d’une douce lueur incandescente.

Des personnages étranges la regardaient ; ils avaient la tête et le corps comme les humains mais leurs pieds étaient très larges et palmés comme les pattes des canards ; quelques-uns n’avaient pas de pieds, mais leur personne se terminait en queue de poisson ; il y avait aussi des tritons qui se tenaient un peu à l’écart tout en la regardant.

— « Où suis-je ? » demanda Natak.

— « Tu es dans le royaume de Neptah, la Sirène. »

— « Mais elle n’est pas ici, » reprit une autre, « et ne reviendra probablement jamais ! »

— « Non ? Où est-elle ? » demanda finement Natak.

— « Elle est prisonnière des vagues, » dit un triton qui s’avança vers Natak. « Et toi qui es-tu ? »

— « Je suis Monataska, de la tribu des Mohawks. Mon père est un ami tout spécial du Grand Manitou. Alors il l’a envoyé chercher et ne veut plus le laisser revenir ! »

— « Tu es donc une grande princesse ? »

— « Non », fit Natak avec franchise, « je ne suis pas une princesse… Je ne suis qu’une jeune Indienne. »

— « Aimerais-tu à visiter notre domaine ? »

— « Oh oui ! » répondit-elle en se levant.

Adroitement et sans être vue, elle glissa sous sa tunique le petit couteau d’or que lui avait confié la Sirène.

— « Oui », répéta-t-elle, « conduisez-moi, je serai bien contente de visiter ce royaume inconnu. »

Ils la firent passer par plusieurs salles qui ressemblaient à la première, et dans chacune, Natak vit un grand nombre de tritons, de sirènes et de gens à pieds palmés. Ils avaient des figures étranges, celles des sirènes étaient très belles. Tous lui souriaient et plusieurs lui exprimèrent leur admiration pour ses longs cheveux noirs, ses yeux brillants et sa tunique de cuir à bords frangés. Eux-mêmes étaient vêtus d’algues vertes et d’herbes marines, avec garnitures de coquillages et de petites tiges creuses.

Après avoir passé par un dédale de chambres et de passages, tapissés et plafonnés du même nuage vaporeux et verdâtre, on arriva à la dernière salle où Natak aperçut le nain. Il était tout petit et bien laid ; sa grosse tête paraissait trop lourde pour son corps minuscule, mais ses yeux, doux et lumineux lui donnaient un air de bonté. Il n’avait pas les pieds faits comme des pattes de canard, mais il avait les jambes tellement petites que Natak pensa qu’il ne devait sûrement pas pouvoir se tenir debout !… Il se leva cependant, à son entrée, et lui dit avec un profond salut : « Sois la bienvenue, jeune visiteuse. »

Natak lui sourit gentiment et voulut parler, mais un des tritons lui dit : « Ne perdez pas vos sourires pour ce vilain raccourci !  ! Il ne vaut rien du tout ! Il ne peut pas même nager ! ! »

— « Neptah est bonne pour moi », dit le nain, et c’est ici son royaume ! »

— « Ce ne sera plus son royaume si elle n’est pas de retour avant demain. Lorsque viendra minuit, si elle est encore prisonnière des vagues, elle perd son pouvoir ! »

Le nain ne répondit pas, mais il regarda Natak avec une expression qui semblait dire : « Au secours !  ! »

Lorsqu’ils furent revenus à la première salle, tous ces gens étranges entourèrent Natak et lui témoignèrent leur admiration. Ils lui dirent qu’elle était belle, qu’ils l’aimaient et qu’ils la voulaient pour reine, lui promettant dévouement, obéissance et richesse, à la seule condition de ne plus les quitter…

Se rappelant les paroles de la Sirène, Natak usa de ruse. Elle leur dit qu’elle voulait se reposer et dormir pendant plusieurs heures et qu’à son réveil elle leur donnerait sa réponse. Ils consentirent, lui disant qu’eux aussi allaient dormir, que c’était maintenant, pour eux, l’heure du repos.

Lorsque la grande quiétude et le silence avertirent Natak que tout le monde dormait, elle se leva doucement, et furtivement se glissa de chambre en chambre jusqu’à celle où était le nain. Elle l’aperçut, assis sur un banc de mousse, l’air triste et inquiet. Elle vit avec bonheur qu’il était seul. Elle alla vers lui et lui demanda bien bas :

— « Où se trouve la chaîne qui tient Neptah captive ? »

— « Vis-à-vis de la sortie de cette grotte — elle est rivée à un pilier dans l’eau. Le gardien de la chaîne est un Diable de mer géant. »

— « Est-ce qu’il va vouloir me dévorer ?  » demanda Natak un peu effrayée.

— « Je crois bien qu’il le voudra. Mais, jette-lui ceci à la tête avant qu’il n’ait eu le temps de te saisir et il sera impuissant ! »

En disant ces mots, il tendit à Natak une petite pierre ronde et blanche qui ressemblait à un caillou ordinaire.

Elle le prit, et le tenant serré dans sa main, elle se rendit à la porte de la grotte et l’ouvrit…

Elle vit le pilier dans l’eau… une eau très claire et tellement verte qu’elle en était presque terrifiante. Natak était au moment de s’y jeter pour atteindre le but de sa mission, lorsqu’un bruyant remous dans l’eau l’arrêta et glacée de terreur, elle aperçut le monstre marin ! Sa tête hideuse, surmontée de deux cornes émergeait de l’eau, il la regardait avec des yeux ronds et féroces et semblait prêt à foncer sur elle par la porte ouverte… Vivement elle lui jeta le caillou blanc… à l’instant il devint immobile… il paraissait mort…

Natak nagea vers le pilier et chercha la chaîne. Pour la trouver elle plongea bravement dans ces eaux étrangement vertes, tenant à la main la petite lame d’or de la Sirène.

L’ayant enfin trouvée, elle frappa une des mailles de fer avec le précieux couteau… la chaîne se rompit avec un fracas épouvantable.

Mais ce bruit terrible réveilla le Diable-de-mer géant, qui n’était qu’endormi, et il se mit à la poursuivre !  !

Natak était brave, mais cette fois, elle eut une peur atroce, et mettant la lame d’or entre ses dents elle cria : « Neptah ! Neptah ! »… Mais le monstre approchait ; croyant qu’il allait la saisir, elle poussa un cri et perdit connaissance.

Lorsqu’elle reprit ses sens, elle était couchée sur la grève. Le soleil était déjà haut, la chaleur semblait intense ; son canot était tiré sur le sable, non loin d’elle, et à peu de distance, dans l’eau, elle aperçut la Sirène. — « Neptah ! Belle Neptah ! » fit Natak.

— « Brave petite fille ! Grâce à toi, je ne suis
« À peu de distance, dans l’eau, elle aperçut la sirène… »
plus captive ! Que puis-je te donner en reconnaissance de ce que tu as fait pour moi ? »

Natak, les yeux encore lourds de sommeil, regarda devant elle la vaste nappe des eaux de la rivière et se rappela ce qu’elle avait toujours désiré.

— « Une petite île, Neptah, ou plusieurs petites îles, là-bas… où l’eau est si belle ! »

— « Des îles ? » s’écria Neptah, « des îles ?… Bien sûr que je vais t’en donner… Tu vas en avoir des centaines et des centaines ! Dors, Natak, dors… tu les verras bientôt ! »

Natak était tellement lasse qu’elle se rendormit bien vite.

Après un long sommeil calme et bienfaisant, la jeune fille s’éveilla presque complètement reposée.

Elle s’assit, se frotta les yeux, et commença à se rappeler ses exploits de l’heure matinale, les personnes étranges et les choses extraordinaires qu’elle avait vues : la belle Sirène, les tritons, le nain, le pilier de pierre et le terrible Diable-de-mer… « Ah ! »… fit-elle avec horreur à ce souvenir, « j’espère ne jamais le revoir celui-là ! »

Elle se leva et regarda la rivière… Elle jeta un cri de surprise… Là-bas, au loin, où elle avait d’abord aperçu la Sirène, elle vit une multitude de petites îles disséminées çà et là sur la vaste étendue du fleuve !

« Quel bonheur ! » s’écria Natak, en retournant vers le wigwam de sa grand’mère, affamée, encore un peu lasse, mais le cœur bien joyeux, car son plus grand désir était accompli… Elle aurait maintenant des centaines de petits royaumes à explorer !…

Quelques années plus tard, Monataska épousa un des chefs de sa tribu, un ancêtre de Brant, le fameux guerrier Mohawk, célèbre dans l’histoire pour sa bravoure et sa loyauté.

Ceux qui visitent cet endroit enchanteur dans le Saint-Laurent qui s’appelle les Mille-Isles ne se doutent peut-être pas de son origine féerique, mais les enfants qui auront lu cette histoire, se rappelleront sûrement le don charmant que fit la Sirène à la brave et courageuse petite Indienne.


Le Cap Trinité et la rivière Saguenay.

LE SORCIER DU SAGUENAY


Plusieurs centaines d’années avant la découverte du Canada par Jacques Cartier, ce pays était habité par différentes nations et tribus d’indiens.

Une de ces tribus s’était établie sur les bords du Saint-Laurent, à un endroit où ce fleuve est d’une immense largeur, aux environs de la place qui s’appelle aujourd’hui Tadoussac.

Ces Indiens étaient les Montagnais, nation bonne et pacifique, vivant de pêche et de chasse.

Pour prendre le poisson, ils confectionnaient de solides filets, tressant à cette fin, de longues herbes marines que leurs doigts habiles savaient rendre solides et durables.

Les grandes forêts leur fournissaient le gibier qu’ils tuaient avec leurs flèches ou qu’ils prenaient dans des pièges ingénieux de leur propre invention.

Leurs wigwams étaient placés ensemble, par groupes, pour se donner une protection mutuelle contre les loups. Ces groupes de wigwams formaient autant de petits villages, peu éloignés les uns des autres.

Les loups n’étaient pas le seul danger qu’avaient à craindre les Montagnais ; ils avaient pour ennemis une nation appelée « Les Géants ». C’étaient des colosses que ces hommes ! Quelques-uns avaient huit pieds de hauteur. Ils avaient des figures sournoises, cruelles et de longues dents pointues. On devinait qu’ils étaient des cannibales…

Cette nation était établie une quarantaine de milles plus loin.

Aux moments les plus inattendus, ils remontaient le fleuve en bandes, dans leurs canots d’écorce, atterrissaient à peu de distance des établissements Montagnais, fonçaient à l’improviste sur ces paisibles Indiens, en tuaient un grand nombre et retournaient avec des prisonniers dont on n’avait plus jamais de nouvelles.

À l’époque où se passe cette histoire, il y avait chez les Montagnais, une jeune fille appelée Sagnah.

C’était une orpheline. Son père avait été fait prisonnier par les terribles Géants et n’était jamais revenu et sa mère était morte de chagrin.

Sagnah était une favorite dans sa tribu et chacun aimait à la choyer et à la gâter. C’était une belle et brave enfant, intelligente et pleine de vivacité, parfois un peu trop espiègle, mais d’une grande bonté de cœur.

Elle aimait à jouer avec les autres enfants de la tribu et pouvait nager, grimper et danser aussi bien qu’eux tous ; mais son grand charme était sa belle voix. Son chant ravissait les Indiens. Ils s’assemblaient parfois sur la grève autour d’un grand feu et faisaient chanter Sagnah et ses notes pures vibraient, claires et harmonieuses, dans l’air du soir.

Lorsque Sagnah eut seize ans, on la fiança à un jeune chef de sa tribu et le mariage devait avoir lieu quelques jours plus tard… mais, tout-à-coup, dans la nuit, les Géants arrivèrent et firent un affreux carnage ! Une terrible bataille s’engagea et après bien des pertes de vie de part et d’autres, les géants se virent forcés de prendre la fuite, mais ils emmenaient avec eux plusieurs prisonniers et parmi ceux-ci, la pauvre petite Sagnah !… Pendant la bataille, la jeune fille s’était blottie au fond d’un wigwam, un tomahawk dans la main, bien résolue à se défendre, mais deux Géants foncèrent dans la cabane, la désarmèrent et l’emportèrent comme si elle eut été un petit enfant…

Impuissante à se défendre, Sagnah ne perdit cependant pas courage. Sa principale inquiétude était son fiancé, le jeune chef qu’elle devait épouser dans si peu de jours… Était-il, lui aussi, prisonnier ?

Au premier arrêt, on la mit par terre et on lui lia les bras et les jambes. Les autres prisonniers, solidement ligotés, n’étaient pas très éloignés et elle pouvait les distinguer parfaitement ; son fiancé n’était pas parmi eux.

« Alors », se dit-elle, « il va vouloir venir à mon secours et se fera sûrement tuer. Ah ! Si je pouvais lui envoyer un message ! »

À ce moment, elle vit un piquebois qui picotait sur une branche tout près d’elle :

— « Petit oiseau », lui dit-elle, « que ne peux-tu voler vers mon fiancé ! »

À sa grande surprise, l’oiseau s’approcha et lui dit :

— « Donne-moi ton message ! »

— « Comment ? Tu parles, toi ? » s’écria Sagnah.

— « Oui. Hâte-toi ! »

— « Vole vers mon fiancé, le jeune chef montagnais. Dis-lui de ne pas chercher à me suivre. Ma seule chance de m’évader sera la ruse ! Dis-lui d’être aux aguets et d’attendre… Vole, petit oiseau, vole !  ! »

L’oiseau s’envola à tire d’ailes et Sagnah se sentit un peu plus d’espoir au cœur.

« Cet oiseau doit appartenir à quelque fée ou à quelque sorcier ! » se dit-elle.

Au bout de quelque temps, les ennemis reprirent leur route. Elle fut ramassée comme un paquet, jetée sur l’épaule d’un des gros géants et emmenée vers leurs canots qu’ils allaient reprendre pour retourner dans leur pays. Elle ne résista pas, ferma les yeux et feignit d’être endormie ou sans connaissance…

Après de longues heures ils arrivèrent enfin au camp des Géants. Les femmes et les enfants de la tribu les reçurent avec des cris et des trépignements de joie. Armés de branches et de bâtons ils se ruaient vers les prisonniers pour les frapper.

— « Qu’on ne touche pas à celle-ci ! » cria le Géant qui avait amené Sagnah ; c’était (elle l’apprit plus tard), un des chefs de la tribu, un des quatre frères qui gouvernaient la nation.

— « Amenez-là », continua-t-il, « dans un wigwam spécial. Je la réserve pour la grande fête qui aura lieu pour célébrer notre visite chez les Montagnais. Quant aux autres prisonniers, je vous les donnerai bientôt pour les faire cuire et les manger… dans huit ou dix jours au plus. »

Sagnah frémit… Ainsi, c’était là le sort affreux qu’avait eu son père ! Et c’était celui qu’on lui réservait ? Non ! cent fois non ! Il fallait, à tout prix, empêcher cette fin atroce !  ! Sachant qu’elle avait quelque temps de répit, elle résolut de déjouer par la ruse les plans de ses terribles geôliers.

Épuisée, Sagnah s’endormit… Après un long et lourd sommeil, elle se réveilla au fond d’un wigwam. Deux vieilles Indiennes étaient là, en gardiennes, auprès d’elle.

— « Bonjour ! » dit Sagnah, avec son plus charmant sourire.

— « Où donc te crois-tu, petite sotte, pour avoir ce sourire sur les lèvres ? »

— « Je n’en sais rien, mais je crois que c’est peut-être le camp de quelque Géant. Un grand combat a eu lieu entre ma tribu et les Géants, et ces derniers m’ont prise et amenée ici. »

— « Et que penses-tu qu’ils veulent faire de toi ? »

— « Je ne sais pas », répondit Sagnah, toujours souriante, « mais j’espère bien qu’on va me donner à manger… j’ai une faim terrible ! »

— « Manger ? Sans doute, tu vas manger, encore manger, et encore et encore manger !  ! »

— « Pourquoi tant manger ? » demanda Sagnah en riant.

— « Parce que tu es trop mince, trop maigre ! » dit la vieille avec un ricanement.

Au bout de quelque temps on lui apporta de la nourriture.

— « Je vous en prie ! » dit-elle, déliez-moi les mains afin que je puisse manger, et les pieds aussi, de grâce ! Je ne chercherai sûrement pas à me sauver entourée, comme je suis, de Géants ! »

À ce moment, le chef entra et les gardiennes lui demandèrent si elles pouvaient délier la prisonnière et il consentit en grommelant.

Sagnah, voyant que la nourriture n’était sûrement pas de la chair humaine, prit un bon repas, car elle avait vraiment faim. Puis, elle tressa ses longs cheveux noirs et défroissa sa tunique de cuir. Regardant les Indiennes elle leur dit :

— « Suis-je bien ainsi ? »

— « Bien ? Tu as l’air d’une sotte fille des Montagnais, se préparant à servir de dîner à notre grand chef ! »

— « Non ! » dit Sagnah, sans cesser de sourire, « je suis sûre qu’il ne voudrait pas me manger, du moins pas tout de suite ! » et sans paraître du tout inquiète elle se mit à causer et à rire avec les deux vieilles gardiennes, si bien qu’elles devinrent presque de bonne humeur !

Au bout de quelque temps elle leur dit :

— « Aimez-vous les chansons ? J’en sais de belles que j’ai apprises chez nous », et de sa voix claire et pure, elle se mit à chanter des refrains de son pays.

À ce moment, le chef entra de nouveau, mais elle ne parut pas le voir et continua son chant. La chanson finie, elle se retourna et regarda le Géant.

— « Ah ! Tu étais là ? » dit-elle, « as-tu aimé ma chanson ? »

— « Comment t’appelles-tu ? » dit celui-ci, sans répondre à sa question.

— « Sagnah, » répondit-elle, « et toi » ?

— « Apprends, jeune fille », s’écria-t-il d’une voix tonnante, « que je suis Patitachekao, chef, avec mes trois frères, de la tribu des Géants ! Mon nom, Patitachekao, signifie « Tue et mange », et j’ai l’habitude de faire honneur à mon nom !  ! »

— « Comme c’est terrible !  ! Es-tu toujours fâché comme ça ? »

— « Attention ! Si tu me manques de respect, je te ferai fouetter ! »

— « Oh ! Ne fais pas cela », dit Sagnah, encore souriante, (mais en réalité tremblante de frayeur), si tu me fais battre, je ne pourrai plus manger… et je vais maigrir !… »

Personne encore n’avait osé parler de la sorte au chef des Géants, et il se demanda si cette jeune fille ne serait pas une sorcière, déguisée en Montagnaise.

Il fit venir ses trois frères, Géants à l’air aussi féroce et cruel que lui-même, et fit causer Sagnah devant eux.

Cachant sa terreur, elle sourit bravement à ces méchants chefs et, à leur demande, chanta une de ses plus belles chansons.

Les quatre Géants sortirent du wigwam et tinrent conseil : si cette jeune fille était une sorcière, il fallait la brûler et non pas la manger, et si elle n’était pas une sorcière, pourquoi ne pas la garder et la soigner, et ne la manger que dans quelques mois ?…

Sagnah entendit leur conversation et elle résolut de prouver qu’elle n’était pas une sorcière.

On la consulta sur différents sujets, on la questionna… Sagnah répondait comme une enfant et demandait elle-même des questions qui semblaient si naïves, que les Géants se dirent :

— Elle ne comprend pas suffisamment pour avoir peur, c’est pourquoi elle rit et chante. Ce n’est sûrement pas une sorcière !

Les deux vieilles restaient ses gardiennes.

Elles lui apportaient sa nourriture et écoutaient son babil et son chant.

Un jour, le chef Patitachekao entra, encore plus maussade et grondeur que d’habitude. En passant près d’une des vieilles il lui donna un coup de pied sur la jambe, et la frappa à la figure avec une branche qu’il tenait à la main. Le coup de pied fut si fort que la jambe fut presque cassée, et se tenant le front d’où le sang coulait, la vieille sortit en boitant.

— « Chante ! » ordonna le chef à Sagnah.

Elle commença de suite à chanter. Quand elle eut fini, il lui dit :

— « Veux-tu avoir la vie sauve ? »

— « Oh oui ! » dit Sagnah ; « vas-tu me laisser retourner dans mon pays ? »

— « Non ! » dit le Géant, « mais je puis t’épouser et te faire devenir membre de la tribu. »

« Je suis déjà fiancée à un chef de ma propre nation. Si tu es chef toi-même, tu ne voudrais pas me faire manquer à ma parole ? »

— « Tous les chefs montagnais ont été tués à notre dernière attaque, » dit-il, « ton fiancé a dû être de ce nombre ! »

Sagnah se doutait bien que ceci n’était pas la vérité, mais elle feignit de croire ce qu’il disait et lui répondit :

— « Veux-tu me donner trois jours pour m’habituer à cette pensée de devenir une des vôtres, et chaque jour me laisser faire une promenade en dehors du wigwam ; le troisième jour, si tu m’entends chanter, tu sauras que je suis prête à devenir ta femme ! »

Le chef consentit et sortit du wigwam fort satisfait.

L’Indienne qui avait reçu le coup de pied revint en boitant à la cabane, paraissant bien souffrante. Le bâton du chef lui avait cruellement blessé la tête et elle avait l’air bien affaiblie. Sagnah lui banda la jambe et lui mit de l’eau fraîche sur la tête, essayant de la soulager ; puis elle s’assit auprès d’elle et se mit à chanter.

Au bout de quelque temps, l’autre Indienne sortit du wigwam. Alors la blessée dit à Sagnah :

— « Écoute ! Je vais mourir, les coups du chef m’ont tuée ! Je ne verrai pas le jour ! Parce que tu as été compatissante et bonne pour moi et que tu es si vaillante, si courageuse, je vais te donner deux présents : prends ce morceau de cuir et cette tige creuse — le carré de cuir te rendra invisible,
« Prends ce morceau de cuir et cette tige creuse… »
si tu le places sur ta tête, et avec la tige creuse tu peux appeler le Bon Sorcier de la Grande Forêt qui a juré d’exercer une terrible vengeance sur toute nation qui mange de la chair humaine ; mais pour les punir, il faut que le Bon Sorcier les prenne en flagrant délit. »

— « Où puis-je trouver le Bon Sorcier ? »

— « Il viendra à n’importe quel endroit en dehors du camp si tu souffles dans la tige creuse. Ne leur dis rien… Laisse croire que tu vas épouser le chef et partager leur festin… » dit la femme d’une voix faible.

Elle se retourna et ne parla plus… au matin, elle était morte.

Ce jour-là, Sagnah partit pour sa première promenade en dehors du wigwam. Après avoir marché un peu, elle mit le morceau de cuir sur sa tête et s’aperçut bientôt que personne ne pouvait la voir. Alors elle se mêla aux Géants et ainsi elle apprit que les prisonniers avaient été tués et qu’on se préparait à en faire un festin pour célébrer le mariage du chef Patitachekao avec la fille Montagnais.

Le lendemain, elle sortit de nouveau et se rendant invisible elle suivit le chef jusqu’à l’endroit où il se rendait pour conférer avec ses trois frères. Elle découvrit qu’ils avaient décidé de faire une autre attaque sur les villages Montagnais aussitôt après les noces. Les frères étaient aussi féroces et cruels que Patitachekao, cependant l’un d’entre eux dit :

— « Que ferons-nous si le Sorcier de la Grande Forêt a connaissance de nos festins ? »

— « Personne ne lui dira et il ne peut entrer dans le camp sans ce tomahawk magique que j’ai à ma ceinture ! »

— « Qu’en ferais-tu pendant la noce ? »

— « Je ne puis, pour le mariage, le garder sur moi, cela me porterait malheur, mais je vais le cacher sous la peau d’ours qui est dans mon wigwam, de bonne heure demain matin ; je le reprendrai après le festin et jamais le Sorcier ne pourra l’avoir ! »

— « C’est bien », dirent-ils, « le mariage à midi et le festin ensuite ! »

Sagnah courut à son wigwam et eut tout juste le temps de redevenir visible, lorsque le chef parut :

— « Ta réponse, Sagnah ? » dit-il.

— « Nous ne sommes qu’au second jour, et tu m’as donné trois jours ! » dit Sagnah.

— « C’est vrai », répondit le Géant, « mais je compte te trouver demain prête et consentante pour le festin de la noce ! »

Sagnah eut un frisson de terreur, mais sourit bravement et répondit :

— « Je crois que tu m’entendras chanter peu avant midi demain ! »… et le Géant partit content.

Le lendemain, au petit jour, Sagnah se rendit invisible et partit vers le wigwam du chef pour voir ce qu’il faisait.

Il n’y était pas, alors elle entra, souleva la peau d’ours, trouva le tomahawk et le cacha sous sa tunique avec la tige creuse. Puis, elle se sauva aussi vite que possible jusqu’en dehors du camp des Géants. Là elle redevint visible, le carré de cuir ne lui donnant le don d’invisibilité que dans les limites du camp.

Elle prit la tige creuse et souffla dedans… elle rendit un son rauque et sifflant… Tout-à-coup, une ouverture apparut dans les branches… un bruissement de feuilles se fit entendre… et le Bon Sorcier parut !

Il paraissait vieux comme le monde ; ses cheveux et sa longue barbe étaient d’une blancheur de neige ; sa figure annonçait la force et la volonté ; ses yeux étaient profonds et perçants.

— « Qui me réclame ? » demanda-t-il.

Sagnah se présenta au Bon Sorcier et lui raconta sa terrible histoire et son enlèvement à la veille de son mariage ; elle lui décrivit les invasions répétées des Géants dans les domaines des Montagnais, les prisonniers enlevés pour être ensuite tués et mangés, et lui parla du mariage et du festin atroce qui devaient avoir lieu le jour même.

Le Bon Sorcier courroucé, mais triste, répondit :

— « Les misérables !  ! Pour les punir il faudrait que je puisse les prendre sur le fait et hélas ! je ne puis entrer dans leur camp !! »

— « Tu le peux », dit Sagnah, « avec cette arme magique ! Prends-la et de grâce, agis au plus vite ! Dis-moi, vais-je être obligée d’épouser ce monstre ? »

— « Quand doit avoir lieu le festin ? » demanda-t-il.

— « La noce doit se faire à midi et le festin ensuite ! »

— « Lorsque tu donneras ta réponse tantôt tu diras :

« Le festin se fera
La noce suivra.
 »

Il ne faut pas te laisser persuader autrement et, sois sans crainte, je te sauverai… et je punirai les coupables ! » ajouta-t-il avec colère.

Sagnah s’enfuit vers le camp ; se rendant invisible elle ne craignait pas d’être poursuivie. Elle atteignit son wigwam, se rendit de nouveau visible et se prépara pour la noce.

Lorsqu’elle fut prête, elle se mit près de l’entrée, et pensant à son lointain fiancé montagnais, elle se mit à chanter un beau refrain d’amour…

Patitachekao arriva avec ses trois frères, anxieux de connaître sa réponse :

— « Sagnah, que dis-tu ce matin ? »

« Le festin se fera
La noce suivra.
 »

dit Sagnah.

— « Non, la noce se fera d’abord ! » dit le chef.

— « Pourquoi ne pas commencer par le festin ? » dit Sagnah en souriant. « Nous serions ensuite si contents et si bien disposés et de bonne humeur pour la noce !  ! »

Ils consentirent tous les quatre et à midi on vint chercher Sagnah ; tout était prêt…

Les Géants étaient assemblés en dehors, pour le festin. De grandes chaudières d’eau bouillante avaient été préparées pour recevoir les morceaux de jambes et de bras des malheureux prisonniers.

Les futurs mariés furent placés aux sièges d’honneur et les trois frères étaient auprès d’eux.

Lorsque l’horrible cuisson fut terminée et que l’on commença à servir les mets, Sagnah eut un frisson de peur :

Si le Sorcier ne venait pas ?… Qu’arriverait-il ?

Tout-à-coup, une clameur épouvantable retentit, la terre trembla, et au milieu de la stupeur générale, le Sorcier apparut !! Dans chacune de ses mains, il tenait une énorme masse de pierre.

D’une voix semblable au roulement du tonnerre, il leur jeta ces terribles paroles :

— « Misérables mangeurs de chair humaine !

Bien souvent je vous ai avertis !! Vous alliez encore faire un de vos horribles festins !!… Ecoutez-moi ! Mon pouvoir vous empêche de bouger, mais vous pouvez m’entendre… Jamais plus vous ne commettrez ce crime atroce ! Ma malédiction va vous atteindre et ce sera pour toujours ! Votre tribu va être anéantie, vos wigwams détruits, la terre même où vous avez vécu va disparaître ! »

Les Géants semblaient pétrifiés… tremblants de rage, ils étaient incapables de bouger et de crier.

— « Sagnah », continua le Sorcier, hâte-toi de fuir ce camp maudit ! Cours, fuis ! En dehors de ces limites de malheur, tu trouveras du secours ! »

Sagnah s’enfuit, sans oser se retourner, et dans peu de temps elle parvint à sortir du camp. Là, à sa grande joie, elle trouva son fiancé avec une troupe de guerriers montagnais.

Il avait reçu, par un piquebois enchanté, un message du Bon Sorcier, après en avoir reçu un de Sagnah, de la même manière, quelque temps auparavant.

La nuit suivante une grande tempête se déchaîna et un terrible tremblement de terre ébranla cette partie du pays.

Dans les villages des Montagnais, aucun dommage ne fut causé par la tempête, mais une quarantaine de milles plus loin, de grands changements avaient eu lieu… Le Sorcier avait poursuivi de sa malédiction la perfide et cruelle nation des Géants. Là où Patitachekao avait vécu se dressait un rocher géant, là où était le wigwam de ses trois frères se dressait un autre rocher géant, à triple sommet, et au pied de ces rochers gigantesques roulaient les masses fougueuses d’une rivière en colère, dont les flots semblaient recouvrir un abîme sans fond…

La tribu des Géants, leurs wigwams, leurs villages, n’existaient plus… tout avait disparu sous la malédiction du Sorcier de la Grande Forêt.

Environ un an plus tard, Sagnah et son mari se rendirent un jour dans cette partie du pays pour voir les transformations qu’avait opérées le tremblement de terre. Ils remontèrent en canot la nouvelle rivière et comme ils passaient près du premier gros rocher se dressant comme un colosse en sentinelle dans la rivière, l’Indien dit :

— « Regarde, Sagnah ! »

Et le rocher répéta : « Regarde, Sagnah ! »

— « Le chef des Géants ! » murmura Sagnah à demi-voix.

Puis, lorsqu’ils virent l’autre rocher avec le triple sommet, Sagnah dit :

— « Les Trois Frères ! » et le rocher répéta : « Les Trois Frères !… »

Leur canot glissait rapidement sur les eaux sombres de la rivière inconnue et ils revinrent en sûreté dans leur village.

— « Il faudra appeler cette rivière « Sagnah » en souvenir de la terrible aventure, » dit le jeune chef.

Ils vécurent heureux pendant bien des années. Leurs enfants apprirent l’histoire du rapt de leur mère par le chef d’une tribu maudite et ils appelaient toujours la rivière qui provenait de cette époque, la rivière « Sagnah » comme leur père le leur avait appris.

Plus tard, les colons français et les chasseurs appelaient cette rivière Sagna ou Sagnay et finalement elle devint Saguenay, comme nous la nommons aujourd’hui. Mais aucun de ces voyageurs ne savait que les deux énormes rochers s’élevant à une hauteur de deux mille pieds audessus de la masse des eaux, étaient les chefs de la cruelle nation cannibale que le Sorcier avait transformés en Géants de pierre.

Même de nos jours, ils demeurent immuables et gardent à jamais les flots sombres du Saguenay, mais nous leur avons donné d’autres noms : nous les appelons « Le Cap Éternité » et « Le Cap Trinité ».


Les sept pics des Montagnes Rocheuses.

LES SEPT GÉANTS DES MONTAGNES ROCHEUSES


Dans un petit village de l’ouest canadien, vivait, il y a plusieurs centaines d’années, une femme mystérieuse qui passait pour une sorcière et que redoutaient beaucoup les Indiens des environs.

Elle habitait une grotte au pied d’une montagne et quoique son apparence ne fut ni féroce, ni cruelle, les tribus de l’endroit la croyaient responsable de tous leurs malheurs.

Personne n’osait l’approcher et elle n’avait pas la chance de se défendre, ni de protester contre ces accusations. Alors le ressentiment devint bientôt général… c’était elle la coupable ! C’était elle qui leur envoyait des maléfices et des mauvais sorts…

Les Indiens de cette partie du pays avaient eu bien des malheurs depuis quelque temps ; un jour, un terrible éboulis de sable et de roches était tombé de la montagne et avait abattu un grand nombre de leurs wigwams ; peu après, un tremblement de terre avait ébranlé le sol et détruit une grande partie de leur établissement ; plus tard, un ruisseau avoisinant, gonflé par une pluie torrentielle fut transformé en torrent dévastateur, qui avait inondé leurs demeures et noyé plusieurs personnes ; à la saison la plus douce, survenaient des gelées qui détruisaient tous les fruits et ces gelées étaient suivies de terribles feux de forêts !… Tout récemment, une violente tempête de grêle était tombée, et deux jours avant le commencement de cette histoire, l’horizon devint subitement noir comme l’encre, les éclairs sillonnèrent de leurs zigzags lumineux le ciel noirci d’orage et les grondements du tonnerre commencèrent. Avec une force toujours croissante, les sinistres éclats se suivaient presque sans interruption… toute la nuit ce fracas terrifiant continua de jeter l’effroi dans le village, si bien que les Indiens, saisis de panique, résolurent d’assembler le grand conseil de la nation !

Sitôt que l’orage effroyable fut fini, le Conseil fut appelé pour discuter la situation et voir ce qu’il y avait à faire.

D’un commun accord, l’on décida que la sorcière que l’on apercevait de temps à autre était seule responsable de tous ces malheurs. À tout prix, il fallait s’en défaire !

C’est une chose fort difficile que de se défaire d’une sorcière ! Il faut d’abord s’en emparer, puis, si l’on réussit (ce qui peut prendre bien longtemps), il faut ensuite la brûler, car, autrement, on ne saurait la tuer… elle peut vivre des siècles et des siècles.

Or, il arriva que vers ce temps, un jeune Indien appelé Pontesika avait encouru la colère des chefs de la nation, et était tombé en disgrâce, quoique ses méfaits ne fussent pas, en réalité, très graves.

Pour un Indien, le déshonneur est ce qu’il y a de plus terrible au monde, et Pontesika était triste et voulait mourir !

Son crime était d’avoir tourné en ridicule les chefs de la nation et de les avoir appelés des poltrons et des lâches parce qu’ils avaient peur d’une pauvre vieille femme. Considérant que cette « pauvre vieille » était une atroce sorcière, et que les chefs étaient les plus braves de la nation, Pontesika était gravement coupable aux yeux de la tribu.

Les chefs, à la suite de leur conseil, le firent demander et l’un d’eux prenant la parole, lui dit :

— « Si tu peux découvrir la cause de nos malheurs et capturer la sorcière, ta faute sera effacée, ton nom deviendra honoré et tu seras ensuite capitaine-chef de notre tribu ! Que dis-tu, Pontesika ? Te chargeras-tu de la mission ? »

— « Oui ! » dit le jeune homme résolument. « Qu’on me donne un bon tomahawk, un carquois de flèches, une solide arbalète et je suis prêt à partir tout de suite. »

— « Dans un mois tu devras revenir », dit gravement le chef, et si tu as failli dans ta mission, ta vie en paiera le forfait, mais si tu réussis, l’honneur te sera rendu et tu seras sacré guerrier, capitaine et chef comme nous ! »

Deux heures plus tard, Pontesika, armé comme il l’avait demandé, partait pour son périlleux voyage.

La caverne de la sorcière était à une distance de plus de cinq milles, au pied d’une falaise haute et rocheuse.

Le jeune Indien connaissait bien l’endroit. Les guerriers de sa tribu, qu’il avait souvent suivis, y étaient venus plusieurs fois, espérant s’emparer de la sorcière ; mais à leur approche, elle rentrait dans la caverne et fermait, au moyen d’un sortilège, le rocher qui en masquait l’entrée, rendant ainsi les guerriers impuissants.

Pontesika se hâta afin d’arriver avant la nuit. Il eut à passer plusieurs forêts, de grandes plaines et arriva enfin aux abords de la grotte, peu après le coucher du soleil.

Il se rapprocha petit à petit, se cachant autant que possible, s’arrêtant à chaque instant pour écouter et regarder… Pendant plusieurs minutes il attendit… rien ne bougea… Tout-à-coup, il vit sortir de la caverne une vieille femme à cheveux blancs, qui se mit en frais de faire du feu, se servant de quelques branches sèches qui gisaient par terre tout auprès ; mais il y en avait très peu et la vieille s’écria à haute voix :

— « Oh là là ! Je voudrais bien que la forêt ne fut pas si loin ! Je n’ai plus de branches pour mon feu ! »

Pontesika, voyant qu’elle n’avait pas l’air le moindrement féroce, perdit toute crainte et s’avança en disant :

— « Veux-tu que je t’apporte des branches ? »

— « Oh oui ! Je t’en prie, va m’en chercher ! Tu es jeune et fort ! »

Le jeune garçon partit en courant et revint quelques instants plus tard avec une grande brassée de branches sèches et bientôt le feu flambait joyeusement.

— « Veux-tu rester pour te reposer, jeune homme ? Tu sembles en route pour un voyage ! » dit la vieille.

« Mon voyage sera peut-être moins long que je ne le croyais », dit Pontesika avec un sourire un peu narquois. Puis, regardant de nouveau la vieille femme et trouvant qu’elle ne paraissait nullement méchante, ni dangereuse, il lui demanda ?

— « Es-tu la Sorcière de la caverne ? »

« On m’appelle ainsi », répondit-elle, « quoique, si l’on savait la vérité, on ne m’appellerait pas une sorcière, mais une fée ! »

— « N’as-tu pas jeté un mauvais sort sur la tribu avoisinante, un maléfice qui amène aux Indiens de cet endroit des malheurs de toutes espèces ? »

— « Des malheurs ? Mais, mon pauvre enfant, je ne voudrais pas causer des malheurs à ta nation ! Au contraire, j’ai souvent essayé de les protéger contre les dangers qui les menacent ! »

— « Qui donc, alors, envoie les éboulis de roches, les tremblements de terre, les inondations et toutes les autres catastrophes ? »

— « Qui veux-tu que ce soit, enfant, sinon les sept géants qui habitent là-haut et qui font leurs délices de causer la destruction et la mort chez les pauvres humains ? »

— « Ma nation ne connaît pas l’existence des géants ! » dit Pontesika, « elle croit que c’est toi qui es la cause de tous leurs malheurs ! »

— « Les pauvres idiots ! » dit-elle, « Que de fois j’ai voulu aller les mettre en garde contre ces ennemis terribles !  ! Mais, dès que l’on m’apercevait, j’étais poursuivie avec des pierres et des flèches et je n’ai jamais pu approcher. Mais il faut entrer, » continua-t-elle, « je vais te cacher dans ma grotte afin que les géants ne te voient pas et te dire ce que tu ignores à leur sujet. »

Pontesika suivit la sorcière ou plutôt la fée, comme elle s’intitulait, dans sa petite demeure.

Elle lui donna un bon repas et écouta avec attention le récit plein de franchise qu’il lui fit de ce qui était arrivé, de sa disgrâce dans la tribu, des malheurs si souvent répétées et de la mission qui lui avait été confiée.

Sur le conseil de la sorcière, Pontesika passa la nuit dans la caverne et, au matin, elle lui parla ainsi :

— « Les géants qui habitent dans les rochers au-dessus de moi, sont au nombre de sept, et chacun d’eux possède un pouvoir destructeur d’une force inouïe. Leurs noms sont aussi terrifiants que leurs personnes, ils se nomment : L’Assommeur, L’Ébranleur, Le Glaceur, Le Brûleur, Le Grêleur et le Foudroyeur ! Tour à tour, chacun laisse tomber la pesanteur de son bras au-dessus de la terre de ta nation, et c’est pourquoi ils ont de si fréquents malheurs ! »

— « Comment se fait-il que tu les connaisses, ces géants, et pourquoi vis-tu comme une sorcière, seule dans une caverne ? »

— « Quand j’étais une jeune fée, rieuse et insouciante, je fus fiancée par ma marraine à un homme de son choix. Il était beau et riche et bien que je ne l’aimasse pas d’amour, je promis de l’épouser. Un jour, je le vis qui battait d’une manière atrocement cruelle un pauvre aveugle qui s’était trouvé sur son chemin et je le pris tellement en horreur que je m’enfuis afin de ne pas l’épouser ! Cet homme était un sorcier ! Il me rejoignit bientôt et, pour me punir, il me donna l’apparence d’une vieille et me plaça ici sous la garde des sept géants. »

— « Ne seras-tu plus jamais une fée ? »

— « S’il se trouve un jeune homme qui puisse tuer les sept géants et rapporter leurs sept chevelures en trophée à sa nation, alors le pouvoir du sorcier sera détruit et je reprendrai mon apparence réelle… je serai une fée ! »

— « Ma nation m’avait ordonné de te capturer ! » dit-il, « et…

— « Oui », interrompit-elle, « pour me faire brûler ! Est-ce que tu désires encore me faire prisonnière ? »

— « Oh non ! Je me battrais plutôt pour vous défendre ! » dit-il en riant, mais je voudrais donc pouvoir tuer les géants !  ! »

— « Pour cela », dit la fée, « il faut que tu sois
« L’Assommeur, tenant dans chaque main un énorme
fragment de rocher… »
intrépide et agile autant que rusé, et je vais t’aider autant que je le puis ! »

S’approchant du rocher qui formait le mur de la grotte, elle le frappa trois fois avec une petite baguette… une tablette apparut sur laquelle il y avait une petite boîte que la fée prit et ouvrit :

— « Vois, Pontesika, ce que je vais te donner ! Voici trois talismans de verre et trois flèches mortelles ; chacun des premiers te gardera d’un danger et chacune des flèches sera mortelle pour un ennemi !… Mais tous ne peuvent servir qu’une seule fois ! Je vais te donner aussi ce petit tomahawk magique qui pourra te servir au plus dix fois. Laisse le tien ici ; je vais le garder en ton absence. Si tu réussis dans ta périlleuse mission, tu auras, en revenant ici, un message de ma part. N’oublie pas qu’il faut scalper les géants avec le tomahawk que je viens de te donner, et qu’il faut rapporter leurs chevelures. Et maintenant, brave fils de guerrier, pars et puisses-tu réussir ! »

Pontesika la remercia, cacha sur sa personne ses précieux cadeaux, et passa à sa ceinture le petit tomahawk, laissant le sien sur une grosse roche près de la fée.

— « Bonne Sorcière de la Grotte que ma nation a méconnue », s’écria-t-il, « je vous transformerai en fée aussi sûrement que les géants existent !  ! »

— « Et tu deviendras ainsi guerrier, capitaine et chef de tribu ! Va donc ! » reprit-elle, « suis le sentier jusqu’au sommet de la montagne ; rendu là, tu seras au pays dangereux ! »

Pontesika partit bravement d’un pas ferme et rapide vers le sentier désigné. Il se demandait, chemin faisant, quelles aventures l’attendaient là-haut… Il avait maintenant trois raisons pour redoubler de courage et d’adresse : il voulait obtenir la transformation de la fée, racheter la disgrâce qu’il avait encourue et sauver sa nation d’un terrible danger, en détruisant les géants malfaisants.

Il marcha si rapidement que, vers le milieu du jour, il atteignit le sommet de la montagne et se trouva en face d’un énorme pilier de pierre. Il regarda autour de lui et découvrit six autres piliers semblables, mais un peu plus gros, tous placés en ligne le long de la falaise.

— « Un, deux, trois, quatre, cinq, six et sept ! » compta le jeune Indien. « Un pilier pour chaque géant ! Je suis curieux de savoir lequel sortira le premier. »

Tout à coup, il entendit un grand fracas près du premier pilier et vit sortir un formidable géant, l’air courroucé, les cheveux épars et tenant dans chaque main une énorme fragment de rocher…

— « Qui est là ? » appela-t-il, d’une voix tonnante.

Pontesika ne répondit pas, mais mettant dans sa bouche un des talismans de verre, il saisit son arc et lança avec force une des flèches mortelles… Le géant tomba atteint en plein cœur ! Le jeune homme s’approcha alors du colosse et toucha sa tête avec le tomahawk magique… la chevelure se détacha d’elle-même… Pontesika la prit et la mit à sa ceinture !

— « Et d’un ! » dit-il. « Le bonhomme Assommeur a été assez facile… à L’Ébranleur, maintenant ! »

À ce moment il sentit que le sol tremblait sous ses pas et il serait sûrement tombé s’il n’avait eu la bonne idée de se mettre encore dans la bouche un talisman de verre. Ceci lui permit de se tenir en sûreté sur la montagne mouvante et il vit s’avancer un autre géant. Celui-ci l’aperçut et avec un hurlement de rage il fonça vers l’Indien, mais, rapide comme l’éclair, une flèche siffla dans l’espace et le second géant tomba !

— « Et de deux ! » se dit Pontesika, « mais il ne me reste qu’un seul talisman et une seule flèche mortelle… et il y a encore cinq géants !… Il faut que je fasse bien attention et que je réserve mes meilleurs armes pour Le Foudroyeur ! Il doit, sans doute, demeurer dans le plus gros pilier… »

Soudainement, il se sentit pénétré d’un froid intense, ses mains et ses pieds devinrent raides et levant les yeux, il vit un affreux géant à figure pâle et terrible ! il avait une longue barbe en glaçons, une chevelure blanche et hérissée et tenait dans chaque main un énorme bâton de glace…

— « Qui ose affronter la présence du géant Le Glaceur ? » dit une voix creuse et sinistre.

Pontesika était beaucoup trop gelé pour répondre, mais prenant son tomahawk dans ses mains raidies il le passa rapidement sur toute sa personne et soudain, il se sentit réchauffé. Courant derrière le géant, il frotta avec son tomahawk ses deux jambes… elles se mirent à fondre et il tomba.

Pontesika s’élança devant lui, le perça de trois de ses propres flèches et le géant ne bougea plus. Puis, armé de son fidèle tomahawk, l’Indien le scalpa ainsi qu’il avait fait pour les deux autres.

Mais à ce moment survint Le Brûleur, qui se mit à souffler sur lui avec son haleine de feu. Cette fois, Pontesika se jeta sur un des gros bras du Glaceur, qu’il venait de tuer, et la sensation de brûlure se trouva arrêtée. Vif comme la pensée, il cassa ce gros bras de glace et le lança de toute sa force sur Le Brûleur. Ce bras pesant terrassa le géant et Pontesika s’élança vers lui pour le tuer, lorsque parut un autre colosse, tenant une cruche gigantesque remplie d’eau qu’il se mit aussitôt à répandre sur le sol… En peu de minutes tout fut inondé et l’eau montait rapidement. Pontesika était bon nageur, mais il ne savait au juste comment lutter contre cet autre géant, tout en restant dans l’eau. Alors il prit son dernier talisman et le mit dans sa bouche… aussitôt il se trouva échoué sur un bout de rocher… Le Brûleur était mort, l’eau l’avait tué !

Le Noyeur s’arrêta un instant pour voir si l’importun était bien submergé, Pontesika lança avec adresse encore une de ses flèches et l’énorme cruche tomba, se brisant en mille morceaux…

— « Malheur ! Ma cruche ! Ma Noyeuse !  ! » s’écria le géant consterné.

Gardant le talisman dans sa bouche, le jeune homme marcha facilement à travers les eaux. S’approchant du Noyeur, devenu impuissant, il le tua, le scalpa, et prit aussi la chevelure du Brûleur, qui, au contact du tomahawk, cessa d’être brûlante.

Il venait d’atteindre un bout de sentier qui s’était trouvé en dehors de l’inondation lorsqu’une terrible averse de grêle se mit à tomber. Il n’avait plus de talismans, mais agitant au-dessus de sa tête le tomahawk magique, il se trouva protégé, puis, apercevant, un peu plus haut, un géant qui tenait une formidable chaudière de grêlons et les versait sans merci sur la terre, il se prit d’une grosse colère et lui lança à la tête le tomahawk de la fée… L’arme magique frappa le géant entre les deux yeux et lui donna la mort !… Retirer le tomahawk et scalper Le Grêleur ne fut que l’affaire de peu d’instants et Pontesika se retourna vers le plus gros pilier… Un sinistre roulement de tonnerre l’accueillit et il se sentit un peu nerveux… plus d’armes magiques autres que le tomahawk, et c’était le plus terrible des géants qu’il lui fallait combattre. Mais tout-à-coup, il se rappela avec joie qu’il lui restait encore une flèche mortelle… Anxieux d’en finir, il cria d’une voix forte :

— « Sors donc, vieux grondeur ! J’ai une surprise en réserve pour toi !  ! »

À ces mots les éclairs sillonnèrent la nue, les coups de tonnerre se succédèrent avec un bruit effroyable et au milieu de cette clameur des éléments parut le dernier et le plus terrible des géants, noir comme du charbon, les yeux flamboyants, les traits contractés par la rage. Il voulut s’élancer, mais l’Indien le guettait et à peine fut-il sorti qu’une flèche mortelle le perçait au cœur !… Le monstre était mort…

Pontesika, avec les sept chevelures des géants pendues à sa ceinture, descendit lestement le sentier de la montagne et regagna la caverne de la fée, mais elle n’y était pas !

Un peu déçu, il se demandait s’il devait attendre son retour, lorsqu’il entendit une voix qui disait :

— « Retourne vers ta tribu et rends compte de ta mission et je te rejoindrai là-bas ! »

Alors Pontesika revint et fut reçu bien tristement par les siens, car il n’avait pas capturé la sorcière.

On appela le Conseil et devant la Nation assemblée, le jeune garçon commença son récit : il raconta ce qu’il avait fait en si peu de temps, et leur parla des sept terribles géants. Mais tous hochaient la tête avec incrédulité ; ils ne voulaient rien croire. Mais, soudain… la Fée parut à ses côtés !

Radieuse et belle, drapée dans une tunique d’argent, ses longs cheveux cerclés d’un bandeau étoilé, elle les regardait gravement :

— « Hommes des montagnes, peuples des forêts », leur dit-elle d’une voix vibrante, « je suis la Fée de la Caverne de pierre, celle que vous persistiez à appeler La Sorcière !  ! Vous vouliez punir ce brave enfant parce qu’il ne pensait pas comme vous et cependant, c’est grâce à lui que vos ennemis sont détruits et que le mauvais sort qui me gardait prisonnière a été conjuré. »

Avec sa longue baguette dorée, elle désigna alors les trophées suspendus à la ceinture de Pontesika :

— « Voici », dit-elle, « les chevelures des sept géants : L’Assommeur, L’Ébranleur, Le Glaceur, Le Brûleur, Le Noyeur, Le Grêleur et Le Foudroyeur. »

À cause de ses exploits valeureux, vous allez faire de ce jeune homme le chef de votre nation et que cet honneur se perpétue dans ses descendants pour la durée de cent générations… et maintenant je vous quitte, je ne suis plus captive, je retourne dans la patrie des fées.

En disant ces paroles, elle étendit vers la montagne sa baguette enchantée, l’agita sept fois dans l’air et disparut à leurs yeux. Et les Indiens stupéfaits, regardant dans la direction où elle semblait s’être envolée, aperçurent dans le lointain sept grands pics de montagnes qui dessinaient leurs sommets inégaux sur l’horizon brumeux…

Pontesika, en les voyant, eut un frémissement de joie et d’orgueil et il comprit que, sous la baguette de la Fée, cette grande montagne rocheuse avait perdu sa terreur et qu’elle avait acquis pour toujours une nouvelle et incomparable majesté.

Les Chutes Niagara.

L’OGRE DE NIAGARA


Tous les enfants canadiens connaissent le nom du brave et loyal Algonquin Tecumseh.

Les lointains ancêtres de cet illustre guerrier occupaient une vaste étendue de terrain sur les bords de la rivière Niagara, mais furent obligés d’émigrer aux environs du Lac Huron et du Lac Érié, à cause des déprédations d’une tribu perfide qu’on appelait « Les Tueurs ».

Cette nation avait pour elle la supériorité du nombre, et les Algonquins, quoique braves et courageux, se décidèrent à émigrer plus loin afin de pouvoir vivre dans la paix et la tranquillité.

Un jour, quelque temps après leur arrivée dans le nouveau pays, un coureur de leur tribu arriva, porteur de nouvelles inquiétantes : les Tueurs devaient les poursuivre jusque dans ce nouvel établissement et tuer leurs femmes et leurs enfants.

Que faire ?… Au milieu de la consternation générale, les chefs, suivant l’habitude des Indiens, demandèrent conseil à un « Loki » ou magicien de la tribu et celui-ci leur fit cette réponse :

— « Qu’un adolescent de cette nation parvienne à découvrir la clef d’or qui ferme à double tour la caverne, où l’Ogre des Grands Rochers, depuis longtemps, est prisonnier !… L’Ogre ainsi délivré, punira les Tueurs qui ont contribué à l’emprisonner… »

Cette réponse fut donnée devant le conseil des chefs et l’assemblée de toute la nation.

Chacun se regarda avec inquiétude… Qui donc, parmi leurs fils, serait assez valeureux pour risquer les périls de cette expédition, afin de sauver sa tribu ?

Au bout de quelques minutes un jeune garçon s’avança… Il s’appelait Puckeshinwak ; c’était un brave enfant de quinze ans, orphelin depuis longtemps. Il était franc et intrépide. Sa figure ouverte et souriante le faisait aimer de sa nation. On avait raccourci son grand nom, et à cause de son sourire si engageant on l’appelait Shinwah (celui qui rit).

— « J’irai, moi ! » dit-il ; je saurai bien la trouver la fameuse clef d’or ! Je vais délivrer l’Ogre des Grands Rochers et lui demander secours. »

Personne ne s’objectant, on lui confia la dangereuse mission.

Il partit dès le lendemain matin, armé d’un arc et d’un carquois plein de flèches, un tomahawk, tout neuf à sa ceinture et un paquet de vivres sur le dos.

Toute la tribu était sur pieds pour voir le départ de ce jeune brave et chacun lui disait des paroles de bénédiction et lui exprimait des souhaits de succès, auxquels Shinwah répondait en souriant.

Les chefs, fiers de ce vaillant fils de leur tribu, étaient cependant chagrins de le voir partir pour affronter tant de dangers, mais ils n’avaient pas voulu empêcher son départ, à cause du péril qui menaçait la nation.

Shinwah partit à grands pas et marcha longtemps. Après plusieurs milles à travers les plaines et les forêts, la faim et un peu la fatigue se firent sentir. Il s’installa bien à son aise sous un grand pin, prit de la nourriture pour se reposer et se coucha sur la mousse qui recouvrait le sol au pied de l’arbre… lorsque tout-à-coup il entendit des voix qui semblaient très rapprochées :

— « Je te dis que je ne veux pas qu’on lui donne sa liberté ! Il détruirait la nation des Tueurs », dit une voix flûtée, « ceux-ci m’ont promis des vivres et des fourrures ! »

— « Et moi, je te dis », riposta une autre voix presque semblable, « que je veux le délivrer. Il y a une petite personne mi-Fée mi-Indienne qui est là prisonnière aussi et elle ne peut être délivrée sans qu’il le soit en même temps ! »

— « Tu ne pourras pas trouver la clef de la caverne ! » ricana la première voix.

— « Je sais qu’il me faudra d’abord trouver l’orme enchanté au tronc creux », reprit l’autre, « mais j’en viendrai bien à bout, avec de la patience ! »

— « Comment pourras-tu le trouver cet arbre ? Tu n’as pas la branche magique… c’est moi qui l’ai, ici, à ma ceinture ! »

— « Attends ! fit l’autre avec un cri de colère, « je vais te l’arracher cette branche ! »…

Shinwah se glissa sans bruit à travers la muraille de branches et de l’autre côté, il aperçut deux nains luttant avec rage pour la possession d’une petite branche d’orme.

Le combat durait depuis quelques minutes lorsque les deux lutteurs s’affaissèrent sur le sol…

Shinwah accourut… l’un était mort, l’autre grièvement blessé à la tête.

Le jeune homme souleva ce dernier et ses bras vigoureux le portèrent un peu plus loin, auprès d’une source d’eau.

Il coucha le nain par terre, lava ses blessures avec l’eau froide de la source et lui banda la tête avec des feuilles et des lianes pour arrêter le sang qui coulait avec abondance.

Il lui donna à boire et lui arrangea un lit de branches ; toute la nuit il le veilla et chercha à le ranimer…

Peu après le lever du soleil, le nain ouvrit les yeux :

— « Ça va mieux ? » demanda Shinwah en souriant.

— « Jeune homme », dit le nain d’une voix
« Il vit deux petits nains luttant avec rage… »
faible, » tu as été bon et dévoué. Je ne serai jamais mieux, je vais mourir, mais toi, jeune et fort, il faut me promettre de remplir une mission. Prends cette branche magique que j’ai arrachée à mon ennemi, va délivrer la petite fée-princesse, Poko, qui est prisonnière avec l’Ogre des Grands Rochers… autrefois elle a été bonne pour moi et je veux la secourir ! »

— « Comment cette petite branche peut-elle me servir ? »

— « Place-la sur ta poitrine. Lorsque tu passeras vers l’orme enchanté, elle s’élancera d’elle-même vers cet arbre et s’y fixera !… »

À peine finissait-il ces mots qu’il devint froid et immobile… il était mort…

Shinwah prit la branche que tenait la petite main crispée du nain, il prit aussi un collier de pierres plates qui pendait à sa ceinture, puis il couvrit le pauvre petit homme de rameaux et de feuilles et reprit sa route vers les grands rochers.

Il voyagea pendant quelques jours, ne s’arrêtant que pour manger et dormir. La branche magique placée sur sa poitrine n’avait pas bougé. Le collier de pierre, suspendu à sa ceinture, risquait souvent de tomber ; craignant de le perdre, Shinwah le mit autour de son cou… au même moment, il se sentit enlevé dans l’espace et emporté dans l’air comme s’il avait des ailes… !

— « Quel bonheur ! » se dit-il, « est-ce le collier du nain qui m’emporte ainsi ? Je vais l’enlever pour voir… »

Il ôta le collier… Bang !… il se retrouva par terre avant d’avoir eu le temps d’y penser !  !

— « Je vais prendre de la nourriture, puis m’envoler de nouveau ! » se dit-il.

Pendant qu’il prenait son repas, il vit un oiseau de proie qui s’envolait, tenant quelque chose dans ses serres :

— « Un petit oiseau, sans doute », se dit Shinwah.

Il prit son arc et d’une main sûre lança une flèche… Une autre… puis une troisième qui atteignit enfin le faucon…

En tombant, il lâcha sa proie, un jeune corbeau qui vola vers Shinwah avec des croassements joyeux, comme s’il disait :

— « Tu m’as sauvé ! Merci ! Merci ! »

— « C’est bon, c’est bon, Plume-Noire ! Envole-toi maintenant, je vais m’envoler moi aussi ! As-tu envie de venir avec moi ? »

À sa grande surprise, après qu’il eut remis le collier et repris sa course aérienne, il vit que Plume-Noire s’était perché sur son épaule et semblait vouloir y rester.

Après deux journées de ce vol rapide à travers l’espace, Shinwah s’aperçut qu’il était en vue des wigwams des Tueurs.

Ôtant le collier, il atterrit en arrière des grands arbres qui entouraient leur établissement.

Il prit de la nourriture, en donna à son petit compagnon et partit ensuite pour explorer un peu les alentours. Mais tout-à-coup, une dizaine de Tueurs, cachés dans les branches, tombèrent sur le jeune Algonquin et le firent prisonnier !  !

Le collier merveilleux était à sa ceinture, mais il avait les mains liés derrière le dos et était impuissant à l’atteindre.

À l’arrivée des Tueurs, Plume-Noire s’était envolé…

On fit entrer le prisonnier dans le village et les cris de triomphe de ceux qui l’avaient capturé, amenèrent bientôt la tribu entière. Avec des hurlements de joie ils se préparèrent à le torturer, puis à le cuire et le manger.

Ils le lièrent solidement, avec des bandes de cuir, à un poteau planté en terre, puis ils dansèrent des rondes autour de lui en criant : « Anka ! Anka ! » c’est-à-dire « Tue ! Tue ! »…

Le pauvre enfant sentit son courage faiblir… à ce moment il aperçut le corbeau qui tournoyait dans l’air au-dessus de sa tête…

Les Indiens sont superstitieux et ne veulent jamais tuer un corbeau avec leurs flèches, craignant d’attirer des mauvais sorts. Plume-Noire s’abattit tout-à-coup, saisit dans son bec le collier de pierres et s’éleva de nouveau dans l’air… Puis, planant au-dessus de la tête du prisonnier, il laissa choir le collier qui tomba juste autour du cou de Shinwah !

Aussitôt, les solides courroies qui le ligotaient se rompirent. Il s’envola dans l’espace et fut bientôt hors d’atteinte, tandis que les Tueurs, ahuris et furieux, regardaient vainement dans l’air, dans l’espoir de voir retomber leur proie !  !…

— « Tu m’as sauvé, Plume-Noire, sans toi j’étais fini ! » dit Shinwah… mais Plume-Noire n’était plus là, il s’était de nouveau envolé…

Après quelques heures de cet étonnant voyage aérien, il commença à songer à redescendre à terre, lorsque tout-à-coup la branche magique partit d’elle-même, siffla dans l’espace et s’implanta sur le tronc d’un gros orme, où elle se fixa solidement !…

— « L’arbre enchanté ! » s’écria avec bonheur le jeune Indien, et ôtant le collier, il se laissa tomber sur le sol.

Il s’approcha de l’arbre et frappa doucement le tronc avec le manche de son tomahawk… à un certain endroit il perçut un son étrange et résonnant… il coupa l’écorce… Oh merveille ! une grande clef d’or était suspendue à l’intérieur.

Shinwah s’en empara avec joie. En se retournant, il vit qu’il était à proximité d’un immense rocher. C’était peut-être l’extérieur de la caverne ?

Tout en cherchant l’entrée il examina la position de ce roc gigantesque et il vit que c’était le sommet d’une falaise d’une hauteur extraordinaire, dominant la rivière.

Il trouva enfin une porte, devant laquelle deux énormes blocs de granit semblaient vouloir se rejoindre… Il eut juste la place de passer sa main pour placer la clef dans la serrure. Elle tourna… une fois… deux fois et avec un bruit de tonnerre la porte s’ouvrit, les rochers qui en masquaient l’entrée s’écartèrent et un géant parut… D’une voix de la force d’un cyclone il cria :

— « Salut à qui vient délivrer Niagara et la Princesse Poko, sa pupille !! »

Shinwah vit alors s’approcher une jeune Indienne, très belle mais toute petite. Elle avait les yeux brillants et les cheveux noirs et portait une tunique à multiples couleurs.

Elle s’élança vers Shinwah et se jeta dans ses bras en s’écriant :

— « Tu es un grand chef ! Tu as brisé le mur de notre prison !! »

Le jeune Algonquin passa quelques jours dans la caverne du géant et raconta tous les méfaits des Tueurs. Le géant entra dans une colère terrible et s’écria :

— « Ils seront punis comme ils le méritent ! Tu vas amener Poko avec toi et elle fera désormais partie de ton peuple. Tu vas partir et ton voyage ne sera pas avancé lorsque viendra le châtiment ! Je suis Niagara, le Génie-Roi des Eaux Profondes qu’une sorcière de la tribu des Tueurs avait transformé en ogre. Son maléfice est conjuré maintenant et je vais reprendre mon pouvoir.

Pars tout de suite avec Poko, et ne t’arrête pas avant d’avoir atteint les petites îles que tu vois, là-bas, dans la rivière à nos pieds ! Et lorsque tous deux vous entendrez le fracas de la chute des grandes eaux ce sera pour toujours… leur grondement sera éternel… et tu pourras, jeune homme, retourner dans ton pays et dire à ta nation qu’ils n’auront plus jamais rien à souffrir de la tribu des Tueurs ! »

Shinwah prit Poko dans ses bras, passa à son cou le collier de pierres plates et tous deux ensemble s’envolèrent vers les îles que le Géant leur avait désignées.

Au bout de peu de temps ils atterrirent. Regardant l’emplacement de la caverne le jeune Indien vit qu’elle projetait juste au-dessus des établissements des Tueurs.

Tout-à-coup la terre trembla. De la caverne venait un bruit comme un mugissement terrible et un torrent d’eau se mit à tomber sur les wigwams, tombant toujours, flot continu, impitoyable, avec une force toujours croissante, si bien, qu’en peu de temps, là où il y avait auparavant un village indien il n’y eut plus qu’une immense chute où s’engouffraient sans répit des torrents d’eaux écumantes. À peu de distance, là où les Tueurs avaient placé en demi-cercle les wigwams de leur village, les eaux torrentielles se mirent aussi bientôt à tomber… sans arrêt, sans pitié, et en peu de temps là aussi, il n’y eut plus qu’une chute mugissante dessinant autour de la falaise la forme d’un fer à cheval gigantesque.

La tribu des Tueurs n’existait plus… leurs wigwams étaient engloutis… tout avait disparu… et il ne restait à cet endroit que deux formidables cataractes, précipitant dans la rivière leurs eaux puissantes chargées d’écume. Niagara, le Génie-Roi des Eaux Profondes avait acquis un nouveau pouvoir et le peuple Algonquin était pour toujours délivré de ses terribles ennemis.

Shinwah fut bientôt de retour dans sa nation.

On le reçut avec tous les honneurs décernés aux braves. Trois ans après ces événements extraordinaires, il devint chef de sa tribu et épousa la petite princesse Poko.

Il eut de nombreux descendants, parmi lesquels, bien longtemps plus tard, se trouva l’illustre guerrier de cette race, le fier et intrépide Tecumseh.


« Il aperçut une jeune femme drapée dans une tunique d’azur… »

LA LÉGENDE DE LA MER BLEUE


Marguerite était une petite fille qui habitait la grande ville de Montréal.

Elle était l’unique enfant de parents riches, qui lui donnaient tous les avantages et les plaisirs que permet la fortune.

Elle était frêle et délicate, pleine de cœur, intelligente et très enthousiaste.

Marguerite avait douze ans, lorsque ses parents l’amenèrent avec eux en France, et, pendant qu’ils voyageaient dans les différents autres pays de l’Europe, ils l’avaient laissée dans un couvent à Cannes, sur les bords de la Méditerranée.

Là, Marguerite fit la connaissance de charmantes petites Françaises, elle apprit à se perfectionner dans la belle langue de sa Province, la même, sauf l’accent, que celle de ses nouvelles petites amies, et elle se prit d’un bel enthousiasme pour cette merveilleuse mer de Cannes, dont le bleu intense la ravissait.

Peu de temps après le retour de la famille au Canada, au printemps, Marguerite fut gravement malade. Après sa convalescence, elle restait un peu languissante et le médecin conseilla de la conduire, lorsque viendrait l’été, passer un mois ou deux sur la côte de Gaspé, où l’air salin est si bon et si vivifiant.

Alors, dès la mi-juin, elle arrivait avec sa mère dans un petit village de cette région.

En peu de semaines elle reprit complètement ses forces ; elle aimait à courir sur la grève, ramassant les jolis coquillages, dont elle se faisait une collection.

Elle avait aussi du plaisir à causer avec les pêcheurs qui l’amenaient parfois, pour de courtes promenades, dans leurs barques.

L’un d’eux, surtout, était son ami. C’était un vieux bonhomme à barbe blanche, mi-Français, mi-Italien, qui, tout enfant, avait habité Cannes, mais dont la famille avait émigré au Canada depuis plus de cinquante ans.

Quelques jours avant la date fixée pour le retour à Montréal, Marguerite était sur la grève à regarder le coucher du soleil. C’était un spectacle merveilleux ! La journée avait été chaude et le soleil était d’un rouge de feu. Ses rayons ardents teignaient de rose les rochers du rivage, les eaux du fleuve et les voiles des chaloupes.

Apercevant Pedro, occupé près de sa barque, Marguerite courut le trouver.

— « Quel feu de bengale, hein Pedro ! Le soleil est-il assez beau ce soir ? et la mer ! Comme elle est belle ! Mais, dis donc, Pedro, pourquoi l’eau, ici, n’est-elle pas bleue comme à Cannes ? Tu connais Cannes, toi, tu y as vécu. »

— « À Cannes ?… Ah ! oui… mais ça c’est par rapport à la Fée… »

— « Quelle Fée ? »

— « C’est une longue histoire, petite Mam-zelle… »

— « Raconte-la moi, veux-tu, Pedro ? Je me tiendrai sagement assise ici, près de toi, car j’ai une envie folle de connaître cette histoire ! »

Pedro s’assit sur le bord de sa barque, hésita un peu, puis, d’une voix mystérieuse et lointaine, il commença son récit :

« Il y avait autrefois, il y a plusieurs fois cent ans, alors que la ville de Cannes n’était qu’une forêt, et qu’on y voyait des sorciers, des nains et des fées, un superbe château, à l’endroit même où l’on voit maintenant la vieille tour qui longe la chapelle de Notre-Dame de l’Espérance. Parmi les habitants de ce château, il y avait un jeune page, élégant et joli, qui aimait la mer, les oiseaux, la verdure et les fleurs, mais dont le cœur n’avait jamais battu pour aucune femme.

« Or, un matin, étant sorti à une heure très matinale, afin de voir lever l’aurore, il aperçut non loin de lui, au bord de la mer, une troupe de nymphes et de génies qui faisaient cortège à une jeune femme drapée dans une tunique d’azur. Sa beauté était radieuse et un diadème de turquoises était posé sur ses cheveux d’or. Le page ne vit qu’elle et tendit les bras vers la vision bleue dans un geste d’admiration. La fée vit le geste et sourit ; et puis elle se retourna vers ses courtisans et leur demanda : — « Qui de vous m’est dévoué jusqu’à la mort ? » Et tous de protester d’un dévouement sans fin… Alors la fée monta sur un rocher élevé et, ôtant sa couronne, elle la lança loin, loin, dans la mer, en s’écriant : « Qui m’aime me rapportera ma couronne ! » Les courtisans se regardèrent immobiles et consternés, car il y avait à cet endroit, disait-on, un gouffre dont on n’avait jamais pu sonder la profondeur. Mais le page avait entendu ! N’écoutant que son courage, il se précipita à la mer, nagea, plongea et finalement vint tomber épuisé sur la plage, tenant dans sa main la parure de la fée… Mais ses forces l’abandonnèrent et il perdit connaissance…

« Lorsqu’il ouvrit les yeux, la fée était agenouillée à ses côtés, épiant son retour à la vie, tandis que, tout penauds, les courtisans attendaient son bon plaisir. « Ô Fée, je t’adore ! » fit le page à demi-voix. — « Beau Page, si valeureux, que te donnerai-je en retour de ma couronne de pierres bleues ? » — « Ô Fée ravissante, fais-toi mortelle, pour que je puisse t’appartenir ! » Sa voix était si douce et si enjôleuse que la fée l’aima. Elle le fit lever et, se tenant à ses côtés, elle appela sa cour et leur parla ainsi : « Courtisans timides et sans valeur, voici que je vous quitte pour toujours. À ce ciel, à cette mer, témoins du courage de celui que j’aime, je lègue à jamais le bleu de ma tunique enchantée. Dès que le soleil paraîtra à l’horizon, que ce ciel devienne plus bleu que celui des autres cieux, et que les eaux de cette mer qui ont failli engloutir mon bien aimé reflètent à jamais cet azur ! Mais, vous, infidèles, je vous condamne à devenir des mouettes aux ailes grises, et toujours vous sillonnerez cette plage, témoin de votre infidélité. »… Et, enlaçant le bras de son page, elle s’enfuit rapidement avec lui…

« Les courtisans étaient disparus… et une nuée de mouettes s’envolaient vers la mer…

« Et voilà pourquoi, conclut le vieux conteur, la mer à Cannes est si bleue… c’est rapport à fée. »

— « Et le page ? » questionna Marguerite.

— « Le page disparut pour toujours, » fit sentencieusement le vieillard, « on ne retrouva jamais ses traces, car il était parti vers un pays enchanté avec la Fée Bleue dont il avait gagné le cœur. »


Le Sault-Montmorency.Les marches naturelles.

LE GÉANT DES MARCHES DE PIERRE


Vers l’an 1637, alors que Québec n’était pas encore une ville, mais un établissement entouré de grandes forêts, une famille huronne habitait un wigwam aux environs de la belle cataracte que nous appelons « Sault Montmorency ».

Un des membres de cette famille était un vieillard appelé Ahatsiskari, que l’on disait presque centenaire. Ses cheveux, un peu longs et d’un blanc de neige, faisaient ressortir la teinte cuivrée de sa figure sillonnée de rides, et marquée d’un étrange tatouage. Des yeux noirs et perçants lui gardaient une expression d’intelligence, presque de vivacité.

On le voyait souvent, assis devant la petite cabane, fumant sa longue pipe, et, de ses doigts encore agiles, confectionnant des raquettes, des arcs et des flèches.

À cette époque, il y avait plusieurs familles françaises établies à Québec et dans ses environs ; parmi ces colons, il y avait les Daniel qui habitaient non loin de chez Ahatsiskari. La famille n’était pas nombreuse ; le père, un brave ouvrier et laboureur, la mère, une Normande des environs de Cherbourg et le fils, Jean, un charmant gamin d’une douzaine d’années.

Jean aimait beaucoup à explorer les environs de la maison paternelle et il avait du plaisir à jouer avec les petits Indiens des alentours. Il était très lié avec les petits-fils du vieux Huron ; il parlait déjà assez bien leur langue et les comprenait parfaitement.

Jean Daniel aimait aussi le vieux faiseur de raquettes. Il allait souvent lui parler et se faisait raconter des histoires de guerre et d’aventures et aussi des légendes de sorciers, de nains et de fées.

Un jour que Jean et les petits Indiens avaient joué pendant une bonne partie de la journée aux environs de la grande chute, ils se rendirent, en longeant la falaise, jusqu’à un endroit, où il y avait des marches qui semblaient taillées dans le roc. Plusieurs fois ils escaladèrent ces larges degrés de pierre, puis, reprirent le chemin de leurs demeures.

— « Dites-donc, vous autres », dit Jean à ses compagnons, « qui les a faites ces grandes marches où nous venons de jouer ? »

— « Je n’en sais rien », répondit l’un d’eux, « mais demandons-le à grand’père ; il le saura bien sûr ! »

Au retour, les enfants entourèrent Ahatsiskari et lui demandèrent qui avait fait les marches de pierre. Le vieillard devint pensif et ne répondit pas tout de suite ; au bout de quelques instants, il les regarda en souriant et tirant de longues bouffées de sa pipe, il leur dit :

— « Asseyez-vous près de moi et soyez bien sages, je vais vous raconter l’origine de ces marches… C’est une longue et vieille histoire. Mes petits, écoutez :

« Il y a plusieurs centaines d’années, longtemps avant l’arrivée dans ce pays des Visages Pâles et des Robes Noires, il y avait, dans un petit village rapproché d’ici, un homme du nom de Mistigoït qui était un « Loki », ce qui alors voulait dire un docteur ou un magicien.

« Ce Loki avait de vastes connaissances et passait pour avoir de grands pouvoirs.

« Or il arriva qu’à un certain temps, un fléau étrange vint jeter le désarroi dans le village. Les provisions de vivres disparaissaient mystérieusement, causant une famine dans la population, les haches de guerre, les flèches, les peaux d’ours disparaissaient aussi et une nuit, cinq petits papooses[3] furent enlevés… et aussi la belle petite Niata, fillette de quatorze ans, enfant d’un des chefs de la nation. On ne put trouver aucune trace des disparus !

« Au milieu de la désolation générale, les anciens et les chefs tinrent conseil. Stupéfaits par cette dernière dépradation ils se regardèrent avec effroi. Qui donc était cet ennemi mystérieux qui leur ravissait leurs vivres, leurs armes et jusqu’à leurs enfants ?…

« Ils firent demander Mistigoït pour voir ce qu’il en dirait.

« Il arriva bientôt accompagné de son fils, âgé de quinze ans ; celui-ci portait le même nom que son père, mais on l’appelait le plus souvent Misti.

« Mis au courant, Mistigoït demanda un délai de quelques heures avant de se prononcer…

« Au bout de deux heures de réflexion, il revint avec son fils et leur fit cette étonnante réponse :

— « Le voleur… C’est le géant de la chute !  ! »

« Pressé de s’expliquer, il continua :

— « Au-dessous de la grande chute qui se trouve peu éloignée d’ici, il existe une caverne qui est la demeure d’un géant ! Ce géant est un colosse terrible et malfaisant. Pour le détruire, il faudrait de la ruse, du courage et de l’audace ! C’est aussi un sorcier et si on envoyait une armée pour le prendre, il saurait lui échapper. »

« Les chefs, atterrés par cette nouvelle, ne savaient que décider ; qui donc serait assez brave pour s’attaquer à cet ennemi, et assez rusé et puissant pour le détruire ?…

« Alors le jeune Mistigoït s’avança et leur dit :

— « Donnez-moi des flèches, une arbalète et de la nourriture pour quelque temps, et toi, mon père », dit-il au Loki, « donne-moi une amulette pour me garder du danger et je jure de détruire le géant et de délivrer ma petite compagne Niata des mains de son ravisseur ! »

« Ce que les Indiens admirent plus que toute autre chose chez leurs jeunes gens, c’est la bravoure, et Mistigoït était fier de son fils et les chefs voyaient aussi avec orgueil l’audace de ce jeune garçon de leur tribu qui ne craignait pas d’affronter un tel adversaire.

— « Nous te croyons », lui dirent-ils, « et si tu réussis dans ta mission si périlleuse, tu deviendras plus tard un des chefs de notre nation et on te donnera Niata en mariage. »

— « J’accepte ! » dit-il, « mais il faut me laisser agir seul et ne pas chercher à me rejoindre. Nous voici près de la fin de l’été, lorsque tombera la première neige, si Misti n’est pas revenu, c’est qu’il aura été vaincu par le géant ! »

« Peu de jours plus tard, armé comme il le désirait et portant au cou l’amulette paternelle, il partit accompagné des bénédictions de tous les siens.

« Il ne voulut pas prendre son canot et se rendre par le fleuve jusqu’à l’endroit qu’il avait en vue, trouvant plus sage de marcher à travers la forêt et de se cacher le plus possible.

« La distance n’était pas très considérable, environ huit à neuf milles, et vers le soir, il arrivait aux environs de la grande chute.

« Misti comprit qu’il lui faudrait d’abord essayer de découvrir les habitudes du géant, et sachant que ceci lui prendrait du temps, et qu’il lui faudrait user de ruses et d’adresse, il résolut de séjourner quelque temps dans la forêt. Il se fit un petit abri dissimulé dans un bouquet d’arbres, coupa des branches et en couvrit la terre humide. Dans cette cache il plaça ses provisions et une partie de ses flèches, puis, satisfait que son installation le cacherait à tous les yeux, il s’étendit sur son lit de sapin et couvert avec une peau de bête qu’il avait apportée, il dormit profondément jusqu’au matin.

« Dès le jour, il fut debout, et après avoir pris de la nourriture, il s’en alla vers la chute, voulant bien examiner les alentours et voir s’il pourrait y découvrir quelque trace de la demeure du géant. Arrivé au pied de la chute, il regarda avec attention autour de lui… il ne vit que la haute muraille du rocher qui encadrait la belle cataracte.

« Dans ces temps-là, mes gas », continua le vieux Huron, « l’entourage de la chute n’était pas comme aujourd’hui. C’était alors une falaise à pic, raide, terriblement haute et longue de plusieurs milles, et n’offrant aucun endroit possible pour l’escalader. Misti aperçut cependant, près du sol, à droite de la chute, une fissure dans le roc. Il se proposa de venir l’examiner, mais, sachant qu’il ne faudrait pas s’y aventurer en plein jour, il retourna vers la forêt.

« Chemin faisant, il vit deux petits garçons grimpés dans un arbre et en frais de s’emparer d’une couvée de petits merles, tandis que la pauvre merluche voletait de branche en branche poussant des cris aigus… Misti, saisissant les gamins par les jambes les descendit de l’arbre :

— « Oust ! Allez-vous en ! Ces petits ont droit de vivre ! Faut pas les dénicher ! Ce n’est pas comme ça que vous deviendrez des braves ! Allons sauvez-vous !  ! »… et les gamins s’enfuirent à toutes jambes…

« La merluche regagna son nid, et Misti, en la regardant, crut voir tomber quelque chose de son bec. Il chercha au pied de l’arbre et trouva une petite branche sèche, jaune et vide comme un tube.

— « Un sifflet ! se dit-il, et le portant à ses lèvres il souffla dedans… un sifflement aigu retentit, et une bande de merles arriva à tire d’ailes… les oiseaux, volaient bas autour de Misti et semblaient attendre ses ordres…

— « Allô ! » fit-il surpris, « vous êtes accourus au son de mon sifflet ? Merci ! Bonjour ! Quand je voudrai vous revoir, je sifflerai ! »… et de la main il salua la troupe de merles qui s’envola parmi les branches.

— « Quel étrange sifflet ! » se dit-il, « je vais le garder tout de même… »

« La journée se passa sans autre incident et vers le soir, il retourna aux environs de la chute. Sitôt qu’il fit un peu sombre il chercha à se rapprocher de la fissure qu’il avait aperçue le matin, mais au moment de s’avancer sur le bord de la baie formée au pied de la chute et où se précipitent les eaux écumantes, il entendit, malgré le grondement de la cataracte, un bruit de pierres entrechoquées, de terre tombante et de pas sonores, et il avait eu juste le temps de se tapir derrière un petit sapin, lorsqu’il vit passer le géant ! Sa haute taille était un peu courbée, il était vêtu d’une peau d’ours ; ses longues jambes et ses bras énormes étaient noirs comme la nuit, comme aussi sa figure, où luisaient des yeux petits et rouges comme des tisons

— « Quel monstre ! » se dit Misti avec un frisson involontaire, « je me demande comment il peut passer si souvent parmi notre monde et ne pas être vu ! »

« Après avoir attendu quelques minutes, et ne voyant pas revenir le géant, il retourna vers la falaise, longea le rivage de la baie, et, quoique trempé par l’embrun de la chute, il réussit à pénétrer dans la fissure qui était beaucoup plus large à l’intérieur qu’il ne l’avait cru d’abord.

« L’obscurité grandissante l’obligea de se hâter. Il rebroussa chemin et regagna son abri, bien décidé à poursuivre ses recherches dès le lendemain.

« Trois jours se passèrent sans pouvoir approcher de l’endroit recherché. Le géant ne sortait pas… alors, inutile d’essayer d’explorer son domaine…

« Le matin du quatrième jour, le soleil se leva radieux. Misti, joyeux de la belle journée, se mit à marcher dans le bois, respirant à pleins poumons cet air matinal, si pur et si frais. Tout à coup, il lui sembla entendre des cris… Il s’arrêta pour écouter… Distinctement il entendit ces mots : « Aché ! Aché ! »… « C’était ainsi », expliqua Ahatsiskari, « que l’on parlait aux chiens, lorsque ceux-ci devenaient furieux et voulaient mordre. »

« Misti vit un vieil Indien aux prises avec deux énormes chiens qui paraissaient enragés. Saisissant un gros bâton, il tomba sur les chiens à tours de bras, si bien qu’ils s’enfuirent en hurlant, laissant le pauvre Indien affaissé par terre, cruellement blessé par leurs morsures.

« Misti le releva et, dans ses bras déjà forts et musclés, il le porta jusqu’à son abri. Il lava et pansa ses blessures et le laissa se reposer sur son lit de sapin. Lorsque l’étranger fut un peu remis et qu’il s’apprêtait à partir, il dit.

— « Brave jeune cœur, que puis-je faire pour te récompenser ? »

— « Tu peux me garder le secret », dit Misti, et ne jamais révéler l’endroit de ma cache dans le bois ! »

« — Je te le promets », dit l’Indien, « Je suis Montagnais, et je n’ai jamais manqué à ma parole. Je ne puis te faire de riches présents, mais je veux te donner cette petite lame. Elle ne peut servir de défense contre les humains, mais elle a une vertu spéciale : c’est de pouvoir couper à volonté les pierres et les rochers et leur donner les formes désirées. Cependant, elle ne peut servir que pour deux entreprises, alors, conserve-la, mon brave, pour quand tu en auras le plus besoin. Je pars maintenant, que le Grand Manitou te protège ! »

« Après le départ du Montagnais, Misti examina la petite lame ; plus courte qu’un tomahawk, elle paraissait faite d’un fragment de pierre au bord aiguisé. Il passa à sa ceinture cette arme nouvelle, se demandant comment il pourrait s’en servir.

« Le soir venu, et muni cette fois d’une mèche improvisée qu’il savait pouvoir allumer à l’aide de deux pierres, il reprit son poste d’observation, dissimulé derrière un bouquet d’arbustes.

« Cette fois il ne fut pas déçu ; le géant sortit et s’en alla par le même chemin qu’auparavant.

« Misti longea la falaise au bord de la baie et se glissa jusqu’à la fissure. Il parvint à allumer la mèche et cette faible lueur lui permit de voir un peu autour de lui… Partout, c’était la même muraille de pierre, sans aucune ouverture ; il lui sembla, cependant, qu’à un certain endroit, le gris de la muraille était plus sombre et il vit qu’il y avait une raie blanchâtre le long de cette partie du roc. L’idée lui vint de voir ce que ferait à ce mur la lame du Montagnais ; il la passa doucement le long de la raie blanche… À ce contact, un grincement se fit entendre…

« Allons ! » dit Misti, « coupe-moi vite une ouverture pour que je puisse voir si c’est bien là qu’est la caverne du géant ! »

« Crac… crac… crac… les morceaux de pierre tombaient rapidement et en peu d’instants une assez grande ouverture fut faite…

« Misti passa la tête et regarda… Il vit une caverne profonde éclairée d’une lumière étrange et comme incandescente… Tout-à-coup, il aperçut, blottie dans un coin, la jeune disparue !
« Blottie dans un coin, la jeune disparue… »

— « Niata ! » cria-t-il.

« La jeune fille poussa un cri de joie :

— « Misti ! Misti ! Je reconnais ta voix ! Où es-tu ? »

— « Ici, tout près ; je viens te délivrer… le Géant sera-t-il longtemps absent ? »

— « Oui, il ne rentre qu’au petit jour ! »

— « Et nous aussi, il va nous falloir attendre la lumière pour partir, ma mèche est au moment de s’éteindre… mais je veux te sortir de là tout de suite ! Viens ! Je vais te hisser par l’ouverture ! »

— « Mais les bébés… »

— « Les bébés ? »

— « Oui, les papooses… il va falloir les sauver eux aussi, ceux qu’il a volés !… »

— « Donne-les-vite ! »

« Un… deux… trois… quatre… cinq… et les poupons furent sortis !

— « Toi, maintenant, vite, Niata, viens ! »

« Misti saisit les mains de Niata, ses bras vigoureux la soulevèrent et il réussit à la sortir de la caverne.

« Ils durent rester plusieurs heures blottis dans le passage de pierre. Enfin, un mince filet de lumière annonça le jour.

— « Le géant revient-il toujours par le même chemin ? » demanda Misti.

— « Pas toujours. Le plus souvent il rentre par cette ouverture que tu vois dans le haut de la caverne et qui communique avec un passage secret de presque deux milles de longueur ; au bout de ce passage il y a une ouverture, et il passe par là. Pour descendre ça ne va pas mal, mais pour monter, c’est bien plus long ! »

« — C’est la chute qui fait tout le temps ce grondement de tonnerre ? »

« — Oui ! Entre ce bruit et la voix du géant, j’ai été presque folle !… Mais, écoute !  !… Misti, Misti ! Malheur ! C’est lui !… »

« C’était bien le géant qui revenait, traînant à sa suite, deux grosses poches remplies de choses volées aux paisibles villageois. À l’aide d’une espèce d’échelle, il descendit jusque dans la caverne et d’une voix formidable, il cria :

— « Niata ! où es-tu ? »

« Niata, pelotonnée derrière Misti, tremblait de peur mais ne bougea pas.

« Le géant fit le tour de la caverne et s’apercevant que la prisonnière et les bébés volés n’étaient plus là, il entra dans une rage terrible. Tout-à-coup, il vit l’ouverture dans la muraille et chercha à sortir par là, mais il ne pouvait passer, il était trop gros ! Il essaya alors de sortir par son issue ordinaire, qui, presqu’invisible du dehors, lui permettait cependant de sortir de la caverne, mais les blocs de rocher en tombant sous la lame de Misti, en avaient muré la sortie…

« Songeant aux méfaits de ce monstre, Misti, avec un cri de colère, se mit à lui lancer des flèches, dont une seule l’atteignit…

— « Poltron ! Lâche ! Ver de terre ! » invectivait le géant, « tu me braves parce que je ne puis passer ! Mais attends ! Je vais te rejoindre… de mes deux mains je vais te tordre le cou ! » et il s’élança vers l’échelle pour remonter par le haut de la caverne !

— « Vite, Niata, prends ces bébés », dit Misti, et sauve-toi au bord du bois ! Oh ! Si je pouvais escalader la falaise ! »

— « C’est plus loin qu’il te faudrait pouvoir faire cela, pour le rejoindre quand il sortira ! »

Niata saisit les bébés à pleins bras :

— « Courage, Misti ! » lui cria-t-elle, en partant, tenant bien serré la brassée de papooses, le géant aura bien de la peine à remonter, ça va te donner du temps ! Et tu seras victorieux, je le sens, tu es si brave ! »…

« Misti sortit rapidement à sa suite et s’éloigna un peu de la chute.

« Presque deux milles », avait dit Niata… Misti se mit à courir le long du rivage… Pendans près d’une demi-heure il courut ainsi, puis il s’arrêta pour respirer un peu et regarda avec désespoir cette falaise à pic, partout la même, droite, haute, inaccessible… Une idée lui vint… « Ma lame ! » se dit-il… Et saisissant la précieuse petite arme il en frappa le rocher…

— « Des marches ! » cria-t-il, des grandes marches pour arriver jusque là-haut ! »

À chaque coup, une grande marche se formait, si bien qu’en peu de temps il arriva au sommet !… Au même moment, le géant, émergeait par l’ouverture du passage secret !

« Celui-ci l’aperçut et poussant un rugissement de colère, se mit à le poursuivre… Misti saisit le petit sifflet de bois et se mit à souffler dedans de toutes ses forces… À l’instant les merles arrivèrent en bande, s’abattirent sur le géant et se mirent à le piquer à coups de bec, l’empêchant d’avancer… les oiseaux le blessèrent aux mains, à la figure et enfin lui crevèrent les deux yeux… La merluche avait payé sa dette.

« Le géant, devenu impuissant, se retourna vainement de côté et d’autre, hurlant de douleur et de rage ! Sans s’occuper des cris de Misti, il marcha vers la falaise, tomba, et s’engloutit dans le gouffre !…

« Misti rejoignit Niata et la ramena avec les bébés jusqu’au village. En route, il lui demanda :

— « Comment se fait-il que personne au village ne voyait le géant lorsqu’il venait voler ? »

— « C’est parce qu’il était un sorcier malfaisant, » répondit-elle, « et avait un talisman qui le rendait invisible, mais dont il ne pouvait se servir qu’à une certaine distance de la caverne. »

— « As-tu eu beaucoup à souffrir de sa part ? »

— « Pas trop, il voulait faire de moi son épouse, et il gardait les papooses pour le festin des noces ! ajouta-t-elle avec un frisson d’horreur…

« Misti fut reçu en triomphe dans son village. Quelques années après il épousa Niata et devint un des chefs de sa tribu.

« L’amulette que lui avait donnée son père ne le quittait jamais et, plus tard, elle se transmit, dans sa famille, de père en fils. Il fut un des ancêtres du Laki, Mistigoït, qui accompagne actuellement la Robe Noire dans ses missions et qui se dit l’ami des Français.

— « Et voilà pourquoi, mes gas », conclut le vieil Indien, « il a, à une certaine distance de la chute, de grandes marches de pierre… mais la caverne n’existe plus, ni la fissure… le mur s’est reformé ! »

Les enfants furent émerveillés de ce récit aventureux et ils en gardèrent longtemps le souvenir.

Le petit Jean Daniel raconta la chose à un ami de Québec et on dit que la légende arriva jusqu’aux oreilles de Monsieur de Montmagny, alors Gouverneur de la Nouvelle-France, et qu’il fut très intéressé dans les exploits de Misti.

Ces marches, auxquelles on donna plus tard le nom de « marches naturelles » existent encore aujourd’hui, mais depuis quelques années elles sont à peu près inaccessibles et pendant bien des mois on ne peut les voir du tout. Une écluse moderne en est cause, elles sont complètement submergées, sauf vers la fin de l’été.

Mais la beauté majestueuse de la grande chute reste la même à travers les siècles et recouvre à jamais la caverne, demeure secrète de celui que les Hurons de ce pays appelaient toujours le terrible Géant des Marches de Pierre.

FIN.
  1. Bébés Indiens
  2. Sorel, aujourd’hui.
  3. Papoose — bébé Indien