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Félicia/II/26

La bibliothèque libre.
Félicia ou Mes Fredaines (1778)
Bibliothèque des curieux (p. 144-147).
Deuxième partie


CHAPITRE XXVI


Suite du précédent. — Aveu de Mme Dupré. — Raccommodement.


Ainsi parla Sylvina : « Je vous avoue, tout net, ma chère dame Dupré, que si je ne donne pas raison au chevalier d’après ce qu’il vient de raconter, cela ne m’empêche pas de désapprouver beaucoup la manière dont vous vous êtes conduite vous-même. Au fond, il n’y a de grave, dans toute votre affaire, que les cris qui vous ont mal à propos échappé. Qu’en espériez-vous ? des secours ? De qui ? des femmes ? qu’auraient-elles pu ? De nos jeunes insensés ? loin de se mêler de réparer les torts du chevalier, ils ne songeaient au contraire qu’à en avoir eux-mêmes d’aussi grands. Comptiez-vous sur Lambert ? il eût été cruel de mettre pour un badinage votre amant et votre ami dans le cas de s’égorger. Quant à votre réputation, si c’était pour elle que vous craigniez, soyez sûre que vous vous compromettiez mille fois plus, en donnant, comme vous l’avez fait, à soupçonner que vous étiez aux prises avec quelqu’un, ne se fût-il passé rien de sérieux, que vous ne l’eussiez été si vous aviez fait sans bruit et de bonne amitié des folies avec un galant homme, qui n’aurait point été les publier. Vous aimez Lambert : voilà qui est mieux. Ces liaisons de cœur peuvent être fort respectables, mais l’occasion et le tempérament ont leurs droits, que toutes les prétentions du sentiment ne peuvent altérer. D’ailleurs, vous ne devez rien à un homme qui n’est pas encore votre mari : vous serez dans tous les cas un excellent parti pour l’ami Lambert, qui n’a pour tout bien que son mérite et ses talents. C’est à lui seul que vous feriez tort, si par votre faute il venait à savoir ce qui vous est arrivé ; il se trouverait alors réduit à la fâcheuse alternative ou de faire une bassesse, en vous épousant avec une tache avouée de vous-même, ou de renoncer, par une délicatesse mal entendue, au mariage qui doit assurer sa fortune et son bonheur. Votre état de veuve vous dispense de lui apporter en dot le rare joyau d’un pucelage… Vous n’avez, il est vrai, que trop publié que vous étiez dans le cas de faire ce présent à un second mari… — Madame Dupré, interrompit le chevalier, soyez franche, dites la vérité… là… en conscience. (La pauvre dame Dupré, rougit excessivement.) Primo, continua le chevalier, j’avoue que l’homme le plus connaisseur peut se tromper en matière de pucelage. Pourtant… je sens que malgré toute l’envie que j’ai de ménager madame, il me sera difficile de mettre, sans impolitesse, certaine idée au jour… Entre nous, ma charmante dame Dupré, vous le prendrez comme il vous plaira, mais il m’a semblé… et je crois pouvoir assurer en homme d’honneur… — Ah ! j’entends, interrompit Sylvina. Pour le coup, ceci change entièrement de thèse. Mais maintenant rien de plus clair que votre affaire : nous nous alarmions inutilement. Eh bien, tout est dit. Lambert ne saura rien : il épousera ; d’ici à son retour, madame aura fait ses réflexions et sera consolée. Pures misères ! En effet, le chevalier avait raison de le dire. Rendez-lui justice, belle dame. Là, un peu de préjugé ? un peu de sentiments romanesques ? un peu de rouille provinciale ? Voilà d’où viennent vos scrupules. On vous en guérira. Le futur est précisément l’homme qu’il vous faut. Il ne s’agit plus de ce que ce démon-là vous a fait. Vous êtes encore au même point ; et ce n’est plus son escapade qui doit vous embarrasser vis-à-vis de l’ami Lambert…

La jolie veuve, ainsi scrutée, n’avait pas grand’chose à répliquer. Elle se vit forcée de se justifier d’un mensonge inutile, dont nous commencions de la soupçonner, car elle avait en effet voulu se faire passer pour vierge.

— Je suis bien malheureuse, dit-elle, de me voir réduite à vous avouer une grande faute plutôt que de vous laisser penser que je suis une menteuse, une bégueule ; ce qui me rendrait bien plus méprisable à vos yeux qu’une tendre faiblesse. Non, mesdames, je ne songe point à nier ce que le chevalier, par trop connaisseur, vient de donner à entendre. Hélas ! j’en conviens, je n’étais plus hier ce que je me glorifiais d’être quand vous arrivâtes ici. Mais… sachez que c’est M. Lambert… et quand ? l’avant-veille !… Il faut avoir bien du guignon, lui de recevoir si tôt une injure, moi de la lui avoir faite, lorsque j’y songeais si peu.

Les réflexions sentimentales où se jetait la belle affligée nous firent beaucoup rire : le chevalier était redevenu sémillant, caressant ; nous parvînmes à rassurer la dame, et obtînmes qu’elle embrassât sans rancune son aimable ennemi ; celui-ci, rentrant malgré lui, dans son véritable caractère, sut nous apprendre fort adroitement que si l’on avait crié pour la première sottise, les autres n’avaient cependant souffert aucune difficulté ; Mme Dupré convenait de tout, s’excusant sur ce qu’elle avait perdu la tête. Nous savions par expérience combien il était difficile de la conserver avec notre Adonis.

La conversation se fixa sur la matière agitée ; Mme Dupré montrait, par son attention, son sourire et ses questions ingénues, qu’elle avait les plus heureuses dispositions de devenir bientôt une femme de plaisir. Aussi facile à consoler que prompte à s’affliger, elle ne voyait déjà plus dans ce fripon de chevalier, si détestable un quart d’heure auparavant, qu’un homme charmant, avec qui les femmes qu’il attrapait ne pouvaient encore que s’applaudir d’avoir fait de voluptueuses extravagances.