Jupiter et le Passager

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Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 56-58).

XIII.

Jupiter & le Passager.



Ô combien le peril enrichiroit les Dieux,
Si nous nous ſouvenions des vœux qu’il nous fait faire !
Mais le peril paſſé l’on ne ſe ſouvient guere
De ce qu’on a promis aux Cieux ;

On compte ſeulement ce qu’on doit à la terre.
Jupiter, dit l’impie, est un bon creancier :
Il ne ſe ſert jamais d’Huiſſier.
Eh qu’est-ce donc que le tonnerre ?
Comment appellez-vous ces avertiſſemens ?
Un Paſſager pendant l’orage
Avoit voüé cent Bœufs au vainqueur des Titans.
Il n’en avoit pas un : voüer cent Elephans
N’auroit pas coûté davantage.
Il brûla quelques os quand il fut au rivage.
Au nez de Jupiter la fumée en monta.
Sire Jupin, dit-il, pren mon vœu ; le voila :
C’eſt un parfum de Bœuf que ta grandeur reſpire.
La fumée eſt ta part ; je ne te dois plus rien.
Jupiter fit ſemblant de rire :
Mais apres quelques jours le Dieu l’attrapa bien,

Envoyant un ſonge luy dire,
Qu’un tel treſor eſtoit en tel lieu : L’homme au vœu
Courut au treſor comme au feu.
Il trouva des voleurs, & n’ayant dans ſa bourſe
Qu’un écu pour toute reſſource,
Il leur promit cent talens d’or,
Bien comptez & d’un tel treſor.
On l’avoit enterré dedans telle Bourgade.
L’endroit parut ſuſpect aux voleurs ; de façon
Qu’à noſtre prometteur l’un dit : Mon camarade
Tu te moques de nous, meurs, & va chez Pluton
Porter tes cent talens en don.