Les Devineresses
XIV.
Les Devinereſſes.
’eſt ſouvent du hazard que naît l’opinion ;
Et c’eſt l’opinion qui fait toûjours la vogue.
Je pourrois fonder ce prologue
Sur gens de tous eſtats ; tout eſt prévention,
Cabale, enteſtement, point ou peu de juſtice :
C’eſt un torrent ; qu’y faire ? Il faut qu’il ait ſon cours,
Cela fut & ſera toûjours.
Une femme à Paris faiſoit la Pythoniſſe.
On l’alloit conſulter ſur chaque évenement :
Perdoit-on un chifon, avoit-on un amant,
Un mary vivant trop au gré de ſon épouſe,
Une mere fâcheuſe, une femme jalouſe ;
Chez la Devineuſe on couroit,
Pour ſe faire annoncer ce que l’on deſiroit.
Son fait conſiſtoit en adreſſe.
Quelques termes de l’art, beaucoup de hardieſſe,
Du hazard quelquefois, tout cela concouroit :
Tout cela bien ſouvent faiſoit crier miracle.
Enfin, quoy qu’ignorante à vingt & trois carats,
Elle paſſoit pour un oracle.
L’oracle eſtoit logé dedans un galetas.
Là cette femme emplit ſa bourſe,
Et ſans avoir d’autre reſſource,
Gagne de quoy donner un rang à ſon mari :
Elle achete un office, une maiſon auſſi.
Voila le galetas remply
D’une nouvelle hoſteſſe, à qui toute la ville,
Femmes, filles, valets, gros Meſſieurs, tout enfin,
Alloit comme autrefois demander ſon deſtin :
Le galetas devint l’antre de la Sibille.
L’autre femelle avoit achalandé ce lieu.
Cette derniere femme eut beau faire, eut beau dire,
Moi Devine ! on ſe moque ; Eh Meſſieurs, ſçay-je lire ?
Je n’ay jamais appris que ma croix de par-dieu.
Point de raiſon ; fallut deviner & prédire,
Mettre à part force bons ducats,
Et gagner mal-gré ſoy plus que deux Avocats.
Le meuble, & l’équipage aidoient fort à la choſe :
Quatre ſieges boiteux, un manche de balay,
Tout ſentoit ſon ſabat, & ſa metamorphoſe :
Quand cette femme auroit dit vray
Dans une chambre tapiſſée,
On ſ’en ſeroit moqué ; la vogue eſtoit paſſée
Au galetas ; il avoit le credit :
L’autre femme ſe morfondit.
L’enſeigne fait la chalandiſe.
J’ai veu dans le Palais une robe mal-miſe
Gagner gros : les gens l’avoient priſe
Pour maiſtre tel, qui traiſnoit après ſoy
Force écoutans ; Demandez-moy pourquoy.