L’Huître, et les Plaideurs
IX.
L’Huitre, & les Plaideurs.
n jour deux Pelerins ſur le ſable rencontrent
Une Huitre que le flot y venoit d’apporter :
Ils l’avalent des yeux, du doigt ils ſe la montrent ;
À l’égard de la dent il falut conteſter.
L’un ſe baiſſoit déja pour amaſſer la proye ;
L’autre le pouſſe, & dit : Il eſt bon de ſçavoir
Qui de nous en aura la joye.
Celui qui le premier a pû l’appercevoir
En ſera le gobeur ; l’autre le verra faire.
Si par-là l’on juge l’affaire,
Reprit ſon compagnon, j’ay l’œil bon, Dieu mercy.
Je ne l’ay pas mauvais auſſi,
Dit l’autre, & je l’ay veuë avant vous, ſur ma vie.
Et bien, vous l’avez veuë, & moy je l’ay ſentie.
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin fort gravement ouvre l’Huitre, & la gruge,
Nos deux Meſſieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit d’un ton de Preſident :
Tenez, la Cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens, & qu’en paix chacun chez ſoy s’en aille.
Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’huy ;
Comptez ce qu’il en reſte à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin tire l’argent à luy,
Et ne laiſſe aux plaideurs que le ſac & les quilles.