Fables canadiennes/01/Le loup et les deux bassets

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C. Darveau (p. 5-7).

FABLE PREMIÈRE

LE LOUP ET LES DEUX BASSETS

 
Deux bassets, descendant de la même lignée
Et remontant jusqu’aux anciens,
Deux frères, je dirais, s’ils n’avaient été chiens,
Trottinaient le nez bas, la mine rechignée,
À travers bois et champs, pour chasser le blaireau
Et tous ces beaux rongeurs qui font basse-cour nette.


Ils venaient d’en laisser plus d’un sur le carreau,
À plus d’un ils venaient de donner la venette
 Quand ils virent un loup
 Accourir tout à coup.

— Vils bassets, hurlait-il de loin, je me fais gloire
 De vous croquer tous deux
 En deux coups de mâchoire !

— Montrez donc, maître loup, votre museau hideux,
 Répondirent les chiens de chasse,
 En s’élançant avec audace
 Vers l’habitant des bois.

Quand le loup vit les chiens s’élancer à la fois
Il s’arrêta.

 — Songeons, se dit-il, à la force
 Qu’ils trouvent dans leur union,
Et changeons notre plan. Sous une rude écorce
Il vaut mieux sembler doux, c’est notre opinion.

— Je connais ta valeur, elle est incontestable,
 Et j’ai regret de mon emportement —

 Affirme-t-il bientôt, avec serment,
À celui des deux chiens qui paraît plus traitable —
 Mais laisse-moi donner une leçon
 De ma façon
Au malappris qui m’a jeté l’injure ;
 Ce sera court, je te le jure.

Le chien vanté s’éloigne aussitôt quelque peu,
Et l’autre est dévoré malgré tout son courage.

— Maintenant, dit le loup, finissons notre ouvrage ;
 Ce que j’ai fait n’était qu’un jeu,
 Mon ami, ne vous en déplaise.

Et, tombant sur le traître, il l’égorge à son aise.


Ô mes concitoyens qui luttez pour le droit,
 Je voudrais vous faire comprendre
Qu’en restant divisés vous vous ferez surprendre
 Par notre ennemi plus adroit !