Fables canadiennes/04/Le coq et le vieux putois

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C. Darveau (p. 244-247).

FABLE X

LE COQ ET LE VIEUX PUTOIS

 
Un putois qui touchait aux limites de l’âge
 Et qui n’avait plus une dent,
 Mais bon appétit cependant,
Ouït un jeune coq chanter dans un village
 Aux premiers rayons du matin.

— Si j’avais, pensa-t-il, ma vigueur de jeunesse
 Que je ferais un bon festin !

 
Puis il se demanda quelle bonne finesse
 Pourrait, dans le moment,
 Assez facilement
 Remplacer la force perdue.

 — Ce cher coq je le tiens !
 Cria-t-il tout à coup aux siens,
 Et l’affaire n’est pas ardue :
 Vous allez venir, mes petits,
 Je vais vous dire convertis.
 Laissez-moi prendre un peu d’avance,
Le coq ne croira point qu’on est de connivence.
 Je vais lui faire un beau discours,
 Un discours insigne,
 Et, sur un signe,
 Vous me prêterez du secours.

Tous les jeunes putois jurèrent sur leur tête
 Que les poules et les poulets,
 Grassets et maigrelets,
 Seraient l’objet de leur conquête,
Et l’on se mit en route.

 Au village arrivé,
 Le vieux putois, d’un air fort tendre,
Dit au coq qui chantait sur un toit élevé

 De vouloir bien daigner l’entendre
 Ne fut-ce qu’un petit instant,
Et de descendre alors, même tout en chantant.
Le coq savait fort bien que le vieux quadrupède
 Ne pouvait lui faire aucun mal,
Il descendit.

 — Mon cher, dit le fourbe animal,
À nos longs désaccords j’ai trouvé le remède :
On ne vous mange plus, on mange du fretin.
 Si la repentance est tardive
 Le ferme propos est certain ;
Et, pour vous rassurer contre la récidive,
 En putois prudents,
 Nous nous sommes ôtés les dents,
 Regarde !…
Il ne m’en reste plus, et j’en avais pourtant !
 Tous les miens en ont fait autant,
 Et ce sera ta sauvegarde.
Tu vas les voir bientôt ; ils vont venir ici…

 — Ils vont venir ? Merci !
 Ce sera belle fête :
 Je monte sur ce faîte
 Pour les voir arriver.

Il vola d’un coup d’aile au sommet de la grange
Et le putois, confus du dénoûment étrange,
 Se dépêcha de s’esquiver.


Lorsqu’un homme vous fait des promesses trop belles
Pour vous mettre à l’abri rouvrez vite vos ailes.