Fables canadiennes/05/Liberté et fatalité

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C. Darveau (p. 315-316).

FABLE XI

LIBERTÉ ET FATALITÉ

Deux amis discutaient une chose fort grave :
 La liberté ;
L’un disait : On est libre, et l’autre : On est esclave
 De la fatalité.
Le discours s’anima ; l’on en vint aux inj ures
 En guise de raisons.
On se traita de tout : d’ignares, de parjures
 Et d’oisons.
 Le partisan du libre arbitre,

 Pour finir le chapitre,
 En appelant l’autre un mulet,
 Braqua sur lui son pistolet.

— Comment ! tu voudrais donc tuer un camarade,
Au mépris du devoir, au mépris de l’honneur ?
S’écria, stupéfait, le second raisonneur.

— Pourquoi, dit le premier, cette belle tirade
Si je ne suis pas libre et ne puis décider ?
C’est tout en ma faveur que tu viens de plaider ;
 Je ne voulais pas autre chose.
Tu me crois libre : alors, ne crains donc pas que j’ose,
 Dans un emportement brutal,
 Te porter quelque coup fatal.


 La liberté, ce bien sublime,
 Où notre science s’abîme,
 Ne se laisse guère expliquer
Mais ne cesse jamais de se voir invoquer.