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Fables d’Ésope en quatrains

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S. Mabre-Cramoisy (p. 1-175).

PROLOGUE.



VEnez à la leçon, jeunesse vive
 & folle,
Éſope vous appelle à sa riante Écolle :

Les Bestes autrefois parloient mieux que 
les gens,
Et le siecle n’a point de si doctes régens


FABLE I.




LE Cocq ſur un fumier gratoit, lors qu’à ſes yeux
Parut un Diamant : Hélas, dit-il, qu'en 
faire ?
Moy qui ne ſuis point Lapidaire,
Un grain d’orge me convient mieux.


FABLE II.




UN Loup querelloit un Agneau

Qui ne sçavoit pas troubler l’eau ;
À tous coups l’injuste puissance

Opprime la foible innocence.


FABLE III.




LE Rat, et la Grenoüille auprés d’un marécage
S’entretenoient en leur langage :
Le Milan fond sur eux,
Et les mange tous deux.


FABLE IV.




LE morceau dans la gueule un chien paſſoit à nage,

Et comme à travers l’onde il en eût veû 
l’image,
Pour elle il oublia le corps qu’il laiſſa
 choir.
Où ne nous réduit point l’avidité d’a
voir ?


FABLE V.




LEs Animaux disoient, Tous d’un commun accord
Chassons, que les profits soient également nostres :
Mais le Lion prit tout, ne laissant rien aux autres.
Voilà comme on partage avecque le 
plus fort.


FABLE VI.




LE Cerf & la Brebis eûrent une querelle,
Mais parce que le Loup en eſtoit le témoin,
Elle avoûa la debte, & lors qu’il fut 
bien loin,
Quand on promet par force, on ne doit rien, dît-elle.


FABLE VII.




LA Gruë ayant tiré de la gorge du 
Loup
Un os de ſon long bec qui le preſſoit 
beaucoup :
Il n’a tenu qu’à moy de vous manger, 
Commere,
Luy dit le Loup ingrat, & c’eſt voſtre ſalaire.


FABLE VIII.




TRansie, & demi-morte eſtoit une
 couleuvre :
Un homme auprés du feu la mit dans
 ſa maiſon,
Qu’en ſuite elle infecta de ſon ingrat
 poiſon.
Ah, quel prix pour une bonne
 œuvre !


FABLE IX.




L’Asne mauvais plaiſant railloit le
 Sanglier,
Qui d’abord en conceût un dépit effroyable :
Après il en eût honte, & tâcha d’oublier
Qu’il eût grincé les dents contre ce miſerable,


FABLE X.




LE Rat de ville eſtoit dans la délicatesse ;
Le Rat des champs vivoit dans la ſimplicité ;
L’un avoit plus de politesse,
L’autre eſtoit plus en seûreté.


FABLE XI.




LA Corneille excroqua la paſture de l’Aigle,
L’Aigle en rit comme font les magna
nimes cœurs :
Aux petits appartient la fourbe, & dans
 la regle
Il vaut mieux que les Grands ſoient trompez que trompeurs.


FABLE XII.




LE Renard, du Corbeau loûa tant le
 ramage,
Et trouva que ſa voix avoit un ſon ſi beau,
Qu’enfin il fit chanter le malheureux
 Corbeau,
Qui de ſon bec ouvert laiſſa choir un fromage.


FABLE XIII.




COntre un Lion caduc la rage ſe débonde

Des autres Animaux qui luy furent ſoumis.
C’eſt la plus grand’ pitié du monde

D’eſtre vieux, & d’avoir quantité d’ennemis.


FABLE XIV.




COmperes & voisins assez mal
 aſſortis
À la tentation tous deux ils ſuccomberent, 

Car l’Aigle du Renard enleva les petits, 

Et le Renard mangea les Aiglons qui
 tombèrent.


FABLE XV.




L’Asne flatta ſon Maiſtre, & crût qu’il feroit bien
S’il pouvoit imiter les careſſes du chien ;
Il luy mit lourdement ſes pieds ſur chaque épaule :
La riſpoſte fut prompte, & faite à coups de gaule.


FABLE XVI.




UN Lion prend un Rat, & ne luy 
fait point mal,
En des filets tendus ce Lion s’embaraſſe,
Ces filets ſont rongez par le foible Animal ;
Et le grand du petit reçoit la meſme grace.


FABLE XVII.




L’Hirondelle aux Oiſeaux qui voulurent l’entendre

Dît : Taſchez d’empeſcher la ſemaille du 
Lin,
Elle vous eſt nuiſible, & le projet malin
D’en faire quelque jour des filets pour
 vous prendre.


FABLE XVIII.




LE Renard voulut faire à la Gruë un
 feſtin,
Le diſné fut fervi ſur une plate aſſiete,

Il mangea tout, chez luy comme ailleurs 
le plus fin,
Elle de ſon long bec attrapa quelque
 miette.


FABLE XIX.




LE Renard chez la Gruë alla pareillement,
Un vaſe étroit, & long fut mis ſur nape blanche,
De la langue le bec ſe vengea pleinement.

Eſt-il pas naturel de prendre ſa revanche ?


FABLE XX.




UNe poutre pour Roy faiſoit peu
 de beſogne,
Les Grenoüilles tout haut en murmuroient déja,
Jupiter à la place y mit une Cicogne.

Ce fut encore pis, car elle les mangea.


FABLE XXI.




UN Loup non ſans merveille entra
 chez un Sculpteur,
Il n’y va pas ſouvent une pareille beſte ;

Voyant une ſtatuë, il dit, La belle Teſte !

Mais pour de la cervelle au dedans,
 ſerviteur.


FABLE XXII.




LE Chien dit au Larron qui le vouloit ſurprendre
Par l’apaſt d’un morceau de pain :

Il n’eſt pas queſtion de profit, ni de gain,

Et tu viens moins icy pour donner que
 pour prendre.


FABLE XXIII.




LEs Colombes en guerre avecque le
 Milan
Veulent que l’Épervier à leur teſte demeure :
Mais leur condition n’en devient pas
 meilleure,
Ayant un Adverſaire, & de plus un Tiran.


FABLE XXIV.




ÀLa Truye en travail le Loup diſoit, Madame,
Si vous voulez, je puis vous ſoulager beaucoup :
Elle qui reconnut l’intention du Loup,
Peſte ſoit de la Sage-femme.


FABLE XXV.




N’Estes-vous pas injuſte autant qu’on le puiſſe eſtre ?
Vous m’aimiez autrefois, & vous m’eſtropiez,
Parce que je n’ay plus ni de dents, ni
 de piez :
Voilà ce qu’un vieux chien reprochoit
 à ſon Maiſtre.


FABLE XXVI.




LE vent faiſoit du bruit dans une
 foreſt noire ;
Les Lièvres eurent peur nul ne les pourſuivant :
Je croy, dit l’un d’entr’eux, que ce n’eſt
 que le vent,
Mais nous aurons toûjours de la peine
 à le croire.


FABLE XXVII.




OUvre à ta mere, ingrat, peux-tu la méconnoiſtre ?
Dit le Loup au Chevreau, ſe contraignant
 beaucoup :
À la voix, répond-il, vous pourriez fort
 bien l’eſtre,
Mais par la fente on voit que vous eſtes
 le Loup.


FABLE XXVIII.




LE Mâtin ajourna la Brebis, ils plaiderent,
Malgré ſa bonne cauſe elle eût tort néanmoins :
Le Vautour & le Loup contre elle dépoſerent,
Quelle partie, & quels témoins !


FABLE XXIX.




LA coignée à la main, & d’une ame indignée
L’Homme ſuit le Reptile, après il s’en 
repent,
L’invite à revenir : Ma foy, dit le Serpent,

Je ne me fie à vous non plus qu’à la coi
gnée,


FABLE XXX.




OSes-tu bien cacher tes plumes
 ſous les noſtres ?
Dirent les Paons au Geay rempli d’ambition :
Qui s’éleve au deſſus de ſa condition

Se trouve bien ſouvent plus bas que tous 
les autres.

Verſailles.

FABLE XXXI.




UN Chariot tiré par ſix chevaux fougueux
Rouloit ſur un chemin aride, & ſablon
neux :
Une Mouche eſtoit là préſomptueuſe, & fiére,
Qui dit en bourdonnant, Que je fais de
 pouſſiére !


FABLE XXXII.




LA Mouche qui n’eſt pas orgueïlleuſe à demi
Diſoit par vanité, Je ſuis noble, legere,

Et j’ay des traits piquans. Pour moy, dit 
la Fourmi,
Je ne ſuis ſimplement que bonne ménagere.


FABLE XXXIII.




LE Singe fut fait Roy des autres Animaux,
Parce que devant eux il faiſoit mille ſauts :

Il donna dans le piége ainſi qu’une au
tre Beſte,
Et le Renard luy dit, Sire, il faut de la teſte.

Verſailles.

FABLE XXXIV.




LA Grenouille ſuperbe en vain taſche à s’enfler
Pour atteindre le Bœuf, elle n’y peut
 aller,
Mais en ſimple Grenouïlle au Marais
 élevée
N ’eſt que dans ſon eſpece une groſſe
 crevée.


FABLE XXXV.




GUerre entre les Oiſeaux ſanglante, & meurtriere,
Dont pas un ne voulut avoir le démenti,
Mais la Chauve-Souris trahiſſant ſon
 parti,
N’oſa jamais depuis regarder la lumiere.

Verſailles.

FABLE XXXVI.




LA Colombe eſt en proye à l’Epervier ſubtil
Qui dans les mains d’un homme après
 luy-meſme tombe :
Hé que vous ay-je fait ? Pardonnez-
moy, dit-il ;
Hé que vous avoit fait, dit l’autre, la
 Colombe ?


FABLE XXXVII.




LE Loup ſe voit trahi du Renard ſon Compere,
Qui mene le Berger juſques dans ſon
 repaire ;
Et comme à ce maſſacre il a contribué, 

Il hérite du Loup, & puis il eſt tué.


FABLE XXXVIII.




UNe ſuſpenſion d’armes ſe fit jadis
Entre les Loups & les Brebis : 

Bientoſt parmi les Loups grand tumulte 
s’éleve,
Comme ſi les Brebis avoient rompu la 
tréve.


FABLE XXXIX.




LA Foreſt parut indignée

Contre le Bûcheron qui ſon bois deſoloit,
N’en ayant demandé qu’autant qu’il en 
faloit
Pour faire un manche à ſa coignée.


FABLE XL.




LEs plaiſirs coûtent cher, & qui les
 a tout purs !
De gros raiſins pendoient, ils eſtoient 
beaux à peindre,
Et le Renard n’y pouvant pas atteindre,
Ils ne ſont pas, dit-il, encore mûrs.

Verſailles.

FABLE XLI.




QUE tu me parois beau, dît le Loup
 au Limier,
Net, poli, gras, heureux, & ſans inquietude !
Mais qui te péle ainſi par le cou ? Mon colier :
Ton colier ? Fi des biens avec la ſervitude.


FABLE XLII.




COntre le Ventre un jour les membres diſputerent :
En ſon preſſant beſoin nul ne le ſecourut ;

Tous las de Ie ſervir enfin ſe révolterent.,

Et tel à qui ce ventre appartenoit, mou
rut.


FABLE XLIII.




DONNE moy, dit le Singe en parlant
 au Renard,
La moitié de ta queuë : Il iroit trop du
 noſtre,
Dit-il, & j’aurois tort ſi je t’en faiſois
 part ;
Ce qui convient à l’un ne convient pas
 à l’autre.

B T’


FABLE XLIV.




L’Aſne vit le cheval traiſner une
 charuë
Que naguere il voyoit ſi pompeux & ſi fier
Sous un riche harnois éclater dans la ruë :
Des vanitez du monde il faut ſe défier.


FABLE XLV.




LE Cerf dans un ruiſſeau ſe mirant 
autrefois
Trouvoit ſa jambe laide, & ſon bois admirable :
Mais comme les Chaſſeurs preſſoient ce
 miſerable,
Il fit cas de ſa jambe, & mépriſa ſon 
bois.


FABLE XLVI.




LE Serpent rongeoit la lime :

Elle diſoit cependant,

Quelle fureur vous anime

Vous qui paſſez pour prudent ?

Verſailles.

FABLE XLVII.




UN Renard efflanqué voit du Blé
 dans un clos,
S’y gliſſe par un trou menu, leger, alaigre :
Quand ce vint pour ſortir, il ſe trouva 
trop gros ;
La Bellete luy dit, Seigneur, devenez
 maigre,

FABLE.

FABLE XLVIII.




LE Paon dit à Junon, Par ton divin
 pouvoir,
Comme le Roſſignol que n’ay-je la voix belle ?
N’es-tu pas des Oiſeaux le plus beau, 
luy dit-elle ?
Crois-tu que dans le monde on puiſſe tout avoir ?

Verſailles.

FABLE XLIX.




UN pauvre Loup eſtoit à la miſericorde
D’un homme à qui quelqu’un des Chaſſeurs demandoit,
L’as-tu veû ? Non, dit-il, & le montra du doigt.
Voilà comme la bouche avec le cœur s’accorde.


FABLE L.




LE Merle à l’Oiſeleur qui tendoit ſes filets,
Demande, Que fais-tu ? Je baſtis une
 Ville.
L’Oiſeau s’y prend, & dit : Ha, que je
 m’y déplais !
Et pour des Habitans le fâcheux domicile !


FABLE LI.




TOus deux au fond d’un Puits taciturnes & mornes,
De s’aſſiſter l’un l’autre avoient pris le parti :
Pour ſortir le Renard ſe hauſſant ſur ſes cornes,
Fit les cornes au Bouc après qu’il fut ſorti.

Verſailles.

FABLE LII.




LE Cheval eſt vaincu par le Cerf, & ſoudain
L’Homme qu’imprudemment à ſon aide il appelle,
Luy met, pour le venger, & la ſelle &
le frein ;
Il eût toûjours depuis & le frein, & la ſelle,


FABLE LIII.




LE Coc craint du Lion & l’Aſne 
eſtoient enſemble,
Du Lion qui paſſoit l’Aſne ſoûtint le 
choc,
Le voilà du Lion le vainqueur, ce luy
 ſemble,
Le Lion le mangea dez qu’il fut loin 
du Coc.


FABLE LIV.




LE Milan une fois voulut payer ſa
 feſte,
Tous les petits Oiſeaux par luy furent 
priez,
Et comme à bien diſner l’aſſiſtance eſtoit 
preſte,
Il ne fit qu’un repas de tous les conviez.

Verſailles.

FABLE LV.




PRÉS du Lion mal ſain les Animaux ſe tiennent

Tous horſmis le Renard : Pour moy je 
n’y vais pas,
De ceux qui s’en vont là, dit-il, je voy
 les pas,
Et ne voy point les pas de ceux qui 
s’en reviennent.


FABLE LVI.




LAsne eſtoit fort malade, & les Loups en cervelle
S’adreſſent à ſon fils : Hé bien, quelle
 nouvelle ?
S’en va-t-il point mourir, ou n’eſt-il 
point mort ? Non,
Vous ne le tenez pas encore, dit l’Aſnon.


FABLE LVII.




UN Chat faiſoit le mort, & prit beaucoup de Rats,
Puis il s’enfarina pour déguiſer ſa mine :

Quand meſme tu ſerois le ſac à la farine,
Dit un des plus ruſez, je n’aprocherois
 pas.

Verſailles.

FABLE LVIII.




LE Chevreau chanta pouïlle au Loup
 par la feneſtre :
Quoy vous sçavez déja, dit le Loup, comme il faut

Prendre ſon avantage ? Ha, mon mignon,
peut-eſtre
Parleriez vous plus bas ſi vous eſtiez
 moins haut.


FABLE LIX.




LHomme aux yeux du Lion expo
ſe la Statuë

D’un homme qui terraſſe un Lion, & 
le tuë ;
Et comme il s’en prévaut, le Lion dit : Chez vous

Sont Peintres & Sculpteurs, il n’en eſt
 point chez nous.


FABLE LX.




PArdon, diſoit la Puce : un petit animal
Tel que moy ne ſçauroit faire qu’un
 petit mal.
Vaine excuſe, dit l’Homme, inutile défenſe !
À perſonne il ne faut faire la moindre
 offenſe.


FABLE LXI.




LA Perdrix bien batuë eût un dépit
 extreſme
Que les Cocs peu galans la traitaſſent
 ainſi :
Depuis voyant qu’entr’eux ils en uſoient
 de meſme,
Patience, dit-elle, ils ſe battent auſſi.

Verſailles.

FABLE LXII.




ON connoiſt les amis dans les oo
caſions ;
Chere Fourmy, d’un grain ſoyez-moy 
liberale,
J’ay chanté tout l’eſté : Tant pis pour
 vous, Cigale,
Et moy j’ay tout l’eſté fait mes proviſions.


FABLE LXIII.




LA Corneille une fois dans la laine
 empeſtrée,
Voltigeoit ſur le dos de la Brebis outrée, 

Qui Iuy dit : Tu n’en veux qu’à moy
 parmi nos champs,
Toujours méchante aux bons, toujours
 bonne aux méchans.


FABLE VII.




PLuralité de Teſtes importune.
Un Serpent en eût ſept, un autre n’en
 eût qu’une ;
Il paſſa : le premier eût de grands embarras.
Un Chef eſt abſolu, pluſieurs ne le ſont
 pas.

Verſailles.

FABLE LXV.




UN arbre reprochoit au Roſeau ſa 
foibleſſe :
Il vient un prompt orage, un vent ſoufle ſans ceſſe ;
L’Arbre tombe plûtoſt que de s’humi
lier,
Et le Roſeau ſubſiſte à force de plier.


FABLE LXVI.




L’Aſne diſoit au Loup, Je ſuis eſtropié
D’une épine, & voyez de quel air je
 chemine :
Comme à l’Aſne le Loup vouloit tirer l’épine,
L’Aſne au milieu du front luy tire un
 coup de pié.


FABLE LXVII.




LE Lievre & la Tortuë alloient pour
 leur profit :
Qui croiroit que le Lièvre eût demeuré
 derriere
Cependant je ne sçay comme cela ſe fit,

Mais enfin la Tortuë arriva la premiere.

Verſailles.

FABLE LXVIII.




UN jour au Porc-Epic diſoit le
 Loup ſubtil :
Croyez-moy, quittez-là ces piquans, ils
 vous rendent

Deſagreable & laid : Dieu m’en garde, 
dit-il,
S’ils ne me parent pas, au moins ils me
 défendent.

Verſailles.

FABLE LXIX.




LE Renard pris au piege eſtoit mélancolique :
Helas, dit-il au Coc, daignez me ſoulager !
J’ay fouvent mis le deuil dans voſtre
 domeſtique,
Mais qu’il ſeroit honneſte à vous
 de m’obliger.


FABLE LXX.




LE Renard ſe vantoit d’eſtre ſubtil
 & fin ;
Le Chat tout au contraire alloit ſon
 grand chemin :
Les Chiens viennent, le Chat deſſus un
 arbre monte,
Et le Renard s’écrie, Ha, j’en ay pour
 mon compte !


FABLE LXXI.




DU Coc-d’Inde le Coc fut jaloux, 
 & crût bien

Qu’il eſtoit ſon Rival, mais il n’en
 eſtoit rien ;
Car il faiſoit la roûë, & libre, & ſans 
affaire,
Pour avoir ſeulement le plaiſir de la faire.

Verſailles.

FABLE LXXII.




LE Serpent trop civil par une grace
 extreſme
Reçoit le Heriſſon, après il s’en repent : 

Sortez d’icy, dit le Serpent ; 

L’autre, comme un ingrat, Sortez d’icy
 vous-meſme.

Verſailles.

FABLE LXXIII.




LE Loup dit au Renard, Comment ſe
 peut-il faire

Que tu ſoys dans ce Puits ? C’eſt une
 longue affaire,
Dit l’autre, à m’en tirer fais d’utiles efforts,
Je te conteray tout quand je ſeray dehors.


FABLE LXXIV.




UN Bœuf affamé, las, & venu d’aſſez loin,
Ami, tu me parois d’une humeur bien étrange,
Dit-il au Chien grondant deſſus un tas de foin,
Ni tu n’en veux manger, ni ne veux que j’en mange.


FABLE LXXV.




LEs Oiſeaux en plein jour voyant le
 Duc pareſtre,
Sur luy fondirent tous à ſon hideux aſpec.

Quelque parfait qu’on puiſſe eſtre.

Qui n’a pas ſon coup de bec ?

Verſailles.

FABLE LXXVI.




DEux Maſtins ſe batoient, le Loup
 en ſentinelle.
Voulant prendre ſon tems, les fit ſe ra
lier.
Un nouveau differend ne fait pas oublier

Une vieille querelle.


FABLE LXXVII.




L’Aigle par une adreſſe extreſme

Dans les airs enleve un Mouton :

Le Corbeau veut faire de meſme,

On le tuë à coups de baſton.


FABLE LXXVIII.




LE Chat veut ſur le Coc paſſer ſa groſſe faim,
Et cherchant un prétexte honneſte pour 
le faire,
Ah, dit-il, il mourra l’inceſtueux vi
lain,
Qui couche avec ſes Sœurs, & couche avec ſa Mère !


FABLE LXXIX.




LA Poule du Milan connoiſſant les deſſeins,
Sans longer qu’elle-meſme en eſtoit
 pourſuivie,
Dans une cage enferma ſes Pouſſins,

Et les mit en priſon pour leur ſauver la
 vie.

Verſailles.

FABLE LXXX.




LE Perroquet eût beau par ſon caquet
Imiter l’Homme, il fut un Perroquet ;
Et s’habillant en Homme, ſous le linge

Le Singe auſſi ne paſſa que pour Singe.

Verſailles.

FABLE LXXXI.




LE Renard en procès vint le Loup
 attaquer,
Le Singe comme Juge écouta leurs requeſtes,
Après il dit, Je ne sçaurois manquer

En condamnant deux ſi méchantes beſtes.

Verſailles.

FABLE LXXXII.




DU Renard pourſuivi la pate ſe dechire
Contre un Buiſſon qui dit en s’éclatant de rire,
Ta coutume eſt de prendre, Ami, pour ton repos
Tu t’es icy venu prendre mal à propos.


FABLE LXXXIII.




QUelqu’un las de prier un de
 ces Dieux frivoles,
Luy fend la teſte en deux, il en ſort 
des piſtoles.
Quel caprice, dit-il ? je n’en ay pas 
tant eû
Quand je l’ay reſpecté, que quand je l’ay batu.


FABLE LXXXIV.




UN Peſcheur en peſchant s’adonnoit aux chanſons,
Puis jettant ſon filet, Ces bizarres Poiſſons
De ma Flûte, dit-il, nullement ne s’émeuvent,
Et ſi toſt qu’ils ſont pris ils danſent tant qu’ils peuvent.


FABLE LXXXV.




LE Paon eſt élû Roy comme un fort
 bel Oiſeau,
La Pie en murmure, & s’irrite

Qu’on ait peu d’égard au merite : 

Eſt-il seur qu’on ſoit bon parce que l’on
 eſt beau ?

Verſailles.

FABLE LXXXVI.




Àde méchans Oiſeaux le Laboureur ſubtil

Trouva dans ſes filets une Cicogne unie,

Qui luy criant merci, Tu mourras, luy dit-il,
Il ne faut pas hanter mauvaiſe compagnie.


FABLE LXXXVII.




UN Berger ennemi de la mélancolie
À faux, & ſans ſujet crioit au Loup 
toujours,
À la fin ſon Troupeau patit de ſa folie,

Quand ce fut tout de bon nul ne vint
 au ſecours.


FABLE LXXXVIII.




LA Colombe ſauva la vie à la Fourmi,
Qui mordant par le pied l’Oiſeleur ennemi,
Sauva pareillement la vie à la Colombe.
Jamais l’ingratitude en un bon cœur ne tombe.


FABLE LXXXIX.




UN Enfant s’adonna de bonne heure au larcin,
Et commença de prendre au ſein de ſa Nourrice.
Depuis il acheva deſſus le grand chemin :
 Belle gradation du vice !


FABLE XC.




JE voulois eſtre ſoule, & voulois avoir 
chaud,
Dit la Mouche, & j’en ay par-delà mon
 envie,
Je meurs dans la Marmite : helas, en 
cette vie
L’on a trop peu toûjours, ou trop de 
ce qu’il faut !


FABLE XCI.




MErcure au Charpentier qui
 perdit ſa coignée

En offrit d’or, d’argent, ou de fer à ſon choix :
Il s’en tint à la ſienne, & les eût toutes 
trois.
Probité reconnuë ainſi que témoignée !


FABLE XCII.




UN Homme à cheveux gris eſtoit
 des plus galans,
Deux Femmes le peignant ſans en faire ſcrupule,
La vieille oſtoit les noirs, la jeune oſtoit les blancs :
Il devint ſi pelé qu’il en fut ridicule.


FABLE XCIII.




UN Père à ſes Enfans qui s’entre-
mangeoient tous

Diſoit, Vous perirez avec voſtre divorce :

Ces verges brin à brin n’ont pas beaucoup de force,
Rien n’eſt plus ferme en gros ; ainſi ſera
 de vous.


FABLE XCIV.




MON Fils, ſi vous pleurez, le Loup
 vous mangera,
Dit la Nourice : il vint dés que l’En
fant pleura,
Mais elle n’eſtoit pas ſi folle

Que de luy tenir ſa parole.


FABLE XCV.




UNe Tortuë eſtoit fiere au dernier 
degré,
Et ramper luy ſembloit le plus grand 
des deſaſtres :
Dans les ſerres de l’Aigle elle ſe ſceut 
bon gré
De ſe voir une fois au moins ſi près des 
Aſtres.


FABLE XCVI.




L'Écrevisse diſoit à ſa fille rétive
Il ne faut pas ainſi marcher à reculons :

Elle luy repartit, Hé bien, ma Mere, 
allons,
Montrez-moy le chemin qu’il vous
 plaiſt que je ſuive.


FABLE XCVII.




DE la peau du Lion une fois l’Aſne s’arme,
À tous les animaux donne une chaude alarme ;
Et ſon Maiſtre luy dit le connoiſſant au
 ton,
Vous faites le vaillant ? que de coups de baſton !


FABLE XCVIII.




PArmi les Animaux une Grenouïlle 
avide
Trancha de l’Hipocrate, & trompa le 
plus fin :
À voir ſa bouche paſle, à voir ſon teint 
livide,
Js croy, dit le Renard, que c’eſt un 
Medecin.


FABLE XCIX.




QUelqu’un fit mettre au cou de ſon Chien qui mordoit
Un ballon en travers ; luy ſe perſuadoit
Qu’on l’en eſtimoit plus, quand un Chien vieux & grave
Luy dit, On mord en traiſtre auſſi ſouvent qu’en brave.


FABLE C.




LE Chameau veut avoir des cornes ſur le front,
Et Jupiter luy dit, Qu’en avez-vous affaire ?
Il eft vray, les Taureaux pour leur défenſe en ont,
D’autres en ont auſſi qui n’en ſçavent
 que faire.


FABLE CI.




DEix Amis voyageoient & ren
contrent un Ours ;
L’un gagne un arbre haut, l’autre tout
 plat ſe couche ;
Ainſi, ſans les bleſſer, va l’Animal farouche :
On ſe ſauve ſouvent par differens dé
tours.


FABLE CII.




LE Pot de fer nageoit auprés du Pot
 de terre,
L’un en Vaiſſeau Marchand, l’autre en
 Vaiſſeau de Guerre,
L’un n’aprehendoit rien, l’autre avoit de l’effroy,
Et tous deux ſçavoient bien pourquoy.


FABLE CIII.




LE Chat eſtant des Rats l’adverſaire
 implacable,
Pour s’en donner de garde un d’entr’eux
 propoſa
De luy mettre un grelot au coû ; nul ne 
l’oſa.
De quoy ſert un conſeil qui n’eſt point pratiquable ?

Verſailles.

FABLE CIV.




LE Bouc s’opoſe en laſche au Tau
reau malheureux,
Qui vouloit du Lion éviter la pourſuite.
Il arrive ſouvent que ceux qui ſont en
 fuite,
Ne font pas bien receûs des cœurs peu
 genereux.


FABLE CV.




DE tous les Animaux Jupiter vid la Race
Le Singe y vint qui fit une laide grimace,
Et parmi tant d’enfans de Beſtes, & 
d’Oiſeaux
Ne trouva que les ſiens de beaux.


FABLE CVI.




LE Paon ſoupoit avec la Gruë, 

Et comme il ſe vantoit pendant tout le
 repas,
Elle luy repondit ſans en pareſtre émuë, 

Vous le portez bien haut, mais vous 
volez bien bas.


FABLE CVII.




LE Tigre allant tout ſeul à la chaſſe
 autrefois
Receût un coup de flèche, & la chaſſe 
finie
Le Renatd humble & doux Iuy dit en
 fin matois,
Il auroit mieux valu chaſſer en compagnie.


FABLE CVIII.




COntre quatre Taureaux unis & préparez
Les forces du Lion ayant eſté frivoles,
Il les ſépara tous par de belles paroles,
Et les déchira tous les ayant ſéparez.


FABLE CIX.




DU Singe icy l’adreſſe éclate,

Mais celle du Chat paroiſt peu,
Quand il donne à l’autre ſa pate

Pour tirer les marons du feu.

Verſailles.

FABLE CX.




LE Buiſſon ſe faſcha de l’orgueil du
 Sapin,
Et ſon humilité s’en eſtant indignée,

Plus bas que moy, dit-il, je te puis voir
 enfin,
Si le Bûcheron vient avecque ſa coignée.


FABLE CXI.




UN Peſcheur ſentit bien en retirant ſa Ligne

Qu’elle ne peſoit guère, & c’eſtoit mauvais ſigne,
Un ſi petit Poiſſon ne luy fit pas grand bien :
Mais il vaut mieux avoir peu de choſe
 que rien.


FABLE CXII.




L’Aigle prit le Lapin, l’Eſcarbot ſon compere
Interceda pour luy touché de ſa miſere,

L’Aigle ne laiſſa pas pourtant de le manger,
L’autre caſſa ſes œufs afin de s’en venger.

Verſailles.

FABLE CXIII.




ÔMalheur, dit quelqu’un ! ma cruche eſtoit d’or mat,
Elle eſt au fond du Puits : un Larron ſe 
dépouïlle,
Y deſcend ; & tandis qu’il fouïlle, & qu’il refouïlle,
L’autre prend ſes habits, & laiſſe là le Fat.


FABLE CXIV.




LE Lion qui voyoit la Chèvre au
 haut d’un Mont,
Luy crioit d’un air doux comme les
 Amans font,
Deſcendez, & venez paiſtre icy l’herbe
 molle,
Elle n’y voulut pas venir ſur ſa parole.


FABLE CXV.




LA Corneille avoit ſoyf, juſqu’au fond
 d’un vaiſſeau

Son bec n’ateignant pas, ſoudain elle
 s’écrie,
Mettons-y des cailloux pour faire monter l’eau :
Tant la neceſſité réveille l’induſtrie.


FABLE CXVI.




LE Rat mordit au pied le Taureau
 qui fut tendre,

En ſi grande colere il ne s’eſtoit point 
mis :
Cependant ſa fureur ne ſceût à qui s’en
 prendre.
Dans le monde il n’eſt point de petits
 Ennemis.


FABLE CXVII.




ÀLa vieille Soury diſoit la jeune
 fille,
Je hay le petit Coc, j’aime le petit Chat :

Le Chat, répond ſa Mere ? Ha, c eſt un ſelerat !
Mais le Coc n’a point fait de mal à ta 
famille.

Verſailles.

FABLE CXVIII.




UN Laboureur pourveu d’un Taureau fort méchant
S’aviſa de ſcier ſes cornes ſur le champ ;

Bien loin que ſes fureurs en ſoyent pa
cifiées,
Il en fut plus méchant quand on les
 eut ſciées.


FABLE CXIX.




UN Homme aimoit ſa Chate, &
 de crainte du blâme

Venus à ſa prière en compoſa ſa femme,
Elle friande, & vive, oubliant le Mary,

                Courut à la Soury.

Verſailles.
FABLE

FABLE CXX.




UNHomme avoit une Oye, & c’é
toit ſon tréſor,
Car elle luy pondoit tous les jours un 
œuf d’or :
La croyant pleine d’œufs, le fou s’impatiente,
La tuë, & d’un ſeul coup perd le fonds, 
& la rente.


FABLE CXXI.




LE Leopard tenoit au Renard ce langage,
Lequel à voſtre avis eſt le plus beau de nous ?
De la beauté ſur moy vous avez I’avantage,
Mais, luy dit le Renard, j’ay plus d’eſprit que vous.


FABLE CXXII.




UN de ces Medecins qui font tant 
de viſites
Au malade giſant diſoit toujours, Tant 
mieux ;
Et le malade fait à ce ſtile ennuyeux

Diſoit, Mes heritiers penſent comme 
vous dites.


FABLE CXXIII.




LE Charbonnier preſſoit le Foulon à 
toute heure

De venir avec luy partager ſa demeure,

Car ils eſtoient tous deux amis , & grands couſins
Mais, luy dit le Foulon, tu noircis tes voiſins.


FABLE CXXIV.




LE Buiſſon ruiné de bien & de crédit
Semble ſe prendre à tout des pertes qu’il a faites,
Le Plongeon dans la Mer cherche ce qu’il perdit,
Et la Chauve-Souris ſe cache pour ſes
 dettes.


FABLE CXXV.




DEux Hommes diſputoient pour un Aſne perdu,
À ſe l’aproprier, & l’un & l’autre butte :

Il m’apartient dit l’un, l’autre dit, Il m’eſt dû
L’Aſne en ſe dérobant emporta la diſpute.


FABLE CXXVI.




SOus la pate d’un Loup plûtoſt 
friand qu’avide,
Un Chien dit, Attendez, je ſuis maigre, & ſuys vuide,
Je m’en vais à la noce, & j’en revien
dray gras ;
Le Loup y conſentit, le Chien ne revint pas.


FABLE CXXVII.




EMbraſſant ſes petits le Singe
 s’en défait

Par une tendreſſe maudite.
À force d’aplaudir ſoy-meſme à ce qu’on 
fait
L’on en étouffe le mérite.

Verſailles.

FABLE CXXVIII.




UN Meurtrier fuyant ſon Juge, & ſon Bourreau
Évite cent perils, nul Prevoſt ne l’attrape :
À la fin il ſe noye en paſſant un ruiſſeau ;
Tant il efl ma-laiſé qu’un Meurtrier éehape.


FABLE CXXIX.




DEux Bœufs patiens, & doux

Tiroient un chariot fort peſant, & fort 
large ;
L’Eſſieu crioit, les Bœufs luy dirent, 
Qu’avez-vous ?
À peine ſoufflons-nous nous qui traiſnons la charge.


FABLE CXXX.




LE Renard dit au Coc, Une paix éternelle
Eſt concluë entre nous, deſcens : Ouï, 
deux Levriers
Viennent, répond le Coc, m’en dire la
 nouvelle ;
Le Renard n’oſa pas attendre les Couriers.

Verſailles.

FABLE CXXXI.




TOutes les Fleurs diſoient à la
 Roſe nouvelle,
Vous l’emportez ſur nous par un commun aveu : 

Il eſt vray, repartit la Roſe, je ſuis belle,
Mais helas que je dure peu !


FABLE CXXXII.




LA Gruë interrogeoit le Cigne, dont le chant
Bien plus qu’à l’ordinaire eſtoit doux & touchant :
Quelle bonne nouvelle avez-vous donc receûë ?
C’eſt que je vais mourir, dit le Cigne à la Gruë.

Verſailles.

FABLE CXXXIII.




CE Barbet en veut à ces Cannes,

Mais par elles il eſt inſtruit,

Qu’il eſt parfois des vœux auſſi vains
 que prophanes,
Et qu’on ne force pas toujours ce qu’on
 pourſuit.

Verſailles.

FABLE CXXXIV.




UN Galand eſtoit chauve, & comme en pleine feſte
Sa perruque en tombant l’alloit défi
gurer,
Pourquoy ces faux cheveux tiendroient-
ils à ma teſte,
Dit-il, puiſqu’à leur teſte ils n’ont ſceû
 demeurer ?


FABLE CXXXV.




SOus un Plaſne en eſté deux Voyageurs bien las,
À qui pour leur repos la place ſembloit
 bonne,
Trouvoient l’Arbre ſterile ; & l’Arbre
 dit, Ingrats,
Ne contez-vous pour rien l’ombre que je vous donne ?


FABLE CXXXVI.




LE Roſſignol ſurpris par I’Epervier agile
Crioit, Cherchez ailleurs de quoy faire
 un repas :
Mais, luy dit l’Epervier, je ſerois mal-
habile
De quitter ce que j’ay pour ce que je
 n’ay pas.


FABLE CXXXVII.




CÉtoit pour le Renard une horrible entreveûë

Que celle qui de luy ſe fit, & du Lion :

Le Renard humble & doux l’aborde,
 le ſaluë,
Et l’affaire ſe tourne en converſation.


FABLE CXXXVIII.




UN Homme eſtant malade, & ne 
poſſédant rien,
Fait vœu d offrir cent Bœufs en cas qu’il
 en gueriſſe :
Sa Femme dit, Comment fournir au 
ſacrifice ?
Ma Femme, à cela prés, dit-il, portons-nous bien.


FABLE CXXXIX.




LE Crocodile noble, & d’une humeur hautaine,
Vantoit de ſa maiſon les titres anciens :

Pour moy, dit le Renard, j’ay beaucoup
 plus de peine

À ſçavoir où j’iray, qu’à ſçavoir d’où je
 viens.


FABLE CXL.




LE filet peſoit fort, chaque Peſcheur 
tiroit.
Mais ce poids ne venoit que d’une groſſe pierre,
Et de peu de poiſſons que ce filet reſſerre.
En ce monde on n’a pas tout ce que 
l’on voudrait.


FABLE CXLI.




D’Un Marais deſſeché les triſtes habitantes
Voulant choiſir un Puits, une des plus
 prudentes
Qui pour leur ſeûreté trouvoit ce lieu ſuſpect
Dit, Que deviendrons-nous ſi le Puits 
devient ſec ?


FABLE CXLII.




DAns un meſme vaiſſeau preſt à faire naufrage

Deux ennemis eſtoient ſur le point de
 mourir,
Et chacun ſe diſoit en ſoy-meſme, Cou
rage,
Je m’en vais me noyer, mais l’autre va
 perir.


FABLE CXLIII.




TAndis que contre un Ours un
grand Lion ſe bat,
Un Renard ſe ſaiſit du prix de leur com
bat,
Nous n’avons bien ſouvent d’intereſt que
 le noſtre,
Et nous nous tourmentons pour le pro
fit d’un autre.




fable.

FABLE CXLIV.




UN jour une perſonne aux Aftres
 bien inſtruite
Regardoit vers le Ciel, & tomba lourdement.
Tel donne des leçons ſur la bonne conduite
Qui s’égare luy-meſme, & bronche à 
tout moment.


FABLE CXLV.




LA Taupe faiſant vanité

De voir clair, ſa mere l’écoute,

Qui luy répond, En verité,
Ma fille, vous ne voyez goute.


FABLE CXLVI.




C’Eſt dommage d’un tel, mais je
 me perſuade
Qu’il ne pouvoit guerir, tant il eſtoit
 mal ſain :
Voilà ce qu’à peu prez un fort bon Me
decin
Diſoit au Foſſoyeur enterrant ſon malade.


FABLE CXLVII.




UN Dauphin pourſuivoit un Ton,
 quand ſur les bords

Ils ſont jettez tous deux froiſſez, & demi-morts :
Nous voilà, dit le Ton, aſſez mal ce
 me ſemble ;
Mais quel plaiſir pour moy, que nous 
mourions enſemble !


FABLE CXLVIII.




L'Oiſeleur ſe trouva ſurpris

Eſtant piqué de la vipere,

Helas, dit-il, quelle miſere !
Je voulois prendre, & je ſuis pris.


FABLE CXLIX.




UN Aſne malheureux autant qu’on
 le peut eſtre

Servit un Conroyeur qui fut ſon dernier Maiſtre,
Et ſous la cruauté de ce Tiran nouveau

Eût lieu plus que jamais de craindre
 pour ſa peau.


FABLE CL.




AU bruit d’une Grenouille un Lion
 qui repoſe,
Se leve, & ſe reproche à ſoy-meſme
 ayant veû

Que c’eſtoit ſi peu de choſe,
La honte de s’en eſtre émeû.


FABLE CLI.




UN Homme paſſe & les nuits &
 les jours
À teindre un More, il y perd ſa teinture.
Ce qu’une fois nous ſommes par Nature
L’Art n’y foit rien, nous le ſommes toujours.


FABLE CLII.




UN Marchand échapé d’un naufrage funeſte
Voyoit la Mer tranquile, & diſoit, Flots
 ingrats
Vous voudriez encore avoir ce qui me reſte,
         Mais je ne me rembarque pas.


FABLE CLIII.




DEux Cocs eſtant rivaux ſe battoient de bon cœur,
L’Aigle vint tout à coup fondre ſur le vainqueur
Qui faiſoit trop de bruit à cauſe de ſa gloire,
Et laiſſa le vaincu jouir de la victoire.


FABLE CLIV.




LE Caſtor malheureux qui n’avoit
 point d’apuy,
Et que tant de Chaſſeurs preſſoient à toute outrance,
Retrancha de ſon corps, & s’oſta par
 prudence
La raiſon pour laquelle ils couroient 
après luy.


FABLE CLV.




UN Berger nouriſſoit ſon Chien de brebis mortes,
Et comme la plus graſſe aprochoit du 
trépas,
De l’air, dit-il au Chien, dont tu te dé-
confortes,
Tu craindrois volontiers qu’elle ne mourût pas.


FABLE CLVI.




LAvare avec ſon cœur enterra ſon treſor :
On le vole ; Ha, dit-il, je ſuis à la beſace !
Mettez, repond quelqu’un, une pierre à la place,
Elle vous ſervira tout autant que votre or.


FABLE CLVII.




LE Fan du Cerf fon père exaltoit les merites,
Qu’il eſtoit grand, & fort, mieux armé que le Chien :
Mon fils, je ſuis d’accord de tout ce que vous dites,
Mais du coſté du cœur cela ne va pas bien.


FABLE CLVIII.




POurquoy, dit le Renard au Sanglier, ſans ceſſe

T’éguiſes-tu les dents, lors que rien ne
 te preſſe ?
Attendray-je, dit l’autre, à me les éguiſer
          Quand il ſera tems d’en uſer ?


FABLE CLIX.




UN pauvre Savetier qui n’eſtoit
 qu’une beſte

Devint Médecin riche, & des plus enviez,
Et tel imprudemment luy confia ſa teſte

Qui n’auroit pas voulu luy confier ſes piés.


FABLE CLX.




SAiſis d’une frayeur qui leur cauſoit la fièvre,
Les Lievres ſe jettans dans une mare tous

Aux Grenouilles font peur : Courage, dit un Lievre,
Il eſt des Animaux plus timides que nous.


FABLE CLXI.




UN Trompette ſonnant la charge en un combat

Fut pris, Pardon, dit-il, je ne ſuis point
 Soldat,
Et je n’ay de ma main tué pas un des voſtres :
Non, mais c’eſt toy qui fais entre-tuër les autres.


FABLE CLXII.




UN Laboureur preſſé d’une faim continuë
Mangea juſques aux Bœufs qui traiſnoient ſa charuë,
     Et ſes Chiens dirent, Sauvons-nous,
     Sinon il nous mangera tous.


FABLE CLXIII.




LE Lion, le Renard, & l’Aſne d’une bande
Chaſſoient, l’Aſne des parts s’apliqua la plus grande,
Il perit ; le Renard ſage aux dépens d’autruy
Donna tout au Lion, ne gardant rien pour luy.


FABLE CLXIV.




DU Coc une Servante abregea le deſtin,
Croyant qu'elle pourroit s’en lever moins 
matin.
Ce fut encore pis, car après cette perte

Sa Maiſtreſſe inquiète en fut bien plus allerte.


FABLE CLXV.




L'ASNE qui ſe croyoit malheureux ſur la terre,
Du Cheval envia la nobleſſe, & les dons :
Mais quand il s’aperceût qu’il alloit à la guerre,
Il dit, Fi de la gloire, & vivent les chardons.


FABLE CLXVI.




LE Renard écourté ne ſe pouvoit tenir
De dire qu’une queuë eſtoit fort incommode,
Alleguant qu’il falloit faire venir la mode
De n’avoir plus jamais de queuë à l’avenir.


FABLE CLXVII.




UNE Vache railloit avec peu de
 juſtice
Un Bœuf qu’à la charuë elle voyoit tirer :
Mais comme on la menoit un jour au Sacrifice,
Adieu, luy dit le Bœuf, je m’en vais labourer.


FABLE

FABLE CLXVIII.




UN Chien en trouve un autre, 
& luy dit, Où vas-tu ?
À la noce, viens-y, tu ne ſçaurois mieux
 faire :
Il y fut, mais helas ! il en revint batu,

      Peſtant contre la bonne chere.


FABLE CLXIX.




UN Vigneron mourant dit qu’un treſor inſigne

Eſtoit pour ſes enfans dans le fond de ſa Vigne
À force d’y fouiller, ſans y trouver de 
l’or,
Il en vint des raiſins, & ce fut le treſor.


FABLE CLXX.




UN Homme au bord d’un Puits ſe trouvant endormi,
La Fortune l’éveille, & luy dit, Mon Ami,
Tu n’aurois pas manqué d’accuſer la Fortune,
Si tu fuſſes tombé, c’eſt la plainte commune.


FABLE CLXXI.




UNe Mule eſtant graſſe, & faiſant bonne chere,

Se vantoit qu’elle eſtoit la fille d’un Cheval ;
Mais quand elle fut maigre, & qu’on la traita mal,
Elle eût quelque ſoupçon qu’un Aſne eſtoit ſon pere.


FABLE CLXXII.




un Fourbe prédiſoit au milieu d’une Place :
Quelqu’un vint qui luy dit, Vous pénétrez fort bien
L’avenir, & sçavez fort mal ce qui ſe paſſe,
Les Voleurs ſont chez vous qui ne vous laiſſent rien.


FABLE CLXXIII.




L'Hirondelle amenoit le beau
 tems avec elle ;
Un jeune débauché la voyant arriver,

Vendit le ſeul habit qu’il avoit pour l’hiver :
Le froid vint, il périt avecque l’Hirondelle.


FABLE CLXXIV.




DE ſa Femme en travail l’Époux
 entend les cris,
Et la voyant par terre en ſa douleur
 cruelle
Veut qu’on la mette au lit : Eſpérez-vous,
dit-elle,
Que le mal que je ſens finiſſe où je l’ay pris ?