Fables de Florian (1838)/2/Le Chat et le Moineau

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LE CHAT ET LE MOINEAU.

FABLE XX.

LE CHAT ET LE MOINEAU.


L

a prudence est bonne de soi ;

Mais la pousser trop loin est
une duperie :
L’exemple suivant en fait foi.
Des moineaux habitaient dans une métairie.
Un beau champ de millet, voisin de la maison,
Leur donnait du grain à foison.
Ces moineaux dans le champ passaient toute leur vie,
Occupés de gruger les épis de millet ;
Le vieux chat du logis les guettait d’ordinaire,
Tournait et retournait ; mais il avait beau faire,
Sitôt qu’il paraissait la bande s’envolait.
Comment les attraper ? Notre vieux chat y songe,
Médite, fouille en son cerveau,
Et trouve un tour tout neuf. Il va tremper dans l’eau

Sa patte dont il fait éponge.
Dans du millet en grain aussitôt il la plonge ;
Le grain s’attache tout autour.
Alors à cloche-pied, sans bruit, par un détour,
Il va gagner le champ, s’y couche
La patte en l’air et sur le dos,
Ne bougeant non plus qu’une souche.
Sa patte ressemblait à l’épi le plus gros ;
L’oiseau s’y méprenait, il approchait sans crainte,
Venait pour becqueter ; de l’autre patte, crac !
Voilà mon oiseau dans le sac.
Il en prit vingt par cette feinte.
Un moineau s’aperçoit du piège scélérat,
Et prudemment fuit la machine ;
Mais dès ce jour il s’imagine
Que chaque épi de grain était patte de chat.
Au fond de son trou solitaire
Il se retire, et plus n’en sort,
Supporte la faim, la misère,
Et meurt pour éviter la mort.