Fables de Florian (1838)/4/L’Écureuil, le Chien et le Renard

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Impie de Lemarchand.
L’ÉCUREUIL, LE CHIEN et LE RENARD.

FABLE II.

L’ÉCUREUIL, LE CHIEN ET LE RENARD.


U

n gentil écureuil était le camarade,

Le tendre ami d’un beau danois.
Un jour qu’ils voyageaient comme
Oreste et Pylade,
n gentil écureuil était le camarade,La nuit les surprit dans un bois.
Eu ce lieu point d’auberge ; ils eurent de la peine
À trouver où se bien coucher.
Enfin le chien se mit dans le creux d’un vieux chêne,
Et l’écureuil plus haut grimpa pour se nicher.
Vers minuit, c’est l’heure des crimes,
Longtemps après que nos amis,
En se disant bonsoir, se furent endormis,
Voici qu’un vieux renard, affamé de victimes,
Arrive au pied de l’arbre, et, levant le museau,

Voit l’écureuil sur un rameau.
Il le mange des yeux, humecte de sa langue
Ses lèvres, qui de sang brûlent de s’abreuver.
Mais jusqu’à l’écureuil il ne peut arriver ;
Il faut donc, par une harangue,
L’engager à descendre, et voici son discours :
Ami, pardonnez, je vous prie,
Si de votre sommeil j’ose troubler le cours ;
Mais le pieux transport dont mon âme est remplie
Ne peut se contenir ; je suis votre cousin
Germain ;
Votre mère était sœur de feu mon digne père.
Cet honnête homme, hélas ! à son heure dernière,
M’a tant recommandé de chercher son neveu,
Pour lui donner moitié du peu
Qu’il m’a laissé de bien ! Venez donc, mon cher frère,
Venez, par un embrassement,
Combler le doux plaisir que mon âme ressent.
Si je pouvais monter jusqu’aux lieux où vous êtes,
Oh ! j’y serais déjà, soyez-en bien certain.
Les écureuils ne sont pas bêtes,
Et le mien était fort malin.
Il reconnaît le patelin
Et répond d’un ton doux : Je meurs d’impatience
De vous embrasser, mon cousin ;
Je descends ; mais, pour mieux lier la connaissance,
Je veux vous présenter mon plus fidèle ami,
Un parent qui prit soin d’élever mon enfance ;

Il dort dans ce trou-là : frappez un peu ; je pense
Que vous serez charmé de le connaître aussi.
Aussitôt maître renard frappe,
Croyant en manger deux ; mais le fidèle chien
S’élance de l’arbre, le happe,
Et vous l’étrangle bel et bien.

Ceci prouve deux points : d’abord, qu’il est utile
Dans la douce amitié de placer son bonheur ;
Puis, qu’avec de l’esprit il est souvent facile
Au piège qu’il nous tend de surprendre un trompeur.