Fables de Florian (1838)/4/Les Deux Paysans et le Nuage

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Impie Lemarchand.
LES DEUX PAYSANS ET LE NUAGE.

FABLE XIX.

LES DEUX PAYSANS ET LE NUAGE.


G

uillot, disait un jour Lucas

D’une voix triste et lamentable,
Ne vois-tu pas venir là-bas
Ce gros nuage noir ? C’est la marque effroyable
Du plus grand des malheurs. Pourquoi ? répond Guillot.
— Pourquoi ? Regarde donc ; ou je ne suis qu’un sot,
Ou ce nuage est de la grêle
Qui va tout abîmer, vigne, avoine, froment ;
Toute la récolte nouvelle
Sera détruite en un moment.
Il ne restera rien, le village en ruine
Dans trois mois aura la famine ;
Puis la peste viendra, puis nous périrons tous.
La peste ! dit Guillot : doucement, calmez-vous ;
Je ne vois point cela, compère :

Et, s’il faut vous parler selon mon sentiment,
C’est que je vois tout le contraire ;
Car ce nuage assurément
Ne porte point de grêle, il porte de la pluie.
La terre est sèche dès longtemps,
Il va bien arroser nos champs ;
Toute notre récolte en doit être embellie.
Nous aurons le double de foin,
Moitié plus de froment, de raisins abondance ;
Nous serons tous dans l’opulence,
Et rien, hors les tonneaux, ne nous fera besoin.
C’est bien voir que cela ! dit Lucas en colère.
Mais chacun a ses yeux, lui répondit Guillot.
— Oh ! puisqu’il est ainsi, je ne dirai plus mot,
Attendons la fin de l’affaire :
Rira bien qui rira le dernier. — Dieu merci !
Ce n’est pas moi qui pleure ici.
Ils s’échauffaient tous deux ; déjà, dans leur furie,
Ils allaient se gourmer, lorsqu’un souffle de vent
Emporta loin de là le nuage effrayant :
Ils n’eurent ni grêle ni pluie.